Par Juliette Bénézit, 26 juillet 2021
Cet été, les tentatives de traversées se multiplient malgré le danger. Lundi 19 juillet, au moins 430 personnes ont rejoint le Royaume-Uni par la mer. Un record.
C’est un phénomène en pleine expansion qui préoccupe les autorités françaises et britanniques. Selon la préfecture du Pas-de-Calais, depuis le début de l’année, plus de 8 000 personnes migrantes ont rejoint les côtes anglaises en traversant la Manche à bord d’embarcations de fortune appelées « small boats ». Un chiffre quasi équivalent à celui de l’année 2020. Cet été, les tentatives de traversées se multiplient malgré le danger. Lundi 19 juillet, au moins 430 personnes ont rejoint le Royaume-Uni par la mer. Un record.
De part et d’autre de la Manche, cette situation a entraîné des réactions en urgence. Samedi 24 juillet, Gérald Darmanin s’est rendu à Calais dans le cadre d’un déplacement consacré à la « lutte contre l’immigration clandestine ». A cette occasion, il a annoncé avoir demandé à l’Agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, de « s’occuper du nord de l’Europe » et « singulièrement du littoral Nord-Pas-de-Calais ».
Quelques jours plus tôt, mardi 20 juillet, le ministre de l’intérieur s’entretenait avec son homologue britannique, Priti Patel, lors d’une réunion en visioconférence. Dans une déclaration commune, la France et le Royaume-Uni ont annoncé avoir « renforcé leur action conjointe ». A savoir : un doublement des effectifs policiers pour couvrir une plus large partie du littoral et un renforcement des moyens de contrôle.
Départs simultanés le long de la côte
Le Royaume-Uni s’est par ailleurs engagé à investir 62,7 millions d’euros en 2021-2022 pour « appuyer la France dans son action d’équipement et de lutte contre l’immigration irrégulière ». Pour tenter d’enrayer la dynamique, la préfecture du Pas-de-Calais a publié, jeudi 22 juillet, un arrêté interdisant, dans six communautés de commune du département, la vente et l’achat de plus de 10 litres de carburant à emporter manuellement, sauf « usages professionnels » ou « nécessités dûment justifiées ». Une première.
C’est en 2018 que les premières embarcations ont commencé à débarquer en nombre jusqu’aux côtes du Kent, dans la région de Douvres. Cette année-là, d’après la préfecture du Pas-de-Calais, 276 personnes ont rejoint l’Angleterre. Puis les chiffres ont explosé : 1 905 arrivées ont été enregistrées en 2019, 8 483 en 2020.
Plusieurs éléments expliquent le phénomène. D’une part, la sécurisation continue du port de Calais et du site d’Eurotunnel a entravé les possibilités de passage en poids lourd. D’autre part, selon la préfecture du Pas-de-Calais, les réseaux de passeurs ont largement investi et développé ce « marché lucratif », facturant une traversée entre « 3 000 et 20 000 euros ». Actuellement, les passeurs organisent des départs simultanés tout le long des 110 kilomètres de côte, afin de déborder les services de secours en mer pour qu’un maximum d’embarcations parviennent jusqu’aux eaux britanniques.
Les négociations s’éternisent
Côté Royaume-Uni, la situation enflamme les brexiters les plus convainvcus, au premier rang desquels la ministre de l’intérieur, Priti Patel, qui n’a de cesse de répéter sa volonté de « reprendre le contrôle des frontières ». La semaine dernière, les députés britanniques ont examiné un projet de loi très controversé porté par Mme Patel et dénoncé comme attentatoire au droit d’asile. Le texte vise notamment à criminaliser les traversées en « small boats » en portant de six mois à quatre ans de prison les peines encourues en cas d’ « entrée illégale » dans le pays.
Londres presse aussi la France et l’Union européenne de trouver un accord sur le dossier sensible des renvois. Et pour cause : les questions migratoires n’ont pas été discutées dans le cadre du Brexit. En conséquence, le Royaume-Uni est sorti, au 1er janvier, du régime d’asile européen commun et ne peut plus bénéficier du règlement dit « Dublin III », un texte qui détermine l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il s’agit, le plus souvent, du premier pays où les empreintes d’une personne ont été enregistrées et où elle peut, en principe, être renvoyée. Dans leur déclaration commune du 20 juillet, il est indiqué que « le Royaume-Uni et la France soutiennent l’idée d’un accord de réadmission entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ». Les négociations s’éternisent.
Depuis la signature du traité du Touquet en 2003 qui acte le transfert de la frontière britannique sur le littoral français, Londres et Paris ne cessent de « renforcer » leur collaboration contre l’immigration clandestine, mettant en place une sécurisation toujours plus importante des lieux en échange de financements britanniques. « On assiste à une théâtralisation de la frontière, analyse Olivier Clochard, géographe et chargé de recherche au CNRS. C’est une mise en scène vis-à-vis de l’opinion publique pour dire que des décisions sont prises. Or, les gens continuent d’arriver. Aujourd’hui, il y a des traversées en bateau alors que c’était inimaginable auparavant. »
En 2020, dix personnes au moins ont péri ou disparu dans la Manche. Parmi elles, une famille kurde iranienne. Les deux parents et les trois enfants se sont noyés en octobre 2020. Le corps du petit dernier, Artin, 15 mois, a été repêché au large de la Norvège, plusieurs semaines après le drame. D’après des décomptes associatifs, au moins 302 personnes migrantes sont décédées à la frontière franco-britannique depuis la fin des années 1990.