A Calais, des associations pointent une recrudescence des violences policières

Mediapart

29 mai 2020 Par Nejma Brahim

Une vidéo montre des policiers exfiltrer violemment des exilés d’un bus, vendredi 22 mai. Globalement, des militants jugent que les conditions de vie dans les camps se sont aggravées pendant le confinement. « Le seul centre d’hébergement spécial Covid créé n’a pas suffi. »

«Pour les personnes qui le désirent, il y a un autre bus derrière. » Ce sont les propos tenus par un agent de police vendredi 22 mai, dans un bus à Calais, à l’égard de deux personnes noires exilées. Les paroles s’accompagnent de gestes violents : le même policier empoigne l’un des migrants pour le contraindre à se lever, avant que son collègue le tire par le bras et le mette à terre pour le traîner au sol jusqu’à l’extérieur du bus.

« Doucement ! », peut-on entendre dans une vidéo de la scène tournée par un témoin, alors que des passagers tentent de réagir timidement. Le second exilé est ensuite extirpé de force du véhicule par trois agents de police, l’un d’entre eux n’hésitant pas à le tirer par la jambe pendant qu’il tente de s’agripper à la barre de maintien.

« Ce genre de procédé consistant à refuser les exilés dans les transports n’est pas nouveau, on avait déjà eu plusieurs témoignages à ce sujet », note Jérémie Rochas, travailleur social et bénévole chez Appel d’air, un collectif de soutien aux personnes exilées de Calais. Mais depuis le début de la crise sanitaire, le phénomène se serait « automatisé », selon lui. Au point que le collectif dénonce un « apartheid ».

En assistant à la scène, Laura*, 18 ans, sort son smartphone et filme. « J’étais choquée, c’était très violent. » Selon elle, les deux exilés « n’avaient rien fait de mal ». « J’étais au même arrêt de bus qu’eux quand ils sont montés. Le chauffeur ne voulait pas les prendre et leur a demandé de descendre. Il n’y avait pas de raison de les refuser, ils avaient un masque. »

Le chauffeur a alors alerté des contrôleurs. À l’arrivée de ces derniers, quelques arrêts plus loin, ils ont voulu vérifier l’identité des migrants. « Ils leur ont aussi demandé leur ticket alors que le bus est gratuit », s’étonne Laura. Puis signifié de descendre du bus pour prendre le suivant, moins plein. Face au refus des usagers, et à la demande des contrôleurs, la police est alors intervenue.

Dans un article publié dans le journal Nord Littoral, le directeur de la compagnie de transports Calais Opale Bus, Daniel Roussel, justifie l’intervention des contrôleurs et des forces de l’ordre par le non-respect de la distanciation sociale chez ces usagers.

Contactée par Mediapart, la préfecture du Pas-de-Calais abonde. « Ils étaient en effet assis côte à côte et refusaient de maintenir entre eux un siège vide. Le contrôleur avait initialement demandé à ces deux personnes de se séparer afin de respecter les mesures de distanciation sociale. Celles-ci ont refusé et ont manifesté de l’agressivité dans leurs réponses. »

Pourtant, plusieurs témoins assurent qu’ils résistaient calmement – ce que démontre la vidéo. « Personne ne leur a dit de laisser un siège entre eux, tranche Laura, pour qui la scène s’apparente à du racisme. On leur a tout de suite ordonné de descendre du bus. Ils n’ont pas été agressifs, ils se sont défendus en refusant d’être traités différemment. Ce sont des êtres humains comme tout le monde. » Et d’ajouter : « Hier encore, j’ai pris ce même bus et deux personnes blanches étaient assises l’une à côté de l’autre. Elles n’ont eu aucun problème. »

Daniel Roussel reconnaît que, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, les chauffeurs « évitent » de prendre des migrants. « On doit la sécurité à notre personnel et aux usagers. Les migrants n’ont pas pu être confinés, il est donc difficile de confronter ces deux populations [les migrants et les Calaisiens] », a-t-il déclaré au quotidien local.

« Ce n’est donc pas un choix arbitraire fait par les chauffeurs, s’indigne Antoine Nehr, coordinateur de l’antenne locale de l’association Utopia 56, qui se mobilise pour venir en aide aux exilés depuis 2016. C’est impressionnant qu’en 2020, en France, on en soit là et que ce type de consignes vienne d’en haut. »

L’adjoint au maire de Calais chargé de la sécurité, Philippe Mignonet, avait d’ailleurs prévenu à la fin mars : les bus ne marqueraient plus l’arrêt aux stops où des groupes d’exilés patienteraient. Une exception serait faite pour les personnes seules ayant un rendez-vous impératif, pour des soins par exemple, impliquant pour les conducteurs de déduire au faciès qui serait exilé ou non et de procéder à des contrôles de justificatifs.

Pour Jérémie Rochas, il y a eu une recrudescence des violences policières à l’égard des migrants durant la crise sanitaire. « Les exilés ne cherchent pas la confrontation parce qu’ils savent à quoi s’attendre si la police débarque. La peur de donner son identité, et des répercussions, fait que c’est assez rare de voir des personnes qui résistent. »

Fin mars, un exilé noir s’est vu refuser l’entrée d’un centre commercial où il souhaitait acheter des produits de première nécessité. La sécurité a appelé les CRS, accusés de l’avoir ensuite frappé. « Il a porté plainte auprès du procureur pour coups et violences volontaires. J’ai six témoignages de personnes discriminées à l’entrée de ce centre », affirme Candice, coordinatrice du projet Human Rights Observers à Calais et Grande-Synthe.

Le 14 avril, une communauté d’Érythréens a alerté l’opinion publique dans une lettre ouverte adressée à la préfecture et a décidé de porter plainte pour des violences. « Notre plainte concerne une compagnie de CRS et leurs actions impulsives et agressives à notre égard. Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains », dénonçaient-ils. Le Défenseur des droits a été saisi à plusieurs reprises par différentes associations.

Côté campements, Antoine Nehr a constaté que les conditions de vie se sont fortement aggravées. Retrait partiel ou complet de plusieurs associations, droits fondamentaux bafoués au quotidien, accès « plus que compromis » à l’eau, à la nourriture et aux soins… « La situation est dramatique, note Candice. Il y a une mise en danger des exilés puisque rien n’est fait pour leur venir en aide en pleine pandémie. »

« Les autorités maintiennent la politique de l’épuisement, une politique hostile, à l’heure où l’on aurait eu besoin de voir se développer des solutions d’hébergement pérennes ou des cliniques mobiles », regrette le coordinateur d’Utopia. Un « harcèlement moral intenable » que dénonce aussi Human Rights Observers…

Les démantèlements de camps, qui ont lieu tous les deux jours, ont pris des formes de rituel. Certains exilés évitent de s’absenter du camp ces jours-là afin de pouvoir garder leur tente ou sac de couchage. « L’équipe de nettoyage procède à une saisie des affaires et du matériel. Une partie est jetée, une autre est amenée dans un grand conteneur à la ressourcerie par le biais d’un système mis en place par la préfecture », explique Candice, qui accompagne les migrants sur place pour leur permettre de rechercher leurs effets personnels, souvent sans résultat.« Ces expulsions sont un semblant de mises à l’abri, forcées, vers des Centres d’accueil et d’examen de la situation (CAES) », soffusque Jérémie Rochas. C’est là qu’on évalue si la personne peut demander l’asile : si ce n’est pas le cas, elle n’a plus sa place dans le centre. « Ce n’est pas adapté au public de Calais dont la majorité est représentée par des déboutés ou des “dublinés” [auxquels s’impose la règle européenne voulant que le pays en charge de leur demande d’asile soit le premier dans lequel ils ont posé le pied – ndlr]. »

Une évacuation sécurisée aurait dû se tenir le 31 mars et a été reportée à la dernière minute. « Il y a eu à la fois un manque de places d’hébergement et la découverte de deux cas de Covid-19 dans les camps », explique Jérémie Rochas. Trois cents migrants, sur plus d’un millier, auraient dû être mis à l’abri ce jour-là. « Le seul centre d’hébergement spécial Covid créé n’a pas suffi », complète Antoine Nehr.

Les bénévoles d’Utopia 56 et de l’Auberge des migrants ont dû aussi faire face à l’acharnement des forces de l’ordre durant le confinement. Vingt-huit verbalisations ont été dressées à des membres d’Utopia alors qu’ils distribuaient des vivres ou des couvertures aux exilés dans les camps.

A Calais, les actes d’hospitalité s’affichent en plusieurs langues !

Tout autour, une œuvre commune

Répondant à l’invitation du PEROU (Pole d’exploration des ressources urbaines), des calaisiennes et calaisiens publient chaque semaine des actes d’hospitalité dans l’espace public. Vous aussi, donnez une visibilité à ces actes d’hospitalité !

Retrouvez les actes d’hospitalité déjà recensés ici, et ajoutez-y les vôtres en écrivant à : hospitalite@perou.org !

« Tous nos actes d’hospitalité méritent d’être connus… Et l’acte d’hospitalité devrait être inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité nécessitant une protection urgente conformément à la convention de l’UNESCO de 2003.

Nous sommes à Calais, Vintimille, Rome, Lesbos, Clichy-Monfermeil, Hambourg, Bruxelles, à Lampedusa, à Bayonne, à Bordeaux…Et encore ailleurs ! Nous sommes nombreux à « faire hospitalité » et depuis longtemps ! Tous ces actes d’attention, à la rencontre des personnes migrantes, qui arrivent dans le dénuement et à bout de souffle, toutes ces attentions à la présence de l’autre : ces actes sont de ceux qui feront tenir le monde de demain.

Des archives de ces actes se constituent, pour un héritage précieux, nous sommes tous invités à y contribuer. Et le PEROU travaille à leur inscription au patrimoine mondial de l’humanité.

Chaque lundi, nous publions, tous en même temps, des fragments de ces archives en train de se constituer.En PJ vous trouverez des fragments.

A Calais, nous avons renouvelé notre affichage, en couleur, et avec des traductions !

Chacun.e peut participer : à l’inscription d’acte d’hospitalité dans l’archive : hospitalite@perou.org, et en créant des « publications » selon les modalités, même minuscules, et les lieux de son choix, et en documentant cette action. »

Déclaration publique : Amnesty demande que les autorités françaises cessent immédiatement le harcèlement et l’intimidation des défenseurs des droits à la frontière

https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/nord-de-la-france-calais-droit-des-migrants-covid-19

NORD DE LA FRANCE : EN PLEINE CRISE SANITAIRE, LES DÉFENSEURS DES DROITS DES MIGRANTS SONT TOUJOURS HARCELÉS

Dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, les défenseurs des droits humains jouent un rôle crucial pour que la lutte contre la pandémie soit respectueuse des droits de tous. Pourtant, à la frontière franco-britannique, les personnes venant en aide aux migrants continuent de faire l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités françaises. Nous demandons que cessent immédiatement les pratiques abusives à leur égard.

CONDITIONS DE VIE INDIGNES ET ABSENCE DE PROTECTION POUR LES PERSONNES EXILÉES

Depuis le début de la crise sanitaire en France, les expulsions de lieux de vie informels se sont poursuivies dans le nord de la France, laissant les personnes exilées dans le dénuement le plus total. Entre mars et avril 2020, l’équipe de Human Rights Observers a recensé 180 expulsions de campements à Calais et 12 à Grande-Synthe. Selon les associations locales, ces expulsions se sont accompagnées de la saisie de tentes et d’effets personnels (sacs de couchage, couvertures, sacs à dos, téléphones), mais aussi de violences et d’un recours excessif à la force par la police.

Suite aux demandes d’Amnesty International France et des nombreuses associations qui travaillent sur le terrain, des opérations de mise à l’abri et quelques mesures d’assistance humanitaire ont tardivement été mises en place. Cependant, de nombreuses personnes exilées continuent de vivre dans des conditions indignes, sans aucune mesure de protection face au virus. Plus de 1000 personnes exilées sont encore présentes dans les campements informels à Calais et environ 600 à Grande-Synthe.

AMENDES, CONTRÔLES D’IDENTITÉ, MISES EN GARDE À VUE : L’INTIMIDATION DES AIDANTS SE POURSUIT

Dans ce contexte, les personnes qui viennent en aide aux exilés présents à Calais et Grande-Synthe ont un rôle essentiel : elles fournissent une assistance humanitaire indispensable, signalent les violences et les abus observés notamment lors des expulsions, et interpellent les pouvoirs publics sur les mesures à prendre pour protéger des personnes déjà marginalisées. Pourtant, au lieu d’être soutenus, les bénévoles sur le terrain continuent de faire l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des forces de l’ordre.

A Calais et Grande-Synthe, Human Rights Observers a par exemple recensé 37 contraventions dressées essentiellement au motif du non-respect des mesures de confinement entre le 17 mars et le 11 mai 2020. Les bénévoles verbalisés étaient alors en maraude ou présents aux côtés des exilés, des personnes qui ne seraient donc pas « assez vulnérables » aux yeux des autorités pour faire l’objet d’une dérogation pourtant prévue par l’attestation de circulation.

A Grande-Synthe, quatre membres de l’association Utopia 56 ont été arrêtés et placés en garde à vue, le 24 avril dernier, alors qu’ils documentaient l’évacuation violente d’un campement de personnes exilées par les forces de l’ordre, lors d’une mise à l’abri. Les quatre bénévoles ont passé toute la journée en garde à vue pour « atteinte à l’autorité de la justice par discrédit d’une décision de justice » et « complicité de mise en danger de la vie d’autrui, en ayant incité les exilés à se rendre sur l’autoroute ». Les quatre bénévoles sont finalement sortis dans la soirée sans qu’aucune poursuite n’ait été retenue contre eux à ce jour.

Par ailleurs, alors qu’ils ne font qu’observer des situations souvent tendues ou violentes afin de signaler de potentiels actes délictueux des forces de l’ordre, les bénévoles associatifs auraient été à plusieurs reprises filmés par la police et sommés de s’éloigner du périmètre d’opération. Selon les associations locales, ils sont aussi régulièrement soumis à des contrôles d’identité et de véhicules.

AUCUNE MESURE PRISE POUR METTRE FIN À CES PRATIQUES ABUSIVES

Les autorités françaises ne doivent pas prendre le prétexte des restrictions imposées dans le cadre de la pandémie pour restreindre le droit de défendre les droits et entraver l’action des aidants dans le nord de la France. Elles doivent au contraire reconnaître que la défense des droits fondamentaux constitue une activité d’autant plus essentielle dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui permet l’adoption de mesures restrictives de libertés, et veiller à ce que tous les aidants puissent agir sans avoir à craindre d’actes d’intimidation.

Alors que nous alertons sur cette situation depuis près d’un an, aucune mesure en ce sens n’a encore été prise. Les autorités françaises doivent également condamner toute tentative de délégitimer le travail des aidants et enquêter de façon approfondie et impartiale sur tous les abus signalés à Calais et Grande-Synthe.

Journal des Jungles n°13 : le supplément !

« Nous avons perdu beaucoup de gens dans la Jungle, dont plusieurs étaient mes ami.e.s. La police n’a aucune sympathie envers nous. Cruelle, elle nous maltraite constamment à Calais. Cela nous fait souffrir psychologiquement et ce n’est moralement pas juste. Ils nous ont tout pris, y compris de l’argent, des tentes qui nous fournissent un abri et des vêtements qui nous gardent au chaud (…) »

Découvrez ci-dessous le puissant texte d’Helina, « Ouvrez les frontières ! », rédigé au cours de la résidence d’écriture du Journal des Jungles n°13, qui s’est déroulée entre femmes, fin septembre 2019, au sein de l’accueil de jour du Secours Catholique à Calais.

13.04.2020 – Lettre ouverte – Violences policières à Calais

À Monsieur le préfet du Pas-de-Calais
Aux médias qui veulent s’en saisir
À toutes personnes concernées
A Calais, le 13 avril 2020

Lettre ouverte de la communauté Érythréenne de la « Jungle » de Calais

Avant de commencer à écrire notre plainte concernant les événements suivants impliquant des CRS, nous souhaitons dire quelques mots à propos de nous mêmes,
Nous sommes des exilés venant d’Érythrée. Nous sommes ici pour la simple raison de vouloir vivre notre vie en sécurité, et avoir un futur. Nous ne sommes pas des criminels, nous sommes des migrants. Nous sommes des innocents qui essayons d’aller en Angleterre.

Notre plainte concerne une compagnie de CRS et leurs actions impulsives et agressives à notre égard.
Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Ils nous insultent de noms tels que monkey (singe), bitch (salope), etc…

Et, depuis quelques semaines, ils ont commencé à menacer nos vies en nous battant dès que l’occasion se présentait à eux. Lorsque par exemple ils trouvaient un groupe de deux ou trois personnes marchant vers la distribution de nourriture, ou dans nos tentes, lorsque nous dormions.
Ils accélèrent dans leurs véhicules en roulant dans notre direction, comme s’ils voulaient nous écraser. Ils ont également emmené des gens avec eux dans des endroits éloignés de Calais, et les ont frappé jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance.

Ils cachent leurs codes personnels (note : numéro RIO) lorsqu’ils commettent ces actions illégales envers nous. Lorsqu’ils se rendent compte que nous filmons, ils s’attaquent à nous et cassent nos téléphones.
Voici une liste de tous les actes violents auxquels nous avons été soumis récemment. Tous ces événements ont eu lieu à Calais et ont été commis par des agents CRS :

⁃ 26 mars 2020, 15h30 : une personne a été gazée et frappée par les CRS avoir s’être vue refuser l’entrée du supermarché Carrefour

⁃ 27 mars 2020, 14h00 : deux personnes qui marchaient près du Stade de l’Épopée pour se rendre à la distribution de nourriture ont été passées à tabac par les CRS. L’une des victimes a eu le bras cassé suite à cette agression. (compagnie 8)

⁃ 27 mars 2020 : deux personnes qui marchaient près du stade de BMX pour aller à la distribution de nourriture ont été frappées et gazées par les CRS (compagnie 8)

⁃ 28 mars 2020, 9h00 : une personne qui marchait dans la rue Mollien a été jetée au sol et passée à tabac par les CRS (compagnie 8)

⁃ 28 mars 15h00 : deux personnes marchant près du stade de BMX pour aller à la distribution de nourriture ont été frappées et gazées par les CRS (compagnie 8)

⁃ 28 mars 2020, 15h30 : une personne qui marchait seule Quai Lucien L’heureux et se rendant à son campement a été passée à tabac et frappée à l’arrière de la tête avec une matraque télescopique par les CRS (compagnie 8)

⁃ 28 mars 2020 : quatre personnes qui marchaient près du stade de BMX ont été passées à tabac par les CRS, à l’aide de matraques télescopiques (compagnie 8)

– 31 mars 2020, 12h50 : deux personnes sorties d’un camion ont été passées à tabac Rue des Sablières. Une personne se plaignait d’une douleur importante au bras, la deuxième a été laissée quasiment inconsciente et a dû être évacuée vers l’hôpital en ambulance. (compagnie 8).

La communauté des réfugiés érythréens de Calais

9.04.2020 – Communiqué de presse : saisine des Nations Unies

Saisine de 7 Rapporteurs des Nations Unies par une coalition de 92 associations

Covid-19 / Personnes vivant à la rue, dans des squats ou des bidonvilles

Communiqué de presse du 9 avril 2020

92 associations et collectifs s’associent pour saisir conjointement 7 Rapporteurs des Nations Unies en charge des questions de pauvreté extrême, de santé, d’accès à un logement décent, à la nourriture, à l’eau potable et à l’assainissement, ainsi que des migrants et des défenseurs des droits humains. Cette action est à l’initiative de Committee for Refugee Relief et coordonnée par des associations telles que Amnesty International France, la Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, le Secours Catholique et Utopia 56.

Cette saisine fait état de ce que les personnes vivant à la rue, dans des squats ou des bidonvilles ne bénéficient pas pleinement des mesures de prévention du Covid-19 mises en place par le gouvernement et les autorités locales. Elle fait part de la situation préoccupante de cette catégorie de personnes dans plusieurs villes de France, dans la mesure où leur accès à l’eau et à la nourriture, rendu plus difficile en raison de la pandémie, impacte potentiellement leur santé. Elle mentionne aussi le fait que les personnes en situation de demande d’asile sont aujourd’hui dans l’impossibilité concrète de déposer leur demande, et donc d’accéder à une quelconque protection (juridique, santé, nourriture, logement). Enfin, elle mentionne la difficulté accrue des associations à travailler sur le terrain, en raison de l’absence de matériel de protection et, dans certaines municipalités, de verbalisations excessives.

Cette communication urgente demande aux Rapporteurs Spéciaux de rappeler au gouvernement français la nécessité de prendre et réaliser effectivement des mesures de protection à l’égard de ces personnes, et cela dans l’intérêt de tous.

Contacts presse :

Committee for Refugee Relief – Sophie Pouget: 07 69 60 92 56

Médecins du Monde – Fanny Mantaux : 06 09 17 35 59

Médecins sans Frontières – Corinne Torre : 06 14 06 11 18

Utopia 56 – Yann Manzi : 06 29 48 54 45

Liste des signataires :

ACAT – ACCMV – Accueil Réfugiés BRUZ – Accueil-Asile – Action contre la Faim France – Action Droits des Musulmans (ADM) – ADHEOS Centre LGBT – ADRA Dunkerque – ADSF Agir pour la Santé des Femmes – Ah Bienvenue Clandestins ! – Aide Migrants Solidarité (AMiS) – AIDES – Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme – Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international – Amnesty International France – Architectes Sans Frontières – ARDHIS – Association Allamma – Association des familles victimes du saturnisme – Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF) – Association soutien aux exilés 44 – ATD Quart Monde – Autour d’eux Léo et Téa – Bethlehem – Care4Calais – CCFD-Terre Solidaire – Centre Primo Levi – Cercle de Silence Hazebrouck – Chemins Pluriels – Collectif Audonien Solidarité Migrants – Collectif Cambrésis pour l’Aide aux Migrants – Collectif Migraction59 – Collective Aid – Comede Comité pour la santé des exilé.e.s – Committee for Refugee Relief – Droit Au Logement (DAL) – Dom’Asile – Droits d’urgence – ECNOU – ELENA France – Elkartasuna Larrun Solidarité Autour de la Rhune – Emmaüs Dunkerque – Emmaüs France – Equinoxe Centre LGBTI+ Nancy – ESPACE – Etats Généraux des Migrations – FASTI – FIDH – GAT Réfugiés Migrants FI35 – Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s) – Groupe ATTAC Rennes – Help Refugees – Itinérance Cherbourg – JRS France – Kolone – L’assiette migrante – L’Auberge des Migrants – L’Autre Cantine Nantes – La Chorba – La Cimade – Le CRIDEV – Ligue des Droits de l’Homme – Médecins du Monde – Médecins sans Frontières – Migrations, Minorités Sexuelles et de Genre – MRAP Fédération de Paris – MRAP Littoral – P’tits Déjs Solidaires – Paris d’Exil – Planning Familial du Pas de Calais – Planning Familial Ille-et-Vilaine – Refugee Info Bus – Refugee Rights Europe – Refugee Women’s Centre -Refugee Youth Service (RYS) – Refuges Solidaires – Roya citoyenne – Salam Nord/Pas-de-Calais – SAVE – Secours catholique Caritas France – Snep-Fsu 35 – Solidarité migrants Wilson – Solidarités International – Solidarités Saint Bernard – Terre d’errance Steenvoorde – Thot, Transmettre un Horizon à Tous – Toit du monde – Tous Migrants – Un Toit c’est Un Droit – Utopia 56 – Voix des Migrants – WATIZAT

A Calais, Natacha Bouchart fait des migrants une rente politique

ÉLECTIONS MUNICIPALES 2020: NOTRE DOSSIER – REPORTAGE MEDIAPART

23 FÉVRIER 2020 | PAR MORGAN RAILANE (MÉDIACITÉS)

La maire LR postule à un troisième mandat à la tête de la première ville du Pas-de-Calais. Favorite face à un RN divisé et à une gauche en reconstruction, elle a réussi à transformer la présence de migrants en atout politique… et en plantureuses subventions.

Quand, en 2008, elle monte au beffroi de Calais pour lancer la rénovation du vieil escalier en bois, Natacha Bouchart tourne un peu de l’œil. Sujette au vertige, elle reste accrochée au bras d’un journaliste mais va jusqu’au bout de la visite.

Une ténacité qui n’est pas pour rien dans une ascension politique qui n’était pas écrite. Sans diplôme – elle quitte le lycée prématurément – ni expérience professionnelle, la maire (LR) de Calais s’est imposée, en 20 ans, comme une figure majeure de la vie politique régionale.

Selon un étonnant sondage Ipsos-La Voix du Nord, elle serait en position de l’emporter dès le premier tour avec 56 % des voix, contre 25 % à la gauche et… 12 % au RN, quand ce dernier avait réuni 42 % des suffrages aux dernières européennes.

Un score trop beau pour être vrai ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle a su transformer la crise migratoire en véritable rente politique. Et que son positionnement à la fois anti-FN et ouvert au-delà de LR la rend très Macron-compatible (le mouvement du président lui a d’ailleurs apporté officiellement son soutien). Mais rien de théorique là-dedans. Plutôt des choix à l’instinct d’une politicienne de terrain, tombée « dans la marmite » quand elle était petite…

Natacha Bouchart vise un troisième mandat de maire de Calais aux municipales de 2020. © MR

Née en 1963 dans le bassin minier à Loison-sous-Lens, celle qui est encore Nathalie Keuroglanian à l’état civil, grandit dans une famille métissée : sa mère est fille d’immigrés polonais ; son père est arménien, fils d’un marchand de tissus. Gaulliste patenté, Maurice Keuroglanian est un homme influent dans les coulisses du mouvement.

Membre du Service d’action civique (SAC), l’ancienne officine des coups tordus du parti, il est également trésorier du RPR dans le Nord-Pas-de-Calais. Il siège ainsi avec tous les barons gaullistes régionaux et sa fille, encore enfant, l’accompagne parfois. « Son père était un vrai gaulliste, social, pas de droite », vante un vieux militant qui l’a côtoyé à l’époque. « Naturellement, comme tous les membres du SAC, il était armé », sourit-il. Des histoires circulent mais la discrétion est de mise…

Dans les années 1970, l’adolescente suit son papa dans les comités fédéraux du parti chiraquien. Que comprend-elle alors des secrets des hommes forts de la droite régionale ? Elle en retire peut-être le sentiment que son destin est là.

À la fin des années 1980, Maurice Keuroglanian place sa fille chez Jean-Paul Delevoye, alors maire de Bapaume et parlementaire. C’est son premier mentor en politique, celui auprès de qui elle apprend le métier. Natacha Bouchart tient le secrétariat, accueille, cale les rendez-vous, réseaute… mais reste toujours discrète.

  • Les années d’apprentissage à Calais

Quand elle arrive à Calais au début des années 1990, c’est Claude Demassieux, éternel opposant RPR au conseil municipal, qui est chargé de la cornaquer à la demande de Jean-Paul Delevoye. Il lui trouve aussi un travail, d’abord simple pionne à l’école privée Saint-Pierre qu’il dirige, avant de la bombarder responsable des ressources humaines. Natacha Bouchart est mariée depuis peu à un assureur qui vient d’Île-de-France. Le mariage dure peu.

« J’ai croisé son mari peu après son arrivée à Calais, au début des années 1990. J’ai le souvenir d’un grand et bel homme dans un costume bleu pétrole. Il n’est resté que quelques jours », nous dit une militante de l’époque. Natacha Bouchart a pourtant gardé son nom d’épouse.

Élue conseillère municipale en 2001, Natacha Bouchart avance très vite : conseillère régionale en 2004 derrière Jean-Paul Delevoye, elle réussit l’exploit, en 2008, de prendre Calais aux communistes, aux commandes de la ville depuis 37 ans. Une victoire surprise qu’elle doit au désistement en sa faveur du candidat FN François Dubout (12,5 %).

En 2011, elle devient sénatrice et abandonne la région. Écrêtée au registre de ses indemnités, conformément à la réglementation sur le cumul, elle en fait partager le surplus entre les élus de son choix. Parmi les bénéficiaires, Jacqueline Dewet, doyenne du conseil municipal… et belle-mère de Claude Demassieux. En 2014, Natacha Bouchart conserve la ville à la tête d’une liste d’ouverture. Là encore, elle profite d’une situation favorable avec une gauche divisée en deux listes qui se neutralisent (autour de 20 % chacune).

  • La « chasse gardée » des migrants

Les années qui suivent mettent Calais sous les feux de l’actualité avec le phénomène migratoire. Les exilés à Calais squattent la ville, ses usines désaffectées, ses hangars abandonnés. Natacha Bouchart lance la chasse via Facebook en appelant à la délation. Elle interdit les douches et les distributions de repas en ville, avant d’être sèchement rappelée à l’ordre par la préfecture et le tribunal.

Prospérant sur l’actualité, elle adopte des positions tranchées pour être visible. Elle y gagne son siège au Sénat… « Les migrants, c’est une chasse gardée pour Natacha Bouchart. Elle n’a jamais voulu d’un débat au conseil municipal », souligne Christophe Duffy, élu écologiste et colistier de la liste de gauche en 2020.

La solution de la maire de Calais ? « Pousser » les migrants hors du centre-ville vers les terrains vagues qui bordent la rocade portuaire et qui forment une décharge sauvage bien connue des calaisiens. Autrement dit, parquer les exilés à quelques centaines de mètres d’un port où converge la moitié des camions qui passent en Angleterre.

Jean-Marc Puissesseau, président de la société des ports du Détroit, qui gérait à l’époque l’exploitation du port de Calais en tant que président de la CCI, n’en revient toujours pas. Cela n’empêche pas Natacha Bouchart de dénoncer à longueur d’intervention la présence migratoire qui « tue l’économie locale ».

On connaît la suite : un bidonville dont la population monte jusqu’à 11 000 personnes, encadrées par plus de 2 200 CRS et gendarmes. Les barbelés poussent partout, les incidents routiers se multiplient… Natacha Bouchart est à la pointe (médiatique) du combat et devient une figure nationale. Elle harcèle les pouvoirs publics : elle veut des dédommagements.

Le 13 novembre 2015, le président de la région Daniel Percheron, les présidents des départements du Nord et du Pas-de-Calais et Natacha Bouchart signent, sous l’égide de l’État, un contrat de territoire exceptionnel. En tout, 155 millions sont mis sur la table pour aider le Calaisis.

Après avoir été rentière avec la dentelle, rentière encore avec le port et le Duty Free, Calais s’arrime à une nouvelle rente de situation grâce à la présence de migrants. Une rente qui est aussi politique.

Cette même année 2015, Natacha Bouchart est appelée par Xavier Bertrand à diriger la liste LR dans le Pas-de-Calais. L’édile coche toutes les cases : issue du même parti, adversaire déterminée du FN comme lui, et dotée d’une notoriété nationale toute fraîche. En 2015, Le Trombinoscope, l’annuaire du monde politique français, lui décerne le prix de l’élue locale de l’année. Après la victoire, elle devient vice-présidente de la région déléguée à la mer, aux ports et à la politique du littoral, et assoit encore davantage sa stature régionale.

« Elle nous saoule à la fin. Déjà qu’elle veut tout contrôler sur le littoral, elle demande tout le temps de l’argent. Y a pas que Calais dans la région », soupire l’un de ses collègues du conseil régional. En 2016, elle quitte le Sénat et déclenche une polémique en tentant de se faire embaucher comme attachée parlementaire de son remplaçant… Elle doit renoncer.

L’affaire est emblématique de son coté « culotté ». Capable de tout oser mais aussi de rentrer très vite dans sa coquille. C’est aussi vrai sur le plan personnel, où elle se montre réticente à toute confidence – sauf au journal Nord Littoral, auquel elle se livre un jour.

Son péché mignon ? Manger des coquillettes au beurre devant la télévision en pyjama. Sans complexe, on la voit aussi s’asseoir par terre dans un gymnase du Beau-Marais lors d’une battle de hip hop. Un côté nature qui la rend proche des Calaisiens. Un atout pour décrocher un troisième mandat ?

  • Rupture avec les patrons

Le phénomène migratoire, bien que plus faible qu’au temps de la Jungle, pèse toujours sur la vie locale. Mais la situation économique a repris de l’importance. Problème : Natacha Bouchart n’a plus le soutien des patrons, alors qu’ils se trouvaient au premier rang en 2008. Depuis, ils ont fortement déchanté. Ils ne s’attendaient pas à voir la fiscalité foncière augmenter. Et ils digèrent encore moins la hausse du versement transport, payé par les entreprises.

« Le taux a été porté à 2 % de la masse salariale, afin de financer un petit bateau – La Majestin – qui coûte environ un million d’euros, afin d’assurer la traversée du canal de Calais. Or il ne prend quasiment personne… », soupire un patron.

Les relations avec le port de Calais, principale activité économique de la ville, sont loin d’être au beau fixe. Alors que celui-ci a engagé le plus grand chantier d’infrastructure portuaire d’Europe pour accueillir de plus grands navires, ni la ville ni l’agglomération n’ont participé à son financement.

En revanche, Natacha Bouchart a tenté d’en retirer des recettes fiscales supplémentaires (3 millions d’euros, selon une estimation). Mais elle a perdu cette bataille face au président de la société d’exploitation, Jean-Marc Puissesseau. Il a fait valoir à Bercy que les ports ont une mission de service public et doivent donc être exonérés.

« Heureusement qu’on a eu ce rescrit [exonération – ndlr]. C’était le pic de la Jungle et le port perdait 1,5 million de voyageurs cette année-là. Mais personne ne s’est inquiété à l’époque de notre sort », tempête-t-il. Un autre patron se résigne : « Elle aurait pu apprendre, en deux mandats. Mais l’économie ne l’intéresse pas. » 

  • À la recherche d’une nouvelle rente

Quand la dentelle se meurt, Natacha Bouchart finit par en prendre acte après avoir englouti plusieurs millions d’euros en soutien au dentellier Noyon. En pure perte. « J’ai accompagné la fin d’une industrie », assume t‑elle. En matière de commerce, la maire de Calais croit toujours à l’extension de surfaces alors que la crête est déjà passée.

Le long de l’autoroute A16, les enseignes – souvent de discount – se sont multipliées. Dans le centre-ville, déjà concurrencé par le centre commercial Cité Europe qui jouxte le tunnel, les effets sont patents : des vitrines vides et des prix de l’immobilier qui se sont effondrés.

Face à cela, Natacha Bouchart ne jure que par le retour d’une autre rente : alors que le Brexit est acté, elle réclame une zone de dédouanement pour faire revivre le Duty Free. Christophe Castaner en a accepté le principe. Reste à en déterminer le périmètre. La maire, elle, rêve de l’étendre à toute la ville.

Natacha Bouchart a souvent beaucoup promis en matière économique. « 5 000 emplois directs et indirects », titrait ainsi Nord Littoral en 2008 à propos de son projet de parc d’attraction Spyland. Plus d’une décennie plus tard, ce projet maintes fois relancé, modifié, puis rabougri aura coûté, en vain, le prix de quelques études.

Aucune idée ne s’est vraiment concrétisée au cours des deux mandats de l’édile. À part, bien sûr, le fameux Dragon à 27,5 millions d’euros, déjà ausculté par Mediacités. Porteur de tous les espoirs d’attractivité de Calais, il s’accompagne de prévisions de retombées très optimistes. Mais l’utilisation de la machine s’avère plus complexe que prévu. Quelques semaines après le lancement, les points de rouille se multiplient sur la « bête », entraînant son immobilisation. La maintenance sera plus lourde que les 17 000 euros prévus au budget.

  • Un chômage toujours endémique

Sur le front du chômage, Natacha Bouchart porte en étendard depuis le début de la campagne une baisse de 30 % depuis son élection et un taux de 12,7 % de demandeurs d’emploi à la fin 2019. Sauf qu’elle se garde bien de dire que ces chiffres concernent tout le bassin d’emploi. Soit les trois intercommunalités (Calaisis, région d’Audruicq et Pays d’Opale) et pas la seule ville de Calais, pour laquelle le recueil de données s’apparente à un parcours du combattant. Il faut se plonger dans les documents de l’Insee, recouper les tendances des différents Pôles emploi et fureter du côté de l’Urssaf, où un administrateur finit par nous lâcher : « À Calais, le vrai chiffre, c’est 24,5 %. »

Le nombre de demandeurs d’emploi est quasiment stable jusqu’en 2018. La baisse se manifeste surtout en 2019 (avec 1 148 personnes en moins inscrites). Elle semble surtout être le fait de TPE-PME locales ou du port de Calais et devoir davantage à une tendance de fond nationale qu’à l’équipe municipale. Toujours est-il que cette « tendance globalement baissière », comme nous le confirme une cadre de Pôle emploi, ne change rien au constat : le chômage demeure endémique à Calais.

  • Une situation politique inédite

Politiquement, Natacha Bouchart a longtemps profité de configurations très favorables. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Son rival supposé le plus dangereux, le Rassemblement national, a parachuté un jeune capitaine de la Légion, Marc-Alexandre de Fleurian, attaché parlementaire d’un député européen, qui vient « par devoir » libérer les Calaisiens.

La maire en fait – comme Macron – son « meilleur ennemi », n’hésitant pas à préempter un bien immobilier que le candidat RN s’apprêtait à acheter. « Je ne veux pas du RN en plein centre-ville », se justifiait Natacha Bouchart dans Le Point.

En attendant, « l’extrême simplicité » du programme du RN se résume au slogan affiché sur un camion qui tourne dans la ville : « Bouchart = Macron ». Et à une campagne qui promet de « libérer les Calaisiens des migrants »pour résoudre tous les problèmes économiques.

Le Rassemblement national a parachuté Marc de Fleurian à Calais. © MR

Le RN transpire la confiance : « On n’a pas besoin de dire aux électeurs pour qui voter ; il suffit simplement de leur dire d’aller voter. On sait qu’ils votent pour nous dans les quartiers populaires », s’enthousiasme Philippe Olivier, ancien candidat à la députation à Calais et mari de Marie-Caroline Le Pen. Le couple s’est installé à Calais et figurera sur la liste. Mais il y a une ombre au tableau avec la tentative de constitution d’une liste dissidente d’ex-RN locaux menée par le conseiller régional Rudy Vercucque.

La gauche, à l’inverse, aborde ce scrutin sous la bannière unique du collectif Respirer 2020, derrière l’avocate et conseillère municipale communiste Virginie Quenez. « Une union des gauches et des écologistes à Calais, c’est déjà un événement considérable », insiste Francis Gest, figure historique des Verts calaisiens.

D’autant qu’elle affiche la volonté de ne pas se retirer au second tour, quel que soit le « risque » RN. Reste à savoir combien elle pèse vraiment : 35 % si l’on compte les deux listes (PCF et PS) de 2014 ? Ou moitié moins, si l’on considère le sondage le plus récent mais sujet à caution ?

Natacha Bouchart, pour s’imposer à nouveau, mise sur une liste renouvelée à 50 % et prône toujours l’ouverture. En 2008, le cocktail proposait une répartition par quarts entre candidats de droite, de gauche, du centre ou non encartés. En 2020, c’est une composition en tiers. Le premier comprend des barons et des gens « sûrs » de 2008 comme la belle-mère de Claude Demassieux.

Le deuxième regroupe des personnalités non engagées comme Ladislas Lozano, ex-entraîneur du Cruf, finaliste de la coupe de France de football il y a plus de 20 ans ; ou encore Delphine Ledoux, ex-championne de France et internationale de gymnastique rythmique.

Enfin un tiers est réservé à des politiques, y compris venus de la gauche, comme Daniel Boulogne, ex-président de la Maison pour tous et ex-attaché parlementaire du député PS de Calais Yann Capet ; ou Laurent Lenoir, ex-membre actif de la section locale du PS. La nouveauté, c’est que l’ouverture se traduit cette année par trois colistiers macronistes. Mais en l’occurrence, la maire de Calais a fait du Macron avant Macron.

Drôle d’animal politique, que Natacha Bouchart. Sa ville fait partie des cibles officielles du RN. Mais elle affiche sa sérénité. « La campagne, je la sens bien, confie-t-elle. C’est ça, une campagne, on sent les gens. C’est pas un camion dans la ville, une campagne. » Rendez-vous le 22 mars pour vérifier son intuition.

Ouistreham, 5 fois moins de migrants qu’il y a un an

A Ouistreham, il y a 5 fois moins de migrants qu’il y a un an : pourquoi ?

À Ouistreham, le nombre de réfugiés a considérablement baissé. Ils sont aujourd’hui une trentaine, contre plusieurs centaines au plus fort de la crise migratoire.

À Ouistreham le nombre de migrants qui stationnent a beaucoup baissé, de plus de 200 à 35 environ aujourd’hui.À Ouistreham le nombre de migrants qui stationnent a beaucoup baissé, de plus de 200 à 35 environ aujourd’hui. (©Archives Nicolas Claich/Liberté le Bonhomme Libre)Depuis l’été 2017 la crise migratoire est une réalité à Ouistreham près de Caen (Calvados). Cette année-là, la ville découvre que son port, qui relie Portsmouth via les navires de la Brittany Ferries, est une porte d’entrée prisée des réfugiés qui veulent se rendre au Royaume-Uni.

Essentiellement Soudanais fuyant la guerre et la pauvreté, ces (très) jeunes Africains ont délaissé Calais. D’autres ont transité par Paris, mais tous n’ont qu’un but : partir en Angleterre, ne pas rester en France. Miguel, responsable de la première heure du CAMO (collectif d’aide aux migrants de Ouistreham) estime qu’en deux ans et demi « plusieurs centaines sont passés en Angleterre. »

35 contre 200

La préfecture du Calvados n’a, elle, jamais communiqué de chiffres. En revanche aujourd’hui, les services de l’État, la municipalité et les associations d’aide aux réfugiés s’accordent sur le nombre actuel de migrants. 35 pour le CAMO (qui en comptait « 130, 160 l’an dernier ») et le maire de Ouistreham Romain Bail. Une « quarantaine, ou une cinquantaine » pour la préfecture.

« On constate une baisse globale depuis plusieurs mois », confirme Bruno Berthet, sous-préfet et directeur du cabinet du préfet du Calvados.

De multiples raisons

Là où les bénévoles et l’État se rejoignent également, c’est sur les raisons de la baisse du nombre de migrants. « Il n’y a pas d’explication immédiate », confie Bruno Berthet. « Je n’ai pas d’explications claires », abonde Miguel.

Les deux parties avancent néanmoins les mêmes pistes : « le blocage des frontières en Méditerranée ou ailleurs (CAMO) », « le contexte extérieur (préfecture) ».

La sécurisation renforcée du terminal portuaire, à la fois pour les migrants et pour préparer le Brexit est l’autre raison évoquée. Les camions dans lesquels les réfugiés tentaient de monter en pleine rue ont également vu leur sécurité renforcée.

« Les bénévoles ne lâchent rien »

Mais si le nombre de réfugiés a baissé, la crise demeure. Et comme auparavant, la maraude hivernale des services de l’État (mise à l’abri d’urgence à Caen du 31 octobre au 31 mars) n’a attiré depuis son lancement 2019 « que quelques dizaines de personnes », calcule le sous-préfet.

Les migrants en cet hiver doux préfèrent rester dehors. Les 10 couchages mis à disposition par la mairie de Lion-sur-Mer « ne sont pas toujours pleins », ajoute le CAMO.

Les bénévoles qui aident au repas, aux vêtements, à la santé, en revanche « ne lâchent rien », insiste Miguel. « Notre conviction reste profonde. » Le travail de longue haleine paye aussi :

Depuis le début de notre action, onze personnes ont obtenu leur papier de réfugiés.