En chantier. Un nouveau site pour la PSM, c'est pour très bientôt !

Passeurs d’hospitalités, un regard neuf sur Calais

.Passeurs d’hospitalités, un regard neuf sur Calais (18.03.2014)

Prenant le relais de Vibrations Migratoires (http://vibrations0migratoires.wordpress.com/) et Voix des Frontières (http://voicesfromtheborders.wordpress.com/), qui ont cessé d’émettre, un nouveau blog prend le relais pour ce concerne la situation des exilés à Calais, Passeurs d’hospitalités : http://passeursdhospitalites.wordpress.com/

Un regard intelligent sur la situation des personnes exilées présentes à Calais, qui plus est documenté et très souvent actualisé : la visite (régulière) du site n’est à pas manquer !

SOAS à Calais, musique sans frontière

SOAS à Calais, musique sans frontière (12.02.2014)

par Martine Devries

Ils sont arrivés d’Angleterre en début d’après-midi  au « camp des syriens » à Calais, sous une pluie battante, et par un vent terrible, leur bateau retardé par la tempête : 9 musiciens à pied, mouillés, mais « battants » ! Le SOAS Ceilidh band ! Ils ont joué toute la journée : sur le camp, sur le lieu de distribution des repas, au Channel lors d’une mini-conférence d’ethnomusicologie avec pour thème: « Calais, point de rencontre des musiques du monde ».  

Le soir, ils ont fait un concert dans la salle du Minck voisine, et enfin, tard, une session dans un bistrot accueillant de la rue de Thermes « absolument fabuleux ». Et ils n’ont pas joué seuls !  Ils ont amené des tambours, et les musiciens et les chanteurs amateurs de différents pays n’ont pas manqué, tout au long de la journée. Il y a eu de la musique syrienne, égyptienne, irlandaise, écossaise,  une chanteuse kurde à faire pleurer d’émotion, des percussions, la samba « Rythms of resistance » et bien d’autres, à travers toutes les frontières, pour un moment au moins.  L’atmosphère était joyeuse, chaleureuse et détendue. A la fin de la soirée, les chaises ont été poussées, et personne n’a pu  résister à l’envie de danser.

Un beau moment vécu ensemble.

Crédits : Julien Saison.

Crédits : Julien Saison.

Sinaï, le désert des tortures / Libération, 10.01.2014

Sinaï, le désert des tortures / Libération, 10.01.2014

http://www.liberation.fr/monde/2014/01/10/sinai-le-desert-des-tortures_971955

La trentaine, le visage émacié, il aspire avec frénésie des bouffées de cigarette. La fumée se déverse aussitôt en propos confus, à peine audibles dans la cacophonie de ce bar du Caire. Tout son corps crie encore l’effroi de sa détention dans le désert du Sinaï. Yonas Habte est érythréen. C’est grâce à sa famille qu’il a survécu à l’une des plus grandes traites d’êtres humains contemporaines. Sept jours auparavant, après que ses proches ont versé les 40 000 dollars (environ 30 000 euros) de rançon exigés par les ravisseurs, Yonas a pu gagner la capitale égyptienne. Bien qu’épuisé, il s’est précipité à l’ambassade d’Erythrée : «Des dizaines d’autres sont encore détenus, aidez-nous !» Yonas écrase son mégot, silencieux. Son regard, noir d’ivoire, traduit à lui seul sa colère contre ces diplomates qui l’ont alors congédié sans ménagement. L’index pointé vers le ciel, il reprend d’un timbre grave : «Otage, j’ai fait une promesse à Dieu. J’ai juré que, si je survivais, je tenterais tout pour mettre fin à ce trafic d’êtres humains. Si personne ne nous porte secours, je veux que le monde sache.»

«L’une des crises humanitaires les moins documentées au monde.» C’est en ces termes que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qualifie le drame qui se joue dans le silence des dunes du Sinaï, à la frontière avec Israël. Cette crise s’amorce en 2007, lorsque des migrants et réfugiés subsahariens prennent la route de Tel-Aviv, alors un eldorado. Des Bédouins locaux saisissent leur chance et se convertissent en passeurs. A raison de 1 000 dollars par tête, leur activité est lucrative. D’autant que, entre 2007 et 2012, 62 000 clandestins ont ainsi rallié l’Etat hébreu, selon les autorités israéliennes. Cette semaine, des milliers d’entre eux ont d’ailleurs manifesté leur colère, à Tel-Aviv et Jérusalem, contre le traitement qui leur est réservé depuis lors (lire Libération de mercredi).

25 000 survivants, 15 000 disparus

En 2009, Tel-Aviv riposte. Des politiques draconiennes sont mises en place à l’encontre des «infiltrés». Le flux diminue. Pour compenser leur manque à gagner, les Bédouins se lancent dans un nouveau commerce. Ils séquestrent les candidats à l’immigration durant leur traversée du Sinaï. Les otages sont affamés, brutalisés et violés dans l’attente de leur libération. Celle-ci ne survient qu’une fois que leurs proches s’acquittent de sommes comprises entre 10 000 et 40 000 dollars (7 300 et 30 000 euros), assurant la ruine des communautés rançonnées. Pour pérenniser ce négoce, les Bédouins vont commanditer des enlèvements, principalement d’Erythréens qui fuient leur pays pour trouver asile dans des camps de réfugiés au Soudan. Interviennent les complices, des membres d’une tribu arabe peuplant les rives de la mer Rouge, les Rachaïdas. Ils organisent des rafles aux alentours ou à l’intérieur de ces camps et transfèrent leur butin dans le Sinaï.

Jusqu’en 2012, on comptait plus d’un millier de captifs. Or, depuis la construction par Israël d’un mur de défense le long de sa frontière avec l’Egypte, «plus aucun migrant ou réfugié ne vient volontairement dans le Sinaï», constate Heba Morayef, directrice en Egypte de Human Rights Watch. Les détenus actuels ne sont donc plus des clandestins en route vers Tel-Aviv, uniquement des réfugiés enlevés au Soudan. Le nombre d’otages est ainsi moindre. «Plus de 400 individus», détaille Meron Estefanos. Cette militante des droits de l’homme d’origine érythréenne, basée en Suède, a entrepris un intense lobbying auprès d’institutions internationales pour mettre un terme à ce trafic. Egalement journaliste, elle est coauteure de rapports sur cette traite avec deux professeures de l’université de Tilburg, aux Pays-Bas. Selon leurs estimations, 600 millions de dollars ont été extorqués aux familles des 25 000 survivants. Et aussi à celles des 15 000 disparus.

Yonas Habte occupe avec cinq rescapés un appartement à Ard el-Lewa. Dans ce faubourg du Caire, dédale de ruelles poussiéreuses, les klaxons des tuk-tuk rivalisent avec les cris des vendeurs ambulants. Yonas referme la fenêtre. Il s’affale dans un fauteuil et masse ses cernes creusés par un sommeil agité. «Je suis né le 20 mai 1980. J’ai été libéré le 20 mai 2013», entame-t-il, encore ébahi par cette seconde naissance. De sa jeunesse, il retient la guerre incessante de libération contre l’Ethiopie, et l’euphorie qui s’est emparée de sa nouvelle patrie à l’indépendance, en 1993.

Vingt ans plus tard, «l’Erythrée est l’un des pays les plus répressifs, secrets et inaccessibles au monde», rapporte Amnesty International. Issayas Afeworki le dirige en implacable dictateur militaire depuis l’indépendance. Obsédé par la survie de son régime après la guerre de 1998 contre l’ennemi héréditaire, il impose la conscription à durée indéterminée, entre 17 et 50 ans. La Corée du Nord de l’Afrique s’est, depuis, transformée en caserne à ciel ouvert d’où chacun tente de déserter. «Ils m’ont rattrapé à cinq reprises, je l’ai payé d’un an et demi de prison. J’ai pourtant servi mon pays lors des trois guerres contre l’Ethiopie, se remémore Yonas, amer. « Awet n’hafach ! » scande notre régime [«victoire aux masses» en tigrinya, la langue locale, ndlr]. Mais de quelle victoire nous parle-t-on ? Nous n’avons ni pain ni travail, aucune liberté.» Et surtout pas celle du culte. Protestant pentecôtiste, Yonas est emprisonné. Il renie sa foi et sort libre… quatre ans plus tard.

Sa dernière incarcération forge sa détermination. Il doit s’exiler. Yonas organise alors sa fuite à travers la frontière soudanaise avec le concours d’un officier de l’armée, largement rétribué. Il échappe ainsi aux gardes qui tirent à vue pour parer aux évasions. Cette mesure ne dissuade cependant pas. Environ 3 000 Erythréens gagnent chaque mois les pays limitrophes, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés. Sur les 6 millions d’habitants, 20% ont déjà fui.

Une chaîne, quinze cadenas

Au Soudan, Yonas se croit sauf. Mais des soldats l’interceptent. «Ils m’ont promis de me conduire au camp de réfugiés de Shagarab, proche de la frontière», poursuit-il en sirotant son café froid. Yonas a en réalité été vendu avec trois Erythréens à des Rachaïdas. «Ces hommes nous ont enchaînés avec cinq détenus et entassés à l’arrière d’un pick-up.» Les prisonniers atteignent la frontière égyptienne, où ils sont revendus à un autre groupe. Après huit jours de voyage sans nourriture, ils embarquent sur un bateau pour le Sinaï. Des Bédouins les réceptionnent contre paiement, direction «une villa perdue dans les sables». A quelques mètres de cette villa, un garage. Ce sera son makhzan, sa «geôle». La porte s’ouvre. «Six Noirs étaient allongés dans l’obscurité», se rappelle Yonas. Avec son groupe, ils sont désormais quinze, tous enchaînés par les pieds. Une seule chaîne, quinze cadenas. «Je me suis évanoui à la première électrocution sur nos fers. J’ai aussitôt compris la première règle du makhzan : si tu tombes à terre, leur barbarie se décuple.» Il retrousse son pantalon jusqu’au tibia pour dévoiler une cicatrice d’une douzaine de centimètres, témoin des coups reçus ce jour-là. La raison de leur détention ne tarde pas à leur être communiquée. «Vous avez deux semaines pour payer 50 000 dollars chacun ou personne ne sortira vivant. Appelez vos familles», tonne Yonas en imitant la voix rauque «d’un fumeur compulsif d’une cinquantaine d’années». Cette voix est celle d’Abou Omar. Pas le plus cruel, mais l’un des plus gros trafiquants.

Drogués et sodomisés

Dans leur makhzan, les otages disposent d’un téléphone portable. Yonas consacre son premier appel à sa sœur qui réside en Australie. En larmes, elle lui promet son aide. Yonas ne veut néammoins négliger aucune piste. «Plusieurs fois par jour, je téléphonais à ma mère, à mes amis, à ma copine.» Sans résultat. Au jour J, aucune somme n’a été versée. La voix nouée, Yonas raconte avoir exécuté avec cinq codétenus les lubies de leurs geôliers. Sous l’emprise de drogues, ils se sont sodomisés.

Une routine ne tarde pas à s’installer. Souvent, «nous étions suspendus au plafond. On nous brûlait au fer rouge ou avec des gouttes de plastique fondus qui venaient s’écraser sur notre peau.» Les sévices s’intensifient quand les détenus téléphonent à leurs proches. Les cris, espèrent les trafiquants, feront pression sur les familles pour verser l’argent.

Bientôt, dix autres Erythréens les rejoignent dans ce garage aux parois métalliques. Puis huit. Dans ces 14 mètres carrés, 33 personnes suffoquent dans une chaleur saturée d’excréments. Un pain par jour, parfois une conserve constituent leur seule nourriture. Ils ne boivent que de l’eau salée. Et qu’importe la détresse, «il était défendu de parler entre détenus. Il était interdit de bouger aussi, malgré les poux.» Les yeux bandés la plupart du temps, «nous guettions, anxieux, le bruit de la serrure ou la voix d’Abou Omar».

Si un détenu s’avère insolvable, il le paye de sa vie. «Un Ethiopien affirmait n’avoir personne à même d’offrir sa libération. Les gardes se sont acharnés sur lui et sa blessure au bras s’est infectée au point que des vers se sont développés. Puis ils l’ont menacé de prendre ses organes pour les vendre en dédommagement.» Yonas marque une pause. «Finalement,ils l’ont achevé au couteau.» Les détenus enveloppent alors la dépouille dans un drap pour qu’il retrouve dans la mort quelque dignité. Le corps pourrira trois jours dans le makhzan, avant que Yonas et un autre compagnon ne soient forcés de l’enterrer dans le désert.

Epuisé par cet effort de mémoire, Yonas semble absent. Un de ses colocataires s’approche pour l’enlacer. Il sursaute, les coudes prêts à protéger son visage. «Deux autres otages ont succombé sous nos yeux», ajoute-t-il dans un souffle. Les premiers versements arrivent enfin. 2 000 dollars, encore 5 000, à nouveau 2 000. Semaine après semaine, sa sœur se démène, s’endette. Et grâce à la vente de ses terres en Erythrée, la mère de Yonas apporte 10 000 dollars. Western Union transfère, Abou Omar encaisse.

Plus de 5 000 morts en cinq ans

Six mois et 40 000 dollars plus tard, c’est donc au Caire que Yonas a trouvé asile. Tous ne connaissent pas cette chance. «Beaucoup de réfugiés meurent après leur libération, même après avoir payé leur rançon», explique la militante Meron Estefanos. Certains décèdent des suites de leurs blessures ou sont revendus à d’autres Bédouins. D’autres sont abandonnés dans le désert. S’ils sont rattrapés par l’armée, ils seront détenus pour avoir pénétré illégalement dans une zone militaire. Et s’ils tentent de traverser la frontière, ils risquent d’être abattus par les soldats. Selon les comptes rendus des morgues, plus de 5 000 réfugiés et migrants seraient morts dans le Sinaï ces cinq dernières années.

Quelque 500 survivants habitent aujourd’hui dans la capitale égyptienne. Ils ont été pris en charge à leur arrivée par le HCR. En plus d’une assistance médicale et psychologique, ils reçoivent pendant six mois 420 livres égyptiennes mensuelles (45 euros). «Mis en commun pour payer le loyer et la nourriture, détaille un colocataire de Yonas. Mais que se passera-t-il ensuite ? Travailler ?» Le chômage explose en Egypte et la langue demeure un obstacle. Leur intégration est d’autant plus délicate qu’ils gardent des séquelles, comme le relate une jeune Erythréenne, violée à répétition par ses tortionnaires : «Je ne sors pas dans la rue, trop de choses m’évoquent le Sinaï. Des voix, des rires et même certains visages m’effrayent.» Une peur exacerbée par des rumeurs d’enlèvements au Caire.

Beaucoup se résignent, suspendus à l’espoir que l’ONU les réimplante dans un pays tiers. Une démarche longue si elle survient. Cet attentisme, Yonas le refuse. A défaut de pouvoir mettre fin à ce trafic, il cherche à en atténuer les conséquences. Quotidiennement, il veille un survivant à l’hôpital. En contact avec les treize derniers otages d’Abou Omar, il les soutient, les encourage et coordonne leurs communications avec l’extérieur. Un jour, une bonne nouvelle tombe enfin. Les rançons de trois d’entre eux ont été payées. Ils vont être rapatriés au Caire. Un rapatriement à haut risque car, sur cette route, les check-points de l’armée sont minutieux. Les ex-otages sont travestis pour tromper la vigilance des soldats, ils revêtent un niqab. Bientôt, le chauffeur employé par le trafiquant avertit Yonas de son approche. Mais les heures s’écoulent et l’angoisse grandit. Le chauffeur a confié les Erythréens à un taxi en banlieue du Caire qui a pris peur et les a livrés à la police.

Les villas du trafiquant Abou Omar près d’El-Mehdiya, à la frontière israélo-égyptienne. (Photo Baptiste de Cazenove.)

Anéanti, Yonas tente de rassurer les familles restées au pays. Elles s’emportent au téléphone : «J’ai payé la rançon, où est mon frère ?» Sans papiers, ces trois Erythréens sont, comme leurs centaines de concitoyens, incarcérés dans les prisons égyptiennes : des migrants économiques au regard des autorités, et non des demandeurs d’asile. Cette qualification, habile, permet à l’Egypte de refuser au HCR l’accès aux prisonniers, rendant impossible l’identification de leur statut de réfugié. Elle permet surtout de déporter ces migrants à leurs frais dans leur pays d’origine, au mépris de la convention de Genève, dénoncent des ONG. Pourtant, en Erythrée, ils risquent «fortement d’être torturés et placés arbitrairement en détention», s’alarme Amnesty International. Dans les mois suivants, ces jeunes auront réintégré le service militaire à vie, le même qu’ils avaient fui.

Le cheikh sauveur

De l’abattement à l’optimisme, la frontière est parfois ténue. Quelques jours plus tard, dans un appartement occupé par des survivants, une émanation âcre saisit les narines. Trois adolescents désinfectent leurs chairs putréfiées, brûlées à vif. Leurs gestes sont lents, méticuleux. Comme les autres survivants, ils ont été brutalisés et affamés jusqu’à devenir ces corps décharnés qu’ils entrevoient dans le reflet d’une vitre. Mais, contrairement à eux, ils ont été délivrés de leur makhzan. Un puissant cheikh, un chef de tribu bédouin, leur a rendu la liberté.

C’est à El-Mehdiya, dans la province excentrée du nord du Sinaï, que ce cheikh habite. L’autoroute qui y conduit dévoile une des plus pauvres régions, livrée à des gangs bédouins en guerre pour le contrôle des trafics d’armes, de drogues et de marchandises. Ce désert est également le repère de jihadistes armés. Galvanisés depuis le renversement par l’armée de Mohamed Morsi, président issu des Frères musulmans, ces islamistes lancent des attaques aussi spectaculaires que mortelles contre les forces de sécurité. Mais le laisser-faire des autorités a vécu. Renforts de troupes, destructions de caches, arrestations massives… une laborieuse opération de nettoyage du Sinaï est en cours depuis juillet.

Un calme précaire règne néanmoins aux abords d’une route ensablée qui s’enfonce au sud de Gaza. Nous sommes à El-Mehdiya, à quelques centaines de mètres de la frontière israélienne. Seuls des oliviers et des fermes isolées s’accrochent aux dunes. La route se transforme en piste et débouche sur une demeure surplombant les environs. Cheik Mohammed Ali Hassan Awad y tient conseil entouré des sages de sa tribu. Ce jeune Bédouin à la barbe longue et soignée est un homme pieux. Salafiste, il puise dans l’islam une doctrine rigoriste. «Vous n’infligerez ni n’endurerez aucune injustice», martèle-t-il, citant le prophète. Cette parole guide son action. Le cheikh combat le trafic d’êtres humains.

Quatre ans plus tôt, «nous avons recueilli un premier Africain évadé d’un camp de torture», se souvient-il. Depuis, grâce à ses prêches et à des manifestations, il est parvenu à isoler ces trafiquants. Personne ne communique et ne commerce plus avec eux. Ce boycott se révèle efficace, le nombre de trafiquants aurait diminué. Une vingtaine de groupes restent néanmoins actifs. Une estimation corroborée par les témoignages des survivants. Le cheikh emploie aussi la force pour délivrer des otages. 300 individus ont ainsi été sauvés, dont les trois adolescents arrivés récemment au Caire, en plus de six Erythréens. Ces derniers sont encore là. A l’heure de la prière, l’assemblée gagne la mosquée voisine. Seuls restent les Erythréens, tous chrétiens. Avec eux, un Bédouin monte la garde, kalachnikov au bras, car d’ici nous apercevons des villas, les palaces des trafiquants.

Ce trafic international perdure en totale impunité. Seule l’opération militaire qui est sur le point de s’achever dans le nord du Sinaï est momentanément venue le perturber. Dans sa traque des islamistes, l’armée a découvert 144 otages en octobre alors que leurs trafiquants prenaient la fuite. Désormais emprisonnés, ces réfugiés sont progressivement déportés dans leur pays d’origine. Toujours en Egypte et, pour la première fois, un homme accusé de complicité dans cette traite va être jugé. Mais «les centaines de personnes impliquées dans ce trafic n’ont jamais été inquiétées par la justice égyptienne, déplore-t-on à Human Rights Watch. En ne prenant aucune mesure, les autorités portent une part de responsabilité.»

Pour certains survivants, la responsabilité de ce drame incombe au régime érythréen. «Si nous n’étions pas contraints de fuir notre pays, ce problème n’existerait pas», se désespère l’un d’eux. D’autres décèlent dans cet enfer une machination orchestrée pour les dissuader de s’évader. Pour leur part, des enquêteurs du groupe de contrôle de l’ONU révèlent que, sur la base de témoignages et de reçus de virements,des rançons ont été payées «directement à des représentants des autorités érythréennes». Et que des personnalités importantes des services de sécurité sont impliquées dans cette traite.

Sacs remplis de cheveux crépus

De telles révélations ne surprennent guère Yonas, que nous retrouvons après notre expédition dans le Sinaï. Avec un autre survivant du makhzan d’Abou Omar, il préfère s’attarder sur nos photos prises au cœur de la zone de détention des otages. Elles défilent sur l’écran de l’ordinateur. Le style chinois des villas, dernière exubérance des trafiquants, tous deux le connaissent. Là, constatent-ils, une villa se construit, signe que cette traite prospère. Ils observent l’existence d’une décharge. Des vêtements aux motifs africains s’y entassent à côté de sacs plastiques remplis de cheveux crépus. «Souvent, ils nous rasaient la tête», confirme Yonas. Dans cette décharge se trouvent des flacons de désinfectant et des poches de perfusion, «avec lesquelles la femme d’Abou Omar nous maintenait en vie», expliquent-ils. Les clichés se succèdent. Soudain Yonas exulte : «C’est ici ! Ce sont les villas d’Abou Omar. Désormais, personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.»

Ce reportage inédit a obtenu en 2013 le prix France Info-«XXI».

Baptiste DE CAZENOVE

Yemane G.N.

Texte de Mariam Guerey, Animatrice au Secours Catholique de Calais,

lors du décès de Yemane G. N. :

Il s’appelait Yemane G. N.

Il avait à peine 23 ans.

Yemane a fui son pays, par peur de faire le service militaire forcé.
Yemane avait des problèmes de cœur.
Sur la route du voyage, il a été opéré de son cœur au Soudan.
Une malformation au cœur, avec un espoir que là-bas, il serait sauvé.
Yemane a continué la route vers le pays dont il rêvait : « l’Angleterre ».
Yemane pensait que là-bas, il serait soigné.
Yemane n’aura jamais su, que en France il aurait pu être soigné, mieux même qu’au pays du rêve.
Faute de moyens, de rencontres, d’information et de vrai accueil !!!
Faute de lieu, de papiers d’identité, le suivi médical a été sa mort.
Toujours la peur de la police, les contrôles, obligé de cacher l’identité.
La faute à personne… la faute de ne pas naître européen… c’est plus facile!!!

Yemane est parti sans pouvoir atteindre le rêve du départ.
C’est pour quand le vrai accueil???

Je suis contente, que Yemane soit enfin enterré dans son pays de naissance puisqu’il n’est pas mort dans le pays de son rêve.

D’où venaient les naufragés de Lampedusa? (RFI / 05.10.2013)

En passant

D’où venaient les naufragés de Lampedusa?

http://www.rfi.fr/afrique/20131005-italie-lampedusa-naufrage-erythree-issayas-afeworki-migrants-refugies-hcr-mafias-rackets-trafics

Créé le 2013-10-05 23:45

Par Léonard Vincent

Italie / Immigration / Erythrée

La grande majorité des passagers du bateau qui a fait naufrage au large de la Sicile venaient d’Erythrée, un petit pays de la Corne de l’Afrique. Les Erythréens forment l’une des plus grandes communautés de réfugiés au monde, alors que la population totale du pays n’est que d’environ cinq millions. Avant de venir s’échouer, morts ou vivants, sur les côtes de Sicile, ils avaient suivi un périple de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

Ils sont jeunes et n’ont rien à perdre, puisqu’ils ont déjà traversé l’enfer. Les Erythréens qui, depuis plus de dix ans, s’entassent en Afrique du Nord, se considèrent comme des évadés. Et pour cause : depuis leur pays natal, le périple de ces garçons et de ces filles, de ces enfants parfois, n’est qu’une suite d’effroyables périls. De l’Erythrée à la Libye, en passant par le Soudan ou l’Ethiopie, ils sont la proie de toutes les mafias, toutes les violences, tous les rackets.

Ce qu’ils veulent fuir est connu : la discipline de fer imposée par le président Issayas Afeworki, le culte des vétérans de la guerre de libération, l’exigence de sacrifice au bénéfice d’une nation en armes, le service militaire à perpétuité. En bref, la misère, l’injustice, l’oppression, la propagande.

3 000 dollars pour le passeur

D’abord, il leur faut trouver un passeur. Economiser suffisamment d’argent pour le dangereux trek à travers l’ancienne ligne de front avec l’Ethiopie ou les djebels du Soudan. Eviter les mouchards de la police, qui les expédieraient directement dans l’une de ces colonies pénitentiaires du pays, où l’on a ni contact avec l’extérieur ni date de libération connue. Le risque est grand, sachant que, dans ce pays ultra-surveillé, les trafiquants sont souvent de mèche avec les militaires.

La somme exigée est de 3 000 dollars, payable en liquide. Les familles vendent leurs biens pour aider les plus jeunes qui peuvent encore être sauvés. L’ordre est de ne rien emporter, sinon une pièce d’identité et un peu d’argent. Le passage, à pied, dure plusieurs jours. Les passeurs coupent les provisions d’eau au gasoil, pour empêcher les fugitifs de boire toute leur ration d’un coup. Mais l’armée patrouille le long des frontières, avec ordre de tirer à vue. Ceux qui se rendent sont envoyés aux travaux forcés. Les réfugiés qui parviennent de l’autre côté sont déjà des survivants.

Déserteurs en Ethiopie

Dans les camps de réfugiés d’Ethiopie, ils sont d’abord « débriefés » par les services de renseignements. Le gouvernement d’Addis-Abeba craint les infiltrations d’espions, de rebelles ou de commandos érythréens. Il glane ainsi de précieuses informations sur l’état réel de son voisin et ennemi, avec lequel il a livré une guerre très meurtrière entre 1998 et 2000. S’ils choisissent de rester en Ethiopie, où l’intégration est difficile, mais possible, les fugitifs sont donc considérés comme des « déserteurs » par leur gouvernement. Ils sont passés à l’ennemi : cette tache indélébile les suivra longtemps.

Otages en Egypte, « infiltrés » en Israël

Au Soudan, le risque est d’être capturé par des soldats corrompus, avant d’avoir pu être enregistré par le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Ceux-ci les dépouillent d’abord. Ensuite, ils les revendent à des trafiquants bédouins. Ils sont alors conduits de force en Egypte, avec toutes sortes de marchandises de contrebande, vers les centres de détention construits pour eux dans des villas du Sinaï. Là, ils sont atrocement torturés pendant que leurs bourreaux téléphonent à leur famille pour obtenir une rançon s’élevant souvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ceux qui parviennent à payer sont poussés à travers les barbelés de la frontière israélienne. S’ils ne sont pas abattus par les gardes-frontières égyptiens, ils sont traités « d’infiltrés » indésirables par des autorités israéliennes de plus en plus intraitables avec les Africains.

Des bidonvilles de Khartoum vers la Libye

Les plus chanceux parviennent jusqu’aux bidonvilles de Khartoum, où ils ont la possibilité de gagner un peu d’argent dans des emplois subalternes. Avec leurs économies, ils payent leur place dans des convois de 4×4 trafiqués qui foncent à travers le Sahara vers la Libye, passant de mains en mains selon les milices qui tiennent les régions traversées.

Dans les villes côtières, du temps du régime du colonel Kadhafi, ils étaient employés par la bourgeoisie locale pour des salaires de misère, jusqu’à ce qu’ils puissent payer leur place sur une coque de noix. Ou bien ils étaient incarcérés dans des centres spéciaux, notamment la prison de Misratah, jusqu’à ce qu’ils puissent acheter leur libération. Depuis la chute du régime de celui qui se prétendait « le roi des rois d’Afrique », la donne n’a pas beaucoup changé. Nombre d’Erythréens sont toujours incarcérés ou ont disparu, victimes de la traque par les rebelles des prétendus « mercenaires noirs » de l’ancien dictateur.

« Prendre la mer, quoi qu’il arrive »

Ceux qui échappent aux rafles s’entassent au hasard de la côte, sous le contrôle de mafias locales, en attendant de pouvoir s’offrir une place sur l’un de ces bateaux destinés à être perdus, en route vers les côtes italiennes ou maltaises. Ils sont alors entassés à bord, les uns sur les autres, enroulés dans des parkas ou des couvertures. Ils remettent leur vie entre les mains d’un pilote désigné par les trafiquants, lequel est la plupart du temps un quidam qui cherche aussi à demander l’asile en Europe. Les rafiots prennent la mer de nuit, avec pour seuls guides une boussole et un téléphone portable.

Mais ces épreuves ne les arrêtent pas. En apprenant le naufrage de Lampedusa, Yoel a immédiatement téléphoné à un membre de sa famille, coincé en Libye dans l’attente d’un hypothétique embarquement. Réfugié en Afrique du Sud depuis plusieurs années, il a exhorté son cousin à renoncer à son projet. « Si je rentre en Erythrée, c’est la mort, lui a répondu ce dernier. Si je reste en Libye, c’est la mort. Alors, la seule chance qui me reste, c’est de prendre la mer, quoi qu’il arrive. »

A Calais, les rescapés de Lampedusa

À CALAIS, LES RESCAPÉS DE LAMPEDUSA

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 11 octobre 2013

Ce ne sont pas encore les rescapés du dernier naufrage sur les côtes de Lampedusa qui arrivent à Calais, mais nous verrons probablement certains d’entre eux dans les prochaines semaines. Mais l’augmentation des arrivées à Lampedusa se traduit ici avec quelques semaines de décalages. Le nombre d’Érythréens et d’Éthiopiens augmente dans tous les camps de la région, et ce sont bien les rescapés de traversées trop souvent meurtrières de la Méditerranée, après être passés par les camps libyens qui arrivent ici.

Comme les réfugiés syriens, on ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours compassionnel des responsables politiques et la réalité de l’accueil en Europe.

À Calais, la plupart des Érythréen-ne-s et des Éthiopien-ne-s habitent un squat insalubre qui peut être expulsé d’un jour à l’autre – un arrêté d’insalubrité ayant été affiché. Une partie des femmes et des enfants est hébergée dans un squat ouvert par le mouvement No Border, qui joue depuis plusieurs années le rôle de service social, l’État n’assumant pas ses obligations. Là aussi la mairie pousse à l’expulsion.

Ceux est celles qui remontent directement d’Italie après leur traversée sont souvent sans argent. Ils et elles tentent donc de passer par les moyens les plus risqués.

Un exilé érythréen est mort il y a deux nuits en essayant d’entrer à la nage dans le port. Un petit encadré dans la presse locale, et il rejoint la centaine de personnes mortes à cette frontière depuis la fermeture du centre de Sangatte.

Crédits : Rahaf Demashki.

Crédits : Rahaf Demashki.

Squat 51, boulevard Victor Hugo

SQUAT 51 BOULEVARD VICTOR HUGO

Par Martine Devries

30 septembre 2013.

C’est la première fois que j’y viens. Par chance, j’arrive en même temps que Valentin et Tom. Devant la maison, des tas de sacs poubelles, en pyramide. Quelques personnes, très visibles puisque noires trainent devant. J’entre. Il y a un brouhaha, et une foule dans cette pièce qui est de la taille habituelle d’une pièce familiale et qui contient à ce moment au moins 40 personnes. Je me demande s’il s’agit d’une AG, tout le monde fait cercle serré autour de ? finalement il s’agit de deux femmes qui font la cuisine. Le bruit des voix est simplement lié au nombre, personne ne se dispute. Et, oui, il y a des femmes. C’est pour ça que je viens : les jeunes bénévoles qui « tiennent le squatt » s’inquiètent de la venue soudaine d’une dizaine de femmes, et de plus, c’est plus difficile à gérer. En principe ce squatt était réservé aux femmes et aux personnes vulnérables. De fait, c’est très difficile d’interdire aux hommes de venir y dormir, il n’y a aucun autre abri possible en ville depuis l’expulsion du squatt rue Mouron en début de mois.

Je regarde, je souris, j’attends un peu avant de me manifester. Ce n’est pas la peine, quelqu’un m’a repéré, et une femme m’aborde, en anglais : c’est S., elle a un rendez-vous d’échographie demain. Je viendrai la chercher et j’irai avec elle, c’est d’accord. Un homme ensuite d’une trentaine d’années, dit qu’une autre femme veut me parler : ce n’est pas possible ici, on me propose la cave, ou dehors. Je choisis dehors, il fait beau. Atze est enceinte de 7 mois, elle n’a pas encore vu de médecin, elle est en France depuis quelques jours, c’est ce que je crois comprendre. Je téléphone pour prendre un rendez-vous à la maternité, c’est très compliqué, et finalement la sage-femme de garde me propose de l’amener tout de suite, c’est parfait. « Elle vient avec sa carte de sécu et ses papiers d’identité » « mais elle n’en a pas », un blanc au bout du fil, j’explique rapidement que la consultation sera prise en charge par la PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé). La sage-femme ne connaît pas la PASS, mais elle se rassure en pensant que la secrétaire est encore là, qui connaît ces choses. Avant de partir, une troisième femme m’aborde, elle est enceinte de 4 mois, et veut voir un médecin. Je remets à demain, deux consultations non urgentes pour la sage-femme des urgences me semblent trop.

Atze monte en voiture, elle est accompagnée de cet homme qui m’a abordé. J’ai eu le temps de lui demander « He is your man ? » Non, et après une hésitation, « He is my brother ». D’accord.

Nous atteignons les urgences de la maternité, c’est au bout du monde ! Enfin, loin dans l’hôpital. La sage-femme est charmante, elle est très contente que je puisse parler en anglais, je lui demande son nom, les présente l’une à l’autre en disant : elle comprend l’anglais.

Examen gynécologique, avec mes explications, ça se passe bien, et chance, Atze n’est pas excisée. Prise de sang, monitoring. Un sourire passe sur son visage quand elle entend le cœur du bébé. Pour l’échographie, il faut attendre un peu, le médecin est occupée. J’explique tout ça et je sors prendre l’air, il fait une chaleur à l’intérieur ! Je passe devant le brother, lui explique que tout va bien et qu’on attend le médecin. Je reviens une heure après, ils sont tous les deux dans la salle d’attente, l’écho est faite, mais ils ne connaissent pas le résultat. Je rejoins le médecin et la sage-femme dans le bureau : tout va bien, hormis une anémie, la grossesse est bien de 7 mois, elle a débuté le 9 Mars. Le médecin explique qu’il n’a pas fait l’étude morphologique, ça prend trop de temps, et on est aux urgences. Je sors, et m’apprête à partir avec eux, quand Atze me demande : Boy or girl ? Je ne sais pas… Je retourne voir le médecin et lui pose la question. « Je n’ai pas regardé » dit-elle.

Sur la route du retour, j’essaie de savoir s’il y a d’autre femmes enceintes dans la maison, apparemment pas. J’explique que pour les autres, si elles veulent prendre la pilule, je peux leur expliquer… Je crois qu’ils ont compris, on en reparlera demain.

Et pour les hommes, on peut consulter, faire une prise de sang ?

Éthiopie : Des détenus politiques soumis à la torture (Human rights watch / 18.10.2013)

Éthiopie : Des détenus politiques soumis à la torture

Human Rights Watch 18 octobre 2013

http://www.hrw.org/fr/node/119894

Les autorités éthiopiennes ont soumis des détenus politiques incarcérés dans le principal centre de détention de la capitale, Addis Abeba, à la torture et à d’autres mauvais traitements, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement éthiopien devrait prendre immédiatement des mesures pour réfréner les pratiques illégales au Centre des enquêtes criminelles de la police fédérale (Federal Police Crime Investigation Sector), aussi appelé Maekelawi, pour effectuer des enquêtes impartiales sur les allégations de violations des droits humains et pour amener les responsables à en répondre devant la justice.

Ce rapport de 70 pages, intitulé « ‘They Want a Confession’: Torture and Ill-Treatment in Ethiopia’s Maekelawi Police Station” » (« ‘Ils veulent des aveux’ : Tortures et mauvais traitements au centre de police Maekelawi en Éthiopie ») documente de graves violations des droits humains, des techniques d’interrogatoire illégales et des conditions de détention déplorables au centre Maekelawi depuis 2010. Parmi les personnes détenues dans ce centre figurent un grand nombre d’opposants politiques, de journalistes, d’organisateurs de manifestations et de partisans présumés de mouvements de rébellion ethniques. Human Rights Watch a interrogé plus de 35 anciens détenus du centre Maekelawi et des membres de leurs familles, qui ont décrit comment les responsables avaient refusé de subvenir aux besoins les plus fondamentaux de ces détenus, les avaient torturés et maltraités afin d’extorquer des informations et des aveux, et les avaient privés de contacts avec un avocat et avec leurs proches.

« En plein cœur de la capitale, les autorités éthiopiennes commettent régulièrement des exactions pour obtenir des informations », a déclaré Leslie Lefkow, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les passages à tabac, la torture et l’extorsion d’aveux ne sont pas des méthodes acceptables de traitement de journalistes ou de membres de l’opposition politique. »

Depuis les élections controversées de 2005, l’Éthiopie a intensifié la répression de diverses formes d’expression pacifique d’opposition, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités ont eu fréquemment recours aux arrestations arbitraires et aux procès politiques, notamment dans le cadre de la contraignante loi nationale antiterroriste, contre des personnes considérées comme opposées au gouvernement, qui ont été détenues et interrogées au centre Maekelawi.

Les responsables du centre Maekelawi, notamment les enquêteurs de la police, ont recouru à diverses méthodes de torture et aux mauvais traitements contre les personnes qu’ils détenaient. D’anciens détenus ont affirmé à Human Rights Watch avoir été giflés, roués de coups de pied et frappés à l’aide d’objets divers, dont des bâtons et des crosses de fusil, principalement pendant les interrogatoires. Ils ont également indiqué avoir été maintenus dans des positions douloureuses et stressantes pendant des heures, pendus par les poignets contre un mur, le plus souvent tout en étant frappés.

Un étudiant originaire d’Oromiya a décrit comment il était resté enchaîné pendant plusieurs mois dans une cellule d’isolement: « Quand  je voulais me lever, j’avais du mal: je devais m’aider de ma tête, de mes jambes et du mur pour y parvenir. J’étais toujours enchaîné quand je mangeais. Ils m’enchaînaient les mains par devant pendant le repas et me les enchaînaient de nouveau par derrière après. »

Les conditions de vie dans les quatre principaux quartiers de détention du centre Maekelawi sont mauvaises mais varient beaucoup de l’un à l’autre. Dans le pire des quatre, appelé « Chalama Bet » (« maison obscure » en amharique), d’anciens détenus ont affirmé que la lumière et l’accès aux toilettes étaient strictement limités, et que certains d’entre eux étaient maintenus dans un complet isolement. Ceux qui avaient été détenus dans le quartier « Tawla Bet » ( « maison en bois ») se plaignaient d’un accès limité à une cour située voisine de leurs cellules et que celles-ci étaient infestées de puces. Les enquêteurs se servent du besoin de satisfaire des besoins de base et de l’accès aux sanitaires comme d’un levier pour punir ou récompenser les détenus de s’être pliés ou non à leurs exigences, y compris en les transférant d’un quartier à l’autre. À défaut d’être libérés, beaucoup de détenus aspirent à être transférés dans le quartier « Sheraton », ainsi nommé en référence à la chaîne internationale d’hôtels, où ils sont plus libres de leurs mouvements.

Les détenus des quartiers Chalama Bet et Tawla Bet se sont vu régulièrement refuser tout contact avec leurs avocats et les membres de leurs familles, en particulier lors de la phase initiale de leur détention. Plusieurs proches de détenus ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils avaient effectué des visites au centre Maekelawi chaque jour mais que des responsables leur avaient dénié la possibilité de voir le membre de leur famille qui y était détenu, jusqu’à la fin de l’instruction, procédure qui est toujours longue. L’absence d’un avocat lors des interrogatoires accroît la probabilité des mauvais traitements et limite les possibilités de documenter ceux-ci et d’en obtenir réparation, a déclaré Human Rights Watch.

« Séparer les détenus de leurs défenseurs et des membres de leurs familles, non seulement augmente les risques de mauvais traitements, mais crée aussi une énorme pression sur les détenus pour qu’ils se plient aux exigences des enquêteurs », a ajouté Leslie Lefkow. « Les détenus du centre Maekelawi doivent être assistés d’un avocat lors de leurs interrogatoires et avoir des contacts avec leurs familles, et ils devraient être déférés sans tarder devant un juge pour être inculpés ou non. »

Human Rights Watch a recueilli des informations selon lesquelles les enquêteurs avaient recours à des méthodes de coercition, y compris des passages à tabac et des menaces de violence, pour forcer les détenus à signer des déclarations et des aveux. Ces déclarations ont parfois été utilisées par la suite pour faire pression sur certaines personnes pour qu’elles coopèrent avec les autorités après leur libération, ou utilisées comme pièces à conviction devant un tribunal.

Martin Schibbye, journaliste suédois qui a été détenu au Maekelawi en 2011, a ainsi décrit les pressions exercées pour extorquer des aveux: « La plupart des personnes détenues au Maekelawi y sont maintenues jusqu’à ce qu’elles craquent et fassent des aveux, vous pouvez passer trois semaines sans être interrogé, on attend vos aveux, tout est basé autour des aveux. La police dit que le tribunal fera la part des choses mais en fait, c’est faux ».

Les possibilités pour les détenus d’obtenir réparation pour les mauvais traitements subis sont limitées, a souligné Human Rights Watch. Les tribunaux éthiopiens n’ont pas l’indépendance nécessaire, en particulier quand il s’agit d’affaires sensibles d’un point de vue politique. Malgré les nombreuses allégations de mauvais traitements formulées par des prévenus, y compris par des personnes détenues en vertu de la loi anti-terroriste, les tribunaux n’ont pas pris de mesures adéquates pour enquêter sur ces allégations ou pour protéger d’éventuelles représailles les accusés qui se plaignent de mauvais traitements.

Les tribunaux devraient être plus entreprenants dans leur réponse aux plaintes concernant des mauvais traitements, mais cela ne peut se produire que si le gouvernement permet aux tribunaux d’agir en toute indépendance et respecte leurs décisions, a déclaré Human Rights Watch.

L’Éthiopie a strictement limité ces dernières années les enquêtes indépendantes sur les questions de droits humains et la diffusion de leurs résultats, ce qui a entravé la supervision des conditions de détention au centre Maekelawi. La Commission gouvernementale éthiopienne des droits humains a visité le centre Maekelawi trois fois depuis 2010 et a exprimé publiquement ses préoccupations au sujet des détentions dans l’isolement complet. Cependant, d’anciens détenus ont indiqué à Human Rights Watch que des responsables du centre Maekelawi étaient présents lors de ces visites et les avaient empêchés de s’entretenir en privé avec les membres de la commission, et ils ont exprimé des doutes quant à l’impact de ces visites.

L’amélioration du contrôle des conditions en matière de droits humains au centre Maekelawi et dans d’autres lieux de détention éthiopiens nécessiterait la révision de deux lois répressives, la Loi sur les sociétés et associations caritatives (Charities and Societies Proclamation) et la Loi anti-terroriste (Anti-Terrorism Proclamation). Ces lois ont grandement réduit les possibilités d’observer de manière indépendante la situation en matière de droits humains en Éthiopie et ont supprimé des dispositifs juridiques fondamentaux de garantie contre la torture et les mauvais traitements en détention, a déploré Human Rights Watch.

La constitution de l’Éthiopie et ses engagements juridiques internationaux font obligation à ses responsables de protéger tous les détenus des mauvais traitements et il incombe aux autorités éthiopiennes, quel que soir leur rang, de mettre fin aux pratiques abusives et de poursuivre en justice leurs auteurs, a affirmé Human Rights Watch. Quoique le gouvernement éthiopien ait adopté un plan d’action de trois ans dans le domaine des droits humains dans lequel il reconnaît la nécessité d’améliorer le traitement des détenus, ce plan n’aborde pas le problème des sévices physiques et de la torture; il est axé sur le renforcement des capacités plutôt que sur les décisions politiques concrètes nécessaires pour que cessent les abus commis quotidiennement.

« Se contenter d’allouer davantage de fonds et de renforcer les capacités ne suffira pas à mettre fin aux mauvais traitements généralisés au centre Maekelawi et dans les autres centres de détention éthiopiens », a conclu Leslie Lefkow. « Un vrai changement exige des actes aux plus hauts niveaux du gouvernement contre toutes les personnes responsables pour mettre fin à la culture de l’impunité qui est sous-jacente. »

L’Erythrée, la Corée du Nord africaine (Le Monde / 22.05.2013)

L’Érythrée, la Corée du Nord africaine

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/05/22/l-erythree-la-coree-du-nord-africaine_3414780_3212.html

par Sébastien Hervieu

Aux sacrifices d’un peuple venaient de succéder les espoirs. De progrès démocratiques, de développement économique. C’était il y a vingt ans. Le 24 mai 1993, un mois après la tenue d’un référendum d’autodétermination, l’ONU reconnaissait l’indépendance de l’Erythrée, ce petit pays côtier de la Corne de l’Afrique. L’indépendance existait de fait depuis déjà deux ans, depuis la fin de l’une des plus longues guerres africaines. Pendant trente ans, la puissance éthiopienne avait été combattue. Elle avait finalement cédé.

Aujourd’hui, les 5 millions d’Ery-thréens ont perdu l’envie d’espérer. Ils ont combattu pour la liberté et vivent désormais dans une prison à ciel ouvert. Cette dictature militaro-nationaliste, d’inspiration marxiste, est la plus brutale d’Afrique. Elle est tenue par un homme, Issayas Afewerki, ex-chef des rebelles du Front populaire de libération de l’Erythrée, qui depuis vingt ans se maintient au pouvoir par tous les moyens.

Comment ce régime autoritaire survit-il ? Le président Issayas Afewerki détient tous les pouvoirs. Chef d’Etat, chef des armées, chef du parti unique, il n’a jamais fait appliquer la Constitution adoptée en 1993. L’Erythrée n’a pas de Parlement, et la population ne s’est pas rendue aux urnes depuis l’indépendance. « Il ne faut jamais oublier qu’Issayas Afewerki a été formé à l’Académie militaire de Nankin, de 1966 à 1967, en pleine révolution culturelle chinoise, et ce maoïsme rigide se retrouve aujourd’hui dans sa grille de lecture paranoïaque », rappelle Léonard Vincent, journaliste et auteur de l’essai Les Erythréens (Payot & Rivages, 2012). « Il mobilise son peuple contre toute forme de dépendance extérieure (pays, ONG, institutions internationales, etc.), et il est convaincu de la légitimité de ce projet historique de construction d’une nation solitaire mais autosuffisante, dont il serait la clé de voûte. »

Pour renforcer sa légitimité, le dictateur a ainsi multiplié au fil des années les affrontements avec ses voisins. Le Soudan, le Yémen, Djibouti et l’ennemi héréditaire, l’Ethiopie, qu’il a de nouveau combattu de 1998 à 2000, lors d’une guerre qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Le premier cercle d’Issayas Afewerki est formé d’un petit nombre de généraux loyaux, des anciens compagnons d’armes, qui bénéficient de rétributions pécuniaires. Les observateurs décrivent un « système mafieux » à la tête du pouvoir. Le président aurait des participations dans la plupart des grandes entreprises érythréennes.

Comment vit la population ? La surveillance permanente du pouvoir a instauré un climat de suspicion et de peur généralisée. Les communications téléphoniques sont écoutées, l’accès à Internet est très limité. Les habitants vivent dans la hantise des rafles lorsque l’armée boucle un quartier et contrôle les allées et venues pour vérifier qu’aucun habitant ne s’est soustrait à ses obligations militaires.

En Erythrée, l’état d’urgence est maintenu depuis plus de deux décennies. Tous les jeunes hommes et femmes du pays doivent faire leur service militaire pour apprendre le patriotisme et le maniement des armes. Ils sont ensuite mobilisables jusqu’à l’âge de 50 ans. Issayas Afewerki a également commencé, en 2012, à distribuer des kalachnikovs pour former des milices de quartier dans les grandes villes.

Après l’appel, en 2001, de quinze personnalités à une ouverture démocratique, toutes les libertés ont été supprimées. Des journalistes et des opposants ont été emprisonnés. Le 9 mai, Amnesty International rappelait dans un rapport qu' »au moins 10 000 prisonniers politiques » sont détenus sans inculpation dans une trentaine de centres, souvent enfermés dans des cellules souterraines ou des conteneurs métalliques en plein désert. Leurs familles n’ont jamais de nouvelles d’eux.

L’école est gratuite et obligatoire, l’accès aux soins est garanti à tous, mais la grande majorité de la population ne profite pas du fort taux de croissance (7,5 % en 2012) de cette économie centralisée. L’Erythrée, qui subsiste grâce à quelques richesses minières (or, argent, cuivre et zinc), une agriculture vivrière et l’argent envoyé par la diaspora, fait partie des dix pays les plus pauvres de la planète.

Pour quitter le pays, il faut obtenir un permis de sortie auprès des autorités, qui refusent les demandes quasi systématiquement. Environ 3 000 Erythréens parviendraient chaque mois à traverser les différentes frontières du pays, au risque d’être abattus par les soldats qui patrouillent.

Le pouvoir est-il menacé ? Un million d’Erythréens vivent à l’étranger, mais la diaspora est trop divisée pour mettre en difficulté Issayas Afewerki. Des jeunes exilés, symboles d’une nouvelle génération militante, s’organisent toutefois depuis quelques mois pour enregistrer des messages politiques qu’ils diffusent par téléphone en appelant, au hasard, des compatriotes.

Le 21 janvier, de jeunes soldats mutins ont brièvement pris le contrôle du ministère de l’information avant de rentrer dans leurs casernes et d’être réprimés. « Seule une rébellion au sein de l’armée pourrait fragiliser le pouvoir, et ce qui s’est passé ce jour-là est assez unique dans l’histoire récente du pays ; c’est le signe d’un mécontentement grandissant », estime Berouk Mesfin. Basé dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, ce chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) rappelle aussi la série de défections dans les rangs militaires et gouvernementaux qui ont affecté le chef d’Etat en 2012, dont celle d’un de ses proches, Ali Abdu, ministre de l’information.

Agé de 67 ans, Issayas Afewerki, qui aurait un fort penchant pour l’alcool, selon plusieurs témoignages, serait malade. Un cancer du foie est le plus souvent cité. Il se rendrait régulièrement dans les Emirats ou au Qatar pour se faire soigner. « Il n’a pas nommé de successeur, donc s’il venait à disparaître soudainement le régime pourrait être en danger et le pays basculer dans la guerre civile », prédit Berouk Mesfin.

Pourquoi la communauté internationale est-elle si discrète sur l’Erythrée ? Accusée par les Etats-Unis de soutenir Al-Chabab, le mouvement islamiste somalien rallié à Al-Qaida, l’Erythrée, en partie soutenue financièrement par le Qatar, n’est toutefois pas une priorité pour la communauté internationale. « L’intervention en Somalie au début des années 1990 l’a suffisamment traumatisée, et, aujourd’hui, elle craint qu’en touchant à l’Erythrée cela déstabilise toute la Corne de l’Afrique », juge Alain Gascon, géographe et professeur à l’Institut français de géopolitique. Une chute du régime pourrait aussi entraîner des troubles le long de la mer Rouge, une route commerciale cruciale pour le trafic mondial de marchandises.

« L’Ethiopie est aussi partisane du statu quo, ajoute ce spécialiste de la région. Elle ne voudrait pas que plusieurs dizaines voire des centaines de milliers d’Erythréens fuyant leur pays viennent s’installer comme réfugiés sur son territoire ».

Parlons des squats

PARLONS DES SQUATS

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 27 septembre 2013

Il est beaucoup question de squats ces derniers temps. Dans la bouche de la maire de Calais, ils sont dix en juin, vingt en juillet, trente en septembre. Faire apparaître un phénomène comme nouveau permet de faire apparaître comme nouvelles les réponses déjà appliquées sans efficacité. Ainsi des squats et des expulsions.

Avec la fermeture du centre de Sangatte, les exilés étaient toujours à Calais, mais se trouvaient sans lieux pour eux. Ils sont donc trouvé des lieux divers pour s’abriter, parfois invraisemblables comme des tuyaux destinées à des canalisations près d’un chantier, ou d’anciennes portes d’écluses mise à quai. Plus couramment des tentes ou des cabanes dans les taillis, ou des bâtiments vides, ce qu’on appelle communément des squats. Il y a donc des squats depuis que les exilés n’ont plus de lieu pour les accueillir, et il y en aura encore tant qu’il n’y aura pas de nouveaux lieux d’accueil.

Ces squats sont plus ou moins nombreux, selon le nombre d’exilés et leur plus ou moins grande dispersion. Les périodes de forte pression et d’expulsions en série comme en ce moment conduisent les gens à se disperser en groupes plus petits.

Mais s’il y a des squats, c’est qu’il y a des bâtiments vides, et ceux-ci se multiplient à Calais : maisons, commerces, entrepôts, bâtiments industriels, laissés à l’abandon parfois depuis des années, ils sont le signe de la crise qui atteint Calais et qui s’aggrave.

Est-il si grave que des sans-abris s’abritent dans des bâtiments vides ? Ce qui est grave, c’est la crise économique et sociale dont la multiplication des bâtiments vides est le signe. Ce qui est grave, c’est qu’il y ait des gens sans abris. Ce qui est grave, c’est qu’une part croissante de la population calaisienne vit dans une économie de survie, avec des activités comme la récupération de métaux dans les bâtiments vides.

Plutôt que lancer une énième chasse aux migrants, nos politiques pourraient consacrer la même énergie et les mêmes moyens à trouver des réponses à la crise qui touche le territoire et ses habitants. Tout le monde s’en porterait mieux, migrants de passage et habitants du Calaisis.

Calligraphie, squat "Beer House" Crédits : Leam

Calligraphie, squat « Beer House »
Crédits : Leam