Communiqué de l’ONU: la France doit mettre en oeuvre des mesures effectives pour fournir aux migrants l’accès à l’eau

Des experts de l’ONU exhortent la France à mettre en œuvre des mesures effectives pour fournir aux migrants l’accès à l’eau et aux services d’assainissement

GENEVE (4 avril 2018) – Des experts des droits de l’homme de l’ONU* exhortent la France à faire davantage pour fournir de l’eau potable, des services d’assainissement et des abris d’urgence aux migrants et aux demandeurs d’asile de Calais, Grande-Synthe, Tatinghem, Dieppe et d’autres régions de la côte du nord de la France.

Selon les estimations, jusqu’à 900 migrants et demandeurs d’asile à Calais, 350 à Grande-Synthe, et un nombre inconnu dans d’autres régions de la côte nord de la France vivent actuellement sans accès à des abris d’urgence convenables et sans accès régulier à l’eau potable, aux toilettes et aux installations sanitaires.

« Les migrants et les demandeurs d’asile situés le long de la côte du nord de la France et ceux qui ne peuvent pas être accueillis dans le gymnase de Grande-Synthe vivent une situation inhumaine. Ils logent dans des tentes, sans toilettes, et se lavent dans des eaux polluées d’une rivière ou d’un lac, » a dit Léo Heller, le Rapporteur Spécial sur les droits à l’eau potable et à l’assainissement.

« Des efforts ont été faits, mais ils ne sont pas suffisants. Je suis préoccupé que pour chaque pas en avant, nous en faisons deux en arrière. La situation le long de la côte nord de la France est emblématique du besoin d’attention accrue des autorités nationales et internationales à cet égard, » M. Heller a insisté.

Depuis l’an dernier, le gouvernement français met en œuvre des mesures temporaires afin de fournir l’accès à des abris d’urgence, à l’eau potable et aux services d’assainissement pour un certain nombre de migrants et de demandeurs d’asile. Une de ces mesures a été d’embaucher une organisation locale qui fournit l’accès à l’eau potable et à des douches pour les migrants se trouvant le long de la côte nord de la France. Aussi, 200 migrants sont accueillis dans un gymnase à Grande-Synthe.

Les experts de l’ONU ont souligné qu’en l’absence d’alternatives valables pour un accès au logement convenable, y compris dans la région de Calais, le démantèlement des camps n’est pas une solution à long terme. « Nous sommes préoccupés par les politiques migratoires toujours plus rétrogrades et les conditions insalubres dans lesquelles vivent les migrants, » a dit le Rapporteur Spécial sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales.

« Les migrants, indépendamment de leur statut, ont des droits humains, sans aucune discrimination, y compris pour accéder à un logement convenable, à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable et aux services d’assainissement, et aussi au système judiciaire et aux voies de recours. En les privant de leurs droits ou en y empêchant l’accès, la France viole ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, » l’expert a signalé.

Les experts ont aussi lancé un appel à l’action pour arrêter le harcèlement et l’intimidation des bénévoles et les membres des ONG qui fournissent une aide humanitaire aux migrants. Ils exhortent la France à honorer ses obligations et à promouvoir le travail essentiel des défenseurs des droits de l’homme.

Heller abordera le sujet des droits à l’eau potable et aux services d’assainissement pour les personnes déplacées de force dans un rapport à l’Assemblée Générale des Nations Unies plus tard dans l’année.

Les Rapporteurs Spéciaux ont déjà pris contact avec le Gouvernement français afin d’obtenir des précisions à l’égard des sujets mentionnés ci-dessus.

Les experts de l’ONU:  M. Léo Heller Rapporteur spécial sur les droits à l’eau potable et à l’assainissement ; M. Felipe Gonzalez Morales Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants ; M. Michel Forst Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

Le terme « procédures spéciales », qui désigne le plus grand corps d’experts indépendants au sein du système onusien des droits de l’homme, est généralement attribué aux mécanismes indépendants d’enquête et de supervision mis en place par le Conseil des droits de l’homme afin de traiter de la situation spécifique d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent bénévolement ; ils n’appartiennent pas au personnel de l’ONU et ne perçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou de toute organisation et siègent à titre personnel.

Voix du Nord // Ces entreprises qui s’entourent de barbelés pour repousser les migrant.e.s

http://www.lavoixdunord.fr/350236/article/2018-04-03/ces-entreprises-qui-s-entourent-de-barbeles-pour-repousser-les-migrants

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Difficile de ne pas les apercevoir dans les rues du Calaisis, principalement sur les zones Marcel-Doret et Transmarck. En novembre, des barbelés ont été installés au bas des barrières situées autour de la station essence Total dans la zone Marcel-Doret. Financés par l’entreprise, ils ont pour but de dissuader les migrants d’entrer sur le parking.

Depuis plusieurs jours, à certains endroits, des morceaux clôtures et de barbelés ont été coupés vraisemblablement par des migrants. Ce type d’incident surviendrait régulièrement selon les professionnels de la zone Marcel-Doret.

Combien ça coûte ?

L’entreprise Saniez, basée dans le Valenciennois, est un fournisseur de ce type de barbelés. Elle est déjà intervenue à de nombreuses reprises dans le Calaisis, notamment pour l’entreprise Total et Pidou (un vendeur de boissons alcoolisées), zone Transmarck. L’installation autour de la station Total aurait coûté plus d’une centaine de milliers d’euros. Une facture à six chiffres dépensée par Total pour près de 450 mètres de barbelés nommés «  concertina  ».

Hormis ces barbelés, considérés comme «  plus coupants  » et donc «  plus dissuasifs  », l’entreprise Saniez a installé des clôtures hautes de 2,5 mètres et d’autres éléments permettant de soutenir l’ensemble. La facture ? 250 euros le mètre.

Le port de Calais est déjà encerclé par 32 km de grilles haute sécurité de 4 mètres et le tunnel par près de 40 km. Il ne s’agit pas exactement du même type de clôtures mais on peut imaginer l’importance de la facture.

« Très régulièrement, des grilles autour de certaines entreprises sont coupées proprement »

Un salarié de l’entreprise Saniez confirme être «  régulièrement appelé pour des réparations. C’est un problème pour nos clients mais il est évident que pour nous, c’est une bonne chose  ». Il serait régulièrement appelé par des entreprises privées pour des réparations ou des installations.Il existe une quinzaine d’entreprises comme la sienne dans les Hauts-de-France à être sollicitées pour ces installations. «  Parfois dès le lendemain de notre intervention, les grilles sont déjà coupées  ». Un constat confirmé par Philippe Mignonet, adjoint délégué à la sécurité à la mairie de Calais : «  Très régulièrement, des grilles autour de certaines entreprises sont coupées proprement.  »

Comment les barbelés sont-ils coupés?

C’est une question que beaucoup se posent. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il suffit d’une simple pince coupante pour sectionner ces barbelés « concertina ». Selon un employé de l’entreprise Saniez, les migrants sont «  évidemment  » équipés. «  Une fois, j’ai discuté avec des jeunes migrants et ils m’ont expliqué que peu importe les barbelés et les clôtures, ils continueront de passer. On peut comprendre leur motivation, à moins de trente kilomètres de leur rêve  ». Selon lui, les migrants sont équipés de pinces coupantes, voire de petite meuleuse portative pour sectionner ces installations.

Philippe Mignonet dit n’avoir jamais vu un migrant en possession d’une pince ou d’une meuleuse. Selon lui, ils sont approvisionnés par un «  tiers  ». Une version réfutée par Loan Torondel de l’Auberge des migrants. «  Sur les distributions, je n’ai jamais vu d’outils et nous n’en donnons pas. Je pense que les migrants vont simplement dans les magasins de bricolage. Plus largement, je pense qu’avec l’implantation de ces clôtures et barbelés, on veut soigner les symptômes et non pas la maladie. Une chose est sûre, ça continue de passer et personne ne pourra les empêcher, pas même des barbelés  ».

La «bunkerisation» se développe depuis 2015

Dès 2015, on a pu constater la «  bunkerisation  » du Calaisis et du port. À ce moment-là, près de 6 000 migrants s’entassaient à la « jungle » et le nombre d’intrusions sur la rocade et au tunnel sous la Manche s’intensifiait. Durant l’été 2015, au nom de la sécurité du Tunnel sous la Manche, 66 ha de végétation avaient été «<UN>débroussaillés<UN>» sur le gigantesque site du lien fixe transmanche. Parallèlement, 37 ha de végétation avaient été enlevés par SNCF Réseau, aux abords du Tunnel.

Dans le même temps, 40 km de clôtures haute sécurité de 4 mètres de hauteur et 500 caméras de surveillance avaient été installées, juste avant l’inondation des terrains. Sur la rocade portuaire, les premières grilles anti-intrusions ont été installées en avril 2015. Depuis, 32 km de grilles haute sécurité et 129 caméras ont été installées autour du port. En supplément de ces installations, un mur végétalisé autour de la rocade et des kilomètres de barbelés et de clôtures ont été installés dans le Calaisis.

Voix du Nord// Jeune homme décédé à la frontière


http://lavdn.lavoixdunord.fr/346621/article/2018-03-29/le-migrant-de-16-ans-renverse-vendredi-est-decede#

Le migrant de 16 ans renversé vendredi est décédé

Vendredi vers 17 h, un migrant, d’origine érythréenne âgé de 16 ans, a été retrouvé grièvement blessé sur la bande d’arrêt d’urgence de la rocade portuaire. Au vu de ses nombreux traumatismes, les médecins avaient décidé de le placer dans le coma. Il est décédé ce mercredi matin au centre hospitalier de Lille où il avait été transféré. Une autopsie aura lieu ce jeudi matin pour déterminer les causes exactes de sa mort.

On ne connaît toujours pas les circonstances de l’accident mais les premiers éléments tendaient vers une possible chute d’un poids lourd, aujourd’hui introuvable. Une autre hypothèse est imaginée : une collision avec un véhicule qui circulait sur la rocade portuaire. Il s’agit du troisième décès d’un migrant (deux accidents, un meurtre) en 2018 dans le Calaisis.

 

Le monde // Migrant.e.s à Calais, la majorité des gens sont en souffrance psychologique

> > http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2018/04/02/migrants-a-calais-la-majorite-des-gens-sont-en-souffrance-psychologique_5279651_3224.html

La très grande précarité des conditions de vie des exilés présents dans le Calaisis affecte leur santé psychique, dont la prise en charge demeure complexe.

LE MONDE | 02.04.2018 à 16h09 | Par Anne Guillard

 « On pourrait en distribuer cent litres, tout partirait. » Il fait 5 °C ce jeudi du mois de mars, rue des Verrotières, dans la zone industrielle des Dunes, à Calais, et Christophe, ambulancier bénévole, constate que les thermos de thé sont déjà vides. Médecins du monde (MDM) a installé, comme trois après-midi par semaine, un chapiteau sous lequel les migrants peuvent patienter avant de rencontrer un médecin qui consulte dans une ambulance faisant office de clinique mobile, ou faire une pause avec des membres de l’équipe de coordination et des bénévoles dans un autre véhicule aménagé à cet effet.

Abris détruits, violences au quotidien, isolement, errance… les exilés de retour à Calais après le démantèlement de la « jungle » à la fin d’octobre 2016 – entre 300 et 600 personnes selon les sources – vivent dans une grande précarité. Ces conditions de vie affectent leur santé : associations et professionnels de santé font état de pathologies psychosomatiques (eczéma, insomnies, etc.), de troubles anxio-dépressifs, de stress traumatique et post-traumatique, ainsi que d’une augmentation des addictions. « Surtout l’alcool, par ennui, par manque de perspective », dit le docteur Philippe Legrand, psychiatre addictologue au centre hospitalier de Calais.

Une action en santé mentale

C’est pourquoi, face à l’absence de lieux sûrs et repérables pour mener des actions comme le faisait l’ONG au sein du camp, MDM a relancé au début d’octobre 2017 une action en santé mentale. « Nous avons identifié des besoins », explique Chloé Lorieux, responsable de ce programme sur le littoral. Les violences subies dans le pays d’origine (tortures, viols), sur le parcours d’exil qui dure entre un et quatre ans – « beaucoup sont passés par la Libye » –, puis l’impasse à Calais font que « la majorité des gens sont en souffrance », souligne Chloé Lorieux, qui n’a « jamais connu une situation si difficile ».

« Ils ne se sentent jamais en sécurité et sont dans un état de vigilance permanent »

« Tous les besoins fondamentaux (dormir, se laver…) sont compliqués. On voit ces jeunes face à un mur se désespérer », relève Miriam, l’une des deux art-thérapeuthes, avec Naomi, d’Art Refugee UK, une ONG partenaire de Médecins du monde, présentes deux fois par semaine dans la ville portuaire. « Ici, ils ne se sentent jamais en sécurité et sont dans un état de vigilance permanent », dit Naomi.

Le docteur Philippe Legrand, qui est par ailleurs médecin coordinateur d’une équipe mobile psychiatrie précarité (EMPP) créée il y a quatre ans à la demande de l’autorité régionale de santé (ARS) et qui s’adresse à tous les précaires, dénonce une situation « plus dure qu’auparavant. Ils [les exilés] n’ont plus de place dans la ville ».

Lui qui a travaillé dix ans en Afrique pour Médecins sans frontières (MSF), dans les années 1990, estime « plus difficile de s’occuper de migrants que de séropositifs dans les bidonvilles de Nairobi ».

« Je ne rencontrais pas des gens aussi désespérés qu’ici. Ils mettent tous en avant l’indignité de leurs conditions de vie ; ce qui n’était pas le cas à Nairobi, même si les gens vivaient dans un extrême dénuement. »

Augmentation des addictions

Les associations sont seules sur le terrain pour repérer les personnes en souffrance. Avec son dispositif mobile, MDM cherche à accompagner les exilés, sans se substituer au droit commun, faute de moyens.

L’ONG leur propose des activités psychosociales « afin d’éviter que la souffrance ne se “chronicise”, d’étayer ce qui peut l’être, de repérer les souffrances les plus importantes, les conduites à risques (scarification, mutilation, consommation importante de cannabis, idées suicidaires…) », précise Chloé Lorieux.

« Ces activités permettent de créer du lien social et d’offrir si besoin une première écoute (évaluation de la demande et soutien) auprès de bénévoles psychologues ou soignants en santé mentale. »

 Le médecin hospitalier à la retraite présent ce jeudi témoigne « avoir vu beaucoup de mineurs, très tristes et très fermés ». Ils sont entre quinze et vingt à consulter lors de chaque vacation de MDM, principalement des jeunes hommes soudanais, érythréens et afghans. Sans interprètes, les entretiens se déroulent en anglais quand c’est possible.

« On essaye de proposer une prise en charge »

Les personnes sont ensuite orientées vers des structures de soins, essentiellement la permanence d’accès aux soins de santé (PASS), dont les préfabriqués jouxtent l’hôpital. Destinée aux personnes privées de droits sociaux, celle de Calais reçoit à 95 % des migrants, trente à trente-cinq quotidiennement. Elle dispose d’un interprète afghan qui parle six langues, mais pas l’oromo (Ethiopie), ni le tigrigna (Erythrée), pourtant très représentées.

« Peu de psychoses (…), mais beaucoup de stress traumatiques »

Après avoir vu un médecin, certains seront reçus par une psychologue, laquelle, lors de ses trois vacations par semaine, voit un à deux patients par jour. Il s’agit de « ne pas toujours dire “j’ai mal à la tête”, “j’ai mal au ventre”, mais de tenter de les faire verbaliser », explique le médecin coordinateur de la PASS, le docteur Mohamed El Mouden, qui rapporte « peu de psychoses (entre cinq et dix par an), qui nécessitent une hospitalisation, mais beaucoup de stress traumatiques ». « On essaye de proposer une prise en charge à ces patients qui sont dans l’immédiateté et qui ne se projettent pas en France », dit encore cet urgentiste.

« Sans médicaments, par l’écoute seulement, on parvient à améliorer l’état des personnes, assure le docteur Legrand. Mais l’acceptabilité, l’errance de ces gens font qu’ils ont du mal à rentrer dans le droit commun. »

Un accès aux soins chaotique

Délais, prises de rendez-vous, accompagnement, interprétariat… l’accès aux soins demeure chaotique chez une population très mobile.D’autant qu’à Calais, « l’énergie » de la majorité des exilés « est focalisée sur le transit », rappelle Chloé Lorieux. « Quand quelqu’un dit “ma priorité est de partir en Angleterre”, tout le reste est secondaire », souligne le docteur El Mouden.

Comme l’observe Richard Fusil, psychologue clinicien, qui a travaillé à la PASS de 2013 à 2015, « la dimension psychiatrique se tait quand il s’agit d’abord de survivre ». Elle se fera jour quand la personne va devoir déconstruire son projet migratoire après plusieurs mois de tentatives de passage infructueuses, ou lorsqu’elle parvient en Angleterre et que la tension se relâche.

Le docteur Legrand évoque ces réfugiés statutaires ou demandeurs d’asile, qui, faute d’accompagnement, vivent à la rue, « enlisés », et présentent des symptômes dépressifs. Ainsi ce Soudanais, « en état de stress post-traumatique », qui s’est accroché à l’alcool et auquel on tente de proposer un sevrage. Le psychiatre ou le médecin « ne peut rien », selon lui, « sans un accompagnement social cohérent et complet » en parallèle (apprentissage du français, accès au logement, à la formation).

« Manque d’un espace de coordination de veille sanitaire »

Le député La République en marche (LRM) Aurélien Taché, missionné par Emmanuel Macron sur le volet de l’intégration, propose un plan d’action national pour soigner le stress post-traumatique. « Un enjeu de santé publique », selon le directeur du Comité pour la santé des exilés, Arnaud Veïsse, et auteur d’une étude parue en septembre 2017 sur les troubles psychiques des migrants.

Chloé Lorieux plaide pour une nouvelle veille sanitaire à Calais réunissant les différents acteurs de la santé mentale sous l’égide de l’ARS, comme au temps du camp de la Lande. Elle estime qu’il « manque un véritable espace de coordination ».

Sur le terrain, ce jeudi, quelques dizaines de tentes étaient alignées le long du terrain vague et dans le bois qui bordent la rue des Verrotières. Elles ont été démantelées le lendemain matin par les forces de l’ordre pendant la distribution des repas assurés par l’Etat, quelques rues plus loin. Une situation dénoncée par les associations.

Fin de la grève à la CNDA

Cour nationale du droit d’asile : fin de la grève après 28 jours de mobilisation

Face à « l’impasse des négociations », l’intersyndicale a signé lundi un protocole de sortie de grève. Les agents dénoncent leurs conditions de travail et la future loi asile-immigration.

Le Monde | • Mis à jour le

Rassemblement contre la future loi asile-immigration à
            Paris, le 21 février 2018.

La grève, historiquement longue, des rapporteurs à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a pris fin lundi 12 mars après vingt-huit jours de mobilisation visant à dénoncer leurs conditions de travail, ainsi que celle des avocats, qui menaient leur propre mouvement, a annoncé l’intersyndicale.

« Après vingt-huit jours de grève, face à l’impasse des négociations et à la stratégie d’épuisement des directions de la Cour et du Conseil d’Etat, les agents ont finalement décidé de signer un protocole de sortie de grève, pourtant largement insuffisant », écrit l’intersyndicale dans un communiqué.

Lire notre reportage :   A la Cour nationale du droit d’asile, une grève contre la future loi immigration

Si elle reconnaît « certaines avancées », elle estime toutefois « qu’aucune solution sur les revendications essentielles » portées par les agents durant le mouvement de grève n’a été apportée.

« Carences des politiques publiques »

Dénonçant « l’absence de véritable projet de juridiction » et « des carences des politiques publiques concernant la CNDA », l’intersyndicale prévient que « les agents poursuivront leur mobilisation afin que des solutions concrètes soient apportées dans les meilleurs délais ».

Les rapporteurs de la CNDA dénonçaient des conditions de travail « au rabais » et une « politique du chiffre », alors que la Cour a rendu 47 814 décisions en 2017.

En grève depuis le 13 février pour dénoncer le projet de loi asile-immigration porté par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, les avocats déploraient quant à eux la diminution du délai pour déposer sa demande, la réduction du délai pour exercer son droit à recours, l’absence de caractère suspensif de la plupart des recours, la multiplication des décisions rendues par ordonnance et le recours à la visioconférence.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/03/13/cour-nationale-du-droit-d-asile-fin-de-la-greve-apres-28-jours-de-mobilisation_5270140_3224.html#rvESQ1cyKkmWlkDd.99

Ouistreham – Policiers municipaux et gendarmes ordonnent le démontage des tentes

https://actu.fr/normandie/ouistreham_14488/migrants-ouistreham-policiers-municipaux-gendarmes-ordonnent-demontage-tentes_15765956.html

Vendredi 2 mars 2018, par crainte de les voir détruits, des bénévoles du CAMO ont dû retirer rapidement tentes et duvets servant à abriter les migrants de Ouistreham.

Ce vendredi 2 mars 2018, les bénévoles ont dû rapidement ramasser duvets et tentes des migrants avant que les policiers municipaux de Ouistreham et gendarmes ne les brûlent. (©DR)

 

Il est 14h30 environ ce vendredi 2 mars 2018… Les bénévoles du CAMO (collectif d’aide aux migrants de Ouistreham) terminent leur distribution de nourriture aux jeunes Soudanais échoués dans la cité balnéaire de Ouistreham-Riva-Bella quand gendarmes et policiers municipaux interviennent.

Les objets abandonnés doivent être évacués

Les forces de l’ordre agissent en vertu d’un arrêté municipal indiquant que « les objets abandonnés sur la voie publique doivent être évacués par les services municipaux… » C’est la version officielle de l’action, confirmée ce vendredi en fin d’après-midi par le directeur de cabinet de Romain Bail. Evacuer les déchets abandonnés sur les trottoirs ou sur la plage par des touristes et promeneurs peu scrupuleux ; cela se comprend, c’est la mission du service public municipal. Mais de là à considérer que des tentes, des duvets et des couvertures utilisés par les malheureux migrants sont à classer de la même manière il y a une marge…
C’est en tout cas ce que les bénévoles du CAMO veulent dénoncer, en précisant que l’intervention des gendarmes et policiers municipaux était ferme mais sans violence !

Ce vendredi 2 mars 2018, les bénévoles ont dû rapidement ramasser duvets et tentes des migrants avant que les policiers municipaux de Ouistreham et gendarmes ne les brûlent. (©DR)

Pour éviter que tout ne soit mis dans la benne puis brûlé, nous nous sommes empressés de tout démonter pour remplir nos coffres de voiture…, raconte l’une des personnes présentes au moment de l’intervention. La question est de savoir comment faire maintenant, parce que le gymnase de Colleville et la salle paroissiale qui ont servi d’abri depuis lundi dernier sont fermés ce soir.

Alors quand ils lisent les déclarations du maire qui explique que « personne ne dort dehors à Ouistreham » en réaction à l’ouverture d’un gymnase à Colleville-Montgomery, ça fait bondir les bénévoles.

Lire aussi : 

Un arrêté municipal difficile à trouver

Demandé, ce vendredi soir, au directeur de cabinet du maire, il semble curieusement très compliqué de fournir l’arrêté municipal concerné. « Le maire et le DGS sont occupés… en commission des finances », répond le directeur de cabinet, Charles Perrot-Durand.
Ce type de document étant pourtant un document justement destiné à être publié afin d’être connu de tous et donc… respecté.

Mardi 20 février 2018, a déjà été filmée une intervention de gendarmes mobiles qui éteignent un feu dans un sous-bois à Ouistreham.

Bondy Blog // La présidente de la CNCDH sur la loi asile et immigration

 

http://www.bondyblog.fr/201802230745/christine-lazerges-le-projet-de-loi-sur-limmigration-rend-les-procedures-encore-plus-difficiles-pour-les-plus-vulnerables/#.WpL6F3wiHIU

Christine Lazerges : « Le projet de loi sur l’immigration rend les procédures encore plus difficiles pour les plus vulnérables »

Pour la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, une autorité administrative indépendante, le projet de loi asile et immigration du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, vise avant tout à contenter une partie de l’opinion publique. Ce texte, présenté hier en conseil des ministres, sera débattu en avril au Parlement.

Le Bondy Blog : Fallait-il un nouveau texte de loi sur l’immigration, après celui du 7 mars 2016 (relatif au droit des étrangers en France) et celui du 29 juillet 2015 (relatif à la réforme du droit d’asile) ?

Christine Lazerges : Ce texte de loi est parfaitement inutile. Ce n’est pas seulement moi qui le dis et la CNCDH, c’est le Conseil d’Etat, le monde associatif en son entier, un certain nombre d’institutions comme le Défenseur des droits, des historiens, des juristes, des philosophes. Ce texte a une fonction purement déclarative. Il s’agit pour ses promoteurs de répondre à une demande d’une partie de l’opinion française, hostile aux migrants, qui représente dans les sondages 66% de la population (66% des Français sondés par l’institut Elabe publié le 18 janvier 2018 jugent la politique migratoire et d’asile “trop laxiste”, ndlr).

Le Bondy Blog : Le projet de loi prévoit de réduire de 120 à 90 jours le délai, à compter de l’entrée sur le territoire, pour déposer une demande d’asile en préfecture. Quelles conséquences cela va-t-il avoir pour les demandeurs d’asile ?

Christine Lazerges : Il est difficile dans beaucoup de préfectures de France d’arriver à déposer simplement sa demande d’asile. Le délai est réduit considérablement. Il tombe même à 60 jours en Guyane, alors que les services administratifs sont encore plus engorgés que sur le territoire métropolitain. Or, une fois ce délai expiré, plus rien n’est possible pour le migrant présent sur le territoire de la République. Là où le dispositif dysfonctionne le plus aujourd’hui, c’est dans cette phase avant l’examen par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et donc avant l’examen d’un éventuel recours par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Le projet de loi prévoit très peu de choses sur cette phase, sur l’accueil du migrant, son hébergement et le dépôt de la demande d’asile. Il faut, non pas un nouveau texte, mais mettre des moyens dans les préfectures pour que les étrangers puissent déposer leur demande d’asile dans les trois jours. Aujourd’hui, en moyenne, ce n’est pas possible avant un mois. Et souvent, c’est deux mois, voire trois mois ou plus.

Le Bondy Blog : Le texte prévoit une réduction des délais d’examen des demandes d’asile à six mois, contre 14 en moyenne aujourd’hui en cas de recours. N’est-ce pas une avancée ?

Christine Lazerges : On ne peut que souhaiter que la procédure soit relativement courte, et plus courte qu’aujourd’hui. Mais on ne peut pas souhaiter que le délai d’appel entre une décision négative de l’Ofpra et le recours devant la CNDA soit réduit. Or, ce délai était d’un mois et il tombe à 15 jours. 15 jours pour constituer un dossier, trouver l’interprète, etc. Et il faut en premier lieu que la personne ait bien eu connaissance de la décision rendue. C’est un délai ridiculement court, avec pour seul objectif de diminuer de façon drastique les appels devant la Cour nationale du droit d’asile. Par ailleurs, le texte comprend une autre mesure très régressive : certains appels ne seront pas suspensifs, donc la personne pourra être reconduite à la frontière, si son pays d’origine est sûr. Or, rien n’est plus mouvant que le caractère sûr d’un pays.

“Nous n’avons pas besoin de nous aligner sur ce qui se fait de pire chez nos voisins européens”

Le Bondy Blog : La durée maximale de rétention administrative pourrait aller jusqu’à 135 jours, contre 45 aujourd’hui. Le ministère de l’Intérieur précise qu’il s’agit de s’aligner sur nos voisins européens. Devons-nous suivre leur exemple ?

Christine Lazerges : Nous n’avons pas besoin de nous aligner sur ce qui se fait de pire chez nos voisins européens. On ferait mieux de s’aligner sur ce qu’il y a de mieux, comme l’octroi de l’asile en Allemagne, beaucoup plus généreux qu’en France. Le délai de 135 jours est extrêmement long et dans des conditions qui ne sont pas acceptables pour un pays comme la France. Les centres de rétention administratifs (CRA) sont le plus souvent des constructions extrêmement modestes, voire des baraquements. Si on peut y passer trois mois, voire plus dans certains cas, nous mériterons des condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme. Nos voisins européens qui prévoient de longues durées de rétentions ont en général des centres qui ne ressemblent pas du tout aux nôtres.

Le Bondy Blog : Ce projet de loi comporte-t-il malgré tout des mesures positives, selon vous ?

Christine Lazerges  : Oui, concernant les étudiants étrangers et le renouvellement du séjour. Les personnes étrangères sur le territoire, en situation régulière, sont tenues à un renouvellement fréquent de leurs papiers, tous les ans ou les deux-trois ans, selon les cas. Ce renouvellement sera moins fréquent. Et pour les étudiants étrangers, ce sera beaucoup plus facile. Le projet de loi est une avancée pour ceux que l’on qualifie de “talents “. Sur ce point-là, c’est un progrès dont on doit se féliciter. Mais pour les plus vulnérables, il rend les procédures encore plus difficiles. C’est donc une avancée uniquement pour l’élite intellectuelle ou sociale des migrants.

Le Bondy Blog : Quelle politique en matière de droit d’asile la France devrait-elle donc mener ?

Christine Lazerges : Si la France veut continuer à se présenter comme le pays des droits de l’Homme, il faut évidemment des moyens dans l’accueil, dans l’hébergement, mais aussi en préfecture. Et plus d’officiers de protection à l’Ofpra pour réaliser des auditions, surtout si on veut aller plus vite. Il faut également plus de rapporteurs à la CNDA. D’une manière générale, nous devrions avoir une interprétation plus large de la Convention de Genève sur le droit d’asile. Nous ne faisons pas partie des pays qui accordent ce droit facilement. Il n’est octroyé que pour des raisons politiques, quand le demandeur d’asile est en danger dans son pays d’origine. Or, sans forcément qu’il y ait une guerre dans le pays d’origine ou des cas de torture, on trouve souvent des situations de dénuement qui s’apparentent à des traitements inhumains.

Propos recueillis par Thomas CHENEL

La Cimade // Projet de loi asile et immigration: décryptage d’un texte dangereux

Communiqué de presse – 19 février 2018

Alors que le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, va présenter en Conseil des ministres le 21 février 2018 le nouveau projet de loi asile et immigration, La Cimade analyse ce texte dangereux qui consacre un très net recul pour les droits des personnes étrangères en France.

La Cimade a décrypté l’intégralité du texte, et le constat est accablant : hormis de rares mesures de protection favorables, les garanties et droits fondamentaux, notamment le droit d’asile, sont bafoués, des dérogations majeures au droit commun sont consenties, et une accentuation de la maltraitance institutionnelle est rendue possible.

« Ce texte, rédigé par le ministère de l’intérieur sans consultation réelle des acteurs associatifs de terrain, représente une chute vertigineuse des droits des personnes réfugiées et migrantes en France. Étant donné la philosophie générale du projet de loi et son manque d’équilibre flagrant, il ne s’agit pas d’ajustements techniques ou de modifications cosmétiques, mais d’un retrait de ce projet de loi que nous réclamons », a déclaré Jean-Claude Mas, secrétaire général de La Cimade.

Principale association française de solidarité active avec les personnes réfugiées et migrantes, La Cimade déplore les choix faits par le gouvernement et le président Emmanuel Macron. Parmi les propositions qui vont dégrader la situation d’un grand nombre de personnes réfugiées et migrantes :
• La réduction du délai de recours devant la CNDA de 30 à 15 jours ;
• L’allongement de la durée de la rétention administrative jusqu’à 135 jours ;
• Le bannissement des personnes étrangères et la systématisation des interdictions de retour sur le territoire français;
• La pénalisation de l’entrée sur le territoire français en dehors des points de passage autorisés (passible d’une peine d’un an de prison et d’amendes).

Pour La Cimade, ce projet de loi porté par Gérard Collomb n’est pas un « acte » isolé, mais une amplification d’une politique migratoire brutale qui se traduit par des refoulements quotidiens à la frontière italienne, des pratiques abusives ou illégales en rétention, des violences et confiscations de biens pour les personnes migrantes à la rue, la pénalisation des personnes solidaires, etc.

La Cimade appelle les citoyennes et les citoyens à la mobilisation contre ce projet de loi en interpellant leurs députées et députés.

> Télécharger le document de décryptage de La Cimade.

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Contact presse
Rafael Flichman : 01 44 18 72 62 – 06 42 15 77 14 –
rafael.flichman@lacimade.org

Communiqué inter-associatif à la frontière franco italienne

Frontière franco-italienne : associations et avocat·e·s se mobilisent pour le respect du droit d’asile et la protection des enfants étrangers

[Communiqué interassociatif]

Lundi 19 février 2018

Pendant deux jours, les 17 et 18 février, des associations et des avocats sont intervenus à la frontière entre la France et l’Italie pour permettre aux personnes se présentant à la frontière française d’exercer leurs droits, conformément à ce que prévoient le droit français, le droit européen et le droit international.

 

Les représentants d’associations françaises mais également italiennes, ainsi que des avocats exerçant en France comme en Italie (venant de Nice, Lyon, Paris, Toulouse, Milan, Gênes et Turin), ont observé la situation à la frontière et assisté des personnes illégalement refoulées de France, pour qu’elles fassent valoir leurs droits devant le tribunal administratif de Nice. Ce dernier a été saisi de 20 cas de refoulements d’enfants non-accompagnés.

 

Cette opération d’envergure a été rendue nécessaire car les autorités françaises continuent de bafouer les droits des personnes qui franchissent la frontière pour rejoindre le territoire français, en dépit de plusieurs condamnations de leurs pratiques par la justice française.

 

Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures décidées par le gouvernement français fin 2015, et renouvelé régulièrement jusqu’à ce jour, ne peut justifier de porter atteinte à des principes aussi fondamentaux que la protection des droits de l’enfant, la prohibition de la privation arbitraire de liberté ou encore le droit de solliciter l’asile.

 

Pourtant, les autorités françaises continuent de refouler chaque jour des enfants étrangers isolés en Italie en violation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. De nombreuses personnes ne sont pas mises en mesure de pouvoir solliciter l’asile en France, compte tenu des conditions illégales de renvoi qui leurs sont appliquées.

 

En parallèle, des membres des associations ont mené un travail d’observation pendant tout le week-end à la gare de Menton Garavan et devant le local de la police aux frontières de Menton Pont Saint-Louis. Ils ont notamment pu constater la privation de liberté de 36 personnes dans ce local dans la nuit du samedi à dimanche, pendant une durée pouvant aller jusqu’à 12 heures. Cet enfermement aux mains des autorités de police dépasse ce qui est légalement admissible et s’opère dans des conditions indignes, sans aucun accès à un avocat, à un interprète, à un médecin ou à un téléphone en violation des textes législatifs et de la jurisprudence du Conseil d’Etat du 5 juillet 2017.

 

Les organisations signataires continuent d’interpeller le gouvernement français pour qu’il porte un coup d’arrêt immédiat aux pratiques illégales qui se produisent très fréquemment sur notre territoire à la frontière avec l’Italie, en matière d’accueil des demandeurs d’asile et des mineurs isolés. Le Gouvernement doit respecter les législations française et européennes, ainsi que le droit international pour que les personnes qui franchissent la frontière ou s’y présentent voient leur situation examinée dans le parfait respect de leurs droits.

 

 

Liste des organisations signataires

 

France

Amnesty International France

L’Anafé

L’ADDE

La Cimade

Médecins du Monde

Médecins sans frontières

Secours Catholique Caritas France

AdN Association pour la Démocratie à Nice

Citoyens Solidaires 06

DTC-Défends ta citoyenneté

LDH Nice

OXFAM France

Pastorale des migrants du diocèse de Nice

Roya Citoyenne

Syndicat des Avocats de France

Tous Citoyens !

 

Italie

ASGi

Diaconia Valdese

Intersos

OXFAM Italie

Terre des Hommes Italie

WeWorld Onlus

 

 

 

 

* Les associations ont observé, du 26 au 28 novembre 2017, environ 150 personnes refoulées en Italie depuis le local de la Police aux frontières de Menton sans qu’elles aient pu avoir accès à la procédure d’asile, et une trentaine d’enfants étrangers remis dans le train vers Vintimille sans aucune mesure de protection.

 

** Source: Harmful Borders: An analysis of the daily struggle of migrants as they attempt to leave Ventimiglia for northern Europe, by Médecins Sans Frontières. http://fuoricampo.medicisenzafrontiere.it/

Médiapart // A Calais, les routes de la mort pour les migrant.e.s

https://www.mediapart.fr/journal/france/180218/calais-les-routes-de-la-mort-pour-les-migrants?onglet=full

Par Elisa Perrigueur

Il se prénommait Biniam. Âgé de 22 ans, il fuyait l’Érythrée et il est mort le 9 janvier percuté sur l’autoroute, près du port de Calais en tentant de passer en Angleterre. Son frère réfugié en Allemagne est venu chercher son corps. Il a découvert, stupéfait, la violence que vivent les migrants. Ils sont trente-sept, depuis 2015, à avoir perdu la vie en tentant de franchir la forteresse de la frontière de Calais.

Calais (Pas-de-Calais), envoyée spéciale.– L’aube se levait sous zéro degré, l’air glacial brûlait les doigts ce 9 janvier 2018. Biniam L. était seul le long du bitume lisse de l’A16, des arbres morts pour compagnons. Selon les rares témoignages de ses proches interrogés par la police, le jeune migrant avait probablement « essayé » toute la nuit. « To try, essayer » : c’est-à-dire monter dans les camions qui filent vers l’Angleterre.

« We try, we try every day and night », « nous essayons jour et nuit », répètent-ils lorsqu’ils décrivent leur quête obstinée. Biniam avait fini par se glisser dans l’un de ces poids lourds sans être repéré. Pour cet Érythréen de 22 ans, c’était probablement un premier soulagement.

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Le camion devait ensuite rejoindre le port de Calais. Biniam aurait alors retenu sa respiration, immobile, planqué au fond de la cargaison lorsque le poids lourd a pénétré cette forteresse entourée de 39 kilomètres de grillage. Il aurait croisé les doigts pour que le camion soit l’un de ceux épargnés par les contrôles douaniers français puis anglais, les chiens renifleurs ou le scanner qui détecte la présence humaine… Le jeune voyageant sans papiers, sans bagage, juste des couches de vêtements pour tenir contre le froid, aurait enfin atteint l’Angleterre qu’il désirait tant.Mais ce 9 janvier, le camion de Biniam n’a finalement pas emprunté la direction de son eldorado. À un embranchement de l’A16, il a roulé à l’opposé vers Dunkerque. Dans la panique, Biniam a voulu descendre sur cette autoroute où les voitures foncent à 130 km/h. Sa tête a heurté le sol, un autre poids lourd est arrivé, d’après l’association Auberge des migrants qui a rencontré la police après les faits. Les camions sont partis et beaucoup de zones d’ombre planent toujours autour des dernières minutes de sa vie.

Binam L. est l’un des derniers migrants victimes de la frontière franco-britannique. En un mois, entre décembre 2017 et janvier 2018, deux Afghans sont décédés, comme lui, sur les routes du Nord en voulant gagner la Grande-Bretagne : Hussein Abdoullah, 32 ans et Abdullah Dilsouz, 15 ans. « Depuis 2015, il y a eu trente-sept migrants décédés à Calais, détaille la préfecture du Pas-de-Calais. Le nombre le plus élevé date de 2015 et 2016 [respectivement dix-huit et quatorze décès au moment du camp de la “jungle” à Calais – ndlr]. La grande majorité sont des accidents de la route. »

Maël Galisson, coordinateur de la Plate-forme de services aux migrants, est remonté plus loin dans le temps. « Depuis 1999, on estime qu’au moins 170 personnes sont décédées en tentant de franchir cet espace frontalier », précise ce bénévole qui a établi une liste des victimes. Elles meurent surtout sur l’A16, l’A26, la rocade portuaire… Toutes ces routes qui mènent à Calais, son port et son tunnel, portes d’entrée de la Grande-Bretagne.

Ce n’était pas forcément sa destination finale, mais Biniam avait fini par voir l’Angleterre comme seule échappatoire. « Il n’avait pas de “rêve” comme on dit, il voulait juste un pays où on voulait bien de lui », résume, écœuré, son frère Bereket, arrivé en urgence à Calais au lendemain de sa mort. Le jeune Érythréen de 26 ans est venu à ses frais depuis l’Allemagne, avec son cousin et son oncle de Norvège. La veille, il « n’y a pas cru » quand il a reçu un appel d’un ami l’informant que son jeune frère était mort sur une route en France.

Bereket n’avait jamais entendu parler des barrages, des passages dans les poids lourds, dont les réfugiés parlent peu. Passé par l’Italie, il connaissait la traversée de la Méditerranée en bateau, pas celle de la Manche en camion. Bereket raconte avec peine son frère Biniam, « si jeune pour mourir ». Ce dernier est parti de leur village d’Érythrée il y a un an et demi, fuyant le service militaire.

Biniam avait laissé derrière lui ses parents et l’avait rejoint en Allemagne. « J’ai obtenu des papiers près de Stuttgart et je travaille aujourd’hui en Allemagne, je commençais à avoir une vie stable. Sa demande d’asile à lui a été rejetée, je ne comprends pas pourquoi », explique Bereket, qui se sent presque coupable. Biniam avait fait appel en Allemagne. Deuxième refus. En novembre, avec un groupe d’Érythréens, il avait alors rejoint Calais et ses 550 à 800 migrants (chiffres respectifs de la préfecture et des associations) qui survivent le plus souvent dans les bois.

Les quelques amis de Biniam que Bereket a rencontrés parlent peu. Son jeune frère, comme eux, semblait être une ombre lors de son escale à Calais. Loan Torondel, de l’Auberge des migrants, qui a accueilli son frère, n’avait « jamais croisé » Biniam aux distributions de repas quotidiennes. « Un mois ici, ce n’est pas beaucoup pour passer dans les camions. Souvent, les migrants mettent des mois avant d’y arriver, pour ceux qui y parviennent », dit-il.

Calais est un « mur », un « mirage », a insisté le ministre de l’intérieur Gérard Collomb, le 2 février. Pas pour eux : de la plage bordée de chalets, ils peuvent apercevoir les côtes anglaises à une trentaine de kilomètres. La Grande-Bretagne, c’est leur espoir. En face, certains migrants ont des proches qu’ils veulent rejoindre. D’autres rêvent du système économique britannique où le taux de chômage est plus bas (environ 4 %) et où ils espèrent travailler au noir. D’autres enfin sont des « dublinés », qui ont des empreintes dans un autre pays d’Europe. Ils voudraient parfois rester en France, mais disent craindre des renvois.

Jusqu’à dix mille euros le passage

Pour franchir la Manche, ils ont peu d’options. La Grande-Bretagne veut rendre la frontière étanche. Cent quarante millions d’euros ont été octroyés depuis trois ans pour des équipements de surveillance et de sécurité. Et une nouvelle rallonge de 50,5 millions d’euros, annoncée le 18 janvier par Emmanuel Macron et Theresa May, sera destinée à l’éloignement des migrants, leur hébergement (hors de Calais), le renforcement de la sécurité du port et de la gare de Calais, souligne le quotidien local La Voix du Nord.

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Alors, les plus fortunés font appel aux passeurs. Ils réclament 1 500 à 10 000 euros pour dissimuler les migrants dans les camions, sur des parkings qu’ils gardent comme leurs « territoires ». Un différend concernant ces aires pourrait être à l’origine de la rixe qui a fait vingt-deux blessés dont quatre graves par balles, le 1er février dernier. D’autres tentent les barrages routiers. Se cachant le long des autoroutes, ils guettent les poids lourds, s’emparent d’objets encombrants pour créer des obstacles. Stratégie très dangereuse pour eux, mais aussi pour les conducteurs. En juin 2017, un chauffeur polonais a percuté un poids lourd bloqué par un barrage artisanal sur l’A16. Il est décédé dans l’incendie de son véhicule.Enfin, il y a les exilés qui tentent de monter seuls, comme l’a probablement fait Biniam, ce 9 janvier. Le Camerounais Eupui, qui reste depuis 2016 dans la zone industrielle des Dunes (lieu de l’ancienne “jungle”), raconte ces tentatives acharnées « qui [lui] permettent de tenir », dit-il en français. « Je dors trois heures et j’essaye. Dès que je vois un camion qui ne roule pas trop vite, même une voiture, je vois si je peux monter dans le coffre. » Souvent, Eupui se cache « près des virages des autoroutes », où « les véhicules ralentissent toujours ». Du haut de ses 19 ans, il l’assure : « Je n’ai pas peur. J’ai vécu bien pire, j’ai traversé le Sahara dans des conditions horribles pour venir. Je n’ai plus rien à perdre. Je me suis blessé au genou, mais tant pis. »

Biniam, lui, « ne se rendait pas compte des risques », estime son frère Bereket. « Je lui ai parlé trois semaines avant sa mort. Il me disait que tout allait bien pour lui en France. Mais il m’avait menti, il ne m’avait pas dit qu’il était à Calais. Si j’avais su, je lui aurais dit de fuir cet endroit dangereux. »

Bereket se dit « déçu » de cette France, qu’il voit « pour la première fois ». Épaulé et hébergé par les associations locales, comme le Réveil voyageur, le Secours catholique… qui prennent en charge les familles des défunts, il se sent perdu. « On ne rencontre pas beaucoup de responsables, de politiques, comme si la mort de Biniam n’avait pas d’importance », se révolte l’Érythréen.

« Les associations gèrent ça depuis des années. Lorsque les familles arrivent à Calais, elles sont déçues de ne pas voir beaucoup d’officiels, précise Sabriya Guivy, de l’Auberge des migrants. Elles ont l’impression de ne pas être prises en compte. M. Macron a évoqué [lors de sa venue le 16 janvier – ndlr] le décès du chauffeur routier polonais, mais pas celui des migrants. » À l’aide de dons, les organisations s’occupent des funérailles et des rapatriements, en lien avec les ambassades.

Brahim Fares, des pompes funèbres de Grande-Synthe, leur fixe des prix « plus bas que la moyenne » par solidarité. « Les défunts sont rapatriés en Afghanistan pour environ 3 400 à 3 500 euros, cela dépend du poids et de la taille. Pour l’Érythrée, cela commence aux environs de 3 200 euros… Les inhumations à Calais tournent autour de 1 600 euros contre 2 400 en temps normal. » L’homme a rapatrié une quinzaine de personnes depuis 2015, il en a enterré une quinzaine d’autres dans le cimetière de Calais nord, géré par la mairie. Des tombes simples, en terre, surplombées d’« une croix en bois de chêne ».

« Les victimes sont souvent des jeunes hommes, presque tous identifiés. J’ai eu une femme éthiopienne, une fois. Toutes les familles ne peuvent pas venir jusqu’ici. Celles qui y parviennent sont très choquées, car les corps parfois sont très abîmés, comme ce sont des accidentés de la route… », dit Brahim Fares. Biniam, lui, avait « les mains coupées, les bras amochés », ajoute-t-il. Il sera rapatrié en Érythrée où vivent ses parents. Bereket, son oncle et son cousin ont confectionné à la main une grosse couronne de fleurs en plastique. « Ce n’est vraiment pas terrible mais on n’avait que ça. »

Ils ne pourront pas la mettre sur son cercueil, tout comme le drap blanc dont ils voulaient le recouvrir, « selon la tradition ». « Les autorités aéroportuaires finiront par jeter la couronne, ce n’est pas autorisé en soute », explique Brahim Fares, désolé, au CHU de Lille où a eu lieu la mise en bière. Silence lourd. Les Érythréens sont hébétés : « C’est si compliqué ? »

Pendant deux semaines, la famille cherche à comprendre la mort de Biniam. Elle se rend au commissariat. On leur montre le cliché de son visage abîmé. Les CRS autoroutiers leur livrent les maigres détails de l’accident : un petit matin, un témoin qui n’a pas vu grand-chose, chauffeur en fuite… « La France est un pays développé, celui des “droits de l’homme”, on m’a dit, ce n’est pas l’Érythrée et son dictateur sans limites… Alors pourquoi on ne retrouve pas le chauffard qui a fait ça ? », s’emporte dans sa douleur Bereket. « Même en Érythrée on aurait retrouvé l’assassin de mon frère. »

Pour Loan Torondel de l’Auberge des migrants, « beaucoup ne comprennent pas pourquoi leur proche meurt écrasé sous un camion et que le chauffeur ne l’a pas fait volontairement. La famille de Biniam imaginait qu’il y aurait le lancement d’une investigation comme dans les films américains… Elle pense que la police ne mène pas l’enquête, mais en réalité il y a peu de témoins ». Bereket a porté plainte contre X. « Je ne pourrai pas dormir tant que je ne saurai pas comment il est mort et tant que le responsable sera libre. »

« Il y avait du sang sur la route »

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Si des enquêtes sont systématiquement ouvertes pour ces accidents, elles s’avèrent souvent complexes. Il s’agit en premier lieu d’identifier la victime. Patrick Visser-Bourdon, ancien commissaire de Calais, se souvient de ce Soudanais qu’il a retrouvé un matin de 2016 aux abords de la Rocade, « le crâne ouvert, laissé à l’abandon, vêtu d’un jean et d’un tee-shirt à manches longues ». Le commissaire a alors rencontré « le chef de la communauté soudanaise de la “jungle”, mais personne ne l’a reconnu. On diffusait aussi sa photo dans les commissariats. Dans la majorité de ces cas, on faisait surtout appel aux ONG ».Ce jour de 2016, comme celui de la mort de Biniam, le camion ne s’est pas arrêté. « Il y avait du sang sur la route, il y en avait forcément sur le pare-chocs du camion, estime Patrick Visser-Bourdon. Le chauffeur a donc dû stopper son véhicule à un moment pour le nettoyer entre la “jungle” et le port, c’est incroyable que personne n’ait rien vu… »

Sur les nombreuses enquêtes ouvertes, une partie est classée sans suite. Le responsable d’homicide involontaire risque « trois ans de prison, cinq ans s’il y a circonstances aggravantes comme le délit de fuite. Parfois, certains ne restent pas sur les lieux de l’accident, notamment en cas de barrage routier, dangereux, mais ils viennent directement se présenter à la police. Dans ce cas, on parle plutôt de délit de fuite exonéré par des circonstances », explique le procureur de Boulogne-sur-Mer, Pascal Marconville. Pour la bénévole Sabriya Guivy, « certaines autoroutes n’ont pas d’éclairage, il est complètement possible de ne pas se rendre compte que l’on a percuté quelqu’un et de partir ».Bereket, lui, s’interroge : « Pourquoi la police n’empêche pas les jeunes d’aller sur les autoroutes ? » Des barrières sont construites, mais elles ne freinent pas les aspirations. « J’étais favorable à la construction du mur de la rocade, réalisé en 2016, explique l’ex-commissaire Patrick Visser-Bourdon. C’était humainement impossible de ramasser davantage de cadavres sur la route. »

Pour les associations, la fortification de la frontière, la politique de “non-fixation” qui consiste à démanteler le moindre campement, ainsi que l’éloignement des migrants, sont toutefois vains et les poussent à davantage de risques. « La politique du tout-sécuritaire devient insupportable, il n’y a plus d’autre alternative pour eux que de passer de l’autre côté, ils ne sentent pas acceptés, ils essayent malgré les risques », explique Mehdi Dimpre, du collectif Réveil voyageur. Il déplore le nombre des morts « oubliés », côté français, mais aussi côté anglais. De l’autre côté de la Manche aussi, certains sont probablement morts selon lui, fauchés sur les routes de l’« eldorado ».

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