Alors que sa politique migratoire est critiquée de toutes parts, y compris par ses proches, Emmanuel Macron s’est rendu mardi à Calais, où il a posé ses conditions aux associations. Toute la journée, il a tenu un discours de fermeté derrière lequel a transparu son incapacité à souffrir la contestation.
Calais (Pas-de-Calais), envoyée spéciale.– C’est un cri de colère de plus. Et celui-ci a un écho tout particulier aux oreilles d’Emmanuel Macron. Il ne provient pas de ceux qui, comme il le dit, « font le choix d’utiliser la misère et qui sont des activistes ». Mais il est lancé par ses propres amis. Dans une tribune publiée par Le Monde mardi 16 janvier, jour choisi par le président de la République pour venir faire la pédagogie de sa politique migratoire à Calais, une poignée d’intellectuels et de syndicalistes ont vertement critiqué le « double langage » du gouvernement sur le droit d’asile et la brutalité du traitement réservé aux migrants.
Une brutalité qui contredit, selon les mots des signataires, « l’humanisme prôné » par le chef de l’État et « sème dans les esprits le poison du doute ». Depuis l’adoption, le 12 décembre, de la circulaire visant à recenser les étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence, la contestation ne cesse de croître. Dépassant largement le cercle des militants associatifs aguerris à ces questions, elle gagne aujourd’hui jusqu’aux proches d’Emmanuel Macron, comme l’économiste Jean Pisani-Ferry, l’un des principaux inspirateurs de son programme, nommé coordinateur du plan d’investissement de 50 milliards d’euros en juillet 2017, mais aussi Thierry Pech et Lionel Zinsou, respectivement directeur général et président de Terra Nova.
Ces fidèles de la première heure – Zinsou avait brièvement côtoyé le futur président chez Rothschild, avant d’avoir recours à ses services comme banquier conseil – ont tous trois apposé leur paraphe sous la fameuse tribune, rappelant à Emmanuel Macron ses propos de campagne, mais aussi sa « profession de foi universaliste » énoncée à Orléans en juillet dernier. Mardi, lors de son déplacement dans le Nord-Pas-de-Calais, au cours de sa visite du Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) de Croisilles, dans son discours aux forces de sécurité et lors de ses différents échanges avec les élus locaux ou les responsables associatifs, jamais aucun de ces trois noms n’a été cité. Mais leur cri de colère résonnait dans tous les esprits.
Le chef de l’État a d’ailleurs semblé leur répondre à maintes reprises. Non pas en infléchissant son propos, mais en continuant au contraire à afficher une fermeté qu’aucune critique, aussi argumentée que ce soit, ne paraît pouvoir remettre en cause, et qui pèse bien lourd dans la balance « humanité et fermeté » que l’exécutif prétend vouloir tenir à l’équilibre. « On fait la République au concret, on ne la fait pas en deux lignes un matin de mauvaise conscience », a-t-il affirmé face aux forces de sécurité. « Notre honneur n’est pas simplement d’avoir des déclarations faciles, faites depuis Paris, loin d’ici, en regardant telle ou telle photographie, notre honneur, c’est sur le terrain, d’aider celles et ceux […] qui apportent l’humanité durable dans la République ! »
Parce que « l’État n’est pas dans la démagogie, dans la facilité ou dans l’irresponsabilité », Emmanuel Macron a choisi de hausser le ton, comme il l’avait fait au début de l’été 2017 devant les forces armées pour répondre aux critiques formulées par l’ancien chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, entraînant la démission de ce dernier quelques jours plus tard. Une nouvelle fois, le président de la République a montré qu’il ne souffrait aucune contestation, dépréciant la légitimité de ceux qui émettent des réserves quant à ses choix politiques, ne voyant derrière ces remises en question qu’une forme d’incompréhension, ou pire : un combat idéologique dont il entend s’abstraire.
Déclinant une série de chiffres destinés à clore le débat (« Nous avons consacré cette année plus de deux milliards d’euros pour l’hébergement d’urgence des personnes vulnérables. Pour les demandeurs d’asile, nous ouvrirons 4 000 places supplémentaires en 2018 et encore 3 500 en 2019, pour atteindre à cette date un délai total de 88 000 places, c’est deux fois plus qu’en 2012 »), il s’est énervé contre ceux qui ne jugent pas sa politique avec les mêmes lunettes que lui : « Ces chiffres ont un sens. Il y a une réalité derrière. Il y a un engagement budgétaire. C’est l’engagement de toute la nation et, là aussi, je ne peux accepter celles et ceux qui profèrent des contre-vérités et ne reconnaissent pas cet engagement inédit. »
Benjamin Griveaux n’est guère plus tendre à l’égard des « commentateurs ». « Le président a toujours tenu cette ligne d’humanité et de fermeté, assure le porte-parole du gouvernement, présent à Calais ce mardi. Certains ont la mémoire courte. Soit ils ont eu une écoute sélective pendant la campagne et font semblant de découvrir des choses aujourd’hui, soit ils ont changé d’avis et c’est leur droit le plus strict. » Et de poursuivre, sans cacher une certaine irritation : « Que ceux qui nous tapent considèrent le budget qui a été voté. […] Qu’on me dise comment on est moins attentif et moins humain en consacrant 26 % de moyens supplémentaires à l’asile, à l’intégration et à l’immigration dans ce pays. »
Tout au long de la journée, le chef de l’État n’a eu de cesse de répéter qu’il serait « toujours là pour défendre » les forces de l’ordre – ces « intranquilles de la République qui permettent aux autres de dormir en paix » – dont les associations d’aide aux migrants dénoncent régulièrement certains comportements. Saluant leur « travail remarquable mais peu connu, parfois décrié, souvent caricaturé », Emmanuel Macron a dénoncé « les approximations sur [leur] action, parfois les mensonges, souvent, les manipulations », qui à son sens « ne visent au final qu’un seul but : mettre à mal la politique mise en œuvre par le gouvernement ». Politique qu’il entend assumer en son nom propre. Et ce, jusqu’au bout.
« Que ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent à sa politique, mais qu’ils ne s’attaquent pas à ses fonctionnaires, qu’ils ne disent pas des contre-vérités sur ses fonctionnaires, et je m’étonne que des commentateurs, que des dirigeants d’organisations, diverses et variées […] se permettent d’écrire ce qu’ils ont pu écrire sur le quotidien de notre fonction publique », s’est-il agacé. « Qui peut penser une seule seconde qu’un gendarme, un policier, un fonctionnaire de préfecture s’est engagé pour […] faire ce que parfois certains décrivent sans venir le vérifier eux-mêmes, qui peut le penser ? », s’est-il encore interrogé, rappelant toutefois aux forces de l’ordre le devoir d’« exemplarité » dont elles devaient faire preuve et les sanctions qui seraient prises dans le cas contraire.Pour quelqu’un qui ne peut pas imaginer que des exactions puissent être commises par des représentants de l’État, Emmanuel Macron s’est pourtant fait très précis sur la nature de celles-ci : « Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques, confisquent des effets personnels, réveillent les personnes en pleine nuit, utilisent du gaz lacrymogène sur des points d’eau ou au moment de la distribution des repas. Si cela est fait, c’est contraire à toute déontologie », a-t-il affirmé.
« La sacralité de l’accueil est piétinée »
La veille du déplacement d’Emmanuel Macron, deux associations (le Secours catholique et l’Auberge des migrants) ont pour la première fois déposé plainte contre X pour « destruction et dégradation » de biens leur appartenant, après avoir pris soin de « sigler » 700 bâches et sacs de couchage, effets qu’elles disent voir « disparaître » quotidiennement. « On estime à environ 600 le nombre de migrants à Calais et on distribue 400 couvertures par semaine. Ce n’est pas pour rien, ce ne sont pas les migrants qui les laissent derrière eux… », explique Loan Torondel, travailleur humanitaire à l’Auberge des migrants.
« Nous ne laisserons pas installer de nouvelles occupations illicites, mais à chaque fois que les occupations sont défaites conformément à la loi, les effets doivent être récupérés par les intéressés et le seront », a de son côté réaffirmé le chef de l’État aux forces de l’ordre, invitant ceux qui sont témoins d’exactions à saisir la justice : « Que ceux qui assistent à des scènes telles qu’ils les commentent les dénoncent et déclenchent [des] procédures. Ou alors, de fait, ils se rendent coupables de n’être que des commentateurs du verbe, il faut agir. »
En revanche, le président de la République s’est voulu tout aussi clair sur « la réponse de l’État » dans le cas où « les faits dénoncés ne [seraient] pas avérés et [relèveraient] de la diffamation » : « Répondre et, lorsque les conditions juridiques sont réunies, saisir la justice en cas de diffamation ou d’injure, et apporter tout le soutien juridique aux préfets et aux forces de l’ordre. » Fustigeant, sans les nommer, les associations qui « encouragent ces femmes et ces hommes à rester là, à s’installer dans l’illégalité, voire à passer clandestinement de l’autre côté de la frontière », Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « jamais, elles n’auraient l’État à leurs côtés ».
Dans le même temps, il a assuré vouloir continuer à travailler avec tous ceux qui ne propagent pas des « mensonges » en disant aux migrants que la police les attend dans les centres d’accueil. Et pour prouver l’engagement de l’État et sa volonté de travailler en « coopération », il a annoncé que celui-ci prendrait désormais en charge la distribution des repas « de manière organisée, avec des points mobiles, sans tolérer aucune installation de campements illicites ». Un service qui était jusqu’alors assuré par les associations, lesquelles ont salué cette initiative à l’occasion de la rencontre qui s’est déroulée dans la soirée entre certains responsables associatifs, le chef de l’État et les ministres qui l’accompagnaient (Gérard Collomb, Nicole Belloubet, Gérald Darmanin et Benjamin Griveaux).
Là encore, la démarche n’est pas complètement dénuée d’intérêt pour ce président qui entend garder le contrôle sur tout : « Certains utilisent l’aide alimentaire qu’ils apportent pour véhiculer une contre-propagande, a-t-il soufflé en fin de réunion. Ils ne veulent pas que la situation s’améliore par idéologie, par intérêt, peu importe. » Il est tard, ce mardi soir. Emmanuel Macron semble avoir anesthésié tous ses interlocuteurs. Autour de la table, trois associations manquent à l’appel : l’Auberge des Migrants, Utopia 56 et Médecins du monde.
Les deux premières ont décliné l’invitation la veille pour manifester leur désaccord avec la politique migratoire du gouvernement, la troisième le jour même, pour exactement les mêmes raisons, estimant en outre que « le discours tenu par le président à Calais ne [tenait] pas compte de la réalité dont témoignent nombre d’associations ». « Ces réunions sont très souvent utilisées pour justifier une concertation avec les associations alors que ce n’est pas vrai, indique Loan Torondel. Ceux qui ont rencontré le premier ministre à Matignon ont pu constater à quel point le dialogue n’exist[ait] pas. S’il n’y a pas de consultation à Paris, il y a peu de chances qu’il y en ait à Calais… »
Après avoir évoqué la nécessité de revoir le « dispositif dépassé » de Dublin et de renégocier les accords du Touquet – question qui sera au cœur de la rencontre du chef de l’État avec la première ministre britannique Theresa May, jeudi 18 janvier –, l’un des responsables associatifs fait mention des grands absents de la réunion. « Les gens qui ont fait le choix de ne pas être là font aussi le choix de ne pas dialoguer. La bonne volonté trouve ses limites dans la mauvaise volonté de l’autre », balaie Emmanuel Macron en guise de réponse, tandis que la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, en profite pour regretter que certains « utilisent la provocation pour se faire de la publicité ».
Les unes après les autres, toutes les associations présentes autour de la table font part de leur vive opposition à la circulaire du 12 décembre et, plus largement, au projet de loi sur l’asile et l’immigration, attendu en conseil des ministres le 21 février, dont les grandes lignes leur ont été présentées par Matignon quelques jours plus tôt et dont l’orientation n’a aucune chance de changer, comme l’a d’ores et déjà indiqué Gérard Collomb dans Le Parisien. Mardi, le chef de l’État n’est pas entré dans le détail des mesures, laissant simplement comprendre que sur ce point encore, les marges de manœuvre de la société solidaire étaient faibles, pour ne pas dire inexistantes.« La rigueur de votre politique laisse peu de champ à l’apaisement », a regretté le président du Secours catholique, Didier Degrémont, critiquant à son tour cette circulaire qui « piétine, selon lui, la sacralité de l’accueil ». « Vous êtes en train de donner naissance à un mouvement de contestation d’une ampleur unique », a-t-il indiqué à l’adresse d’Emmanuel Macron, qui lui a répondu, en fin d’échanges, qu’il « ne laisserait personne faire de raccourcis ». « Les gens qui parlent de rafles, de police, sont mensongers et indignes du débat », a-t-il glissé, passant sous silence ce large espace de critique qui existe pourtant entre le point Godwin et le chèque en blanc.
Sur le sujet de l’asile et de l’immigration, comme sur beaucoup d’autres, le président de la République reste convaincu de son fait. Il veut être compris, accepté et surtout, suivi. Puisqu’il dit tenir « un langage de vérité », tous ceux qui le contestent sont forcément soupçonnés de mentir un peu, même inconsciemment. Sous couvert de concertation, il ne semble en réalité proposer qu’une alternative : être avec ou contre lui.