Des migrants place de la République, sans la République

Des migrants place de la République, sans la République

Par Sébastien Thiéry

POLITISTE ET ÉCRIVAIN

Des centaines d’exilés laissés à la rue après l’évacuation d’un campement en Seine Saint-Denis ont essayé lundi 23 novembre de s’installer place de la République à Paris. Soutenus par des associations et des élus, ils espéraient ainsi se rendre visibles. Ce qui a été visible, c’est la violence de leur évacuation par les forces de l’ordre, suscitant critiques et indignations. Mais combien, parmi les organisateurs de cette action et les indignés de ce matin, ont sincèrement cru à un autre déroulement, à un autre dénouement ?

Au beau milieu de cette grande place parisienne vibrent des allégories : de la République, tout au sommet, rameau d’olivier pour dire la paix main droite, tablette portant inscription « Droits de l’Homme » main gauche ; de la liberté, de l’égalité, de la fraternité un étage plus bas, adossées au piédestal de pierre blanche, protégées par le suffrage universel, lion sculptural tout de bronze dressé, vif et souverain. Sous les yeux de cette assemblée grandiose des bataillons de forces de l’ordre ont hier soir, lundi 23 novembre, expulsé avec la violence que l’on sait des personnes migrantes et des militants ayant installé là, précisément là, un campement.

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Hurlements, coups de matraques, tentes arrachées. Epaisses vapeurs de gaz asphyxiants, corps à corps brutaux, foules compactes malmenées, passages à tabac. Quelques élus, portant écharpes telles des boucliers, bien visibles. Nombre de journalistes, caméras au poing, scrutant les visages à découvert, masculins comme féminins, de gendarmes mobiles survoltés. Dispersions, fuites, nouveaux passages à tabac dans les rues adjacentes. Ce matin, les images en clair obscur tournent à foison, accompagnées du concert d’indignation que l’on sait : « Honte », « Tristesse », « Rage », « Consternation ». En place, les allégories semblent, impassibles, trôner toujours.

Combien, parmi les organisateurs de cette action et les indignés de ce matin, ont sincèrement cru à un autre déroulement, à un autre dénouement ? Que veut dire cette déploration devant des actes aussi prévisibles, devant des forces de l’ordre dont on ne découvre évidemment pas en novembre 2020 le manque d’humanité, devant des pouvoirs publics desquels on n’attend sûrement pas un geste de bonté enfin ? Quel est le sens de cette levée d’indignation unanime ce matin sur les réseaux sociaux, comme s’il s’agissait d’un réveil, comme si cette violence était proprement inouïe ? Le programme policier est absolument connu, inlassablement répété depuis des années, martelé par ses commanditaires, rendu manifeste à chaque occasion, en l’occurence 65 fois à Paris depuis 2015.

On dit filmer la violence pour la dénoncer, on ne fait qu’en promouvoir l’énoncé en colportant les preuves de sa vigueur sans faille. Il est avéré, enregistré, définitivement entériné que les pouvoirs publics ont renoncé à quelque politique d’hospitalité que ce soit, et le clament à la force d’opérations militaires toujours un peu plus spectaculaires. La terreur est un discours en actes qui, grâce aux images qu’elle engendre et qui tournent alors, porte à tout va, aussi loin que possible espère-t-on sans doute en haut lieu. Renoncer à accueillir, c’est dissuader celles et ceux qui sont encore loin de se rapprocher, c’est conseiller celles et ceux qui sont ici de fuir très loin, c’est raconter aux riverains que ces gens-là ne font que causer des problèmes et les dissuader donc qu’ils s’en mêlent. Détruire, expulser, matraquer, c’est évidemment aggraver la détresse, non y répondre, c’est enfoncer les personnes et leur faire entrer dans le crâne qu’il n’y aura pas d’issue. La violence éclatante d’hier soir, place de la République, est une leçon magistrale coorganisée, certes à leurs corps défendant, par celles et ceux qui la déplorent.

Sous tente, à portée de la violence la plus bestiale, ces êtres humains se trouvent encore et toujours surexposés à leur propre effacement.

Mais tout est bien plus faux que cela, et plus grave encore. Les quelques élus présents hier soir en soutien de ce campement de militants davantage que de migrants répétaient l’indiscutable sentence : « Il s’agit de rendre visibles celles et ceux qu’on invisibilise ». Sur la question du visible, l’élu s’y connaît se dit-on, sachant apparaître par exemple lors d’un tel moment médiatique avec l’espoir, à peine masqué, d’un gain d’image. Mais cette sentence indiscutable de professionnel de l’opposition mériterait enfin qu’on la discute jusqu’à s’en passer peut-être. Car ces dits « migrants », qui ne le sont que depuis quelques mois, ne cessent d’être surmédiatisés en tant que pauvres errants, ne cessent d’être exposés aux yeux de tous comme autant de vies nues.

L’opération d’hier n’en finit plus d’alourdir ces images et d’accabler les personnes : sous tente, à portée de la violence la plus bestiale, ces êtres humains se trouvent encore et toujours surexposés à leur propre effacement. Cette manière de « rendre visible » une misère en la faisant coller à la peau de « ces gens-là » prolonge la casse humaine de femmes, d’hommes, d’enfants qui s’avèrent pourtant les rescapés d’une traversée terrible, des rêveurs colossaux inimaginables, des bâtisseurs jusqu’alors inarrêtables.

Cette action « coup de poing » renforce le mensonge à l’endroit d’une humanité prétendument dénuée de tout, qu’il faudrait « prendre en charge » comme on le dit du fardeau, qui exigerait un « devoir d’humanité » comme si cela pouvait nous en coûter. Hier, des personnes extraordinaires ont été placées une nouvelle fois nues sous les yeux de la République, visiblement en position d’humiliés, manifestement dépendantes, par la plainte, de pouvoirs publics qui en nient ouvertement l’humanité.

Peut-être l’immobilité de la République, hier sur place, témoigne-t-elle d’une sidération devant un tel théâtre. Elle n’est évidemment pas « en marche », comme le scandent celles et ceux qui, commanditant une telle violence, en piétinent les principes les plus élémentaires et devraient sur-le-champ être jugés et lourdement condamnés pour violence en bande organisée. Elle n’est cependant pas davantage « debout », pauvres tentes en main, migrants à ses pieds, hurlant à l’État qu’il faut faire quelque chose comme si, dans le fond, l’hospitalité pouvait s’administrer.

La République est absente d’une telle scène où ce qui se joue est parfaitement étranger à ses desseins. Hier soir, comme ce matin, comme tous les jours, elle se trouve rayonnante dans les gestes de celles et ceux qui, sur mer comme sur terre, font l’hospitalité, reconnaissant l’humanité majuscule de ces personnes qui, cherchant refuge parmi nous, bâtissent plus que de raison. La République est cette communauté œuvrante, en pleine possession de ses responsabilités extraordinaires, au travail d’inventer les mondes qui viennent, s’obstinant à construire les lieux, les relations, les langues, les géographies et les histoires mêlées d’un XXIe siècle qui connaît, et connaîtra bien plus encore, des mouvements migratoires sans précédent.

La République est ce mouvement pionnier, comme il l’a toujours été, qui se lève au-devant des plus grands défis politiques de notre temps et qui, ce faisant, doit entraîner les autorités dans son sillage pour que les outils, les moyens, les soutiens lui soient apportés. C’est cette République qu’il nous faudrait savoir rendre manifeste, non au sol sous la menace, mais au-devant, déclassant cette politique de violence définitivement sans avenir. Ce sont les actes bâtisseurs qu’il nous faudrait savoir dresser en haut-lieu, dont il nous faudrait savoir exposer la beauté et la portée à la vue de toutes et tous, désignant ainsi des chemins possibles à ce qui, ce matin, se trouve encore un peu davantage dans l’impasse.

Sébastien Thiéry

POLITISTE ET ÉCRIVAIN, COORDINATEUR DES ACTIONS DU PEROU (PÔLE D’EXPLORATION DES RESSOURCES URBAINES)

Asile : la France revoit sa position sur l’Afghanistan

Asile : la France revoit sa position sur l’Afghanistan

Dans deux décisions, la Cour nationale du droit d’asile considère que la violence régnant à Kaboul ne justifie pas d’octroyer une protection internationale.

Par Julia Pascual Publié hier à 18h33, mis à jour hier à 19h10, LE MONDE

Cela prend la forme feutrée et jargonneuse des décisions de justice administrative, mais cela n’en reste pas moins un événement dans le domaine de l’asile : vendredi 20 novembre, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a rendu publiques deux décisions datant du 19 novembre et mettant fin à la jurisprudence dite « Kaboul », en vigueur depuis 2018.

Celle-ci permettait jusque-là à la CNDA d’accorder une protection quasi systématique aux demandeurs d’asile afghans. Même si ces derniers n’étaient pas personnellement persécutés dans leur pays, elle considérait qu’une menace grave pesait sur eux en raison de la violence aveugle régnant à Kaboul, ville par laquelle doit passer un demandeur d’asile débouté et renvoyé dans son pays.

En se penchant sur le cas de deux Afghans, la CNDA s’est réunie en grande formation et a réévalué sa position. Elle a rejeté les recours des deux demandeurs afghans et considère désormais que « la violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul n’est pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne ».

« Effet majeur »

Pour Gérard Sadik, responsable de l’asile à La Cimade, « la jurisprudence Kaboul a sauté ». « L’effet de cette décision sera majeur, poursuit-il. Un certain nombre de personnes victimes de la guerre civile vont se retrouver sans protection. »

Pour rappel, les Afghans représentent 2,7 millions de réfugiés dans le monde. La majorité a fui vers le Pakistan voisin. Au sein de l’Union européenne (UE), ils sont les deuxièmes demandeurs d’asile, derrière les Syriens, avec environ 61 000 requêtes enregistrées en 2019. En France, les Afghans sont actuellement les premiers demandeurs d’asile.

Le gouvernement ne fait pas mystère de son souhait de combattre les disparités au sein de l’UE sur les taux d’acceptation des demandes d’asile

Même si leur nombre baisse en 2020, compte tenu des effets de la crise sanitaire, comme l’arrêt des transports et la fermeture des frontières, ils ont déposé jusque-là 7 000 demandes cette année. La plupart de ces ressortissants ont déjà demandé l’asile dans un autre pays de l’UE, le plus souvent en Allemagne, en Autriche ou en Suède, où ils ont été déboutés.

« La décision de la CNDA permet d’envoyer un message, selon M. Sadik. C’est de dire que ce n’est pas la peine de venir en France. » Le gouvernement ne fait pas mystère de son souhait de combattre les disparités au sein de l’UE sur les taux d’acceptation des demandes d’asile, convaincu que cela constitue concernant la France un facteur d’attractivité.

« Des données très quantitatives et datées »

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui statue en première instance sur les demandes d’asile, a, depuis plusieurs années, réduit le taux de protection accordé aux Afghans, passé de plus de 80 %, en 2015, à moins de 60 %, en 2019. Mais, en application de la jurisprudence Kaboul, notamment, la CNDA avait annulé 75 % des décisions de rejet de l’Ofpra.

Pour réévaluer le niveau de violence à Kaboul, la CNDA s’est fondée sur un ensemble de données. Elle dit notamment qu’en dépit des attentats perpétrés dans la zone, « il est manifeste que les civils ne constituent pas les principales cibles des groupes insurgés à Kaboul ». Elle cite le nombre de 1 563 victimes civiles en 2019, dont 261 tuées et 1 302 blessées, « soit une diminution de 16 % par rapport à l’année 2018 ». Pour le premier semestre 2020, le nombre de victime civiles dans la province de Kaboul a été de 338 morts et blessés. Elle estime enfin que « l’impact de ces attentats n’est pas de nature à contraindre les civils à quitter leurs foyers et la ville de Kaboul. Au contraire, la ville s’avère être un refuge pour les civils qui fuient les violences dans les autres provinces ».

« Ces décisions ont vocation à permettre au juge de l’asile de suivre une méthodologie quand il évalue la violence dans un pays, quel qu’il soit, en fonction des données les plus actuelles », précise la vice-présidente de la Cour, Isabelle Dely. Une source interne à la CNDA tient toutefois à relativiser la portée de ces décisions : « Elles se fondent sur des données très quantitatives et datées. Or, on peut craindre qu’avec le retrait des Américains et les talibans aux portes du pouvoir, la violence redouble. Les décisions à l’avenir seront fonction de l’actualité. » Pour cette même source, les décisions de la cour « ménagent la chèvre et le chou ». « Elles satisfont ceux qui voulaient un durcissement sur l’Afghanistan, mais n’ont pas la portée d’une jurisprudence », résume-t-elle.

Julia Pascual

 

Communiqué de Presse 10-11-2020 Observatoire des expulsions de lieux de vie informels – Les chiffres 2019-2020

Communiqué de Presse,

Paris, le 10 novembre 2020,

448 personnes sont expulsées de lieux de vie informels tous les jours depuis le début de la crise sanitaire. Il est urgent de trouver des solutions dignes !

En France, aujourd’hui, des milliers de personnes sont contraintes de vivre dans des habitats de fortune : des bidonvilles, des squats, des tentes…. Chaque année, de nombreuses expulsions viennent les précariser davantage.
Dans son nouveau rapport annuel, l’observatoire inter-associatif des expulsions collectives de lieux de vie informels a recensé 1079 expulsions du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020, en France métropolitaine. Et le contexte de la crise sanitaire n’a pas enrayé ces pratiques !

Depuis le 17 mars, dans ce contexte et malgré la prolongation de la trêve hivernale, 699 expulsions ont eu lieu, renforçant des conditions de vie indignes. Ce sont, en moyenne, 448 hommes, femmes et enfants qui sont expulsés, chaque jour et de manière répétée pour un certain nombre de ces personnes. Pour 84% des expulsions, la majorité des personnes n’a reçu aucune proposition de relogement, ni même de mise à l’abri ou d’hébergement, entrainant un retour à la rue, de l’errance, une rupture des suivis médicaux et sociaux et, souvent, la réinstallation dans d’autres bidonvilles ou squats. De surcroît, ces retours à l’errance en temps de pandémie viennent accroître le risque sanitaire.

Pendant cette période de crise sanitaire, 86% des expulsions ont été recensées dans le Calaisis (Calais et Marck) et la ville de Grande-Synthe, territoires dans lesquels les pouvoirs publics ne s’efforcent même plus de justifier ces pratiques. Les autres expulsions ont concerné 97 lieux, habités en moyenne par 93 personnes, pour la plupart des familles roms ou perçues comme telle, et font quant à elles le plus souvent suite à des procédures juridiques.

Certaines personnes connaissent ainsi plusieurs expulsions par an, par mois, voire par semaine.

Pareil constat, notamment en temps de crise sanitaire mondiale, pousse les associations de l’Observatoire à demander de nouveau que des solutions de logement dignes et pérennes soient proposées à chaque habitant, quel que soit son origine, sa situation administrative, ses projets et ses besoins. Il est vital que les pouvoirs publics
se saisissent de cette question, pour enrayer l’une des manifestations les plus dures de la crise du logement.

À propos de l’observatoire inter-associatif des expulsions collectives :
Ce collectif recense depuis 2 ans les expulsions de lieux de vie informels en France métropolitaine. Il est composé de plusieurs associations : la Fondation Abbé Pierre, Médecins du Monde, la Ligue des Droits de l’Homme, le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope, la Plateforme des Soutiens aux migrant.e.s, Human Rights Observers, la FNASAT et l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens.

Lien vers le site de l’Observatoire

Pour trouver la Note d’analyse complète

Pour trouver une synthèse des chiffres principaux de l’Observatoire

Communiqué de presse interassociatif – 17-09-2020 « Pour faire disparaître les migrant·es… Il suffit de les affamer »

Pour faire disparaître les migrant·es… Il suffit de les affamer

«  Il est interdit toute distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires dans les rues listées ci-dessous [du centre-ville de Calais] pour mettre fin aux troubles à l’ordre public et limiter les risques sanitaires liés à des rassemblements non déclarés  », a décidé le préfet du Pas-de-Calais par un arrêté longuement motivé publié le 10 septembre [1].

Pour favoriser une meilleure compréhension de cet arrêté, nos associations en ont réalisé une réécriture, débarrassée des faux-semblants du langage bureaucratique.

CABINET DU PRÉFET

DIRECTION DES SÉCURITÉS – BUREAU DE LA RÉGLEMENTATION DE SÉCURITÉ

Considérant que l’Europe et ses États membres mènent une politique visant à maintenir à distance respectable de leurs frontières les personnes qui tentent de fuir les guerres, persécutions et autres calamités provoquées par les élites politiques, économiques et financières ;

Considérant que la présence persistante dans le centre ville de Calais de personnes que leur aspect désigne comme étrangères et totalement démunies met en évidence l’inhumanité de cette politique et constitue en conséquence une nuisance insupportable ;

Considérant que la présence de ces exilé·es à proximité de la frontière franco-britannique accroît d’autant cette nuisance que, selon des sources bien informées, confronté aux pressions du Royaume-Uni en faveur d’un accord visant à renvoyer tous les migrant-es en provenance de France, le ministère de l’intérieur fait valoir que « si on accepte ça, on deviendra la poubelle des Anglais » [2] ;

Considérant que les actions déterminées menées jusqu’à ce jour pour soustraire ces personnes aux regards de la population et les dissuader se rassembler sur le territoire de la commune et, si possible, du département, voire du territoire national, n’ont pas encore parfaitement atteint leur but ;

Considérant notamment que si les destructions quotidiennes de campements, tentes et cabanes de même que les opérations policières de harcèlement et de dispersion ont largement contribué à réduire significativement leur visibilité, nombre d’entre elles s’obstinent pourtant à apparaître à la vue de tou·tes et ce, à toutes heures du jour ;

Considérant que doit en conséquence être empêchée toute réunion de personnes paraissant étrangères et démunies ainsi que toute action favorisant ces réunions, notamment les points de fixation créés pour assurer la satisfaction de leurs besoins élémentaires ;

Considérant que des associations subversives persévèrent à distribuer quotidiennement la nourriture dont ces personnes manquent et que, révélant les carences de la commune et de l’État, elles discréditent ainsi leur action ;

Considérant que par une ordonnance du 22 mars 2017, le tribunal administratif de Lille avait certes sanctionné les décisions précédemment prises par la maire de Calais visant à interdire ces distributions en violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ;

Mais considérant qu’après concertation entre la maire de Calais et le ministre de l’intérieur, il est apparu nécessaire, pour assurer l’éradication définitive des points de fixation, de passer outre cette décision de justice et, la police étant étatisée sur la commune de Calais, que soit pris un arrêté, préfectoral cette fois, réitérant les décisions interdisant la distribution de nourriture aux personnes étrangères qui en ont besoin ;

Considérant que la pandémie de Covid 19 constitue dès lors l’occasion inespérée de fonder un tel arrêté sur les risques de propagation du virus, peu important que ces risques ne puissent être majorés par la réunion de personnes déjà en situation de proximité permanente et au demeurant parfaitement informées des mesures de distanciation à prendre ;

Considérant en conséquence que cet arrêté doit être pris et ainsi motivé, quand bien même cette motivation apparaîtra pour ce qu’elle est : un prétexte ;

Arrête

Article 1er : Il est interdit aux personnes étrangères exilées et migrantes de se nourrir et, par voie de conséquence, à toute personne ou association de leur procurer de la nourriture ;

Dans le prolongement de cet exercice de réécriture, nos associations appellent chacun·e à œuvrer pour que, sans délais, soient mises en œuvre des politiques tournant définitivement le dos à ces dérives nauséabondes et fondées sur le principe de la liberté de circulation et d’installation.

Le 17 septembre 2020

Organisations signataires :

  • CCFD Terre solidaire
  • DÉLINQUANTS SOLIDAIRES
  • SALAM Nord / Pas de Calais
  • GISTI
  • SOLIDARITY BORDER
  • HUMAN RIGHTS OBSERVERS
  • SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE
  • LDH Dunkerque
  • TERRE D’ERRANCE
  • MÉDECINS DU MONDE
  • UTOPIA 56
  • MIGRACTION 59
  • PROJECT PLAY

[1Ouest-France, avec AFP. Publié le 11/09/2020 à 00h43 ; voir l’arrêté en pièce jointe ;

[2Le Monde, « Le Brexit qui vient pèse sur la fragile collaboration franco-britannique sur les migrants » par Cécile Ducourtieux et Julia Pascual ; Publié le 11 septembre 2020 à 14h45

Communiqué de presse-11.09.2020 : CAFI – Il est urgent que la distribution alimentaire soit à nouveau permise

CALAIS : IL EST URGENT QUE LA DISTRIBUTION ALIMENTAIRE PAR LES ASSOCIATIONS SOIT À NOUVEAU PERMISE

Publié le 11.09.2020.

« Il est urgent que les autorités françaises reviennent sur leur décision d’interdire la distribution de nourriture par les associations humanitaires à Calais », déclarent six associations nationales humanitaires et de droits des personnes migrantes (Amnesty International France, la Cimade, Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, Le Secours Catholique – Caritas France et la Fédération des acteurs de la solidarité) alors que le ministère de l’Intérieur a interdit à partir de ce jour toute distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires.

« J’avais faim et vous m’avez donné à manger ». En interdisant l’action humanitaire des citoyens, c’est la fraternité et la solidarité, fondement et valeur essentiels de notre société qui sont foulés aux pieds. C’est intolérable. Le Président de la République doit intervenir », Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique- Caritas France

« Dans le contexte actuel de crise sanitaire, les personnes et associations qui viennent en aide aux exilés ont un rôle essentiel. La décision du Ministre de l’Intérieur est une nouvelle démonstration du harcèlement dont font l’objet les défenseurs des droits des migrants dans la région. L’État doit reconnaître et soutenir leur rôle plutôt que d’entraver leur action » – Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France.

« Les personnes sont quotidiennement expulsées de leurs lieux de vie, démunies de leurs effets personnels, dispersées et on veut les rendre invisibles. La politique menée les contraint à l’errance, aggrave leur précarité et les expose à tous les dangers. Avec cet arrêté, croit-on apporter une réponse humaine à la situation indigne de ces personnes ? » – Henry Masson, Président de La Cimade

« Nous refusons d’opposer les missions remplies par les associations mandatées par l’État et celles qui se mobilisent par d’autres moyens : toutes ces actions sont essentielles et remplissent des fonctions complémentaires afin de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes présentes sur le littoral nord » – Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité

« C’est un arrêté liberticide qui intervient dans un contexte de harcèlement quotidien, d’exclusion et de politique de non-accueil. Le respect de la dignité humaine, manger, boire, se laver est essentiel à la santé. S’en prendre aux droits d’hommes, femmes, enfants épuisés et en grand besoin de soin est indigne de notre république  » – Dr. Philippe de Botton, président de Médecins du Monde France

« Les conditions de vie déplorables dans lesquelles sont maintenus les exilés de Calais ont des conséquences graves sur leur santé physique et psychique. La priorité doit être de porter assistance à ces personnes vulnérables et de leur garantir l’accès aux soins dont elles ont besoin » – Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières France

Contact presse

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spresse@amnesty.fr

Communiqué de presse – 11.09.2020 : Réaction des associations face à l’arrêté préfectoral d’interdiction des distributions

Réaction des associations mobilisées auprès des personnes exilées à Calais suite à l’arrêté interdisant les distributions alimentaires en centre-ville.

Expulser les campements, entraver la fraternié, affamer les exilé.e.s : les autorités publient un nouvel arrêté de la honte interdisant les distributions alimentaires aux personnes exilées

Calais, le 11 septembre 2020

Le Préfet du Pas-de-Calais publie ce jour un « arrêté prefectoral portant interdiction de distribution de denrées en certains lieux du centre ville de Calais en prévention de risques sanitaires et de risques liés à la salubrité ».

Cet arrêté est honteux. En accusant les distributions alimentaires, et par là-même les personnes exilées et les associations, de présenter des risques sanitaires et des risques liés à la salubrité, le Préfet manipule la réalité. Faut-il encore une fois dire que ce ne sont pas les distributions alimentaires qui créent des risques sanitaires et des risques liés à la salubrité mais que c’est l’absence de prise en charge dignes des personnes exilées présentes sur le littoral par les autorités qui nous poussent à organiser ces distributions ? Faut-il encore une fois dire que ces risques sont provoqués par l’État, qui a organisé tout l’été des évacuations forcées de campements et la pose de grillages sur ceux-ci, suite auxquelles les personnes expulsées, hagardes, cherchaient désespérément un nouvel endroit pour s’installer et se sont retrouvées en centre-ville ?

Cet arrêté est honteux. Il contrevient au principe de fraternité, pourtant à valeur constitutionnelle, en entravant les actions de citoyens et de citoyennes guidés par la volonté d’apporter leur aide et de subvenir aux besoins des personnes exilées présentes à Calais. Ainsi, cet arrêté prévoit que les personnes et associations qui s’impliqueraient dans ces distributions alimentaires soient poursuivies. C’est sans attendre, et dès ce matin, que des bénévoles de l’association Salam ont écopé de procès verbaux et d’amendes pour avoir proposé un petit déjeuner aux personnes exilées qui survivent actuellement dans le centre-ville de Calais, pour avoir aidé des personnes qui avaient faim.

Cet arrêté est honteux. Il va avoir pour conséquence de compliquer l’accès à un repas pour des personnes en errance en centre-ville, et qui ne bénéficient que des distributions alimentaires des associations indépendantes pour assouvir leur faim. En parallèle, l’action des autorités n’est pas suffisante : encore hier, en marge de la distribution alimentaire organisée par L’État en périphérie de Calais, plusieurs dizaines de personnes n’ont pu obtenir de panier repas, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Chaque jour, nos associations rencontrent des personnes exilées qui n’ont accès qu’à un repas par jour ou aucun et nous confient avoir faim.

Cet arrêté met en danger la vie de personnes exilées. Nous demandons le retrait immédiat de celui-ci. Les associations indépendantes, citoyens solidaires et personnes exilées appellent les autorités à prendre réellement en considération nos propositions afin d’organiser un accueil digne et respectueux sur le littoral. Dans l’attente de celui-ci, nous ne dérogerons pas aux principes d’humanité les plus fondamentaux et continueront de soutenir les personnes dans le besoin.

Associations signataires :

Amnesty International – Région Nord Pas de Calais / Somme L’Auberge des Migrants

La Cabane Juridique Collective Aid

Help Refugees Refugee Rights Europe

Secours Catholique – délégation du Pas-de-Calais Salam – Nord Pas de Calais

Terre d’Errance Utopia 56

Citoyennes et citoyens calaisien.n.e.s signataires :

Mehdi Dimpre Valérie Lefebvre

Contacts presse :

Juliette Delaplace (chargée de mission, personnes exilées de passage sur le littoral Nord, Secours Catholique Français) : + 33 6 30 06 75 99

François-Marie Guennoc (Vice-président, l’Auberge des migrants) : + 33 6 08 49 33 45

Hannah Dunkley (membre du Calais Food Collective / l’Auberge des Migrants) : +33 7 67 50 01 58

Pierre Roques (coordinateur terrain, Utopia 56) : +33 6 43 98 17 58

Le Monde-11.09.2020// Calais : vague d’indignation après l’interdiction de distribuer des repas aux migrants

Calais : vague d’indignation après l’interdiction de distribuer des repas aux migrants

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/11/a-calais-des-associations-scandalisees-par-l-interdiction-de-distribuer-des-repas-aux-migrants_6051809_3224.html

La préfecture du Pas-de-Calais a interdit la distribution aux associations non mandatées par l’Etat en raison, notamment, de « troubles à l’ordre public » et non-respect des gestes barrière.

Le Monde avec AFP – 11.09.2020

Des migrants, le 3 avril à Calais.

Les défenseurs des migrants se sont indignés, vendredi 11 septembre, de l’interdiction faite aux associations non mandatées par l’Etat de distribuer des repas aux exilés à Calais, une décision « intolérable » prise par la préfecture locale sous « prétexte » de la situation sanitaire.

« Il y a un prétexte sanitaire mais aux distributions de La Vie active [l’association mandatée par l’Etat], c’est pareil, les gens sont les uns sur les autres », a réagi auprès de l’Agence France-Presse (AFP) François Guennoc, vice-président de l’Auberge des migrants, une des associations visées par la décision de la préfecture du Pas-de-Calais.

L’organisation assure distribuer chaque jour entre 200 et 300 repas à des migrants en centre-ville et plusieurs centaines d’autres cinq jours sur sept dans divers points de la ville. « Si l’Etat veut entasser les gens autour de l’hôpital », site de distribution de La Vie active, « où il y a déjà 700 personnes, il prend ses responsabilités, mais on va arriver à une situation pire que précédemment », a-t-il estimé.

La préfecture a interdit jusqu’à la fin de septembre « toute distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires [dans une vingtaine de rues, quais, places du centre-ville] pour mettre fin aux troubles à l’ordre public et limiter les risques sanitaires liés à des rassemblements non déclarés ».

Cette décision, entrée en vigueur dès vendredi, a été prise au lendemain d’une entrevue à Beauvau entre le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et la maire de Calais Natacha Bouchart (LR).

« Erreur humanitaire »

Jean-Claude Lenoir, président de l’association Salam, elle aussi visée, a dénoncé « une décision inhumaine, une erreur humanitaire et une maladresse politique », pointant « une surenchère électoraliste par rapport au Rassemblement national ».

Dans la mesure où l’Etat a mandaté l’association La Vie active, pour fournir « 4 distributions quotidiennes de repas », que l’Etat met à disposition des migrants 38 robinets d’eau cinq jours sur sept, dont « 22 accessibles sept jours sur sept » et que de l’eau est distribuée pendant les repas, la préfecture considère assurer « des prestations humanitaires suffisantes au regard des besoins de cette population, notamment alimentaires ».

« Il est urgent que les autorités françaises reviennent sur leur décision », ont réagi dans un communiqué commun six ONG et associations engagées dans la défense des exilés, dont Amnesty international, Médecins du monde ou Médecins sans frontière.

« En interdisant l’action humanitaire des citoyens, c’est la fraternité et la solidarité (…) qui sont foulées aux pieds. C’est intolérable », a par exemple fustigé Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France. Pour Amnesty International, qui estime à 1 500 le nombre d’exilés présents à Calais et ses environs, la décision « est une nouvelle démonstration du harcèlement dont font l’objet les défenseurs des droits des migrants dans la région ».

A La Vie active, on indique que l’association distribue au total de 1 000 à 1 200 petits-déjeuners et autant de déjeuners chaque jour à Calais, sur deux lieux différents. L’association parvient à toucher « la majorité » des migrants présents.

Le Monde avec AFP

La FASTI et les ASTI lancent une campagne pour demander l’abrogation du CESEDA

 » Ensemble, abrogeons le CESEDA ! « 

 » Vous trouvez cela utopique ? Nous aussi, mais nous pensons que l’utopie n’est pas un gros mot : c’est une vision de la société que l’on porte et qui permet de développer nos idées et de fixer un cap à nos actions. La crise du coronavirus révèle au grand jour les inégalités sociales, économiques, administratives qui touchent certaines populations, notamment les personnes étrangères, et qui constituent le terreau du « modèle » économique capitaliste dans lequel nous vivons. Cette crise révèle également une volonté collective de relever le niveau des luttes pour que l’égalité entre toutes et tous soit enfin la priorité et l’objectif commun. En témoigne les nombreuses initiatives pour la régularisation inconditionnelle de toutes les personnes sans-papier.

Depuis quelques temps, la FASTI et les ASTI travaillent en interne à la mise en œuvre d’une campagne pour l’abrogation du CESEDA. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de ses revendications pour la liberté de circulation et d’installation en lien avec celle pour l’égalité des droits entre toutes et tous. Elle en est, en quelque sorte, une première concrétisation. Cette campagne est née du besoin exprimé par les militant-e-s du Mouvement de « prendre du recul » avec une vision qui se situe sur le plus long terme et de ne plus être constamment sur la défensive face aux restrictions juridiques et politiques toujours plus sévères. Elle vient en complément de nos luttes concrètes de court/moyen terme qui sont toujours essentielles.

La crise sanitaire actuelle rend encore plus urgente la nécessité de repenser notre modèle de société et nous souhaitons partager aujourd’hui avec vous les réflexions issues de cette campagne. Nous vous invitons à visiter cette page de notre site dans laquelle se trouve l’argumentaire de campagne et plusieurs éléments visuels de sensibilisation.  »

La campagne à trouver ici  : http://www.fasti.org/index.php/dossiers

France 3- 6.06.2020 – Harcèlement par les gendarmes à Ouistreham

https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/ouistreham-migrants-se-disent-harceles-gendarmes-1838268.html

À Ouistreham, les migrants se disent harcelés par les gendarmes

Quelques dizaines de jeunes migrants, pour la plupart originaires du Soudan, sont revenus à Ouistreham après le confinement. Ils espèrent tous passer en Angleterre. / © France Télévisions

Une manifestation de soutien rassemble plus d’une centaine de personnes pour protester contre l’attitude des forces de l’ordre. Depuis quelques jours, les contrôles se multiplient près du terminal transmanche. La Préfecture du Calvados justifie une action de « lutte contre l’immigration clandestine ».

Par Pierre-Marie Puaud Publié le 06/06/2020 à 17:30 Mis à jour le 07/06/2020 à 16:16

Le mot d’ordre a circulé sur les réseaux sociaux  : « pour que cesse immédiatement la violence de l’Etat envers une population vulnérable ». Ce samedi 6 juin, environ 120 personnes sont rassemblées devant la mairie de Ouistreham. Une banderole ose le clin d’oeil à l’histoire : « 6 juin 1944, Liberté. 6 juin 2020, Tyrannie ». 

Une banderole déployée le 6 juin devant la mairie de Ouistreham / © Mathieu Bellinghen / France Télévisions

Les manifestants dénoncent la multiplication des interventions de la gendarmerie constatée ces derniers jours, des « délits de facies » et de « graves atteintes à la liberté de circuler orchestrée au plus haut niveau de l’Etat, contraignant ces jeunes sans-papiers à se cacher sur un territoire hostile ».

Une centaine de personnes rassemblées le 6 juin 2020 devant la mairie de Ouistreham pour soutenir les migrants / © Mathieu Bellinghen / France Télévisions

Une vidéo, éloquente, est à l’origine de ce mouvement de protestation. Elle a été captée par un témoin sur un téléphone portable. On y voit plusieurs gendarmes mobiles fondre sur des jeunes migrants qui se trouvent sur un trottoir de Ouistreham. Ils sont embarqués sans ménagement pour y subir un « contrôle ». Cette semaine, les forces de l’ordre ont effectué plusieurs opérations de ce type. Certains migrants ont même été conduits à la gendarmerie pour des « vérifications ».


A Ouistreham, les gendarmes font-ils la chasse aux migrants ?

Pendant le confinement, ces jeunes migrants, des garçons pour la plupart originaires du Soudan, ont été pris en charge par la Croix-Rouge et mis à l’abri dans un centre de vacances à Tailleville. « Pendant ces deux mois, on aurait pu en profiter pour faire le nécessaire afin qu’ils aient des papiers. Au lieu de cela, ils se retrouvent à la rue, comme d’habitude », déplore Miguel Martinez du Collectif d’Aide au Migrants de Ouistreham (CAMO). Depuis la mi-mai, tous sont revenus à Ouistreham, dans l’espoir de pouvoir prendre un bateau.

Pourquoi ne peut-on pas rester ici à Ouistreham ? On ne fait de mal à personne. On ne touche personne. Nous sommes juste des êtres humains qui veulent aller en Angleterre.

Un jeune Soudanais revenu à Ouistreham dans l’espoir de passer en Angleterre / © France Télévisions

L’arrêté du 28 décembre 2018 signé par le ministre de l’Intérieur donne la possibilité aux forces de l’ordre d’effectuer des contrôles d’identité inopinés dans un périmètre de cinq kilomètres autour « des ports constituant de points de passage frontaliers ». En Normandie, le texte concerne les installations portuaires de Cherbourg, Caen-Ouistreham, Le Havre et Dieppe.

Une intervention des gendarmes dans les rues de Ouistreham. Juin 2020 / © Document amateur / DR

Le directeur de cabinet du préfet du Calvados justifie une action de lutte contre l’immigration clandestine. Et il réfute les accusations de contrôle « au facies ». Mais le CAMO dénonce un harcèlement qui aurait pour objectif de faire déguerpir ces jeunes migrants. « On se pose des questions. C’est toujours les mêmes. Ils sont noirs, migrants, Soudanais, et ils sont contrôlés de manière assez violente, s’indigne Miguel Martinez. L’idée, c’est qu’ils disparaissent du paysage, qu’ils aillent en centre de rétention et qu’ils soient expulsés du territoire. 

Violences contre des migrants: quand des gendarmes brisent l’omerta

https://www.mediapart.fr/journal/france/290520/violences-contre-des-migrants-quand-des-gendarmes-brisent-l-omerta?onglet=full

29 mai 2020 Par Tomas Statius

Dans une affaire de violences à l’encontre d’un mineur étranger à Calais, des gendarmes ont dénoncé des collègues, permettant une condamnation.

C’est une histoire calaisienne comme il y en a des tas d’autres. Une histoire de migrants qui croisent des policiers à la nuit tombée, après avoir tenté leur chance à la frontière. Dans ces histoires, trop souvent les exilés se plaignent de mauvais traitements. Coups, brimades, téléphones brisés, nourriture jetée et vol d’argent… C’est ce que décrit Suleman*, mineur afghan, dans une plainte au procureur de Boulogne-sur-Mer remontant à mars 2016, accompagnée d’un certificat médical et d’une carte indiquant où les violences se seraient déroulées.

Pour une fois, la plainte a fait du chemin. Car pour une fois, des membres des forces de l’ordre ont brisé l’omerta, d’après des informations obtenues par Mediapart.

En octobre dernier, à l’issue d’une enquête préliminaire confiée à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), trois militaires impliqués dans l’affaire de Suleman ont ainsi comparu devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer. À l’adjudant Raphaël S., il était reproché des coups : il a été condamné à trois mois de prison avec sursis (comme mentionné brièvement par La Voix du Nord), sans inscription au casier judiciaire.

À lui, ainsi qu’à deux camarades, les gendarmes Mikaël C. et Romain T., le parquet reprochait aussi des vols d’argent et la destruction de plusieurs téléphones portables appartenant à Suleman et ses amis. Tous les trois ont été relaxés, malgré les confessions de Mikaël C. pour ce qui est de la destruction de portable.

Depuis la condamnation, Mediapart a pu consulter l’intégralité de l’enquête préliminaire et se plonger dans cette affaire de violences pas comme les autres : lors de leurs auditions par l’IGGN, plusieurs gendarmes ont dénoncé des mauvais traitements et la destruction d’effets personnels de migrants de Calais.

Ce jour de janvier 2016, il est 23 heures passées quand des gendarmes de Saint-Nazaire, détachés à Calais, rejoignent leur hôtel en périphérie de la ville. La journée a été harassante. C’est l’époque de la « jungle », campement de plusieurs milliers d’habitants qui concentre tous les maux de la crise des réfugiés.

Sur le chemin, non loin du centre-ville, les gendarmes remarquent plusieurs ombres qui semblent se cacher derrière une voiture. L’endroit est connu pour être un point de rencontres d’exilés qui essayent de s’introduire dans le tunnel sous la Manche en direction de l’Angleterre. Il s’agit de Suleman et ses amis, les gendarmes les soupçonnent d’être en train de fracturer une voiture.

L’enquête établira qu’il n’en est rien : ils se dirigent simplement vers la « jungle » quand les gendarmes leur tombent dessus. Dans son témoignage, rédigé avec l’aide d’un traducteur et d’une bénévole de l’association la Cabane Juridique, Suleman s’explique : avant même de croiser la route des militaires, la soirée a été galère, le jeune homme se plaint d’avoir été aspergé de gaz lacrymogènes par des hommes qu’il pense être des policiers en civil. « Cela ne correspond à personne », grince un militaire, sur procès-verbal. À moins que ce ne soit ces groupes de calaisiens proches de l’extrême droite locale qui patrouillent la nuit aux abords de la jungle pour passer à tabac des migrants, tente ce gendarme. L’enquête ne répondra pas à la question. Les exilés sont rapidement appréhendés par le groupe de gendarmes et l’histoire aurait pu s’arrêter là sans le coup de sang de l’adjudant S.

Deux d’entre eux appartiennent à une autre compagnie appelée en renfort le soir des faits : le lieutenant Loïc H. et le maréchal des logis Denis W. Le dernier, le gendarme Mikaël C., faisait partie de la même troupe que l’adjudant S. Tous les trois se souviennent que ce soir-là, l’adjudant, sportif, a envoyé « un bon kick » au niveau de l’épaule de Suleman, 16 ans. Puis un coup de poing, complète le gendarme C.

Leur témoignage est proche de celui du jeune homme, et du récit qu’il fait au médecin chargé de l’ausculter lors de sa visite aux urgences de l’hôpital de Calais plus tard dans la soirée. Il se plaint alors d’une douleur au niveau de l’omoplate, « sans luxation », indique le certificat que Mediapart a pu consulter. Un autre médecin estimera à 1 jour d’ITT ses blessures.

Pourquoi ce geste de l’adjudant S. ? Personne n’en sait rien. L’intéressé nie encore aujourd’hui, fait savoir son avocat, Me Cottigny. Ses états de service étaient irréprochables… si ce n’est un signalement pour des faits de violence lors d’une audience au tribunal correctionnel de Paris un mois avant les faits. D’autres collègues invoquent les conditions de travail dans le Calaisis et les missions harassantes.

L’affaire Suleman jette également pour la première fois la lumière sur un autre délit longtemps dénoncé par les associations de défense de migrants (dont Amnesty International et l’Auberge des Migrants), jamais étayé dans le cadre d’une enquête judiciaire : la destruction des téléphones des migrants par les forces de l’ordre. Le gendarme C. reconnaît avoir brisé l’un d’entre eux : « On savait que les migrants s’appelaient entre eux pour avertir de la présence des forces de l’ordre. Sans arrêt, lorsque nous arrêtions des migrants, leur téléphone sonnait. Par exemple, si l’on arrêtait un groupe de migrants, un autre était averti de notre présence pour échapper à notre vigilance. Du coup, c’est un peu pour cette raison que j’ai jeté le téléphone derrière moi au lieu de le rendre à son propriétaire. »

L’homme plaide le geste d’humeur et affirme ne pas avoir répondu à une consigne de ses supérieurs. À l’audience, il demande pardon. Il a été relaxé par le tribunal.

Il n’est pas le seul, à en croire le lieutenant H. et le maréchal des logis W., qui se souvienne avoir vu plusieurs téléphones brisés aux pieds de Suleman et de ses amis. L’enquête ne permettra pas d’étayer leurs déclarations.

D’après les documents consultés par Mediapart, c’est silence radio dans le reste de la compagnie. L’ensemble des gendarmes se rangent derrière leurs camarades et ne s’expliquent pas le témoignage dissonant de trois des leurs.

Me Cottigny, l’avocat de l’adjudant S., regrette aujourd’hui une enquête « peu poussée » et l’absence de confrontation entre son client et ses détracteurs : « On s’est posé la question de faire appel mais il voulait tourner la page. » La condamnation est donc définitive. Mais l’homme est toujours gendarme, nous confirme la direction générale de la gendarmerie nationale.

Suleman, lui, a rejoint l’Angleterre. Il n’était pas présent au tribunal et n’a pas pu être interrogé au cours de l’enquête. Contacté par Mediapart, le cabinet du préfet du Pas-de-Calais, Fabien Sudry, se refuse quant à lui à tout commentaire « à propos d’une décision judiciaire ».

*Le prénom a été modifié.

Contactés par Mediapart, l’adjudant S., les gendarmes C. et T, n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.