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Politis // Ma ville est devenue une forteresse

https://www.politis.fr/articles/2019/03/ma-ville-est-devenue-une-forteresse-temoignage-dun-no-border-de-calais-40148/

« Ma ville est devenue une forteresse » : témoignage d’un No Border de Calais

Il a grandi à Calais. Indigné par le système d’« apartheid » local, il s’est engagé auprès des populations en transit. D’abord avec des associations locales puis dans le mouvement No Border qui lutte contre les frontières. Témoignage.

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Le mouvement No Border, tout le monde peut s’en revendiquer. Et personne ne le représente. C’est d’abord une idée : nous sommes pour l’ouverture des frontières. Mais c’est aussi des manières de faire et d’agir qui peuvent différer selon les groupes et les spécificités des territoires ou des frontières. Le terme No Border a beaucoup été utilisé par les autorités pour criminaliser et marginaliser toutes pratiques qui vont à l’encontre des stratégies mises en place contre les personnes migrantes. Plus précisément, à Calais, on a été accusé de travailler avec la « mafia » impliquée dans la gestion des passages, tout comme de diriger les migrants en les incitant à la violence… Comme si ces personnes avaient besoin du « blanc » pour s’organiser ou décider comment elles veulent répondre à la violence de la frontière, aux violences policières ou aux violences de groupuscules d’extrême droite.

À lire aussi >> Notre dossier « La frontière tue »

Nous, nous avons pris pour habitude de rester discret et de ne pas répondre aux accusations, quitte à laisser les autorités nous criminaliser et créer l’image de nous qui les arrange. No Border est devenu le bouc émissaire que les autorités sortent de leur chapeau pour justifier l’horreur qu’elles ont créée à cette frontière. Toute violence créée par l’existence même de la frontière est imputée à ce mouvement. Du coup, on peut nous mettre beaucoup de choses sur le dos. Plus largement, les défenseurs des migrants qui ont l’air d’avoir des positions plus radicales que juste humanitaires sont taxés de No Border. C’est devenu un terme générique un peu fourre-tout.

Mais, pour nous, il renvoie à un certain mode d’organisation et à des manières de faire : ne pas agir pour les communautés de personnes en situation de migration mais avec elles, les inclure dans un maximum de processus, protéger leur anonymat, leur rendre possible l’accès à la ville, ne pas parler à leur place, faire en sorte qu’elles puissent être autonomes, qu’elles puissent s’approprier l’outil médiatique par exemple, qu’elles soient moins dépendantes de l’aide humanitaire en étant en mesure de préparer des repas elles-mêmes sur leurs lieux de vie, soutenir les personnes enfermées en centre de rétention. Bref, on essaie d’être cohérent avec les problématiques du terrain qui peuvent changer vite et de s’adapter aux demandes des personnes migrantes. Ce sont des expérimentations, des tentatives remises en question constamment avec toujours en toile de fond l’idée de ne pas accepter ce qui ne devrait pas être acceptable, la fatalité de la frontière, de ne pas réduire des personnes à la catégorie « migrant » et à l’image misérabiliste qui souvent va avec. C’est tout simplement de reconnaître que ce sont des individus avec une histoire, un parcours, des connaissances, des savoir-faire, etc.

À Calais, après le camp No Border de l’été 2009, l’une des grandes décisions a été de rester de manière permanente et continue dans le Calaisis. Des gens venaient nous rejoindre pour une semaine, un mois, un an, avec leur propre projet ou pour s’impliquer dans ceux existant déjà. Le temps qu’ils étaient là, ils déployaient toute leur énergie avec une disponibilité folle et un engagement total. On avait des débats sur la question de la communication avec les médias, la question des privilèges de ceux nés du « bon côté » de la frontière, sur les approches à avoir. Certains étaient plus légalistes que d’autres, certains attachés à ne pas arriver avec ses gros sabots d’athée, à respecter la culture de l’autre. Tous étaient contre la frontière.

Toutes nos pratiques visent à répondre aux principes de la liberté de circulation, la liberté d’installation et la fermeture instantanée des centres de rétention. On essaie de mettre à la base de toutes nos actions et de notre manière de nous organiser l’antiracisme, l’antisexisme et l’antiautoritarisme entre autres. Des fois, on échoue, on en discute et on réessaie. C’est peut-être ça au fond, pour moi, la différence avec des associations classiques, qui sont souvent hiérarchisées et ralentissent l’émergence de questionnements quant aux manières de fonctionner et d’agir.

Morning watch et patrouilles

Juste après notre arrivée à l’été 2009, il y a eu la destruction de la grande jungle « pachtoune » et de tous les autres lieux de vie des personnes migrantes. Pour essayer de faire face à cette nouvelle situation où les autorités empêchaient les espaces de vie de se recréer, on avait mis en place des stratégies qui rendaient le travail de la police moins efficace : Morning Watch et patrouilles. On restait de très longues heures devant les squats, et si la police débarquait, on sifflait pour que les migrants puissent se sauver, qu’ils soient moins nombreux à être conduits en rétention. Cela a beaucoup énervé la police. La violence a grimpé. Alors on s’est mis à filmer.

Après des mois de récoltes de vidéos, photos, témoignages, on a monté un dossier « Calais, la frontière tue » et publié des vidéos « Calais, vidéos de la honte ». Les deux montraient et dénonçaient la violence policière et institutionnelle. Ça a été un travail difficile, très violent. On se levait tôt, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, et on risquait de prendre des coups, d’être embarqués en garde à vue, de voir des ami.e.s se faire enfermer en centre de rétention… C’est comme ça que j’ai grandi dans cette ville.

Calais fut le dossier initial de Dominique Baudis, le premier Défenseur des droits, décédé en 2014. On avait recueilli beaucoup de témoignages de personnes migrantes. Je crois qu’on a réussi à les faire entendre. L’équipe du Défenseur des droits a pris conscience du caractère véridique de nos informations. C’est la première fois qu’on s’est ouvert aux médias. Et ce fut notre première approche légaliste : mettre la pression sur les autorités pour qu’enfin elles respectent la notion de squat et d’inviolabilité du domicile.

La stratégie des autorités, c’est de briser les migrants physiquement et psychologiquement, pour qu’ils veuillent repartir ou qu’ils ne soient plus en capacité physique et mentale de passer. Nous défendions qu’ils puissent se poser. Qu’ils puissent avoir le temps de reprendre des forces. Pour cela, il fallait préserver des espaces où la police ne pouvait pas faire ce qu’elle voulait.

Une des victoires a été de forcer la police à respecter le droit et à ne plus venir dans les squats de migrants en procédure juridique, comme par exemple le squat Galou ou la Maison des femmes de l’avenue Victor-Hugo, un espace non mixte. Ce sont les habitantes de ce lieu qui ont décidé d’écrire aux Calaisien.nes pour qu’ils et elles viennent à leur rencontre, et qui ont également décidé d’ouvrir leur maison aux médias . Je pense que cette maison explique bien ce qu’est No Border : on n’a jamais décidé pour elles, on les a juste soutenues dans leurs choix, peu importe les risques que ces choix comprenaient.

L’État a renoncé à l’évacuation de la Maison des femmes, parce qu’il était devenu inacceptable pour la population locale que ces femmes se retrouvent à la rue. Sa seul condition était que les personnes No Border quittent le lieu pour laisser la place à une association officielle. Celle-ci a accepté de maintenir les pratiques décidées par les habitantes : pas de prises d’empreintes à l’entrée, pas d’identité demandée, pas d’hommes et leurs règles de vie.

Renforcer la frontière augmente le prix de passage

Quand on soutient des personnes, on ne sait pas qui on aide. Il y a des enjeux qu’on ne voit pas, des choses que l’on ne sait pas, parce qu’une frontière est un lieu flou dont les règles peuvent être invisibles, mais les effets, eux, ne le sont pas. Il y a aussi des hiérarchies intérieures à comprendre et à prendre en compte dans nos manières d’aborder les différentes jungles et squats. Lutter contre la frontière ça passe aussi par reconnaître ce qu’elle peut être. Elle engendre des conflits propres : quand on empêche des personnes de vivre, et qu’on les force à survivre, par exemple en détruisant leurs habitations, en confisquant leurs couvertures et leurs tentes, les autorités mettent différents groupes en concurrence face aux besoins de base.

Ça m’a toujours choqué à Calais de voir des personnes plutôt « amies » devenir « ennemies » parce qu’on a privé un groupe de telle ou telle chose, je me suis souvent demandé si les autorités n’avaient pas un intérêt à créer cette situation de concurrence pour pouvoir punir les « fautifs » et ainsi, rendre légitime la répression quotidienne. Des gens survivent dans les camps, d’autres en vivent. Ça fait partie de la réalité des frontières. Renforcer la frontière n’a fait qu’augmenter le prix de passage pour les migrants, et les forcer à se mettre de plus en plus en danger. Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, il n’y a plus de jungle à Calais. Il y a moins d’exilés qu’il y a encore deux ans. Mais ceux qui y sont aujourd’hui prennent encore plus de risques. Beaucoup se sont rendus à Paris, qui joue un rôle de réservoir, ou dans d’autres villes. La frontière n’est pas qu’aux frontières.

En tant que Calaisien, c’était compliqué de fermer les yeux sur la situation des personnes migrantes qui arrivaient dans ma ville. Adolescent, j’ai trouvé insupportable de vivre dans une ville soumise à un système d’apartheid. J’ai d’abord rejoint des associations comme La Belle Étoile et Salam. Mais cela me frustrait de m’en tenir à préparer des repas sans essayer d’autres choses, que la seule réponse à la situation se résumait aux besoins de première nécessité. Je trouvais que l’organisation des files d’attente pour la distribution des repas, par exemple, était très pénible à vivre. J’ai eu envie de faire autre chose et autrement. Dans une organisation autogérée, tout le monde est invité à cuisiner ensemble. Les personnes migrantes s’approprient ce dont on les prive.

À Calais, tout le monde est impacté par la frontière d’une manière ou d’une autre, personne n’ignore la présence des migrants, que les gens l’exprime ou non, qu’ils prennent position ou non. Ça fait partie de la réalité, de la vie quotidienne. La question est plutôt de quelle manière cette frontière nous impacte. Calais est anéanti par la psychose de l’appel d’air et de la peur du « migrant. » Tout est fait et mis en œuvre dans cette ville pour que les personnes migrantes inspirent un sentiment de peur et d’insécurité.

Les gens prennent leurs voitures avec la peur au ventre, la peur d’écraser un migrant qui traverse l’autoroute, la peur de voir quelqu’un traverser le jardin, de prendre un caillou dans le pare-brise : une des manières de passer est de stopper les poids lourds sur la route et de s’y cacher pour aller en Angleterre. La maire a créé une adresse électronique pour que les habitants puissent « signaler » l’installation d’un squat de migrants. C’est un appel à la délation, à la vigilance. La population se scinde entre promigrants et antimigrants, mais ces derniers sont plus décomplexés, car rendu plus légitimes par les positions de la maire.

Calais est une ville portuaire, une ville côtière, un espace de transit par définition. Mais elle est devenue une forteresse où les arbres et les buissons sont coupés pour ne pas pouvoir servir d’abris. Une ville entourée de grilles et de barbelés. Ce qui peut être encore choquant ailleurs, ici est banal. La normalité n’est pas d’accueillir et vivre avec, mais de dénoncer, enfermer, avoir peur de l’Autre. Récemment, le magasin Decathlon a reçu l’ordre de ne plus vendre de gilets de sauvetage sans papiers d’identité. La frontière grandit.

Le Brexit a soulevé l’espoir de voir les accords du Touquet tomber. Mais l’Angleterre a dû négocier avec la France. Quelle offre a été faite pour que la France accepte d’être le chien de garde du Royaume-Uni ? Quel sont les avantages dont la France a bénéficié ? Quel est le prix pour accepter de défigurer cette ville, de faire de la chasse à l’homme, de bien vouloir que des personnes y meurent ? Quel prix a été payé pour que les calaisien.nes soient obligé.es de vivre avec des murs comme horizon ?

Les frontières ont toutes leurs caractéristiques propres. Des zones particulières avec leur propre réalité. À Calais, le passage de toutes ces populations différentes pourrait être une force. Une frontière, ça pourrait être beau, si ça n’était pas fermé. Or, « Calais » ne veut plus être une zone de passage. Mais une impasse.

Je n’ai pas appris à être No Border, c’est Calais qui m’a appris. »

Communiqué

Depuis trois semaines, la politique de harcèlement envers les personnes exilées, ainsi que les violences policières se durcissent. En plus des expulsions quotidiennes des campements sur toute la ville de Calais, une expulsion définitive de terrain a eu le lieu le 12 mars et une autre est planifiée pour demain au cœur de la zone industrielle des Dunes.
Les communautés les plus vulnérables sont victimes jour et nuit du harcèlement policier, les tentes sont jetées à l’eau, saisies ou détruites. Les associations déplorent plusieurs blessés graves suite à des violences policières à l’encontre des personnes exilées.
Ces situations de grande précarité et de maltraitance institutionnelle et étatique conduisent les personnes exilées à se mettre toujours plus en danger pour passer la frontière. Ainsi, le 2 mars au soir, une centaine de personnes se sont organisées pour tenter le passage en Angleterre de façon collective à bord d’un ferry. Le 9 mars, une personne âgée de 20 ans est décédée dans un camion de marchandise. Le 20 mars, une personne d’origine soudanaise a été déportée malgré le danger de mort auquel elle fera face dans son pays ; d’autres encourent le même sort au Centre de Rétention Administrative de Coquelles.
Malgré cette politique répressive, les personnes exilées de Calais expriment une volonté de se mobiliser afin de revendiquer leur droit à la libre circulation, à l’installation et à l’hébergement inconditionnel, à la dignité et à la liberté d’expression. Ils réclament aussi la supression immédiate des mesures Dublin qui touchent la plupart des personnes et les condamnent a l’errance en Europe. Ils revendiquent  une prise de conscience a l’échelle européenne. Ainsi depuis plusieurs semaines les personnes exilées s’organisent avec l’aide de soutien associatifs et militants.
Une présence médiatique est demandée par les personnes exilées pour que leur revendications soient entendues et relayées afin de sortir de l’indifférence et l’invisibilité dans laquelle elles survivent.
 
Collectif de personnes exilées de Calais et de leurs soutiens.
 
Contacts presse :
M., personne exilée, habitant du camp Pont de trouille : 07 58 01 10 65
Justine : 06 68 49 37 81

Communiqué // Droits fondamentaux des personnes exilées à Calais, Grande Synthe et ailleurs

Droits fondamentaux des personnes exilées à Calais, Grande Synthe et ailleurs :

Recours auprès des Nations Unies faute de dialogue possible avec les institutions de la République

 A la frontière franco-britannique, des centaines, voire des milliers de personnes dorment à la rue, « prisonnières » de cette frontière et des politiques gouvernementales actuelles.

Le 19 décembre 2018, le Défenseur des droits publiait son rapport sur la situation à Calais, Grande Synthe, Ouistreham et Paris – « Exilés et droits fondamentaux – 3 ans après le rapport Calais[1] ». Il y dénonce des « atteintes inédites aux droits fondamentaux » et « une dégradation de la situation sanitaire et sociale des personnes exilées ».

 

D’avril à décembre 2018, à Calais, les personnes exilées ont subi 460 expulsions de leurs lieux de vie ! Elles voient quasi quotidiennement leurs abris détruits, et trop souvent leurs effets personnels confisqués. A Grande Synthe, plusieurs dizaines d’expulsions ont eu lieu sur la même période, et 8 rien qu’en ce début d’année 2019. Cette politique, appelée « lutte contre les points de fixation » à Calais ou « mise à l’abri » à Grande Synthe, ne fait qu’accroitre la vulnérabilité des personnes exilées, et n’a pour unique objectif que de les éloigner du littoral.

 

Or, selon le Préfet du Pas de Calais, le Défenseur des droits « dramatise » la situation et commet une « étonnante erreur d’appréciation ».[2] Puisque le travail d’une institution de la République, le Défenseur des Droits, qui « veille au respect des droits et libertés » en conformité avec l’article 71-1 de la Constitution, est mis en cause par un représentant de la République, comment désormais garantir le respect des droits fondamentaux des personnes en exil ?

C’est pourquoi nous en appelons aux Nations Unies pour que soient mises en lumière les violations des droits fondamentaux commises contre les personnes se situant à la frontière franco-britannique.  En octobre 2017 et février 2018, une coalition de 22 associations avait saisi le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’eau potable et l’assainissement, Mr. Léo Heller. Celui-ci s’était déplacé à Calais et Grande Synthe pour rencontrer les personnes exilées et avait dénoncé leurs conditions de vie.[3]

Aujourd’hui, nous avons constitué une coalition de 34 associations françaises (nationales et locales) et britanniques, afin de saisir la Rapporteure Spéciale des Nations Unis sur le logement convenable, Mme Leilani Farha, car la situation se dégrade et des centaines de personnes dorment toujours dans la rue, à Calais, Grande-Synthe, Cherbourg, Norrent-Fontes / Quernes, Angres / Levin, Tatinghem / Longuenesse et Ouistreham. Nous dénonçons la politique d’expulsions systématiques et d’invisibilisation des personnes exilées à la frontière franco-britannique.

 

Nous demandons à ce que de véritables solutions d’hébergements dignes et durables soient offertes aux personnes exilées. L’Etat ne peut se satisfaire uniquement de la solution des CAES (Centre d’Accueil et d’Examen des Situations Administratives) qui n’ont vocation à accueillir que les personnes désireuses de présenter une demande d’asile en France, alors qu’une grande majorité des personnes sont déboutées de l’asile ou soumises au règlement Dublin III.

Nous souhaitons que la Rapporteure spéciale puisse se rendre sur place, principalement à Calais et Grande Synthe, afin de constater les conséquences d’années de politiques de non-accueil.  Nous souhaitons également qu’elle puisse mettre autour de la table, et face à leurs responsabilités, l’ensemble des acteurs et actrices de l’accueil des personnes exilées.

Contact presse :

Sophie Pouget – Committee for Refugee Relief

 

Associations signataires :

  1. ACC Minorités visibles
  2. ADRA France antenne de Dunkerque
  3. AMiS Téteghem
  4. ATD Quart Monde Nord Pas de Calais
  5. L’Auberge des Migrants
  6. Bethlehem
  7. La Cabane Juridique / Legal Shelter
  8. La Cimade Nord Picardie
  9. Le Collectif d’Aide aux Migrants de Ouistreham
  10. Committee for Refugee Relief
  11. EcNous
  12. Emmaüs
  13. Emmaüs Grande Synthe
  14. Fédération des Acteurs de la Solidarité
  15. Fédération des acteurs de la solidarité des Hauts-de-France
  16. La Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisé
  17. Gynécologie Sans Frontières
  18. Help Refugees
  19. Human Rights Observers
  20. Itinérance Cherbourg
  21. Itinérance Dieppe
  22. La Ligue des Droits de l’Homme
  23. La Ligue des droits de l’Homme de Dunkerque
  24. Médecins du monde
  25. MRAP-littoral dunkerquois
  26. Refugee Info Bus
  27. Refugee Youth Service
  28. Salam Nord Pas-de-Calais
  29. SAVE Sourire, Aide, Vie, Espoir
  30. Secours Catholique – Délégation du Pas de Calais
  31. The Refugee Women’s Centre
  32. Terre d’Errance Norrent Fontes
  33. Terre d’Errance Steenvoorde
  34. Utopia 56

[1] https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2018/12/le-defenseur-des-droits-publie-son-rapport-exiles-et-droits

[2] http://lavdn.lavoixdunord.fr/512114/article/2018-12-24/le-rapport-du-defenseur-des-droits-critique-par-le-prefet-et-la-maire

[3] https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22917&LangID=F

https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22240&LangID=F

Communiqué : Grande Synthe : le respect du droit n’est pas une option

Action collective

Grande-Synthe : le respect du droit n’est pas une option
Communiqué de presse – 5 février 2019

Le 7 février 2019 à 9h30, le tribunal administratif de Lille tranchera sur la légalité de l’évacuation menée à Grande-Synthe le 19 septembre 2017. 600 personnes, alors présentes sur la commune, avaient été évacuées par les forces de l’ordre et contraintes de monter dans les bus spécialement affrétés pour les acheminer vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO).

Si une solution d’hébergement était demandée pour ces personnes vivant dans des conditions indignes dans les bois du Puythouck, l’opération menée, qualifiée de « mise à l’abri » par les autorités, s’est apparentée en réalité à une évacuation forcée. Encerclées par les forces de l’ordre et menacées d’arrestation en cas de refus d’obtempérer, les personnes n’ont pas pu librement choisir de monter dans les cars. Les tentes, sacs de couchages, couvertures, ainsi que certains effets personnels, ont été détruits et plusieurs personnes ont été placées en rétention.

Dès le lendemain de l’évacuation, les premières familles, totalement démunies, ont commencé à revenir. Une semaine après, plus de 400 personnes étaient de retour. Pour procéder à cette évacuation, le Préfet du Nord s’était appuyé sur un arrêté en date du 13 septembre 2017 fondé sur des dispositions de l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence [1], autorisant les services de police à procéder à des contrôles d’identité sur la zone. C’est aussi sur ce prétexte que pendant toute la durée de l’évacuation, les intervenants associatifs se sont vus refuser l’accès à toute la zone sécurisée par les forces de l’ordre.

En procédant ainsi, le Préfet du Nord a détourné les mesures relevant de l’état d’urgence à des fins de gestion des questions migratoires. Il a également commis un détournement de procédure, l’évacuation du terrain s’étant faite de manière illégale faute d’avoir été autorisé par une décision de justice ou par un arrêté municipal fondé sur les pouvoirs de police du maire. C’est pourquoi nos associations, en soutien de 3 personnes visées par l’évacuation, ont saisi le tribunal administratif de Lille.

Depuis, l’histoire se répète sur la commune de Grande-Synthe comme sur d’autres territoires du littoral. Les opérations d’évacuation des lieux de vie se sont multipliées et intensifiées, y compris en cette période hivernale. Une quarantaine d’expulsions de terrain ont eu lieu depuis le mois de mai 2018, dont une dizaine depuis le début de l’année 2019.

Si le Préfet du Nord ne peut plus se fonder sur l’état d’urgence, ces opérations n’en continuent pas moins, et pour reprendre les mots du Défenseur des Droits**, dans un « cadre légal indéterminé », autrement dit en toute illégalité, privant en outre les personnes évacuées de l’accompagnement auquel elles pourraient prétendre, de la compréhension de l’opération et de la possibilité de la contester. Elles ne font que déplacer le problème et ajouter de la précarité à la précarité.

Environ 400 personnes sont actuellement présentes sur la commune de Grande-Synthe. 200 d’entre elles sont accueillies dans deux lieux municipaux (un gymnase pour les hommes seuls, qu’ils soient majeurs ou mineurs, et un centre aéré pour les familles) que la mairie a ouvert fin décembre en raison de la baisse des températures. Les autres sont soit installées aux abords du gymnase, soit continuent de vivre cachés dans les bois du Puythouck.

Comme ne cessent de le répéter les associations engagées sur le littoral dunkerquois, il est indispensable que soient proposées à Grande-Synthe des solutions d’hébergement adaptées et durables et que les personnes puissent accéder à leurs droits fondamentaux, en application de la loi et en accord avec les préconisations du Défenseur des Droits [2]. Tant que ces propositions ajustées ne sont pas faites et expressément acceptées par les intéréssé·e·s, toute opération d’expulsion doit être proscrite, en respect de la circulaire du 25 janvier 2018 [3].

Il est également nécessaire de suspendre l’application du Règlement Dublin III, pour que les personnes présentes à Grande-Synthe, qui selon la Préfecture auraient plus de 80% de chance d’obtenir l’asile, puissent voir leur demande de protection examinée en France et non être renvoyées vers un autre pays européen.

5 février 2019

Signataires :

  • Les associations requérantes ou intervenantes volontaires :
    - Fondation Abbé Pierre,
    - Le Gisti,
    - La Cimade,
    - Nord Picardie,
    - Médecins du Monde,
    - Salam Nord/Pas-de-Calais,
    - Ligue des Droits de l’Homme.
  • Soutenues par :
    - l’Auberge des Migrants,
    - DROP Solidarités,
    - SAVE,
    - Adra France antenne de Dunkerque,
    - AMiS,
    - MRAP-Littoral, Refugee Women’s Centre

[1Supprimé depuis

[2Rapport Exilés et droits fondamentaux, trois ans après le rapport Calais – décembre 2018

[3Instruction du Gouvernement du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles

 

 

Journal des Jungles n°11

Journal des Jungles n°11 // Familles

Réalisé dans le cadre d’une résidence d’écriture accueillie, du 22 au 24 juin 2018, au sein de la Communauté Emmaüs à Grande-Synthe, ce numéro a réuni plusieurs familles exilées de passage, venues du Kurdistan irakien, des bénévoles de Tatinghem et de Cherbourg, ainsi que les bénévoles du Refugee Women’s Center, agissant auprès des femmes et des familles à Grande-Synthe. Il doit aussi énormément à la participation du duo Jungleye, avec Séverine et Julie, de l’artiste Loup Blaster et d’Émilie Da Lage, universitaire qui travaille notamment sur la « création encampée ».

Au gré des différents ateliers de marionnettes, d’écoute musicale ou encore de vidéos stop-motion, au gré des danses, des repas, des rires et des pleurs partagés, les participant.e.s en sont ainsi venu.e.s à écrire sur les souffrances qui provoquent et qui jonchent l’exil, sur les proches qu’on laisse derrière, sur les espoirs liés aux rêves d’Angleterre, mais aussi et surtout sur la détermination à obtenir enfin pour soi, pour ses enfants, une vie meilleure…

Découvrez le Journal des Jungles n°11 en cliquant sur les images ci-dessous ! Vous pouvez également le télécharger en format PDF ici.

Pour la première fois, vous pouvez également vous immerger dans la musique que les participant.e.s ont partagé avec nous ces 3 journées : découvrez ici la playlist de la résidence de Grande-Synthe !

Vous souhaitez recevoir des exemplaires papier du Journal ? Écrivez nous à : sensibilisation[at]psmigrants.org

Reporterre // Dans le calvados, des habitants aident les migrants abandonnés par les autorités

29 janvier 2019 / Alexandre-Reza Kokabi (Reporterre)

En Normandie, le port de Ouistreham est après Calais le deuxième point de départ de la France vers l’Angleterre. Les 110.000 camions annuels qui traversent la mer aimantent les exilés. Pour pallier l’inaction du maire de la commune, un collectif d’habitants a vu le jour pour leur venir en aide.

Quelques promeneurs emmitouflés flânent sur le port de Ouistreham, ville de 9.000 habitants située sur la côte calvadosienne. Traînant leurs cabas, une poignée de chalands font leurs emplettes dans la petite halle du marché aux poissons, place du Général de Gaulle.

Le long de l’édifice, un ballet de voitures et de camions défile au compte-goutte vers un terminal où l’Armorique, un navire d’une capacité de 1.500 passagers, larguera les amarres à 16 h 30 pétantes. Direction Portsmouth, en Angleterre. Les car-ferrys effectuent trois aller-retour quotidiens entre les deux ports. Ils charrient près d’un million de voyageurs et 110.000 camions par an, ce qui en fait la deuxième liaison française pour l’Angleterre, après Calais. Des gendarmes mobiles inspectent les environs et scrutent les essieux des véhicules les plus imposants.

L’embarcadère vers l’Angleterre.

En lisière du canal, Mahdi chemine tranquillement vers la rue de l’Yser, où il s’adosse à la clôture d’un pavillon. Capuche sur la tête, mains dans les poches, il colle son épaule à celle de Moussa, compatriote soudanais. Mahdi s’exprime dans un anglais impeccable, où il mêle, de temps à autre, des mots français. Du haut de ses dix-neuf ans, la vie de Mahdi ressemble déjà à une odyssée. Le jeune homme a fui son Darfour natal et la fureur des miliciens janjawids, a échappé aux bandes criminelles en Libye, traversé la Méditerranée sur un rafiot, été forcé de laisser ses empreintes digitales en Italie et a rallié tant bien que mal le nord de la France : Calais, puis Ouistreham.

Des jeunes exilés cherchant à embarquer dans un camion.

Cet après-midi de janvier, comme chaque jour depuis près d’un an, il s’évertue à rejoindre une Angleterre au parfum de vie meilleure. « I take my chance » (Je tente ma chance), explique-t-il dans un regard vers l’embarcadère. Quelques minutes plus tard, un camion se profile et s’engouffre sur la place du Général de Gaulle, en direction du ferry. Mahdi et six de ses compagnons d’infortune sprintent aux trousses de l’engin. Ils tentent d’en ouvrir les portes pour se faufiler en son sein. C’est peine perdue : le véhicule est cadenassé et prend de la vitesse. Une troupe de gendarmes observe la scène distraitement. Quelques minutes plus tard, un nouveau camion survient et la même scène se répète. Mais cette fois, Mahdi passe son tour : dans une ruelle adjacente, une partie de football est lancée. Le ballon jaune est dégonflé mais, qu’importe, l’Angleterre attendra quelques minutes.

« Nous sommes là pour combler un vide, sans mode d’emploi »

Sur les coups de dix-huit heures, à bord d’une fourgonnette, Miguel et Christophe longent le chalutier Charles-de-Foucault et se garent au bout du chemin de halage. Ils sont parmi les cofondateurs du Collectif d’aide aux migrants de Ouistreham (Camo), créé à l’été 2017. « On voyait ces jeunes errer dans les rues de Ouistreham, sous nos fenêtres, raconte Miguel, résidant ouistrehamais. On s’est intéressé à eux, à leur histoire, à leurs conditions de vie et on s’est rendu compte du danger qu’ils encouraient : ils dormaient dans les bois, ils avaient faim. Humainement, c’était intolérable de rester les bras croisés. On a commencé à cuisiner pour pallier l’urgence et tout est parti de là. On était quatre. Aujourd’hui, on est plus de 250 habitants à mettre la main à la pâte. »

Partie de football improvisée.

Miguel et Christophe ouvrent le coffre du van : ils extraient des tables pliantes, un groupe électrogène, des plateaux et des barnums. Une vingtaine de citoyens s’en saisissent et disposent soigneusement des marmites de pâtes, de riz, de légumes ou de semoule en sauces, préparées spécialement pour « les copains », terme privilégié par le collectif quand il s’agit de qualifier les exilés de Ouistreham. Une cinquantaine de « copains » se servent dans les plateaux et se réunissent par groupe, au milieu du parking, pour se sustenter. Les canards guettent les miettes. Ce soir, toute la tambouille n’a pas été mangée et certains bénévoles sont contrariés. « Les copains ont été jusqu’à 180, mais ils sont plus proches de soixante en ce moment, dit Christophe, cadre commercial. C’est assez variable : certains arrivent à passer en Angleterre, d’autres quittent la ville ou la rejoignent. Il est difficile d’estimer la quantité à prévoir et on n’aime pas le gâchis. Mais on se dit qu’il vaut mieux qu’ils en aient trop plutôt que pas assez. »

Miguel.

Le Camo assure cinq jours de distribution hebdomadaire et d’autres associations, comme les Restos du cœur, s’occupent des autres repas. Mais ce n’est pas tout. Le Camo s’est déployé, au fil du temps, en plusieurs branches : le CamoRepas, le CamoSanté, le CamoVêtement et enfin le CamoDodo. « Nous sommes là pour combler un vide, sans mode d’emploi, raconte Miguel. Nous nous sommes organisés à mesure que les besoins sont apparus : des vêtements propres, la “bobologie” et l’hygiène, du repos… »

Le camion destiné aux petits soins.

Les tables pliantes sont remballées et des copains déambulent vers un camion-pompier suranné. Récupéré par le Camo, le véhicule rougeâtre permet à Mélinda, Béatrice ou encore Hélène, infirmières ou médecins de métier, de prodiguer des soins en toute intimité.

Une brise glacée parcourt le chemin de halage. Les bouts de nez sont gelés et les pieds engourdis. Les bénévoles saluent les copains et rentrent dans leurs demeures. « C’est toujours un pincement de rentrer chez soi, au chaud, de prendre une douche en ayant en tête qu’une bonne partie d’entre eux vont dormir dehors, dans le froid ou sous la pluie, déplore Christophe. Ça change notre rapport à la météo. »

« “L’appel d’air”, c’est le ferry »

Le maire de Ouistreham, Romain Bail, n’a jamais daigné mettre en place de refuge de nuit, ni même de jour, dans sa commune. Le Camo souhaitait, au moins, bénéficier d’un abri pour les distributions de nourriture et d’habits. Le maire a refusé. Contacté par nos soins, le directeur de son cabinet a signifié à Reporterre qu’il « ne souhaitait pas communiquer, dans l’immédiat, au sujet des migrants ». À plusieurs reprises, dans la presse et au cours de réunions, Romain Bail a invoqué une volonté de ne pas provoquer « d’appel d’air » dans sa commune, à savoir attirer de plus en plus d’exilés en créant les conditions d’un accueil plus hospitalier. « Mais “l’appel d’air”, il faut bien comprendre que c’est le ferry ! s’insurge Marion, vendeuse en librairie. Tout est fait pour les laisser en marge, les invisibiliser. Ils sont là, maintenant, après tant d’épreuves, alors qu’est-ce qu’on fait ? On continue de faire comme s’ils n’existaient pas ? Pour nous, la réponse est non… mais nous n’avons pas la chance d’avoir le soutien des pouvoirs publics. »

Des membres du Collectif d’aide aux migrants de Ouistreham (Camo).

À quelques kilomètres de Ouistreham, l’attitude des édiles est toute différente. Pendant le plan grand froid de février 2018, le maire de Colleville-Montgomery, Frédéric Loinard, a réquisitionné en urgence un gymnase de sa commune. Au grand dam de Romain Bail et de la préfecture du Calvados. Plus récemment, le maire de Lion-sur-Mer, Dominique Régeard, a mis à disposition un local de dix places pour que les exilés puissent dormir dans des lits. Surtout, des familles calvadosiennes partagent régulièrement leurs logis avec des copains, via le CamoDodo, destiné « à encourager et à accompagner les habitants qui souhaitaient proposer une douche, un repas et un couchage aux copains, dit Miguel. L’an dernier, 70 familles les ont hébergés durant l’hiver. » Marion et ses deux enfants gardent un souvenir mémorable de soirées entières passées « à échanger et s’attacher », à jouer à la console ou à regarder France 24 en arabe. « Ils dormaient sur le canapé ou sur des matelas gonflables, dans le salon », se remémore-t-elle. Cependant, malgré l’hospitalité des habitants et les structures ouvertes par d’autres communes, ils sont encore des dizaines à passer leurs nuits dans les rues de Ouistreham.

Christophe et « John ».

Il est passé 22 heures quand Miguel, Christophe et Jean-Christophe — assistant social surnommé « John » par les copains —, emplissent des bouteilles isothermes de café chaud. Les bonnets et les gants sont de mise : les comparses commencent une nuit de maraude. À l’orée d’un rond-point, une dizaine d’exilés se réchauffent gaiement autour d’un brasero, sur un air d’Ayman Mao. « C’est incroyable, ils se marrent, ils ont le sourire, c’est des héros ces types-là », dit Christophe, admiratif.

« On perd du temps à ériger des murs »

Le thermomètre oscille entre 0 °C et 1 °C. Sur le parking d’un supermarché, trois jeunes cherchent le sommeil contre la baie vitrée d’une brasserie. Enroulé dans son duvet, Mohammad mime la manière dont les gendarmes le réveillent, du bout de leurs chaussures, avant l’aube. « Allez dégage », répète-t-il par deux fois en battant du pied. Cent mètres plus loin, un camion bâché démarre en trombe en apercevant les bénévoles. « C’est la première fois qu’on voit ça ! s’exclame Miguel. Je pense que c’était un passeur. » Ses compagnons acquiescent, ahuris. Deux copains semblent être montés.

À quelques encablures de là, quatorze jeunes nichent sous le centre socioculturel de Ouistreham. Mahmoud, Mohammed et Moussa dorment régulièrement dans les parages. Les uns se reposent, les autres se tassent autour d’un téléphone pour ne pas rater une miette du match de football opposant le FC Barcelone à Levante UD. Eux aussi sont systématiquement délogés par la gendarmerie au petit matin. « Ils sont parfois réveillés au lacrymo, explique Miguel. Leurs duvets et leurs affaires sont gazés, ils ne peuvent plus dormir dedans. On en a lavé, des fringues imbibées de lacrymo… on en pleurait ! »

Des exilés dorment devant une brasserie du centre commercial.

John souffle. Ses poumons dégagent un nuage de vapeur d’eau tiède. « C’est maintenant qu’il faut se poser les bonnes questions sur la manière dont on accueille ces jeunes, estime-t-il. On perd du temps à ériger des murs. Le temps presse, à l’heure où le réchauffement climatique entraîne des pénuries d’eau, des feux, la montée des océans… de plus en plus de gens sont contraints à l’exil. Le Camo, c’est un peu notre part du colibri. Une goutte d’eau. Mais si de nombreux citoyens se mettaient à organiser collectivement des actions pour un accueil plus digne, ça pourrait au moins inspirer nos élus locaux. »

De temps à autre, les membres du Camo reçoivent « la nouvelle » : un copain est passé de l’autre côté de la Manche. « Apparemment, ils sont reçus rapidement par l’immigration et les plus jeunes sont scolarisés, rapporte Miguel. Certains retrouvent même des membres de leur famille. C’est toujours un moment particulier pour nous, un grand soulagement. On espère que c’est, pour eux, la fin du voyage et le début d’une vie plus désirable. » Le prochain ferry sera peut-être pour Mahdi, Mohammad et Mahmoud. Ils n’ont pas encore traversé la Manche, mais leurs songes sont déjà de l’autre côté.