Depuis la fin 2019, presque tous les nouveaux arrivants sont mis en détention dans le seul centre de rétention de la mer Egée. Les ONG craignent que cette pratique ne soit étendue aux autres îles, où de nouveaux camps fermés sont en construction.
« C’était comme un cauchemar sans fin, je ne trouvais plus le sommeil. » Karim (les prénoms ont été modifiés par souci d’anonymat), 13 ans, a été enfermé pendant plus de cinq mois dans le centre de rétention del’île grecque de Kos, avec sa mère, sa sœur de 14 ans et son frère de 8 ans. Après le rejet de sa demande d’asile par les autorités, la famille syrienne a été déplacée dans une autre partie du camp, située sur les hauteurs d’une colline aux arbustes épineux, à 3 km du paisible village de Pyli.
Cloîtrés dans un conteneur blanc avec une minuscule fenêtre, ils ne pouvaient ni sortir, ni avoir de contacts avec le monde extérieur, suivre des cours, recevoir des ONG ou des avocats. « Quand la police nous a annoncé que nous pouvions rester encore un an dans cette prison, j’ai pleuré, je n’arrivais pas à m’arrêter… », raconte l’adolescent, encore traumatisé. Submergé par le stress et l’ennui, Karim ne peut même plus passer d’appel vidéo avec son père, qui se trouve en Allemagne. Les policiers détruisent toutes les caméras des téléphones portables des migrants. « Personne ne raconte ce qu’il se passe à l’intérieur. La nourriture distribuée est périmée. Un homme est mort lors de notre séjour. Mes enfants étaient terrifiés et me demandaient si, nous aussi, nous allions mourir ici… », relate, émue, la mère, Sarah.
Macky Diabete, 44 ans, un ressortissant guinéen, est décédé à la suite d’une occlusion intestinale à quelques mètres d’eux. Une enquête sur les circonstances de sa mort a été ouverte. Selon Amin, détenu pendant dix-huit mois dans ce même centre et interrogé par l’ONG Refugee Support Aegean (RSA), « pendant trois jours, il suppliait pour qu’on l’emmène voir un docteur, les policiers lui répondaient qu’il n’y avait pas de voiture pour le transporter ni de médecin capable de se déplacer ». Quelques jours après, un Kurde de 24 ans s’est suicidé dans le camp de rétention de Corinthe, à 80 km d’Athènes.
La détention comme norme
Pendant sa détention, Karim « a déjà pensé au pire. Il a eu de nombreuses attaques de panique et il ne s’est pas alimenté pendant plusieurs jours », avoue Sarah. Aucune aide psychologique ne lui a été proposée. Seuls un médecin et une infirmière leur ont rendu quelques fois visite et leur ont recommandé de prendre des « somnifères ».
Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) a pointé le manque d’aide légale gratuite. « Ces centres de rétention sont une zone grise, où les demandeurs d’asile ne savent pas combien de temps ils doivent rester, ni pourquoi ils s’y trouvent, puisqu’ils n’ont commis aucun crime », souligne l’association d’aide juridique Equal Rights Beyond Borders. « Nous devenons fous. Depuis dix-huit mois que je suis ici, j’ai déjà assisté à trois tentatives de suicide et c’est nous, les autres détenus, qui les avons empêchés d’aller jusqu’au bout, pas la police », rapporte Amin.
Depuis la fin de l’année 2019, quasiment tous les nouveaux arrivants sur l’île de Kos sont placés en détention, alors que celle-ci doit normalement être un dernier recours, d’autant plus pour les mineurs. Après la mise en place de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie en 2016, les demandes d’asile des Syriens sont rejetées non pas parce qu’ils ne sont pas éligibles à l’asile mais parce qu’ils doivent demander l’asile en Turquie, qui a été désignée comme un « pays tiers sûr ». Dans les quatre autres « hot spots » de la mer Egée, une mesure de restriction géographique interdit aux candidats déboutés de quitter les îles. Mais, à Kos, la détention est privilégiée.
Fin avril, toutefois, après neuf mois de pressions du HCR et des ONG, toutes les familles se trouvant dans le centre de rétention ont à nouveau rejoint le camp principal. Depuis le mois de mai, Karim a repris le chemin de l’école gérée par l’ONG Arsis, avec 55 autres camarades. Son temps de sommeil a été augmenté. Mais la famille n’a toujours droit qu’à cinq heures de promenade par semaine hors de l’enceinte.
« Ils sont exclus du système d’accueil »
Depuis mars 2020, il n’y a pas eu une seule réadmission en Turquie. Le service d’asile grec continue néanmoins de rejeter sommairement les demandes d’asile des Syriens. « Selon la loi grecque sur l’asile (4363/2019) et la directive européenne (2013-32/UE), si le pays tiers refuse de reprendre la personne, l’Etat accueillant la personne doit examiner sa demande d’asile sur le fond », explique pourtant Equal Rights Beyond Borders.
« Les Syriens arrivés dans les “hot spots” grecs se sont retrouvés soit arbitrairement détenus, soit dans une situation de vide juridique et de dénuement. Ils sont exclus du système d’accueil, n’ont droit ni à une aide financière, ni de travailler », poursuit l’ONG. L’organisation est également préoccupée par une nouvelle décision ministérielle prise il y a un peu plus d’un mois : désormais, la Turquie est désignée comme un pays tiers sûr non seulement pour les Syriens, mais aussi pour les Afghans, les Bangladais, les Pakistanais et les Somaliens. « Cela va affecter environ 70 % des demandeurs d’asile en Grèce. Le nombre de personnes laissées dans les limbes juridiques devrait prochainement se multiplier de façon exponentielle », notent les juristes.
Autre source d’inquiétude pour les défenseurs des droits de l’homme : les nouveaux camps en construction sur les îles de la mer Egée face à la Turquie, qui feront la part belle à la détention. A Kos, les ouvriers s’activent. Des barbelés, des miradors avec leurs caméras de surveillance et des drones ultramodernes sont graduellement disposés autour de la structure déjà existante. Ici, un nouveau centre plus grand comprenant un supermarché, une école et une infirmerie doit voir le jour dans quelques mois. Sarah est effrayée : « Plus aucune raison de sortir ne nous sera donnée. »