La Police des Migrants sous la direction de Michel Agier
collection Babels editions le passager clandestin
Pour qui s’intéresse, fréquente, soutient les migrants ici en France, la police, l’intervention de la police d’Etat est un motif de colère, de dégoût, d’incompréhension la plupart du temps. Il est facile de comprendre, sur le terrain, que ce n’est pas le fait de telle ou tel policier. Il était temps de réfléchir à ce qu’est la police dans un état européen comme le nôtre, quels rôles elle tient en réalité. Ce petit livre y contribue de manière assez heureuse. Comme les autres opus de la collection Babels il est le fruit du travail de chercheurs de terrain1, de leur réflexion et de leurs confrontations, sous la direction et l’orientation de Michel Agier. A quoi s’ajoutent des références bienvenues à des travaux sociologiques dans des domaines voisins2, qui permettent d’élargir encore le point de vue. Cela donne un livre court, ramassé, agréable à lire et qui ouvre la réflexion.
Que les personnes migrantes franchissent les frontières de manière régulière ou non, les forces de police sont les 1ères représentantes de l’Etat qu’elles rencontrent. Violences, contrôles répétés, destruction des campements ce sont les réalités des frontières de l’Europe.
La recherche historique permet de pointer que la gestion policière des migrations est précédée au XIX ème siècle par la gestion des mobilités des « indigents, des criminels, et des vagabonds » d’abord autochtones. La création de fichage permet de surveiller les exclus de la citoyenneté en même temps que la distinction entre nationaux et étrangers. Au XXeme siècle , à la suite de la décolonisation, la régulation des migrations se fait à travers les régularisations jusque dans les années 70. La PAF devient chargée de lutter contre l’immigration irrégulière à cette période. L’accord (1985)puis la convention(1990) de Schengen, en renforçant le contrôle aux frontières de l’Europe entraîne un épaississement de la frontière : moyens de contrôle renforcés, visas obligatoires, technologies biométriques pour les documents, d’où l’apparition de voies d’entrée différentes et dangereuses. Dans le vocabulaire, l’étranger devient le travailleur immigré, puis le sans papier, le réfugié et maintenant le migrant, le mot révélant le caractère transitoire de sa présence et la menace que constitue « le potentiel migratoire » de l’Afrique en particulier. Les pratiques policières changent d’échelle, le contrôle de l’immigration commence dans le pays d’origine, ou dans les pays limitrophes de l’Europe.
Le répertoire d’action de la police et les expériences des personnes migrantes s’organise autour du tryptique « Filtrer, disperser, harceler », c’est ce qu’on retrouve sur les différents lieux d’enquête.
Pour filtrer à la frontière en un temps qui n’entrave pas le flux des voyageurs, les forces de l’ordre doivent déterminer le plus efficacement possible les personnes à contrôler. Cela est laissé à leur propre appréciation, leur « flair », et aboutit à ce qu’on observe : une différenciation selon l’apparence, l’âge, le genre, la couleur de peau des voyageurs et voyageuses, une logique de racialisation. Les pratiques de filtration relèvent aussi du contexte politique frontalier : ainsi, à la frontière entre la république tchèque et l’Autriche, lutter contre l’immigration irrégulière et contre les formes de criminalité engendrées par elle est une façon de s’européaniser, et d’effacer son passé communiste.Ailleurs, la mise en scène du refoulement des étrangers ou de leur expulsion sert également des objectifs de politique intérieure. Les pratiques de filtration sont aussi sous la pression des nécessités économiques : laisser passer les touristes,les travailleurs transfrontaliers, et les personnes ukrainiennes, bulgares et roumaines recrutées par le ministère des affaires sociales. Contrôler les autres et les refouler.
A la frontière maroco-espagnole, c’est le tri selon un système carrément raciste et genré. Les personnes sub-sahariennes , noires, n’ont absolument pas accès aux bureau de demande d’asile. Si elles arrivent à franchir l’entrée dans les territoires espagnols, elles sont encore discriminées ensuite pour accéder à l’Espagne.
Une fois la frontière franchie, à l’intérieur du territoire, les contrôles sont les outils du quotidien notamment dans les grandes villes. Associés à la menace d’expulsion, ils amènent les personnes migrantes à des pratiques d’évitement, de dissimilation, voire de réclusion. Il ne s’agit pas seulement de mener à une expulsion, mais aussi d’imposer un ordre social, pas seulement de délimiter des territoires, mais séparer des populations.
Les expulsions, qu’elles soient vers le pays d’origine, ou vers le pays de « première frontière », ou même de dispersion à travers le territoire sous couvert de protection et de mise à l’abri, contribuent ainsi à balloter les personnes, les insécuriser, les humilier, et parfois les mettent en danger vital , tant la notion de « pays sûr » est discutable.
Aux côtés des agents des forces de l’ordre, un nombre croissant d’acteurs est impliqué dans le contrôle des migrant.e.s : agents de la CPAM, contrôleurs SNCF, sociétés de transport ( ferries, bus,) employeurs, écoles et collèges, agents de sécurité en tous genres. Sans compter les milices ou comités de quartier parfois. Dans ce contexte, les migrants intériorisent l’idée que certains lieux leur sont interdits, et alors, jusqu’où les logiques du contrôle policier vont-elles ? Et alors, comment faire confiance ? Ce qui entrave la vie relationnelle, mais aussi l’accès aux soins, à la justice …
Expulser ou au moins disperser les migrant.e.s, les invisibiliser, faire du chiffre, c’est aussi une arme électorale. Refouler « à chaud » sur certaines frontières est parfaitement admis, c’est une violence terrible en même temps qu’un déni du droit d’asile. En mer la surveillance frontalière comporte une injonction contradictoire de sauvetage en mer et de limitation d’arrivée, donc de refoulement. Et de mise en danger.
Les interventions répétées sur les lieux de vie, la destruction d’effets personnels, les contrôles répétés permettent aux forces de l’ordre d’exercer une emprise, de contribuer à invisibiliser, à empêcher tout lien social et ainsi à marginaliser les personnes migrantes.
La violence réduit ceux et celles qui la subissent au statut de migrant, escamotant les singularités . Il est rare qu’elle détourne les personnes de leur projet migratoire, mais il est habituel que cela leur rende la vie impossible et insupportable. Parfois elle décourage, parfois aussi elle précipite l’engagement de migrant.e.s et de leurs soutiens. Il y a donc un répertoire des actions de soutien et de résistance des divers lieux.
Confier à la police le traitement de questions sociales amène inévitablement à la violence, telle est la conclusion. Parler de police des migrants, c’est cerner une nouvelle figure de l’étranger : le migrant, mobile, précarisé, errant. Il ne faut pas oublier la place qu’il prend dans l’économie, du fait même de sa précarité et de sa mobilité. Mais le régime policier de contrôle s’accompagne aussi d’un gouvernement humanitaire des populations migrantes. Ce qui signifie que les mesures sécuritaires sont recouvertes d’un vernis humanitaire : ainsi les expulsions se font souvent sous prétexte de mesures d’hygiène, et sont nommées « mises à l’abri ». La surveillance des eaux territoriales passe pour du secours en mer. Les autorité européennes développent des programmes visant à protéger les candidats à la migration contre leur propre volonté de tenter une traversée périlleuse alors que ce sont les règlements européens qui créent le danger. Présenter les migrant.e.s comme inconsicents et irresponsables, au mieux victimes, et les empêcher de se constituer comme sujets politiques, voilà l’enjeu.
1Les terrains sont les frontières : franco-anglaise dans le Nord de la France, maroco-espagnole à Ceuta et Melilla, austro-tchèque, et les îles grecques.
2Pratiques de contrôles au facies ailleurs qu’à la frontière, Expulsions des personnes roms depuis 2014, souffrances à la frontière et santé mentale.