Bondy Blog // La présidente de la CNCDH sur la loi asile et immigration

 

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Christine Lazerges : « Le projet de loi sur l’immigration rend les procédures encore plus difficiles pour les plus vulnérables »

Pour la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, une autorité administrative indépendante, le projet de loi asile et immigration du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, vise avant tout à contenter une partie de l’opinion publique. Ce texte, présenté hier en conseil des ministres, sera débattu en avril au Parlement.

Le Bondy Blog : Fallait-il un nouveau texte de loi sur l’immigration, après celui du 7 mars 2016 (relatif au droit des étrangers en France) et celui du 29 juillet 2015 (relatif à la réforme du droit d’asile) ?

Christine Lazerges : Ce texte de loi est parfaitement inutile. Ce n’est pas seulement moi qui le dis et la CNCDH, c’est le Conseil d’Etat, le monde associatif en son entier, un certain nombre d’institutions comme le Défenseur des droits, des historiens, des juristes, des philosophes. Ce texte a une fonction purement déclarative. Il s’agit pour ses promoteurs de répondre à une demande d’une partie de l’opinion française, hostile aux migrants, qui représente dans les sondages 66% de la population (66% des Français sondés par l’institut Elabe publié le 18 janvier 2018 jugent la politique migratoire et d’asile “trop laxiste”, ndlr).

Le Bondy Blog : Le projet de loi prévoit de réduire de 120 à 90 jours le délai, à compter de l’entrée sur le territoire, pour déposer une demande d’asile en préfecture. Quelles conséquences cela va-t-il avoir pour les demandeurs d’asile ?

Christine Lazerges : Il est difficile dans beaucoup de préfectures de France d’arriver à déposer simplement sa demande d’asile. Le délai est réduit considérablement. Il tombe même à 60 jours en Guyane, alors que les services administratifs sont encore plus engorgés que sur le territoire métropolitain. Or, une fois ce délai expiré, plus rien n’est possible pour le migrant présent sur le territoire de la République. Là où le dispositif dysfonctionne le plus aujourd’hui, c’est dans cette phase avant l’examen par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et donc avant l’examen d’un éventuel recours par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Le projet de loi prévoit très peu de choses sur cette phase, sur l’accueil du migrant, son hébergement et le dépôt de la demande d’asile. Il faut, non pas un nouveau texte, mais mettre des moyens dans les préfectures pour que les étrangers puissent déposer leur demande d’asile dans les trois jours. Aujourd’hui, en moyenne, ce n’est pas possible avant un mois. Et souvent, c’est deux mois, voire trois mois ou plus.

Le Bondy Blog : Le texte prévoit une réduction des délais d’examen des demandes d’asile à six mois, contre 14 en moyenne aujourd’hui en cas de recours. N’est-ce pas une avancée ?

Christine Lazerges : On ne peut que souhaiter que la procédure soit relativement courte, et plus courte qu’aujourd’hui. Mais on ne peut pas souhaiter que le délai d’appel entre une décision négative de l’Ofpra et le recours devant la CNDA soit réduit. Or, ce délai était d’un mois et il tombe à 15 jours. 15 jours pour constituer un dossier, trouver l’interprète, etc. Et il faut en premier lieu que la personne ait bien eu connaissance de la décision rendue. C’est un délai ridiculement court, avec pour seul objectif de diminuer de façon drastique les appels devant la Cour nationale du droit d’asile. Par ailleurs, le texte comprend une autre mesure très régressive : certains appels ne seront pas suspensifs, donc la personne pourra être reconduite à la frontière, si son pays d’origine est sûr. Or, rien n’est plus mouvant que le caractère sûr d’un pays.

“Nous n’avons pas besoin de nous aligner sur ce qui se fait de pire chez nos voisins européens”

Le Bondy Blog : La durée maximale de rétention administrative pourrait aller jusqu’à 135 jours, contre 45 aujourd’hui. Le ministère de l’Intérieur précise qu’il s’agit de s’aligner sur nos voisins européens. Devons-nous suivre leur exemple ?

Christine Lazerges : Nous n’avons pas besoin de nous aligner sur ce qui se fait de pire chez nos voisins européens. On ferait mieux de s’aligner sur ce qu’il y a de mieux, comme l’octroi de l’asile en Allemagne, beaucoup plus généreux qu’en France. Le délai de 135 jours est extrêmement long et dans des conditions qui ne sont pas acceptables pour un pays comme la France. Les centres de rétention administratifs (CRA) sont le plus souvent des constructions extrêmement modestes, voire des baraquements. Si on peut y passer trois mois, voire plus dans certains cas, nous mériterons des condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme. Nos voisins européens qui prévoient de longues durées de rétentions ont en général des centres qui ne ressemblent pas du tout aux nôtres.

Le Bondy Blog : Ce projet de loi comporte-t-il malgré tout des mesures positives, selon vous ?

Christine Lazerges  : Oui, concernant les étudiants étrangers et le renouvellement du séjour. Les personnes étrangères sur le territoire, en situation régulière, sont tenues à un renouvellement fréquent de leurs papiers, tous les ans ou les deux-trois ans, selon les cas. Ce renouvellement sera moins fréquent. Et pour les étudiants étrangers, ce sera beaucoup plus facile. Le projet de loi est une avancée pour ceux que l’on qualifie de “talents “. Sur ce point-là, c’est un progrès dont on doit se féliciter. Mais pour les plus vulnérables, il rend les procédures encore plus difficiles. C’est donc une avancée uniquement pour l’élite intellectuelle ou sociale des migrants.

Le Bondy Blog : Quelle politique en matière de droit d’asile la France devrait-elle donc mener ?

Christine Lazerges : Si la France veut continuer à se présenter comme le pays des droits de l’Homme, il faut évidemment des moyens dans l’accueil, dans l’hébergement, mais aussi en préfecture. Et plus d’officiers de protection à l’Ofpra pour réaliser des auditions, surtout si on veut aller plus vite. Il faut également plus de rapporteurs à la CNDA. D’une manière générale, nous devrions avoir une interprétation plus large de la Convention de Genève sur le droit d’asile. Nous ne faisons pas partie des pays qui accordent ce droit facilement. Il n’est octroyé que pour des raisons politiques, quand le demandeur d’asile est en danger dans son pays d’origine. Or, sans forcément qu’il y ait une guerre dans le pays d’origine ou des cas de torture, on trouve souvent des situations de dénuement qui s’apparentent à des traitements inhumains.

Propos recueillis par Thomas CHENEL