Médiapart // Le conseil d’état ne suspend pas la circulaire Collomb mais en limite l’usage

Par Michel Henry
Le Conseil d’État refuse de suspendre en urgence la très contestée circulaire Collomb, permettant de recenser les étrangers en situation irrégulière dans les centres d’hébergement ; mais il encadre sérieusement sa mise en œuvre.
C’est une victoire pour le ministère de l’intérieur : la circulaire Collomb permettant notamment de recenser les étrangers en situation irrégulière dans les centres d’hébergement n’a pas été suspendue par le Conseil d’État. Mais dans son ordonnance rendue ce 20 février, la plus haute juridiction administrative trace des limites précises à l’intervention des « équipes mobiles » constituées par des agents des préfectures et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Me Patrice Spinosi, qui avait introduit le référé au nom de 28 associations, y voit donc une décision « globalement positive ».
Car les agents ne peuvent recueillir de données qu’auprès de personnes qui le souhaitent, sans « aucun pouvoir de contrainte tant à l’égard des personnes hébergées qu’à l’égard des gestionnaires des centres » : « Tout est sur la base du volontariat », se réjouit Me Spinosi. Dans la pratique, les « équipes mobiles » pourront donc, selon lui, simplement « se présenter dans les centres et faire dire qu’elles ont vocation à entendre toute personne qui le souhaite ». De plus, l’accès aux données personnelles reste délimité par la loi de 1978 sur leur protection.
Le Conseil d’État a donc jugé qu’il n’y avait pas urgence à suspendre le texte. Il conforte ainsi le ministère de l’intérieur, qui estime nécessaire de mieux connaître les hébergés afin de désengorger les centres et d’accroître le nombre des expulsés.
Pour les associations, il reste un point de discorde. « Pour nous, l’administration n’a rien à faire dans les centres », plaide Me Spinosi, en espérant que ce point sera évoqué lors de l’examen au fond du recours en annulation, qui devrait avoir lieu dans les mois à venir. Mais pour l’avocat, le « recadrage du Conseil d’État limite considérablement le pouvoir de l’administration, et c’est bien à l’action des associations qu’on le doit, car auparavant, il y avait une vision beaucoup plus large et extensive, dans une logique d’injonction vis-à-vis des gestionnaires perçus comme des collaborateurs de l’administration ».
À l’occasion de l’annonce de cette décision, Mediapart vous propose la relecture de l’audience particulièrement tendue qui s’était tenue le 16 février.
******
Sous les ors du Conseil d’État, le président de la section du contentieux Bernard Stirn a trouvé le ton des échanges par moments « un peu vif ». Ce 16 février, les trois heures de débat ont surtout permis de mesurer le gouffre entre le ministère de l’intérieur et les associations vent debout depuis qu’une circulaire édictée le 12 décembre permet d’utiliser le dispositif d’hébergement d’urgence pour faire le tri de personnes expulsables. Vingt-huit organismes, dont la Fondation Abbé-Pierre et le Secours catholique, demandent en référé la suspension du document. Le Conseil rendra sa décision avant la fin de la semaine prochaine.
Depuis cette circulaire Collomb, des « équipes mobiles » composées d’agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et des préfectures peuvent intervenir dans les centres de sans-abri, et y effectuer un recensement des étrangers. La motivation avancée est de leur présenter leurs droits et d’améliorer leur situation, mais comme ces équipes peuvent également repérer les sans-papiers et accélérer leur « éloignement », cela constitue pour les associations « une rupture de ce principe de confiance et de confidentialité que nous devons aux personnes ».
Me François Sureau, un de leurs avocats, estime qu’il « ne faut pas faire reposer cette tâche sur les gestionnaires de centres », car cela revient à « polluer les lieux de l’action sociale ». La représentante du Défenseur des droits critique pour sa part cette inquiétante « nouveauté » consistant à aller chercher les sans-papiers dans ces lieux. Pour Me Patrice Spinosi, autre avocat des demandeurs, les agents de l’OFII n’ont ni la compétence pour y entrer, ni le droit d’accéder aux données personnelles : la circulaire violerait donc doublement la loi.
Sera-t-elle modifiée ? Elle doit être explicitée par un « vade-mecum », selon la représentante du ministère de l’intérieur Pascale Leglise, qui regrette le refus des associations de participer à l’élaboration de ce mode d’emploi. Elle attend l’ordonnance du Conseil d’État pour éventuellement l’amender. Seules d’éventuelles critiques des magistrats pourraient donc faire reculer le gouvernement, comme lorsque la plus haute juridiction administrative l’a condamné en juillet 2017 à assurer aux migrants de Calais un accès à l’eau potable, aux douches et aux latrines.
Près de l'ancienne « jungle » de Calais, le 23 août 2017. © Reuters Près de l’ancienne « jungle » de Calais, le 23 août 2017.
Cette fois, la question est notamment de savoir si les centres d’hébergement peuvent refuser la venue des équipes mobiles. « Si vous nous dites oui, on aura réglé le problème », estime Me Spinosi. Mais la réponse n’est pas claire. D’abord, le directeur de l’OFII, Didier Leschi, qui défend la circulaire, semble péremptoire : « Aucune obligation » d’accepter leur venue. Mais quand Me Spinosi tente d’obtenir un engagement ferme, Pascale Leglise élude : « Pourquoi vous diriez non ? » Puis, irritée, elle interpelle les avocats : « C’est vous qui allez décider qui les centres vont recevoir ? Celui-là oui, celui-là non, il est méchant ? »
Le directeur de l’OFII rabroue lui aussi les associations : « Les publics ne vous appartiennent pas. Ils ont droit à avoir des informations. Les gestionnaires n’ont pas à répondre à leur place. Les personnes sont libres ou pas d’accepter. » Pour lui, les gestionnaires ne sont pas les « gardes-chiourmes » des hébergés ni les « maîtres de maison comme au XIXe siècle ». Il regrette « une incompréhension dommageable pour les personnes qui auraient pu bénéficier d’une évolution positive de leurs droits ».
Cela dit, Didier Leschi admet que « si le gestionnaire fait barrage de son corps, l’agent de l’OFII n’a pas un mandat pour passer sur son corps ». Mais les centres pourront-ils s’opposer à l’intervention des agents de l’office ? Selon le directeur de la Fédération des acteurs de solidarité (FAS), Florent Gueguen, présent à l’audience, « certains préfets ont évoqué des sanctions financières en cas de refus d’application ». La représentante du ministère le conteste, tout en admettant que certains préfets « ont pu croire » qu’ils devaient réclamer les listes des hébergés. Ils ont été « rappelés à l’ordre » lors d’une visioconférence avec le ministre et « ça n’est plus le cas ». Tout se passe sur le principe du « volontariat » avec « absence de transmission de documents nominatifs », assure-t-elle, et sans appel à la délation, ni pression.

« On n’entre pas dans les chambres manu militari »

Mais la circulaire a déjà produit des conséquences dommageables, selon Me Spinosi, pour qui des lieux « commencent à être fuis car les personnes savent qu’elles sont susceptibles d’y être recherchées ». Intervenant à l’audience, Dominique Calonne (collectif des SDF de Lille) assure que « les gens ne font plus le 115, ils ne veulent plus aller dans les centres d’hébergement ». « Ils se méfient même de nous, ajoute cet ancien SDF. Quand ils nous voient, ils se dispersent. »
Pour les associations, les centres doivent être protégés par un principe d’inviolabilité garanti par la loi. Mais Pascale Leglise n’a trouvé « nulle part un principe de sanctuarisation ni d’inconditionnalité d’accueil », ce qui ne va pas les rassurer. Dommage, alors que la représentante du ministère voudrait ramener la circulaire à « sa juste mesure » qui ne viserait qu’à présenter leurs droits aux sans-abri : « On n’est pas là pour dégrader leur situation. »
Mais elle regrette : « Quoi qu’on fasse, le ministère de l’intérieur fait peur. » Pourtant, la circulaire, déjà appliquée en Seine-Saint-Denis, dans le Grand Est et en Normandie, apporte des améliorations, et « pas sous la contrainte » : « Des gens ont été réorientés et sont mieux là où ils sont. Des personnes ont pu avoir des logements pérennes. D’autres ont pu faire des demandes d’asile ou bénéficier de régularisation de titres de séjour. »

Combien a-t-on repéré de personnes en situation irrégulière à ces occasions ? Pascale Leglise ne l’indique pas, préférant s’interroger sur cette conception voulant que, dans des centres d’hébergement dont l’État « est le financeur », il « n’aurait pas son mot à dire ». Elle confirme ainsi que, financés à 100 % par l’État, les centres n’ont guère de liberté, et certainement pas celle de s’opposer aux « éloignements ».

Fidèle à l’objectif défini par un Gérard Collomb froissé par le trop faible pourcentage d’éloignements, la représentante de l’Intérieur interroge : « Les étrangers en situation irrégulière pourraient s’y maintenir indéfiniment alors que ceux qui y auraient droit ne pourraient y accéder faute de place ? » Ces sans-papiers doivent donc être « traités » même si le but n’est pas d’aller les « appréhender » : « On n’entre pas dans les chambres manu militari, assure Pascale Leglise. On vient au petit bonheur la chance avec notre panneau. Ceux qui sont en situation irrégulière, j’imagine qu’ils ne vont pas se présenter. »
Néanmoins, au cas où les équipes mobiles identifieraient « une personne en OQTF » (obligation de quitter le territoire français), son « éloignement » se fera en deux temps, par l’intermédiaire du juge des libertés et de la détention. « Ceux qui iront les chercher, ce ne sont pas les équipes mobiles, c’est la PAF », la police de l’air et des frontières, indique la juriste du gouvernement. L’honneur serait donc sauf, même si ces équipes feront bien du « repérage » servant à des « éloignements ». Mais quand des personnes en situation irrégulière « ont épuisé tous leurs droits, il faut bien les traiter », analyse Pascale Leglise : « On ne peut pas leur dire “restez-y”. »

 

Communiqués des associations déclinant l’invitation de Macron

L’Auberge des Migrants et d’Utopia 56 déclinent l’invitation d’Emmanuel Macron

 

Communiqué de Médecins du Monde

http://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/calais/2018/01/16/non-nous-ne-rencontrerons-pas-monsieur-macron

Discussions stériles

Médecins du monde n’est pas adepte de la politique de la chaise vide. Malgré des rencontres successives, nous constatons une stérilité des discussions. Dans le même temps, nous constatons un durcissement de la politique migratoire, notamment à travers l’élaboration de différentes circulaires. Le discours tenu par le président de la république à Calais ne tient pas compte de la réalité dont témoigne nombre d’associations.« Malgré des rencontres successives, nous constatons une stérilité des discussions. »

Concernant le projet de loi asile-immigration, nous avons eu l’occasion de dénoncer les mesures concernant :

  • L’absence de mise en place d’un dispositif d’accueil digne pour tous les migrants, afin de répondre immédiatement à ces situations de détresse ;
  • La fragilisation de l’accès aux soins pour les étrangers maladesqui ne peuvent être soignés dans leur pays d’origine ;
  • et le risque d’éloignement des personnes avant qu’elles ne puissent faire valoir leur droit.

 

Une rupture de nos valeurs

« Nous assistons à une rupture de la tradition d’accueil de la France. Le texte de loi qui nous a été proposé est déséquilibré. Il y a certes des mesures qui améliorent les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, mais le texte répond essentiellement à un besoin d’éloignement des personnes migrantes » indique le Docteur Françoise Sivignon, Présidente de Médecins du Monde.

« Nous assistons à une rupture de la tradition d’accueil de la France. »

Médecins du Monde s’associe ainsi aux nombreuses personnalités qui ont interpellé le gouvernement sur cette politique : Jacques Toubon, le Défenseur des droits ; les maires de plusieurs grandes villes de France comme Alain Juppé ou encore Nathalie Appéré (Rennes); le Président de la Croix-Rouge française le Professeur Eledjam ; la Conférence des évêques de  France; de très nombreux citoyens ou encore des proches du Président tel que Jean Pisani Ferry.

Médecins du Monde est en attente d’une refonte du projet de loi qui apportera une réponse à la crise de l’accueil en France et une meilleure protection des personnes.

 

L’association INFOMIE en danger

L’association INFOMIE est venue former les bénévoles de la PSM à Calais et à Grande Synthe et nous a beaucoup soutenue sur la question des mineur.e.s depuis 2016.

Action collective

A la suite du désengagement partiel des pouvoirs publics, l’association InfoMIE se voit contrainte de réduire son activité

InfoMIE, association rassemblant une multiplicité d’acteurs divers œuvrant dans le champ de la protection des mineurs isolés étrangers , se voit contrainte de fermer momentanément son site. Ce centre de ressources constitue pourtant l’unique source d’information spécialisée au sujet de ces enfants particulièrement vulnérables, information dont la qualité et l’intérêt sont salués (60 000 visites mensuelles du centre ressources).

Depuis plusieurs années, InfoMIE propose de nombreux services grâce au travail de son unique coordinatrice et l’appui de ses membres. InfoMIE a développé de nouvelles activités pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses, mais aussi pour apporter plus largement une information objective, exhaustive au nombre croissant d’acteurs confrontés aux complexités des accompagnements de ces enfants en danger.

Au moment où le gouvernement prépare une réforme d’ampleur sur les questions de l’évaluation et de l’accueil provisoire d’urgence des mineurs isolés, le manque de soutien des pouvoirs publics à une association comme InfoMIE interpelle sérieusement. Nous ne pouvons exclure l’hypothèse d’un désintérêt. Si tel était le cas, cela constituerait un signe extrêmement préoccupant pour le respect des droits de l’enfant en France, au moment où de nouveaux acteurs – les services de l’Etat – vont devoir se confronter aux situations nouvelles et complexes de ces enfants en danger. Le Conseil d’administration d’InfoMIE et les membres signataires du présent communiqué, exhortent donc le premier Ministre à étudier la question du financement d’InfoMIE compte tenu de son utilité pour les mineurs isolés, les associations mais également les services de l’Etat et des collectivités qui sollicitent également nos services.

Paris, le 15 janvier 2018

Listes des signataires :

Les associations suivantes :

  • L’ADMIE – Association de défense des mineurs isolés étrangers
  • Le Centre Primo Levi
  • La CIMADE
  • La Croix Rouge Française
  • DEI-France, Défense Enfants International – France
  • ECPAT France
  • Espoir Jeunes-Errants
  • Fondation Grancher
  • Association Foyer les Algues
  • France Terre d’Asile
  • Le GISTI – Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s
  • Le JDJ, Journal du Droit des Jeunes
  • Hors la Rue
  • La ligue des droits de l’homme
  • Médecins du Monde
  • Parcours d’Exil
  • RAIH,
  • Réseau Accueil Insertion Hérault
  • Secours Catholique – Caritas France
  • Solidarité Laïque
  • UNICEF France
  • L’UNIOPSS
  • La Voix de l’enfant

Ainsi que les adhérent.e.s individuel.le.s membres d’InfoMIE suivant.e.s :

  • Me Dominique Attias, Avocate, Barreau de Paris
  • Mr Corentin Bailleul, Juriste
  • Pr. Thierry Baubet, Pédopsychiatre, Hôpital Avicenne
  • Me Catherine Brault, Avocate, Barreau de Paris
  • Me Catherine Daoud, Avocate, Barreau de Paris
  • Me Emilie Dewaele, Avocate, Barreau de Lille
  • Mme Edwige Fourot, Assistante sociale retraitée
  • Me Brigitte Jeannot, Avocate, Barreau de Nancy
  • Mme Arlette Milosavljevic, Assistante sociale retraitée
  • Dr Sevan Minassian,
  • Pédopsychiatre, Hôpital Cochin
  • Me Isabelle Roth, Avocate, Barreau de Paris
  • Mme Alexandra Vié, Sociologue

Partenaires et soutiens d’InfoMIE également signataires :

  • L’ADDE – Avocats pour la défense des droits des étrangers
  • RESF
  • Le Syndicat des Avocats de France (SAF)
  • le SNUTER – FSU
  • le SUPAP – FSU
  • Me Julie Bonnier, Avocate, Barreau de l’Essonne
  • Me Emmanuel Daoud, Avocat, Barreau de Paris, Membre du Conseil de l’Ordre
  • Me Mireille Damiano, Ancienne Présidente du SAF et Avocate, Barreau de Nice
  • Me Claire Dujardin, Avocate, Barreau de Toulouse
  • Me Florence Duvergier, Avocate, Barreau de Grenoble
  • Me Sophie Hassid, Avocate, Barreau de Lyon
  • Mr François-Régis LACROIX , membre de la Ligue des Droits de l’Homme , magistrat honoraire à Lyon
  • Mme Sophie Laurant, ancienne coordinatrice d’InfoMIE et actuelle coordinatrice du programme MNA Délégation IDF de Médecins du Monde
  • Me Kristel Lepeu, Avocate, Barreau du Val de Marne
  • Me Marie-Catherine Letellier, Avocate, Barreau de Valence
  • Me Florence Neple, Avocate, Barreau de Lyon
  • Me Laurie Quinson, Avocate, Barreau de Marseille

Médiapart // Macron à calais: avec ou contre lui

Par

Alors que sa politique migratoire est critiquée de toutes parts, y compris par ses proches, Emmanuel Macron s’est rendu mardi à Calais, où il a posé ses conditions aux associations. Toute la journée, il a tenu un discours de fermeté derrière lequel a transparu son incapacité à souffrir la contestation.

Calais (Pas-de-Calais), envoyée spéciale.– C’est un cri de colère de plus. Et celui-ci a un écho tout particulier aux oreilles d’Emmanuel Macron. Il ne provient pas de ceux qui, comme il le dit, « font le choix d’utiliser la misère et qui sont des activistes ». Mais il est lancé par ses propres amis. Dans une tribune publiée par Le Monde mardi 16 janvier, jour choisi par le président de la République pour venir faire la pédagogie de sa politique migratoire à Calais, une poignée d’intellectuels et de syndicalistes ont vertement critiqué le « double langage » du gouvernement sur le droit d’asile et la brutalité du traitement réservé aux migrants.

Une brutalité qui contredit, selon les mots des signataires, « l’humanisme prôné » par le chef de l’État et « sème dans les esprits le poison du doute ». Depuis l’adoption, le 12 décembre, de la circulaire visant à recenser les étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence, la contestation ne cesse de croître. Dépassant largement le cercle des militants associatifs aguerris à ces questions, elle gagne aujourd’hui jusqu’aux proches d’Emmanuel Macron, comme l’économiste Jean Pisani-Ferry, l’un des principaux inspirateurs de son programme, nommé coordinateur du plan d’investissement de 50 milliards d’euros en juillet 2017, mais aussi Thierry Pech et Lionel Zinsou, respectivement directeur général et président de Terra Nova.

Ces fidèles de la première heure – Zinsou avait brièvement côtoyé le futur président chez Rothschild, avant d’avoir recours à ses services comme banquier conseil – ont tous trois apposé leur paraphe sous la fameuse tribune, rappelant à Emmanuel Macron ses propos de campagne, mais aussi sa « profession de foi universaliste » énoncée à Orléans en juillet dernier. Mardi, lors de son déplacement dans le Nord-Pas-de-Calais, au cours de sa visite du Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) de Croisilles, dans son discours aux forces de sécurité et lors de ses différents échanges avec les élus locaux ou les responsables associatifs, jamais aucun de ces trois noms n’a été cité. Mais leur cri de colère résonnait dans tous les esprits.

Le chef de l’État a d’ailleurs semblé leur répondre à maintes reprises. Non pas en infléchissant son propos, mais en continuant au contraire à afficher une fermeté qu’aucune critique, aussi argumentée que ce soit, ne paraît pouvoir remettre en cause, et qui pèse bien lourd dans la balance « humanité et fermeté » que l’exécutif prétend vouloir tenir à l’équilibre. « On fait la République au concret, on ne la fait pas en deux lignes un matin de mauvaise conscience », a-t-il affirmé face aux forces de sécurité. « Notre honneur n’est pas simplement d’avoir des déclarations faciles, faites depuis Paris, loin d’ici, en regardant telle ou telle photographie, notre honneur, c’est sur le terrain, d’aider celles et ceux […] qui apportent l’humanité durable dans la République ! »

Parce que « l’État n’est pas dans la démagogie, dans la facilité ou dans l’irresponsabilité », Emmanuel Macron a choisi de hausser le ton, comme il l’avait fait au début de l’été 2017 devant les forces armées pour répondre aux critiques formulées par l’ancien chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, entraînant la démission de ce dernier quelques jours plus tard. Une nouvelle fois, le président de la République a montré qu’il ne souffrait aucune contestation, dépréciant la légitimité de ceux qui émettent des réserves quant à ses choix politiques, ne voyant derrière ces remises en question qu’une forme d’incompréhension, ou pire : un combat idéologique dont il entend s’abstraire.

Déclinant une série de chiffres destinés à clore le débat (« Nous avons consacré cette année plus de deux milliards d’euros pour l’hébergement d’urgence des personnes vulnérables. Pour les demandeurs d’asile, nous ouvrirons 4 000 places supplémentaires en 2018 et encore 3 500 en 2019, pour atteindre à cette date un délai total de 88 000 places, c’est deux fois plus qu’en 2012 »), il s’est énervé contre ceux qui ne jugent pas sa politique avec les mêmes lunettes que lui : « Ces chiffres ont un sens. Il y a une réalité derrière. Il y a un engagement budgétaire. C’est l’engagement de toute la nation et, là aussi, je ne peux accepter celles et ceux qui profèrent des contre-vérités et ne reconnaissent pas cet engagement inédit. »

Benjamin Griveaux n’est guère plus tendre à l’égard des « commentateurs ». « Le président a toujours tenu cette ligne d’humanité et de fermeté, assure le porte-parole du gouvernement, présent à Calais ce mardi. Certains ont la mémoire courte. Soit ils ont eu une écoute sélective pendant la campagne et font semblant de découvrir des choses aujourd’hui, soit ils ont changé d’avis et c’est leur droit le plus strict. » Et de poursuivre, sans cacher une certaine irritation : « Que ceux qui nous tapent considèrent le budget qui a été voté. […] Qu’on me dise comment on est moins attentif et moins humain en consacrant 26 % de moyens supplémentaires à l’asile, à l’intégration et à l’immigration dans ce pays. »

Tout au long de la journée, le chef de l’État n’a eu de cesse de répéter qu’il serait « toujours là pour défendre » les forces de l’ordre – ces « intranquilles de la République qui permettent aux autres de dormir en paix » – dont les associations d’aide aux migrants dénoncent régulièrement certains comportements. Saluant leur « travail remarquable mais peu connu, parfois décrié, souvent caricaturé », Emmanuel Macron a dénoncé « les approximations sur [leur] action, parfois les mensonges, souvent, les manipulations », qui à son sens « ne visent au final qu’un seul but : mettre à mal la politique mise en œuvre par le gouvernement ». Politique qu’il entend assumer en son nom propre. Et ce, jusqu’au bout.

« Que ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent à sa politique, mais qu’ils ne s’attaquent pas à ses fonctionnaires, qu’ils ne disent pas des contre-vérités sur ses fonctionnaires, et je m’étonne que des commentateurs, que des dirigeants d’organisations, diverses et variées […] se permettent d’écrire ce qu’ils ont pu écrire sur le quotidien de notre fonction publique », s’est-il agacé. « Qui peut penser une seule seconde qu’un gendarme, un policier, un fonctionnaire de préfecture s’est engagé pour […] faire ce que parfois certains décrivent sans venir le vérifier eux-mêmes, qui peut le penser ? », s’est-il encore interrogé, rappelant toutefois aux forces de l’ordre le devoir d’« exemplarité » dont elles devaient faire preuve et les sanctions qui seraient prises dans le cas contraire.Pour quelqu’un qui ne peut pas imaginer que des exactions puissent être commises par des représentants de l’État, Emmanuel Macron s’est pourtant fait très précis sur la nature de celles-ci : « Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques, confisquent des effets personnels, réveillent les personnes en pleine nuit, utilisent du gaz lacrymogène sur des points d’eau ou au moment de la distribution des repas. Si cela est fait, c’est contraire à toute déontologie », a-t-il affirmé.

« La sacralité de l’accueil est piétinée »

La veille du déplacement d’Emmanuel Macron, deux associations (le Secours catholique et l’Auberge des migrants) ont pour la première fois déposé plainte contre X pour « destruction et dégradation » de biens leur appartenant, après avoir pris soin de « sigler » 700 bâches et sacs de couchage, effets qu’elles disent voir « disparaître » quotidiennement. « On estime à environ 600 le nombre de migrants à Calais et on distribue 400 couvertures par semaine. Ce n’est pas pour rien, ce ne sont pas les migrants qui les laissent derrière eux… », explique Loan Torondel, travailleur humanitaire à l’Auberge des migrants.

« Nous ne laisserons pas installer de nouvelles occupations illicites, mais à chaque fois que les occupations sont défaites conformément à la loi, les effets doivent être récupérés par les intéressés et le seront », a de son côté réaffirmé le chef de l’État aux forces de l’ordre, invitant ceux qui sont témoins d’exactions à saisir la justice : « Que ceux qui assistent à des scènes telles qu’ils les commentent les dénoncent et déclenchent [des] procédures. Ou alors, de fait, ils se rendent coupables de n’être que des commentateurs du verbe, il faut agir. »

En revanche, le président de la République s’est voulu tout aussi clair sur « la réponse de l’État » dans le cas où « les faits dénoncés ne [seraient] pas avérés et [relèveraient] de la diffamation » : « Répondre et, lorsque les conditions juridiques sont réunies, saisir la justice en cas de diffamation ou d’injure, et apporter tout le soutien juridique aux préfets et aux forces de l’ordre. » Fustigeant, sans les nommer, les associations qui « encouragent ces femmes et ces hommes à rester là, à s’installer dans l’illégalité, voire à passer clandestinement de l’autre côté de la frontière », Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « jamais, elles n’auraient l’État à leurs côtés ».

Dans le même temps, il a assuré vouloir continuer à travailler avec tous ceux qui ne propagent pas des « mensonges » en disant aux migrants que la police les attend dans les centres d’accueil. Et pour prouver l’engagement de l’État et sa volonté de travailler en « coopération », il a annoncé que celui-ci prendrait désormais en charge la distribution des repas « de manière organisée, avec des points mobiles, sans tolérer aucune installation de campements illicites ». Un service qui était jusqu’alors assuré par les associations, lesquelles ont salué cette initiative à l’occasion de la rencontre qui s’est déroulée dans la soirée entre certains responsables associatifs, le chef de l’État et les ministres qui l’accompagnaient (Gérard Collomb, Nicole Belloubet, Gérald Darmanin et Benjamin Griveaux).

Là encore, la démarche n’est pas complètement dénuée d’intérêt pour ce président qui entend garder le contrôle sur tout : « Certains utilisent l’aide alimentaire qu’ils apportent pour véhiculer une contre-propagande, a-t-il soufflé en fin de réunion. Ils ne veulent pas que la situation s’améliore par idéologie, par intérêt, peu importe. » Il est tard, ce mardi soir. Emmanuel Macron semble avoir anesthésié tous ses interlocuteurs. Autour de la table, trois associations manquent à l’appel : l’Auberge des Migrants, Utopia 56 et Médecins du monde.

Les deux premières ont décliné l’invitation la veille pour manifester leur désaccord avec la politique migratoire du gouvernement, la troisième le jour même, pour exactement les mêmes raisons, estimant en outre que « le discours tenu par le président à Calais ne [tenait] pas compte de la réalité dont témoignent nombre d’associations ». « Ces réunions sont très souvent utilisées pour justifier une concertation avec les associations alors que ce n’est pas vrai, indique Loan Torondel. Ceux qui ont rencontré le premier ministre à Matignon ont pu constater à quel point le dialogue n’exist[ait] pas. S’il n’y a pas de consultation à Paris, il y a peu de chances qu’il y en ait à Calais… »

Après avoir évoqué la nécessité de revoir le « dispositif dépassé » de Dublin et de renégocier les accords du Touquet – question qui sera au cœur de la rencontre du chef de l’État avec la première ministre britannique Theresa May, jeudi 18 janvier –, l’un des responsables associatifs fait mention des grands absents de la réunion. « Les gens qui ont fait le choix de ne pas être là font aussi le choix de ne pas dialoguer. La bonne volonté trouve ses limites dans la mauvaise volonté de l’autre », balaie Emmanuel Macron en guise de réponse, tandis que la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, en profite pour regretter que certains « utilisent la provocation pour se faire de la publicité ».

Les unes après les autres, toutes les associations présentes autour de la table font part de leur vive opposition à la circulaire du 12 décembre et, plus largement, au projet de loi sur l’asile et l’immigration, attendu en conseil des ministres le 21 février, dont les grandes lignes leur ont été présentées par Matignon quelques jours plus tôt et dont l’orientation n’a aucune chance de changer, comme l’a d’ores et déjà indiqué Gérard Collomb dans Le Parisien. Mardi, le chef de l’État n’est pas entré dans le détail des mesures, laissant simplement comprendre que sur ce point encore, les marges de manœuvre de la société solidaire étaient faibles, pour ne pas dire inexistantes.« La rigueur de votre politique laisse peu de champ à l’apaisement », a regretté le président du Secours catholique, Didier Degrémont, critiquant à son tour cette circulaire qui « piétine, selon lui, la sacralité de l’accueil ». « Vous êtes en train de donner naissance à un mouvement de contestation d’une ampleur unique », a-t-il indiqué à l’adresse d’Emmanuel Macron, qui lui a répondu, en fin d’échanges, qu’il « ne laisserait personne faire de raccourcis ». « Les gens qui parlent de rafles, de police, sont mensongers et indignes du débat », a-t-il glissé, passant sous silence ce large espace de critique qui existe pourtant entre le point Godwin et le chèque en blanc.

Sur le sujet de l’asile et de l’immigration, comme sur beaucoup d’autres, le président de la République reste convaincu de son fait. Il veut être compris, accepté et surtout, suivi. Puisqu’il dit tenir « un langage de vérité », tous ceux qui le contestent sont forcément soupçonnés de mentir un peu, même inconsciemment. Sous couvert de concertation, il ne semble en réalité proposer qu’une alternative : être avec ou contre lui.

Le monde // Macron en visite à Calais, où le problème reste entier

http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/01/16/macron-en-visite-a-calais-ou-le-probleme-des-migrants-reste-entier_5242204_1654200.html#woBsz04MORerlJkp.99

Quinze mois après l’évacuation de la « jungle », quelque 600 migrants qui veulent passer en Grande-Bretagne survivent dans des conditions difficiles, alors que les autorités continuent d’entraver le travail des associations.

LE MONDE |   |Par Maryline Baumard

Des migrants font la queue pour obtenir de la nourriture auprès d’associations d’aide, à Calais, le 1er janvier.

Emmanuel Macron joue le classicisme en choisissant Calais pour son premier déplacement sur l’immigration. De la caserne de gendarmerie à la mairie, en passant par le port et la sous-préfecture – où l’attendront les associations de soutien aux migrants –, le président de la République se met dans les pas de dizaines d’élus qui, avant lui, ont suivi le même circuit dans cette ville sinistrée.

Cette fois, la version officielle veut que la situation se soit « considérablement améliorée ». Les éléments de langage de la visite posent même qu’« on va vers une normalisation », que le chef de l’Etat souhaite « soutenir » et « consolider ».

Pas tout à fait la vision qui remonte du terrain, quinze mois après l’évacuation de la « jungle ». Pour le très modéré Jean-Claude Lenoir, président de l’association d’aide aux migrants Salam, on serait plutôt « revenu dix ans en arrière ». Quant à Natacha Bouchart, la maire (Les Républicains) de Calais, elle estime qu’« au fond, le problème des migrants à Calais reste entier ».

  • Qui sont les migrants de Calais ?

Les 8 000 qui campaient dans la « jungle » au moment du démantèlement, en octobre 2016, seraient 600 aujourd’hui, selon le comptage effectué par l’association L’Auberge des migrants le 2 janvier, lors des distributions de nourriture – les autres organisations confirment le chiffre. Pour la préfecture, ils sont 350. Mais la tradition veut que les décomptes de la zone soient sous-estimés, et même l’Elysée préfère la fourchette « 350 à 500 ». Majoritairement très jeunes, ils sont Erythréens, Ethiopiens, Afghans et Pakistanais. Certains n’ont jamais quitté Calais depuis le démantèlement, d’autres ont des bases arrières en Belgique ou à Paris.

  • Comment vivent-ils ?

« Dans les fossés », répond régulièrement Christian Salomé, le président de L’Auberge des migrants. Face à la « tolérance zéro » de l’Etat, ils fuient et se cachent pour dormir. Il a fallu une condamnation du Conseil d’Etat, le 31 juillet 2017, pour que soit installée une rampe d’eau avec des robinets à disposition en journée. « Nous avons installé vingt-cinq toilettes et emmenons ceux qui le souhaitent prendre des douches », ajoute Stéphane Duval, de La Vie active. Vendredi 12 janvier, 160 d’entre eux ont pu se laver.

  • Que font-ils là ?

« 100 % de ceux qui sont là veulent aller en Grande-Bretagne », observe Gilles Debove, policier responsable SGP-FO. Les traversées réussies sont suffisamment nombreuses « pour entretenir l’espoir », ajoute François Guennoc, de L’Auberge des Migrants, qui reçoit régulièrement des appels depuis Londres. La version officielle, elle, serait plutôt qu’« ils se heurtent à une frontière fermée qui a fait de Calais une impasse pour eux ». Selon l’Elysée en effet, « la frontière est mieux maîtrisée et les tentatives d’intrusions [dans le tunnel sous la Manche] ont baissé de 52 000 entre 2017 et 2016 », restant quand même à 115 000 sur l’année.

  • Sont-ils aux mains des passeurs ?

« A Calais ne restent que ceux qui n’ont pas d’argent et tentent sans passeur », affirme Vincent De Coninck, du Secours Catholique. Ceux qui peuvent payer passent depuis Bruxelles, Grande-Synthe, ou sont pris en charge depuis Calais, mais redescendent plus au sud pour commencer le voyage, observent les acteurs de terrain à l’unisson. Mais côté Elysée, on préfère rappeler l’idée que « tout ce système est fortement encouragé par les filières de passeurs » et que « la priorité de l’Etat est toujours de démanteler les filières ». Au bilan 2017, vingt-quatre filières ont été démantelées sur cette zone, contre vingt l’année précédente.

  • Pourquoi aucun campement ne se reconstitue ?

« Ici la durée de vie d’une tente est de deux jours », note François Guennoc. « Nous sommes face à une destruction systématique et pleinement assumée des tentes et autres abris… Même en plein hiver », renchérit Jean-Claude Lenoir, outré de cette pratique. Qu’après on discute si les autorités « ramassent les biens des migrants abandonnés » comme le veut la version officielle, ou si elles leur confisquent tentes, sacs de couchage et affaires personnelles, importe peu à M. Lenoir, qui observe surtout que les exilés préfèrent fuir qu’être arrêtés et sont de ce fait contraints d’abandonner leur maigre paquetage.

 Lire aussi :   Il y a un an, l’évacuation de la « jungle » de Calais

Lundi, le Secours catholique et L’Auberge des migrants ont déposé plainte pour destruction de biens. ils avaient marqué des sacs de couchages et des bâches et ont compilé les preuves que leur matériel a bien terminé à la déchetterie. Une semaine avant la visite d’Emmanuel Macron, le sous-préfet a pourtant annoncé, mardi 9 janvier, que les migrants pourraient désormais récupérer leurs sacs à dos et autres effets personnels, qui seraient stockés dans une benne spécifique et non envoyés directement à la déchetterie. Les associations attendent de voir.

Le climat est mauvais. Les migrants sont épuisés. Les inspections générales de l’administration (IGA), de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGGN) ont estimé « plausibles », « des manquements à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière » dans un rapport d’octobre 2017. « On n’a plus d’attaque intempestive, comme du temps de la jungle », résume pour sa part Gilles Debove, mais les forces de l’ordre sont, selon lui « sous une pression permanente ».

Emmanuel Macron devrait profiter de ce déplacement pour rappeler que policiers et gendarmes se doivent d’être « exemplaires dans leurs interventions ». Le chef de l’Etat souhaite que chaque mise en cause aille au bout. Et « soit les faits sont exacts et appellent des sanctions. Soit ils sont inexacts et ceux qui ont diffusé fausses information doivent faire l’objet de poursuites », rappelait hier son entourage. Il en va pour l’Elysée de « la déontologie de l’accueil et de l’accompagnement des migrants en France ».

  • Les migrants dorment-ils tous dehors ?

« Plusieurs dizaines de migrants sont hébergés chez les Calaisiens », observent plusieurs bénévoles. Chaque association a sa liste de familles prêtes à accueillir. Avec le plan grand froid, 270 places d’hébergement ont été ouvertes par la préfecture à Calais. Un dispositif volontairement minimal pour inciter les exilés à partir vers les Centres d’accueil et d’examen des situations (CAES).

Trois déclinaisons de ce nouveau sigle ont ouvert dans les Hauts-de-France, après que le Conseil d’Etat a obligé à la mise à disposition d’abris. Les exilés qui risquent un renvoi ailleurs en Europe ou dans le pays qu’ils ont fui refusent de s’y rendre : on y contrôle leur situation administrative et on les y assigne éventuellement à résidence pour tenter de les faire monter dans un avion.

C’est aussi dans ces lieux que ceux qui le souhaitent peuvent demander l’asile et que ceux qui veulent rentrer chez eux volontairement ont accès aux propositions de retour aidé. Mais la formule ne plaît guère au sein d’une population qui a massivement laissé des empreintes ailleurs en Europe, et, depuis le mois d’août « 37,5 % ont quitté le centre avant qu’on procède examen de situation », observe-t-on à l’Elysée.

  • Qui sont les bénévoles ?

Accusés d’empêcher les migrants d’aller dans les CAES par la préfecture aujourd’hui ; priés d’aller exercer leurs talents ailleurs par le ministre de l’intérieur au début de l’été 2017, qualifiés de « No Borders » par la maire de la ville, 50 à 70 bénévoles (à 60 % britanniques) œuvrent à humaniser la zone. Ils travaillent aux côtés des salariés de quelques associations devenues des quasi-institutions en vingt-cinq ans de crise migratoire. Ces derniers collectionnent les procès-verbaux de stationnement à 135 euros, version locale du délit de solidarité. « Ça s’était arrêté au cœur de l’été, après la condamnation du Conseil d’Etat, et puis ça reprend », regrette une des victimes.

 Lire aussi :   De la « jungle » de Calais à l’université de Lille

L’Auberge des Migrants et Help Refugees, deux des principaux intervenants de l’humanitaire calaisien, ont dû consacrer 100 000 euros pour mettre aux normes une cuisine menacée de fermeture par les services d’hygiène. C’est de là que sortent chaque jour les 2 500 repas (de nombreux migrants prennent deux portions) quotidiens qui pallient le désengagement de l’Etat sur ce point. Les associations interviennent aussi sur la santé, même là l’Etat ne s’est pas totalement effacé et permet à 30 exilés chaque jour d’être soignés à l’hôpital.

  • Est-il normal de mourir à Calais à 18 ans ?

Le 9 janvier, les 22 et 29 décembre 2017, trois migrants sont morts sur l’autoroute en tentant de passer la frontière. Natacha Bouchart estime qu’il faut empêcher les exilés de « mettre en péril leur vie et la vie d’autrui ». Il « faut inventer un régime beaucoup plus répressif pour les empêcher de s’introduire sur la rocade », insiste la maire de Calais, qui rêve d’un surcroît de fermeté. Mme Bouchard, qui observe la présente importante de mineurs – ils seraient une centaine, selon les associations – souhaite « que les Britanniques ouvrent un bureau pour traiter depuis ici les regroupements familiaux et développe les passages légaux ». Une demande sur laquelle elle est en phase avec le chef de l’Etat.

  • L’économie calaisienne redémarre-t-elle ?

L’exécutif veut aussi par ce déplacement faire passer le message que l’économie du Calaisis redémarre. Aux aides de l’Etat français, Mme Bouchart aimerait ajouter une participation britannique pour donner un coup de fouet au trafic ferroviaire, qui repart. « Je souhaiterais que dans sa renégociation des accords du Touquet, le chef de l’Etat obtienne pour Calais une compensation aux pertes économiques qu’a subies la ville à cause de sa situation », observe l’édile.

Les Britanniques, qui ont contribué à financer l’enlaidissement de cette capitale de la dentelle à coup de clôtures et de grillages, seront-ils prêts à mettre une nouvelle fois la main au porte-monnaie ? Réponse lors du sommet franco britannique de jeudi 18 janvier à Sandhurst (Royaume-Uni). En attendant, les pourparlers sur ce point vont bon train.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/01/16/macron-en-visite-a-calais-ou-le-probleme-des-migrants-reste-entier_5242204_1654200.html#rOWHpvgm3r3brKlf.99

Lettre ouverte au Président de la République

Les associations qui interviennent en soutien aux exilé.e.s bloqué.e.s à la frontière franco-britannique interpelle le Président de la République: « impulsez une autre politique, mettez l’hospitalité et le respect des droits au coeur de vos préoccupations »



LETTRE OUVERTE

Objet : Exilé.e.s sur le Littoral de la Manche et de la Mer du Nord : constats alarmants et propositions

Monsieur le Président de la République,

Nous avons appris votre venue à Calais le 16 janvier prochain. La situation alarmante dans laquelle survivent les hommes, femmes et enfants exilés bloqués à la frontière franco-britannique mérite toute votre attention, et votre venue est une marque d’intérêt évidente. Mais celle-ci ne saurait avoir de sens que si elle avait pour objectif d’impulser une politique d’accueil radicalement différente.

Aujourd’hui, à la frontière franco-britannique, plus de 900 personnes survivent dans des conditions diverses, mais toutes plus indignes les unes que les autres.

Il est déplorable que dans un pays aussi riche que le nôtre, où « plus personne ne devait dormir à la rue à la fin de l’année dernière », nous ayons besoin de la solidarité et de la mobilisation de dizaines d’associations et de centaines de bénévoles pour que des personnes accèdent à un repas et à de l’eau potable, ou à un duvet, une bâche et une couverture de survie pour ne pas mourir de froid. Il est encore plus intolérable que dans un pays comme le nôtre ces mêmes personnes soient pourchassées, leurs abris et effets personnels détruits. Il est insupportable qu’elles aient, en plus de cela, à subir de la violence physique, parfois de la part des passeurs et autres trafiquants d’êtres humains, mais trop souvent de la part des forces de l’ordre.

Monsieur le Président, porter une autre politique, c’est, d’abord et avant tout, regarder la réalité en face. La politique d’inhospitalité que vous menez actuellement n’est pas différente de celles de vos prédécesseurs. Elle s’en distingue simplement par sa dureté et prolonge 25 années d’échec.

Pourquoi cet échec ? Parce que les gouvernements successifs, et y compris le vôtre, persistent à ne pas voir que Calais et plus largement le littoral de la Manche et de la Mer du Nord, verront toujours arriver des personnes souhaitant pour de bonnes ou de mauvaises raisons se rendre en Grande Bretagne. Vous persistez à penser que rendre les conditions de vie plus dures dissuadera ces personnes de venir à Calais, comme si elles ne venaient que pour quelques douches ou un abri de fortune. Vous persistez à ne pas voir que de nombreuses personnes ont des raisons valables de se rendre en Grande Bretagne, qui les empêcheront de changer leur projet migratoire ; et que d’autres, perdues, cherchent une échappatoire aux règles iniques du règlement Dublin.

Votre venue, Monsieur le Président, est une occasion pour faire cesser les situations indignes qui règnent à cette frontière, pour redonner force et vigueur à nos valeurs, pour impulser une politique d’hospitalité.

Un gel des démantèlements

Cette nouvelle politique ne sera crédible que si un gel des démantèlements de camps, campements et squats est prononcé tant que des solutions pérennes et adaptées ne sont pas mises en place.

L’objectif principal de cette politique doit être de promouvoir des solutions d’accueil dignes dans tous les lieux où (sur)vivent des exilés de passage, en prenant en considération les spécificités locales et en s’engageant à soutenir les élus locaux hospitaliers. Ces lieux d’accueil peuvent éventuellement et très ponctuellement prendre l’aspect de camps de réfugiés pour répondre à l’urgence humanitaire et mettre à l’abri l’ensemble des personnes présentes. Cependant, des solutions d’accueil à long terme doivent être enfin soutenues et mises en œuvre. Les associations intervenant sur les camps d’exilés de passage proposent depuis longtemps un projet d’accueil digne appelé « Maison du migrant ». Votre venue est l’occasion de vous proposer de relancer un dialogue entre les associations et les pouvoirs publics interrompu au printemps 2014 en raison de la destruction violente de campements.

Une politique respectueuse des droits des personnes

Plus largement, c’est le respect du droit qui est nécessaire.

Il n’est pas admissible que quotidiennement les associations en contact direct avec les exilés reçoivent des témoignages, quand elles n’en sont pas témoins directs, de violences des forces de l’ordre. La lutte contre ces violences doit être une priorité. Cela passe par des sanctions contre leurs auteurs.

Il n’est plus admissible de laisser des mineurs vivre seuls sans une protection adaptée.

Il n’est pas admissible que les effets personnels (couverture, duvet, etc.) des exilés soient systématiquement détruits ou confisqués.

Monsieur le Président, vous devez mettre fin aux violences à la frontière franco-britannique.

Une autre politique migratoire

Mais la présence d’exilés bloqués à la frontière ne cessera que si la Grande-Bretagne, la France et l’Union européenne remettent enfin en cause les politiques migratoires actuelles.

Votre venue à Calais, alors que votre Ministre de l’intérieur va, dans quelques jours, rencontrer son homologue britannique, doit être une occasion de dénoncer les accords du Touquet et l’ensemble des accords franco-britanniques de la gestion de la frontière. Il faut revenir sur l’externalisation des contrôles migratoires britanniques sur le territoire français. Ces accords enferment des milliers de personnes dans une nasse et les condamne à la violence des conditions de vie, des passeurs et des forces de l’ordre. Ces accords empêchent les personnes qui souhaitent demander une protection aux autorités britanniques de le faire sans risquer leur vie.

Votre venue doit aussi être l’opportunité de proposer un moratoire sur le règlement Dublin III qui condamne trop de personnes à l’errance et rend illusoire leur intégration en les empêchant de demander l’asile dans le pays de leur choix.

Enfin, votre venue à Calais pourrait être l’occasion d’un geste fort en faveur de la liberté pour tous de circuler et de ne pas dépérir aux frontières de l’Europe.

Cela fait plus de 20 ans que des associations locales et nationales et des citoyens alertent les pouvoirs publics sur les résultats désastreux des politiques mises en place, et qu’ils proposent d’autres politiques migratoires et d’accueil. Il y a aujourd’hui urgence à changer de politiques.

Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

Signataires :

ACCMV minorités visibles humanitaire

Aide Migrants Solidarité Téteghem

Arras Solidarité Réfugiés

Association Bethlehem

ATD Quart Monde Dunkerque

Carrefour des Solidarités du Littoral Dunkerquois

Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62

ECNOU

Emmaüs Dunkerque

Entraide de l’Eglise Protestante Unie de Dunkerque

Flandre Terre Solidaire

Help refugees

Itinérance Dieppe

L’Auberge des Migrants

La Cabane juridique

La Cimade Nord Picardie

La Fraternité (Bruay la Buissière)

Ligue des Droits de l’Homme – Dunkerque

Médecins du monde – Hauts-de-France

MRAP Dunkerque / Planning familial 62

Refugee Women Center

SALAM Nord/Pas-de-Calais

Terre d’errance Flandre Littoral

Terre d’errance (Norrent-Fontes)

Terre d’Errance Steenvoorde

Secours populaire français (Vendin-Oblighem)

Utopia56

Communiqué de presse inter-asso // Lancement des Etats Généraux des Migrations dans le Nord-Pas de Calais

 

15 janvier 2017

***

Lancement des États Généraux des Migrations dans le Nord – Pas de Calais

Conférence de presse à Calais, mardi 16 janvier 2018 à 10h30 – 47 rue de Moscou, Calais

Hasard du calendrier, la concertation des EGM a réuni plus de 40 associations et collectifs dans le 59/62 le même jour que la rencontre controversée à Matignon qui a servi de prétexte à la présentation du projet de loi sur la politique migratoire.

Les politiques d’asile et d’immigration mises en œuvre en France ne cessent de se durcir et de rendre la vie de plus en plus difficile pour la grande majorité des étranger.e.s qui vivent ou transitent sur notre territoire, avec ou sans papier.

Les étranger.e.s qui vivent dans les Hauts-de-France n’échappent pas à ce durcissement. Au contraire, nous dénonçons :

  • les difficultés accrues pour obtenir un titre de séjour ou son renouvellement,

  • une application quasi automatique des Accords de Dublin pour refouler les réfugiés hors de France

  • le parcours du combattant pour qu’un.e mineur.e non accompagné.e soit au moins mis à l’abri, sans parler d’une prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance,

  • des mineurs en rétention,

  • les conditions de vie toujours plus indignes des exilés qui survivent aussi bien à l’intérieur des Hauts-De-France qu’ à la frontière franco-britannique,

  • des destructions de bidonvilles sans solutions, quelle que soit la situation administrative des personnes qui s’y abritent (ressortissant.e.s européen.e.s ou non)

  • un harcèlement, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, des bénévoles et militant.e.s qui tentent de défendre les droits des personnes étrangères,

Et ce ne sont que des exemples des conséquences dramatiques des politiques migratoires et de non-accueil mises en œuvre.

De plus, les discours systématiquement négatifs voire péjoratifs à propos des migrations, sans que jamais ne soit mis en avant ses aspects positifs, contribuent à un renforcement des stigmatisations et des discriminations des personnes étrangères en France.

Le 14 juin puis le 24 juillet 2017, des centaines d’associations et collectifs venant en soutien aux personnes étrangères en France ont adressé au Président de la République et au gouvernement des demandes pour la mise en place d’une conférence nationale réunissant toutes les parties prenantes et ayant pour objectif de faire émerger des politiques migratoires et d’accueil radicalement différentes.

La réponse fut un « Plan Migrant » incluant une nouvelle loi dont on comprend qu’elle sera encore plus répressive et encore moins accueillante.

Face à cette fin de non-recevoir, nous avons, avec de nombreuses autres associations et collectifs à travers la France, lancé cette concertation citoyenne sur l’accueil et les droits des personnes étrangères.

Jeudi 11 janvier, nous, associations et collectifs composés de personnes issues de l’immigration et/ou venant en soutien aux personnes étrangères, et intervenant dans le Nord Pas-de-Calais, nous sommes réuni.e.s à Lille pour impulser cette dynamique de concertation sur notre territoire.

Près de 100 personnes ont pu débattre des principales problématiques à dénoncer, des initiatives positives pour faire évoluer les choses et de l’organisation à mettre en place pour faire émerger des actions afin de se faire entendre.

Nous sommes ensemble, nous ne nous tairons plus.

Alors qu’Emmanuel Macron vient à Calais mardi 16 janvier pour présenter les axes de sa politique migratoire, nous vous invitons à une conférence de presse ce mardi 16 janvier à 10h30 à l’accueil de jour du Secours Catholique, 47 rue de Moscou, à Calais.

Signatures:

Amnesty International Nord-Pas de Calais-Somme,

Amnesty International Armentières,

Amnesty International Lens-Liévin,

Amnesty International Lille,

Auberge des Migrants,

Cabane Juridique,

Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement – Terre Solidaire Lille,

Cimade Nord-Picardie,

Collectif Afrique,

Collectif Citoyens de Maubeuge,

Comité des Sans-Papiers 59,

COSIM – Collectif des Organisations de Solidarité Internationale issues des Migrations -Hauts de France,

Centre Régional de Documentation sur le Tiers Monde,

DEEP – Dialogue Empathie, Engagement et Paix – France,

GRDR, migrations citoyenneté, développement

Inter-collectif Rroms 59/62,

Ligue des Droits de Homme Dunkerque,

Ligue des Droits de Homme Lille,

Les 4A,

Médecins Du Monde – Hauts de France,

Planning Familial 62,

Protection des Enfants du Tiers Monde,

Réseau d’Accueil des Immigrés dans à Lille,

Secours Catholique 59,

Secours Catholique 62,

Syndicats SUD des agentEs du département du Nord

Terre d’Errance,

Utopia 56

 

Europe 1 // Ouistreham en passe de devenir un nouveau Calais

Alors que le gouvernement se lance dans une opération déminage quant à sa future loi immigration, de plus en plus de migrants tentent de rallier la Grande-Bretagne par le port normand de Ouistreham. Sur place, la tension monte.

REPORTAGEC’est une rencontre très attendue par les associations d’aides aux migrants. Edouard Philippe leur a donné rendez-vous jeudi à Matignon. Au cœur des discussions : la politique migratoire du gouvernement. Les orientations du futur projet de loi sur l’immigration et l’asile sont jugées inacceptables, inhumaines même par ces associations, qui estiment que la France doit faire plus pour accueillir les migrants. Mais alors que les images de de la jungle de Calais ont fait la Une en 2016, c’est désormais un autre port de France qui fait office de porte d’entrée vers la Grande-Bretagne : Ouistreham où depuis des mois des dizaines de migrants affluent pour tenter de monter dans un ferry.

« Ouistreham ne doit pas devenir le nouveau Calais », a déjà prévenu le maire LR de la ville, Romain Bail. Mais aujourd’hui la tension monte. La ville, une station balnéaire normande, est embourbée dans une situation qu’elle n’avait jamais connue, à deux doigts de se déchirer. La reporter d’Europe 1 a pu y assister à des scènes déjà vues, il y a un an, dans le Pas-de-Calais.

150 migrants en périphérie de la ville. Au rond-point de l’entrée de la ville, un camion ralentit : cinq jeunes hommes soudanais surgissent d’un petit bois, entre les voitures, ils courent derrière le semi-remorque et tentent d’y monter. Mais les portes restent fermées. Parmi eux Ada, 17 ans. « J’essaye tout le temps, tous les jours. La police ici veut m’arrêter et me renvoyer en Italie », souffle-t-il à Europe 1. Monter à bord d’un ferry, caché dans un camion, pour rallier l’Angleterre, ces jeunes en rêvent. 150 migrants, soudanais pour la plupart, errent aujourd’hui dans Ouistreham. Mais plus vraiment dans le centre-ville, chassés dès qu’ils s’approchent de l’embarcadère, comme l’a constaté François, membre du collectif d’aide aux migrants de la ville. « Les patrouilles de police sont organisées pour bloquer les entrées de la place, et les empêcher de venir jusqu’ici. Quatre à cinq voitures tournent en permanence jour et nuit », rapport-t-il.

La tension monte avec les forces de l’ordre. Quelques secondes plus tard, un groupe de gendarmes vient déloger quatre migrants assis sur un banc. Le ton monte, mais pas besoin d’utiliser la bombe lacrymogène, « pas cette fois-ci », nuance un restaurateur qui, depuis son comptoir, a assisté à la scène.

Des riverains excédés. Les forces de l’ordre auraient aussi gazé les duvets des migrants qui dormaient dans la forêt selon plusieurs témoignage, et confisqué leur tente. Quelques-uns sont accueillis chez l’habitant, mais beaucoup vivent dehors, en bas de chez Guillaume notamment. « On voit les sacs poubelles qui traînent un peu partout. J’ai peur qu’un jour quelqu’un qui vit ici pète les plombs et prenne à parti les migrants. Il faudrait faire quelque chose avant d’en arriver là », plaide ce riverain. Ouvrir un local par exemple, mais le maire fait la sourde oreille. Il s’estime lui-même abandonné par les pouvoirs publics.

Le Monde // Le Conseil constitutionnel censure à nouveau la loi sur l’état d’urgence

http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/01/11/le-conseil-constitutionnel-censure-a-nouveau-la-loi-sur-l-etat-d-urgence_5240612_1653578.html

La « zone de protection » décidée il y a un an autour de la « jungle » de Calais au nom de l’état d’urgence était illégale, selon la juridiction chargée de contrôler la conformité de la loi à la Constitution.

LE MONDE | 11.01.2018

Le Conseil constitutionnel a de nouveau censuré, jeudi 11 janvier, une disposition de la loi de 1955 sur l’état d’urgence qui permettait aux préfets de créer des « zones de protection », par simple arrêté, « où le séjour des personnes » était réglementé, c’est-à-dire interdit, sans autre précision. Une disposition qui n’avait pas grand-chose à voir avec le terrorisme ou l’état d’urgence, et qui servait en l’occurrence à contrôler l’immigration.

Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, avait ainsi pris un arrêté le 23 octobre 2016 — un dimanche — pour créer une zone de protection dans le camp de la Lande, à Calais, arrêté qui interdisait « à toute personne de pénétrer dans la zone » du 24 octobre au 6 novembre, à l’exception d’une liste d’intervenants agréés par la préfecture. Elle justifiait alors l’interdiction d’accéder au camp de migrants par des risques d’actions violentes d’activistes, les No Border. De ce fait, les associations d’aide aux migrants, dont La Cabane juridique, qui a accompagné selon son avocat, Me Lionel Crusoé, deux cent cinquante migrants, dont des mineurs isolés et des demandeurs d’asile, se sont vu interdire l’accès à la « jungle » de Calais, tout comme les avocats et les journalistes. La préfecture étant fermée le lendemain, lundi, les demandes d’accréditation étaient restées lettre morte, et les fax envoyés par les avocats, sans réponse.

« Aucune garantie » à la mise en œuvre de ces zones

La Cabane juridique, Le Réveil voyageur, appuyées par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Syndicat des avocats de France (SAF), avaient aussitôt saisi en référé le tribunal administratif, mais la préfète n’avait pas attendu l’audience pour abroger, le 27 octobre, son arrêté. Le Défenseur des droits s’était depuis « interrogé » dans son rapport de décembre 2016 sur les raisons qui avaient poussé la préfecture à utiliser la loi sur l’état d’urgence en matière d’immigration, et s’était « questionné » sur l’amalgame entre les No Borders, les associations ou les avocats.

Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise en octobre 2017 par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel ; elle visait le second alinéa de l’article 5 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, lequel permettait brièvement aux préfets « d’instituer, par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ». Le Conseil a relevé jeudi que « le législateur n’a [vait] soumis la création d’une zone de protection à aucune autre condition », qu’il « n’a [vait] pas défini la nature des mesures susceptibles d’être prises par le préfet » dans ces zones, « et n’a [vait] encadré leur mise en œuvre d’aucune garantie ». Dès lors, il n’y a pas « de conciliation équilibrée » entre l’impératif de sauvegarde de l’ordre public et la liberté d’aller et venir, et l’alinéa est supprimé, avec effet immédiat. Le Conseil avait censuré pour les mêmes raisons l’article 8-1 de la même loi, qui permettait aux préfets de faire contrôler les identités, de fouiller les bagages ou les voitures dans ces zones.

Censure totale ou partielle prononcée à six reprises

La décision du Conseil est certes une victoire pour les associations, mais une victoire finalement morale : la France n’est plus sous le régime de l’état d’urgence depuis le 2 novembre 2017. « Cette décision pose aussi des questions sur le rôle du Conseil : il nous dit un an après que ces zones de protection étaient inconstitutionnelles, et donc illégales, alors qu’il n’y a plus d’état d’urgence », soupire Me Patrice Spinosi, pour la Ligue des droits de l’homme. Cette neuvième QPC sur la loi de 1955 a permis au Conseil de prononcer à six reprises une censure totale ou partielle : « Les deux-tiers du dispositif législatif étaient illégaux, souligne l’avocat, ce qui prouve en passant que les menaces sur les libertés n’étaient visiblement pas tout à fait de l’angélisme. »

Le gouvernement avait cependant anticipé une possible censure de ces zones de protection, et la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a créé à nouveau des « périmètres de protection », avec davantage de garanties juridiques. 

Des préfets les ont déjà utilisés à trente-trois reprises en deux mois, et les renouvellent sans cesse autour des gares du Nord à Paris et de LilleEurope, ou dans le port de Dunkerque — il s’agit visiblement plus de lutter contre l’immigration clandestine que contre le terrorisme. Une nouvelle QPC sur ces zones, transmise en décembre par le Conseil d’Etat, devrait être examinée avant le printemps.

Médiapart // Asile et immigration: l’exécutif face à sa première crise majeure

Par
Face à la contestation qui grandit au-delà des cercles militants, l’exécutif se mobilise pour défendre son projet de loi sur l’asile et l’immigration. Alors que le premier ministre reçoit ce jeudi après-midi les associations de défense des droits des étrangers et de lutte contre l’exclusion, le président de la République a prévu de se rendre le 16 janvier à Calais.
Tous les clignotants virent au rouge. Programmé pour être présenté en conseil des ministres en février 2018, avant un examen au Parlement avant la fin du premier semestre, le projet de loi sur l’asile et l’immigration préoccupe au plus haut point l’exécutif. Face à ce qui s’annonce être la première crise majeure du quinquennat, chacun, dans l’équipe constituée par Emmanuel Macron, est invité à prendre sa part, du ministre de l’intérieur au premier ministre, pour défendre la réforme. Le président lui-même entend se rendre à Calais mardi 16 janvier pour expliciter ses intentions.
C’est que le feu est en train de se répandre à vive allure. De partout, des voix de personnalités incontestables et variées font entendre leur indignation : dans la foulée des montagnards des Hautes-Alpes, qui, au nom de leur éthique professionnelle, viennent en aide aux migrants, un médecin, Raphaël Pitti, médecin et élu au conseil municipal à Metz (Moselle), soutien d’Emmanuel Macron de la première heure, a rendu sa Légion d’honneur pour protester contre la « défaillance » de l’État à l’égard des demandeurs d’asile et la « coercition » exercée à l’encontre des migrants. L’historien et politologue Patrick Weil a affirmé, à propos de la circulaire du 12 décembre 2017 mettant en cause l’accueil inconditionnel dans l’hébergement d’urgence, qu’« aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». L’avocat François Sureau a rappelé qu’« on ne (pouvait) pas faire de l’inhumanité une politique ». L’ex-patron d’EADS Louis Gallois, aujourd’hui président de la Fédération des acteurs de la solidarité, est lui aussi monté au créneau pour déclarer que « l’accueil inconditionnel, c’est l’honneur de la République ». Dans un autre registre, le prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio s’est dressé contre le « déni d’humanité insupportable » que constitue le « tri » des migrants dans les centres d’hébergement.

Ces voix portent d’autant plus auprès de l’exécutif qu’elles ne sont pas celles de supposés gauchistes, ni même de celles de militants associatifs aguerris aux questions de droit des étrangers et qu’il sait qu’elles sont susceptibles d’emporter l’adhésion de l’opinion publique. Ces « belles âmes » dénigrées par Édouard Philippe (voir notre live) contraignent le gouvernement à réagir, de la même manière que la mobilisation des sauveteurs en mer ou les images d’enfants noyés, comme celle du petit Aylan échoué sur une plage turque, avaient fait basculer les esprits, temporairement tout du moins, en faveur de l’accueil des migrants.

Avant qu’il ne soit trop tard, les pompiers de l’exécutif, auxquels certains reprochent leurs tendances pyromanes, sont donc entrés en action. Objectif : rassurer la majorité présidentielle, particulièrement perméable au mécontentement de la société civile. Gérard Collomb, tout comme Édouard Philippe, rencontrent chacun à leur tour des groupes de députés afin de justifier leur démarche et de leur faire passer des éléments de langage.
Les associations nationales de défense des droits des étrangers et de lutte contre l’exclusion, qui pour plusieurs d’entre elles viennent de saisir le conseil d’État contre la circulaire du 12 décembre, font aussi l’objet d’une certaine attention : reçues à Matignon ce jeudi 11 janvier, dans l’après-midi, elles ont été le destinataire, la veille, d’un texte, révélé par Le Monde et Street Press, résumant les grandes lignes du projet de loi sur l’asile et l’immigration, qui n’a pas encore été examiné par le conseil d’État. Soucieuses des éventuelles chausse-trappes juridiques, elles auraient préféré recevoir un texte législatif en bonne et due forme.
Dans le sillage de l’avant-projet de loi qui avait fuité dans les médis à l’automne 2017 (lire notre article), ce texte se donne comme priorité de « renforcer l’efficacité et l’effectivité » des procédures d’éloignement du territoire, tout en restant étonnamment discret sur la situation des déboutés du droit d’asile et des demandeurs d’asile sous le coup de la Convention de Dublin.
Le texte confirme l’intention du gouvernement d’augmenter la durée maximale de la rétention administrative de 45 à 90 jours, avec une possibilité de proroger cette limite de 15 jours dans le cas où la personne ferait obstacle à son expulsion ; il prévoit d’« aménager » les conditions de délais relatifs à l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) et de permettre au préfet de faire appel contre les ordonnances de ce même JLD sans que la personne retenue ne soit systématiquement libérée dans l’intervalle ; il annonce l’allongement de 16 à 24 heures de la durée de la retenue administrative pour vérification du droit au séjour ainsi qu’un renforcement des pouvoirs d’investigation ; il affirme vouloir « préciser » le régime de l’interdiction de retour, « améliorer » les conditions d’exercice du contrôle juridictionnel en zone d’attente et « élargir » les motifs pour lesquels il peut être décidé de ne pas assortir une obligation de quitter le territoire (OQTF) d’un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne les mesures alternatives à l’enfermement, il entend recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire « de manière à réduire le risque de soustraction à l’éloignement » et durcir le régime de l’assignation à résidence pour l’assortir de l’obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire.
Le texte se propose – dans le même temps macronien – d’« améliorer » les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Cyniquement, il place dans ce chapitre la confirmation, dans la loi, de la circulaire contestée du 12 décembre visant à recenser les étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence. Il est ainsi prévu « des échanges d’information entre les services intégrés d’accueil et d’orientation, chargés de l’hébergement d’urgence de droit commun, et l’Ofii [l’Office français d’immigration, sous la tutelle du ministère de l’intérieur, ndlr], concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés ». Le projet de loi, par ailleurs, prévoit qu’un « schéma national » fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région afin que ces derniers soient mieux “répartis” sur le territoire. « Un demandeurs pourra être orienté vers une région déterminée et être tenu d’y résider pour bénéficier des conditions matérielles d’accueil », précise le texte.

Un rapport de force commence entre deux visions de l’accueil

Pour distinguer aussi vite que possible les réfugiés des « migrants économiques », le gouvernement veut accélérer le traitement des demandes d’asile. Pour cela, il fait porter la responsabilité de la réduction des délais par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), alors qu’en réalité les dysfonctionnements ont lieu en amont, lors du dépôt en préfecture des demandes d’asile.
Les étrangers malades sont aussi dans le collimateur : les conditions d’accès à un titre de séjour seraient limitées pour celles et celles faisant l’objet d’une réadmission dans un autre pays de l’Union européenne.
Quelques dispositions sont néanmoins prévues en faveur de la protection des personnes : la durée du premier titre de séjour obtenu au nom de la « protection subsidiaire » et de l’« apatride » serait allongée de un à quatre ans ; la délivrance d’une carte de dix ans aux membres de la famille d’un réfugié mineur serait facilitée ; les réfugiés mineurs bénéficieraient de l’extension du bénéfice de la réunification familiale non seulement aux parents, mais aussi aux frères et sœurs ; la protection des jeunes filles exposées à un risque d’excision serait renforcée. Par ailleurs, le « passeport talent » serait étendu à de nouvelles catégories et les victimes de violences conjugales pourraient bénéficier de « dispositions protectrices » sur le droit au séjour. Enfin, les demandeurs d’asile pourraient être informés qu’ils peuvent solliciter, en parallèle, un titre de séjour sur un autre fondement pendant l’instruction de leur demande.
Comme cela avait été annoncé il y a quelques jours, l’introduction dans la législation de la notion de « pays tiers sûr » a été enlevée du projet de loi. Elle aurait permis le renvoi massif de demandeurs d’asile hors d’Europe sans examiner leur dossier en France.
C’est ainsi un rapport de force de plusieurs semaines qui commence entre deux visions de l’accueil : l’une accueillante et attentive aux droits des migrants, l’autre hostile et suspicieuse à l’égard de la présence des étrangers en France. Si la mobilisation de la société civile se poursuit, il est possible qu’elle réussisse – là où syndicats et députés de l’opposition avaient échoué sur les ordonnances réformant le code du travail – à faire dérailler le programme de l’exécutif, et, ce faisant, à souligner qu’elle n’est pas dupe du double langage d’Emmanuel Macron sur les migrants.