La PSM recrute !

La Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s recrute deux personnes, dans le cadre de son projet de plaidoyer :

 

  • Une ou un chargé.e d’étude pour coordonner, sur 6 mois, une enquête auprès des personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique.

Les candidatures sont à envoyer avant le 5 février 2021, à cette adresse : sensibilisation[at]psmigrants.org. Retrouvez l’offre d’emploi en format PDF ici.

  • Une ou un chargé.e de recherche pour réaliser, sur 6 mois, une analyse des politiques publiques menées à la frontière franco-britannique ces trente dernières années.

Les candidatures sont à envoyer avant le 5 février 2021 à cette adresse : sensibilisation[at]psmigrants.org.  Retrouvez l’offre d’emploi en PDF ici.

Interdiction pour les associations d’aide aux migrants de visiter le local de mise à l’abri à Menton

Frontière italienne : les associations d’aide aux migrants ne pourront pas visiter le local de mise à l’abri à Menton

La préfecture des Alpes-Maritimes a notifié une nouvelle décision de refus le 30 décembre 2020 à l’association sollicitant l’accès à l’espace de mise à l’abri de Menton.

Contrôle de police à la frontière franco-italienne de Menton.
Contrôle de police à la frontière franco-italienne de Menton. • © Bernard Persia

On pourrait presque dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »  C’est en substance la réponse des autorités aux associations qui demandaient un droit de regard sur les conditions sanitaires des migrants au poste-frontière de Menton.

Il s’agit d’un simple local, baptisé « local de mise à l’abri », un Algéco qui permet d’accueillir les migrants suite à un contrôle de la PAF, la Police aux Frontières.

Chaque jour, plusieurs dizaines de migrants sont refoulés à la frontière entre l'Italie et la France. Leurs affaires sont entreposées dans ce local pendant leur audition dans les locaux de la police aux frontières de Menton (Alpes-Maritimes).
Chaque jour, plusieurs dizaines de migrants sont refoulés à la frontière entre l’Italie et la France. Leurs affaires sont entreposées dans ce local pendant leur audition dans les locaux de la police aux frontières de Menton (Alpes-Maritimes). • © Loïc Blache /FTV

Délai dépassé

Depuis 2019, ni les élus, ni les associations ne peuvent entrer dans les locaux où se trouvent les migrants avant leur renvoi en Italie.

Deux associations dénoncent « des conditions d’accueil indignes ». Le 30 novembre dernier, le tribunal administratif de Nice a demandé au préfet de revoir cette interdiction sous 30 jours.

Un délai dépassé.

Voici la réponse de la préfecture des Alpes-Maritimes à France 3 Côte d’Azur sur cette demande d’accès : 

  • une nouvelle décision de refus a été notifiée le 30/12/2020 à l’association sollicitant l’accès à l’espace de mise à l’abri de Menton
  • la nouvelle décision a été prise conformément aux règles fixées par plusieurs décisions du Conseil d’Etat
  • s’agissant d’étrangers qui ne peuvent être considérés comme des étrangers en situation irrégulière au sens de la directive « retour », le droit de l’Union européenne ne saurait servir de fondement juridique à un accès des associations à un local à but humanitaire
  • l’accès aux locaux sollicité ne peut pas non plus reposer sur les dispositions sur l’accès des associations aux lieux de privation ou de restriction de liberté tels que les centres ou locaux de rétention, puisqu’il ne s’agit pas d’un tel lieu
  • sans accéder à ce local de mise à l’abri, les associations peuvent parfaitement poursuivre leurs missions. Elles sont totalement libres de réaliser leurs missions d’assistance humanitaire dans la zone frontalière à proximité immédiate de ces locaux. Les associations peuvent ainsi s’assurer que les personnes entrent et sortent des locaux de la police aux frontières sans qu’elles n’aient été mises à l’abri pour une durée excessive.

« Il n’y a pas de lit, seulement des bancs »

Contacté, Me Zia Oloumi, est avocat bénévole spécialisé dans le droit des étrangers et président de l’Alliance-DEDF qui regroupe des juristes et des praticiens du droit des étrangers pour la défense des droits fondamentaux. L’assocaition intervient dans les procédures à Nice et à Marseille. Le juriste prend acte de ce nouveau refus qu’il qualifie « d’illégal, sauf à considérer qu’il existe en France un Guantanamo, un no man’s land français. » Il envisage de redéposer un recours.

Les responsables d’association doivent se réunir ce jeudi 7 janvier pour décider d’une stratégie commune. »C’est ridicule comme situation. » Une situation qui dure depuis cinq ans : les personnes contrôlées à la frontière restent dans des préfabriqués, ne peuvent pas en sortir, il n’y a pas de lit, seulement des bancs, des toilettes avec la porte ouverte…. Alors les « détenus » restent debout dans un angle de l’Algéco pour tenter de se reposer.

Il y a des mineurs avec des majeurs… parfois une femme avec des hommes alors que c’est interdit. »

Me Zia Oloumi, avocat en droit de la mobilité internationale et des droits fondamentaux

« Pas accès aux avocats, aux interprètes et aux associations de soutien »

Avant, ce « local » était placé en zone de rétention. Maître Oloumi glisse : « les maisons d’arrêt sont mieux… On marche sur la tête ! »

Le poste à la frontière italienne à Menton :

Selon lui, les associations devraient pouvoir y accéder : « Là-bas, ils n’ont pas accès aux avocats, aux interprètes et aux associations de soutien. Même des demandeurs d’asile en france ont eu leurs papiers confisqués ! (…) On nous dit que c’est pour le terrorisme, alors il devrait y avoir les empreintes, les noms, les photos. »

Mais le juriste prévient : « Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile va changer avec la décision du Conseil d’Etat. Il est très probable que le gouvernement prenne en considération la décision du 27 novembre qui disait que les décisions de refus d’entrée étaient illégales sur la zone des 10 km. »

Une dizaine de plaintes pour violences physiques et détention arbitraire

Par ailleurs, l’avocat va déposer une dizaine de plaintes pour violences physiques et détention arbitraire. Les associations le constatent régulièrement : les personnes sont retenues du soir jusqu’au matin, de 19h à 8 heures du matin, soit pendant plus de 12 heures. Alors que, selon le Conseil d’Etat, c’est 4 heures maximum.

Pour preuve, la plupart du temps, les heures écrites sur les documents de refus d’entrée en France… ne correspondent pas aux heures inscrites sur les documents italiens. « Ce sont des durées de privation de liberté largement supérieures à 4 heures », ajoute maître Oloumi.Il remarque que, malgré la mise en place de brigades mixtes entre la France et l’Italie, le respect des procédures ne s’améliore pas. Autre problème, les migrants mineurs dont les papiers sont confisqués et dont la date de naissance est ‘majorisée’ sur les papiers d’entrée.

L’avocat va aussi demander les rapports de contrôles du poste-frontière de Menton.

Il confie qu’il est toujours très compliqué d’avoir des témoignages de personnes. Difficile aussi d’avoir les identités des policiers qui signent certains papiers avec un numéro.

 

À Calais : « Les CRS coupent nos tentes avec leurs couteaux »

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À Calais : « Les CRS coupent nos tentes avec leurs couteaux »

Mardi 5 Janvier 2021

L’évacuation violente de centaines d’exilés à Paris, en novembre, avait ému l’opinion. À Calais, cette brutalité fait partie du quotidien de centaines de personnes. Dans une totale indifférence.

Calais (Pas-de-Calais), envoyé spécial.

En ce petit matin du 24 décembre, les ombres de quatre fourgons de gendarmerie mobile se mettent en place devant le commissariat de Calais. Plusieurs véhicules sont déjà présents : services de nettoyage, police aux frontières, police technique et scientifique, police nationale. Une fois le signal donné, le cortège se met en route. La tournée des expulsions des campements de fortune commence. Afin de dissuader les exilés de s’installer sur les terrains vagues, aux abords des routes ou sous les ponts du centre-ville, les occupants de chaque lieu sont délogés, à un rythme de tous les deux jours environ. L’épidémie n’a rien changé. Dans cette ville portuaire où entre 800 et 1 000 étrangers survivent dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre pour y trouver une situation meilleure, les expulsions font partie de la routine. Elles n’en demeurent pas moins violentes. Depuis la fin de la « jungle de Calais », en octobre 2016, l’élimination des « points de fixation » par la mairie et la préfecture semble virer à l’obsession.

Pas de trêve pour les expulsions

« Bonjour, veuillez quitter les lieux. Allez, let’s go ! » Par ces mots, les gendarmes mobiles chassent quelques dizaines d’exilés qui avaient trouvé refuge aux abords de l’ancien stade du Racing Club calaisien pour s’abriter de la pluie et du vent glacial de la mer du Nord, qui souffle en continu. Cabas ou sacs-poubelle bien remplis sous le bras, les hommes, jeunes, se dispersent sans discuter. Un petit groupe est contrôlé par la police aux frontières. « Parfois, certains sont arrêtés puis relâchés, d’autres font de la garde à vue ou sont emmenés dans des centres de rétention administrative. Personne ne sait pourquoi, c’est très arbitraire », développe Sandra Caumel, de Human Rights Observers (HRO). Depuis trois ans, les membres de ce collectif interassociatif documentent la violence des expulsions à Calais et Grande-Synthe. En 2020, ils en ont compté plus de 1 000 dans les deux communes. En ce jour, cinq lieux de vie sont dans le viseur des autorités. Pas de trêve des expulsions, même le jour du réveillon…

Un peu plus loin, entre l’hôpital de la ville et l’autoroute, quelques tentes sont installées discrètement sur un terrain vague. « Avant, il y avait des arbres ici », précise l’observatrice de HRO. Pour éviter que les exilés ne trouvent refuge dans les bosquets, la mairie déboise sans vergogne. Un sac plastique rempli de morceaux de pain à la main, Mahir, un jeune Tunisien, revient d’une distribution de nourriture assurée par une association caritative. En confiant ses affaires à un ami présent sur le camp, il les pensait en sécurité. De l’autre côté du périmètre tenu par les gendarmes mobiles, il voit sa tente emportée par les services de nettoyage. « Ici, c’est une vie de merde ! » s’exclame, dépité, le jeune homme, à Calais depuis treize jours.

Palets de lacrymo et tirs de LBD

À la fin de la matinée, l’arrière des camions des services de nettoyage est rempli des affaires saisies sur les campements. Les tentes à peine démontées et encore chargées d’objets sont jetées sans ménagement. Les couvertures sont piétinées et les sacs balancés dans la benne. Après les expulsions, les exilés, avec l’aide des associations, tentent bien de récupérer les effets personnels. Quand les téléphones portables sont retrouvés, ils ne sont pas toujours en état. Quant aux tentes, elles sont parfois lacérées à coups de couteau pour les rendre inutilisables. « Des gens se retrouvent à la rue, sans rien », constate Sandra Caumel, de HRO.

Sur un autre camp, installé aux abords d’un terrain de BMX, vit une petite communauté érythréenne. Les habitants ne semblent pas surpris quand arrive le cortège des gendarmes. Ils ont déjà déplacé leurs affaires pour éviter qu’elles ne soient saisies. En temps normal, les tentes sont plantées dans la boue, coincées entre des buissons et des bâches, pour se protéger du froid. La proximité pose d’ailleurs de nouveaux problèmes à l’heure du Covid-19, plusieurs cas ont été rapportés. « Même si ça peut être une source d’inquiétude, le Covid n’est pas leur priorité, explique Siloé Medriane, d’Utopia 56. Pour eux, c’est la survie. » Sur le sol, des palets de lacrymogènes témoignent des expulsions antérieures, qui se déroulent parfois de manière plus tendue. Comme le 11 novembre dernier, où l’un des habitants, toujours hospitalisé, était blessé au visage par un tir de LBD 40. Ce qui n’empêche pas, à chaque fois, le camp de se reconstituer.

Smaïn, 22 ans, vit ici depuis cinq mois. Il pointe du doigt les bidons d’eau posés sur le sol dans le campement : « Quand on dort ou qu’on n’est pas là, les CRS piétinent et vident les réserves d’eau, ils coupent nos tentes avec leurs couteaux », décrit-il. « Quand il y a quelqu’un dans une tente, ils la renversent », explique-t-il en mimant l’action. Le geste rappelle l’image des policiers à l’œuvre le 23 novembre dernier place de la République, à Paris. L’expulsion violente d’un camp éphémère dans le centre de la capitale avait déclenché une vague d’indignation, jusqu’à forcer le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à reconnaître que certaines de ces images étaient « choquantes ». À Calais, en revanche, la routine des violences subies par les exilés depuis plusieurs années ne semble pas alerter le gouvernement.

Une idée en tête : rejoindre l’Angleterre

À l’accueil de jour géré par le Secours catholique, le seul lieu de la ville ouvert la journée pour recevoir les étrangers sans logement, ils sont plus d’une centaine à s’offrir un peu de répit le temps d’un après-midi de Noël festif. Des jeunes hommes se réchauffent, jouent aux cartes, rechargent leur téléphone ou discutent autour d’une boisson chaude. Tous n’ont qu’une idée en tête : rejoindre l’Angleterre, par n’importe quel moyen et quel que soit le danger. Certains ont déjà tenté de traverser la frontière britannique, le plus souvent à l’arrière de camions. Sans succès. À l’évocation du mot « police », la réaction est toujours la même : « Police big problem ». Pour Salah, jeune Égyptien vivant dans les rues du centre-ville, « la police n’en a rien à faire de nous, elle est juste là pour nous donner des coups de matraque ».

Joseph, un bénévole du Secours catholique, est scandalisé par les violences policières répétées. « C’est exagéré ! » répète-t-il. Il soulève la casquette d’un jeune homme mutique, installé à l’écart des autres. Une plaie, tout juste recousue, court le long de son crâne. « Quand ils demandent à récupérer leurs affaires, c’est souvent là où ça se passe mal. Lui, il voulait récupérer son portable, il s’est fait tabasser », explique Joseph. Un autre a été retenu 42 heures au commissariat une semaine plus tôt. Il baisse son masque le temps de montrer ses blessures : sa lèvre, ouverte sous le coup d’une matraque, est encore gonflée, ses dents ont été éraflées par les coups. Aroun, un Tchadien de 31 ans, tient lui aussi à raconter son histoire. Il a aussi été blessé, quand il vivait dans le camp de Saint-Denis, en région parisienne, évacué en novembre. « Il y avait des gaz, la police nous a dit de partir, alors j’ai couru dans une direction. Des policiers m’ont attrapé et m’ont frappé. Ils m’ont cassé le bras », témoigne-t-il. Fraîchement arrivé à Calais, il espère atteindre l’Angleterre : « Là-bas, je pourrai trouver un travail, ce sera mieux qu’ici. »

« Les expulsions et les violences policières sont les deux gros problèmes que rencontrent les exilés à Calais  », commente Juliette Delaplace, responsable du Secours catholique local. Elle n’hésite plus à employer le terme de « harcèlement » lorsqu’elle parle de la politique anti-migrants menée sur place : « Ils veulent les décourager de vivre ici, et nous, les associations, de les aider. » Le 16 décembre, la ville a ainsi installé, à la demande du gouvernement, des rochers aux abords d’un camp, en condamnant l’accès aux associations. Sur le terrain juridique, les collectifs s’organisent pour répondre aux coups portés par la préfecture et la mairie. En septembre, douze associations échouaient devant le tribunal administratif à faire annuler un arrêté anti-distribution. Et le 24 décembre, la justice accordait à la ville le droit d’expulser sous les ponts de son centre-ville. « Ce qu’ils font déjà sans base légale connue ! » s’indigne Sandra Caumel, de Human Rights Observers. Selon l’Observatoire des expulsions des lieux de vie informels, c’est le cas dans 93,73 % des expulsions à Calais et Grande-Synthe.

Une politique de « dissuasion » dénoncée à plusieurs reprises

En 2015, puis en 2018, le Défenseur des droits constatait de nombreux manquements au respect des droits des étrangers à la frontière britannique. Le rapport établissait ainsi que les évacuations et les contrôles d’identité visaient à « dissuader  » les personnes exilées d’accéder aux lieux d’aide et de s’installer. Dans l’attente de « solution d’hébergement pérenne  », il recommandait que soit « garanti l’accès à la nourriture, l’eau et l’assainissement ». Un accès mis en place de manière très limitée et qui ne laisse pas entrevoir de solution durable.

2 journalistes dénoncent une entrave à la liberté d’informer

Le Monde 5 janvier 2021

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/04/etre-tenus-a-l-ecart-ce-n-est-pas-normal-deux-journalistes-denoncent-une-entrave-a-la-liberte-d-informer-devant-la-justice_606

Le tribunal administratif a rejeté, mardi, la demande des reporters indépendants d’enjoindre, en urgence, aux préfectures du Nord et du Pas-de-Calais de les autoriser à accéder aux différents sites où il est procédé à l’évacuation de campements. 

Par Laurie Moniez (Lille, correspondante)
Publié hier à 18h21, mis à jour à 14h57  

« Jusqu’ici, il n’y avait que deux pays qui m’avaient empêché de travailler : la Hongrie de Viktor Orban et le Maroc de Mohammed VI. Maintenant, il y a la France. » Photojournaliste indépendant, Louis Witter, 25 ans, couvre les crises migratoires depuis six ans. Lundi 4 janvier, devant le tribunal administratif de Lille, le reporter dénonçait, avec son confrère Simon Hamy, l’« entrave » à la liberté d’informer que représente selon eux l’impossibilité d’accéder à des évacuations de camps de migrants sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais.

Dans une requête en référé-liberté, tous deux demandaient au tribunal d’enjoindre aux préfectures de les « autoriser à accéder aux différents sites »d’évacuation pour y effectuer leurs reportages. En cause, notamment : plusieurs épisodes durant lesquels les deux journalistes disent avoir été empêchés d’exercer leur métier.

Leur requête a été rejetée, mardi 5 janvier. Le juge des référés a relevé que « les requérants n’avaient fait état d’aucune nouvelle intervention d’évacuation en cours ou à venir, à laquelle ils envisageraient d’assister, et qu’il a été indiqué en défense par les représentants des préfectures du Nord et du Pas-de-Calais que les évacuations étaient terminées ». Ainsi, selon le juge, la situation ne revêt pas le caractère d’urgence propre à justifier l’injonction. Pour Me Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris et confrère d’Henry-François Cattoir, le conseil des deux reporters, la décision du tribunal est « une parade pour ne pas avoir à répondre au fond, à savoir l’entrave à la liberté d’informer ».

Mardi 29 décembre 2020, au petit matin, le photojournaliste et son collègue rédacteur indépendant suivaient l’évacuation d’un camp de migrants à Grande-Synthe. Après un contrôle de leurs pièces d’identité et cartes de presse, « prises en photo par ce qui semblait être le téléphone personnel de policiers », ont-ils expliqué à la présidente du tribunal, les forces de l’ordre leur interdisent de passer au-delà d’un périmètre de sécurité. « Cette interdiction de filmer et de photographier a été faite verbalement et physiquement avec la main sur l’objectif de l’appareil, en plus du phare d’un fourgon de police braqué vers nous », a précisé Louis Witter.
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A cinq reprises, les 29 et 30 décembre, ils se sont ainsi vu refuser l’accès aux sites démantelés à Grande-Synthe, Calais et Coquelles. Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, a « condamné ces pratiques d’obstruction et d’intimidation ». Me Henry-François Cattoir a dénoncé une atteinte grave à la liberté d’informer. « Il faudrait donc, comme l’a sous-entendu [le ministre de l’intérieur, Gérald] Darmanin, une accréditation pour suivre des opérations de police maintenant ? », a-t-il feint de s’interroger à l’audience.

« Qu’est-ce qui gêne ? »
Sur son compte Twitter, le photojournaliste Louis Witter avait diffusé mardi 29 décembre des images prises au téléobjectif des tentes des migrants lacérées à coups de couteau par un homme chargé selon lui du « nettoyage » du camp.

« Pourquoi interdire l’accès aux journalistes ?, s’est interrogé Me Cattoir. Pour les empêcher de documenter sur la manière dont se passent les opérations ? Qu’est-ce qui gêne ? » « Un périmètre de sécurité, c’est quelque chose de tout à fait classique, cela ne choque absolument personne et pas même la presse », lui a répondu au nom de la préfecture du Nord Hervé Tourmente, rappelant que l’opération d’évacuation du camp de Grande-Synthe le 29 décembre s’était déroulée sur ordonnance judiciaire avec octroi de la force publique. « Il n’y a pas un incendie, une expulsion, une interpellation sans un périmètre de sécurité. L’enjeu est d’éviter tout suraccident », assurait-il au tribunal.

Le sous-préfet de Calais, Michel Tournaire, a précisé de son côté qu’« un compte rendu complet des opérations avait été fourni à travers un communiqué de presse détaillant de manière assez précise le déroulé, ce qui permet après à la presse locale d’informer les lecteurs si nécessaire ». Mais les journalistes souhaitaient pouvoir décrire ces évacuations à partir de ce qu’ils ont vu. « On voulait vérifier sur place ce que les ONG et consortiums d’associations nous avaient décrit, a expliqué le journaliste Simon Hamy, 30 ans. Ils nous avaient souhaité bonne chance. On s’est sentis impuissants à témoigner. »

Les deux reporters ont prévu de retourner sur les camps de migrants du Calaisis dès cette semaine. « On a déposé cette requête en référé-liberté, car c’est important de marquer le coup, pas forcément pour nous mais pour tous les journalistes qui souhaitent travailler sur les expulsions, confiait Louis Witter. Certains ont l’impression d’être dans la normalité en étant ainsi tenus à l’écart, mais ce n’est pas normal. »

Depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais en 2016 – où ont vécu jusqu’à 10 000 migrants –, les autorités veulent éviter par tous les moyens les « points de fixation ». Lors de l’opération du 30 décembre à Calais, seuls 85 migrants sur près de 300 ont été mis à l’abri par les services de la préfecture.

Podcast CCFD – Une journée avec des associations engagées à la frontière !

Pour la « journée internationale des migrations », le 18 décembre, le CCFD-Terre Solidaire, organisation qui soutient la PSM depuis sa création, a réalisé un podcast :
Sidonie Hadoux vous y invite à partager la journée d’associations de notre réseau, qui témoignent de la situation intolérable dans laquelle sont maintenues les personnes exilées, tout en poursuivant inlassablement leur action auprès de ces personnes et en continuant d’inventer d’autres possibles… Embarquez avec elle !

Rapport Project Play – Les expulsions : des pratiques qui bafouent les droits des enfants à la frontière franco-britannique

Project Play publie son deuxième rapport ce 4 décembre 2020 : « Les expulsions : des pratiques qui bafouent les droits des enfants à la frontière franco-britannique », en partenariat avec le Refugee Women Center, Utopia 56, le Refugee Youth Service et Human Rights Observers.

Pour les enfants déplacés à la frontière, ces opérations d’expulsions représentent une entrave directe à l’accès, quand il n’est pas inexistant, à la nourriture, à des sanitaires, à un abri, ou tout simplement aux standards minimums de protection de l’enfance. Tout ceci au mépris de leurs droits en tant qu’enfants, et dans un contexte de crise sanitaire mondiale.

En effet, à travers les opérations d’expulsion, la France et le Royaume-Uni violent, de façon délibérée et systématique, de nombreux articles de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), de la Convention européenne des droits de l’homme et du Code de l’action sociale et des familles français, qui encadrent la protection de l’enfance. Et les deux Etats ne respectent pas l’un des principes fondamentaux de la CIDE : l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit pourtant primer sur toute autre considération, qu’elle soit sécuritaire ou liée à la politique migratoire.

Cliquer ici pour lire le rapport complet (EN&FR) : https://www.project-play.org/advocacy-reports

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La France et le Royaume-Uni s’entendent pour freiner l’immigration clandestine par la Manche

La France et le Royaume-Uni s’entendent pour freiner l’immigration clandestine par la Manche

Journal Le Monde du 29 novembre

Des patrouilles supplémentaires et des nouveaux moyens technologiques seront déployés le long des plages françaises dans le cadre d’un accord entre Paris et Londres.

L’annonce d’une entente entre la France et le Royaume-Uni pour freiner l’immigration clandestine par la Manche a été faite, samedi 28 novembre, par Priti Patel. La ministre de l’intérieur britannique et son homologue français, Gérald Darmanin, ont déclaré vouloir rendre impossible l’itinéraire emprunté par plus de 8 000 personnes cette année.

L’accord prévoit le doublement des patrouilles françaises à partir du 1er décembre – sans en donner le nombre précis –, qui seront appuyées de drones et de radars permettant de repérer ceux qui tentent la traversée, a-t-elle déclaré sur la chaîne britannique BBC. Mme Patel s’est félicitée de l’accord en déclarant qu’il permettrait aux deux pays de « partager la mission de rendre impossibles les traversées de la Manche ». Les deux pays ont accepté de dépenser 31,4 millions d’euros pour ces mesures.

Source de tensions

Ces derniers mois, de plus en plus de migrants ont tenté de rejoindre la Grande-Bretagne par cette voie dangereuse et très fréquentée. Quatre décès ont été recensés en 2019, et sept depuis le début de l’année. Le dossier a été source de tensions, le Royaume-Uni accusant la France de ne pas s’impliquer suffisamment pour empêcher les traversées.

En septembre, les autorités françaises ont précisé avoir intercepté plus de 1 300 personnes qui tentaient de rejoindre le Royaume-Uni, dont une poignée avait essayé de traverser la Manche à la nage sur une trentaine de kilomètres.

Entre le 1er janvier et le 31 août, environ 6 200 migrants ont tenté leur chance, à l’aide de canots pneumatiques, de paddles, kayaks, voire de gilets de sauvetage. Le nord de la France attire depuis longtemps les aspirants à l’immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, à bord d’embarcations de fortune fournies par des passeurs, ou de l’un des dizaines de milliers de véhicules traversant quotidiennement la Manche sur des ferrys et des trains.

 

Droit d’asile : « La France aligne sa jurisprudence sur celle d’autres Etats européens pour expulser des Afghans »

Droit d’asile : « La France aligne sa jurisprudence sur celle d’autres Etats européens pour expulser des Afghans »

tribune du journal Le Monde du 28/11/2020

 

Adam Baczko Chargé de recherche au CNRS, CERI-Sciences Po et  Gilles Dorronsoro,  Professeur de sciences politiques à Paris I-Panthéon-Sorbonne.

La décision prise par la justice française de débouter deux Afghans est irresponsable, affirment les chercheurs Adam Baczko et Gilles Dorronsoro, car, contrairement aux attendus, la sécurité à Kaboul et dans le reste du pays ne s’est pas améliorée.

Tribune. Jeudi 19 novembre, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a débouté deux Afghans qui demandaient le droit d’asile, arguant que « la violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul n’est pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne ». La cour appuie notamment sa décision sur le fait qu’il y aurait – dans certaines régions – une amélioration de la sécurité pour les civils entre 2019 et 2020, en citant différents rapports de l’ONU.

Or, l’amélioration marginale de la sécurité en 2020 est principalement due aux négociations entre les talibans et les Etats-Unis. Si l’on considère l’évolution sur les quatre ou cinq dernières années, on observe au contraire une détérioration marquée de la situation avec une possibilité réelle d’effondrement du régime et de prise du pouvoir par les talibans dans les prochaines années. L’opposition armée coupe régulièrement toutes les routes qui partent de la capitale et sa présence est signalée depuis des années dans les faubourgs de la ville.

En réalité, l’Afghanistan reste, avec l’Irak et la Syrie, le théâtre d’un des conflits les plus meurtriers des dernières décennies et les demandeurs d’asile expulsés seront bien évidemment en danger dès leur arrivée à Kaboul. Contrairement à ce qu’allèguent les juges assesseurs, il est indiscutable qu’un habitant de Kaboul court, « du seul fait de sa présence, sur le territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle ».

Nombreux civils menacés

En effet, les talibans et l’Etat islamique conduisent de manière régulière des attentats-suicides sur des cibles civiles à Kaboul, à l’exemple de l’attaque du 24 octobre contre un centre éducatif qui a fait une trentaine de morts et plus de 70 blessés. Deux jours après la décision de la CNDA, 23 roquettes ont été tirées sur le centre-ville. Bilan : 8 tués et 31 blessés.

On se souvient également de l’attaque (attribuée à l’Etat islamique) contre une maternité qui a fait une vingtaine de morts en mai, essentiellement des mères en couches. Par ailleurs, de nombreux civils sont menacés en raison de leur identité ethnique et religieuse ou de leur soutien au régime en place ou à la coalition internationale. Les fonctionnaires et les personnes qui ont travaillé pour les Occidentaux, par exemple comme gardes de sécurité privés, sont directement visés par l’insurrection.

« Ces nouvelles pratiques juridiques vont créer une population de réfugiés sans statut, marginalisée, avec un coût humain et social dont la société française devra payer le prix »

En outre, les personnes accusées de « corruption morale » (relations amoureuses hors mariage, homosexualité, athéisme, etc.) sont des cibles pour l’insurrection, mais aussi pour les fondamentalistes qui dominent la scène politique. La fuite des habitants menacés vers le Pakistan et l’Iran – très marginalement vers l’Europe – limite certainement le nombre des civils tués dans la capitale afghane et, plus largement, dans le pays.

Par ailleurs, les chiites sont systématiquement éliminés par l’Etat islamique, alors que des populations perçues comme liées au pouvoir, par exemple les Panshiris (dont le plus célèbre était le commandant Massoud), ont été les cibles des talibans lorsque ces derniers étaient au pouvoir.

En contradiction avec nos valeurs

On le voit, le revirement de la CNDA, par son ignorance des faits, est politique : il a pour but d’aligner la jurisprudence française sur celle d’autres Etats de l’Union européenne comme l’Allemagne, la Suède ou la Belgique et de permettre l’expulsion des Afghans qui viennent en France après le rejet de leur demande d’asile dans l’un de ces pays.

Cette décision participe de la remise en cause du droit d’asile depuis les années 1980 car, derrière le sort des Afghans se joue celui des Somaliens, des Darfouris, des Syriens, des Libyens et des Yéménites. Ces nouvelles pratiques juridiques vont créer une population de réfugiés sans statut, marginalisée, avec un coût humain et social dont la société française devra payer le prix.

Par ailleurs, la décision de la CNDA marque l’aboutissement d’une logique d’irresponsabilité par rapport à nos décisions de politiques étrangères et une contradiction criante par rapport aux valeurs dont la France se réclame sur la scène internationale. La situation aujourd’hui désespérée de l’Afghanistan est un effet des politiques désastreuses menées par la coalition depuis 2001.

Corruption et milices armées

Contrairement à d’autres pays, la France n’a jamais tiré le bilan de son intervention afghane, alors même que celui-ci informerait utilement son engagement sur d’autres théâtres d’opérations, en particulier au Sahel. Or, conjointement à nos alliés, nous avons contribué à la consolidation d’une élite politique extraordinairement corrompue et à la multiplication de milices armées.

Par le biais de financements internationaux, la coalition a favorisé de façon décisive l’émergence de milieux urbains occidentalisés dont le mode de vie était en rupture avec le reste de la société. C’est sur l’assurance répétée d’un soutien indéfectible de l’Occident, et notamment de la France – « patrie des droits de l’Homme » –, qu’est née cette société urbaine moderniste, dont les membres, laissés-pour-compte par le retrait occidental, n’ont d’autres recours que de se réfugier en Europe.

Enfin, alors qu’une solution négociée était encore envisageable au début des années 2010, lorsque la présence militaire occidentale permettait de faire pression sur l’insurrection, les ouvertures diplomatiques avec les talibans ont été rejetées au prétexte qu’on ne négocie pas avec des djihadistes. En 2012, le gouvernement français a ainsi mis fin aux « négociations de Chantilly » malgré des résultats prometteurs.

L’attitude irresponsable de Donald Trump – qui a engagé des pourparlers avec les talibans, sans le gouvernement afghan, et après l’annonce d’un retrait complet – n’a peut-être pas été le monopole des Etats-Unis. Nier l’ampleur de la crise actuelle en Afghanistan et notre part de responsabilité dans celle-ci n’est ni justifiable d’un point de vue éthique ni avisé d’un point de vue politique.

Adam Baczko (Chargé de recherche au CNRS, CERI-Sciences Po) et Gilles Dorronsoro (Professeur de sciences politiques à Paris I-Panthéon-Sorbonne)

 

Communiqué du GISTI – Sortie du rapport « Deadly Crossings »

Action collective

À Calais, la frontière tue.
Contre l’oubli et l’impunité, nommer et compter les victimes

Jeudi 19 novembre, près de Calais, un homme est mort.

« Coquelles : un migrant décède à l’hôpital après avoir été percuté sur l’autoroute A16 » a titré La Voix du Nord dans un article classé dans les « Faits divers » [1]. «  L’accident s’est produit peu après 16h30 au niveau de l’échangeur 42 sur l’autoroute A16 » a précisé France 3 Hauts-de-France [2].

Fatalité. Un «  migrant » qui « décède après avoir été percuté sur l’autoroute A16 », c’est forcément un « accident » à ranger dans les « faits divers ».

Pourtant, à Calais et dans la région, des « migrants qui décèdent », il y en a eu des dizaines, des centaines même. Des hommes, des femmes, des enfants et même parfois des nourrissons. Avec un nom, une identité, une histoire. Depuis 1999, ce sont au moins 297 personnes en exil qui sont mortes dans cette zone transfrontalière.

Mortes en tentant de franchir la frontière qui sépare le Royaume-Uni de la France : écrasées par la cargaison d’un camion ou broyées par l’essieu, électrocutées par les caténaires de l’Eurotunnel, percutées par un véhicule sur l’autoroute A16 ou noyées en essayant de franchir le Channel en bateau, en kayak ou tout simplement à la nage avec des bouteilles en plastique comme seules bouées de fortune. Mortes également du fait des conditions de vie inhumaines que leur réservent les gouvernements français successifs depuis plus de 25 ans.

« Les CRS font de nos vies un enfer » écrivaient des exilé·es érythréen·nes dans une lettre adressée au préfet du Pas-de-Calais le 16 novembre dernier [3]. «  Les CRS sont venus et ont gazé nos affaires et nous ont frappés comme si on était des animaux. Le lendemain matin ils nous attendaient et nous ont encore frappés. Même quand nous marchons ils ouvrent leur voiture et ils nous gazent, juste pour s’amuser » détaillent ils et elles un peu plus loin dans le courrier.

Violences policières, harcèlement continu, humiliations, contrôles d’identité répétés, destructions de tentes, privation de duvets ou confiscation d’effets personnels, gazage de bidons de stockage d’eau sont le quotidien des personnes exilées présentes dans le Calaisis. Et cette réalité n’est pas nouvelle. Depuis des années, les exilé·es et leurs soutiens locaux dénoncent ce régime de violences généralisées. Des organisations internationales, telles que Human Rights Watch [4], font de même. Le Défenseur des Droits, à plusieurs reprises (notamment en 2012 [5], 2015 [6] et 2018 [7]), a dénoncé les politiques qui font de cet espace transfrontalier un « enfer » pour les exilé·es fuyant la guerre en Afghanistan ou en Syrie, la dictature en Érythrée ou les violences d’états autoritaires au Soudan ou en Éthiopie.

Mais rien ne change. La réponse des gouvernements, quelle que soit leur étiquette politique, qui se succèdent reste inchangé et le message officiel adressé aux exilé·es errant dans le Calaisis est toujours le même : « Disparaissez ! ». Et si les coups de matraques et les gazages ne suffisent pas, les personnes migrantes comprendront d’elles mêmes qu’à Calais et dans la région, on risque sa peau.

Aucune de ces vies volées n’est un accident. C’est pourquoi il importe de compter et nommer les exilé·es mort·es à la frontière franco-britannique, et de refuser de réduire ces décès à des événements isolés et anonymes, pour les ranger ensuite dans la case des « faits divers ». Au contraire, recenser les étranger·es décédé·es dans cette zone frontalière montre que ces morts sont le résultat des politiques menées par des sous-préfets, des préfets et des ministres successifs, qui ont délibérément décidé de faire de cette frontière un « enfer ».

En 2016, le Gisti publiait un numéro de sa revue Plein Droit intitulé « Homicides aux frontières » dans lequel paraissait l’article « Voir Calais et mourir ». L’auteur, un ancien salarié de la Plateforme des Soutiens aux Migrant·e·s (PSM) basée à Calais, y décrivait ce travail d’enquête sur les mort·es à la frontière franco-britannique (qui permettait de dresser une liste des victimes et une cartographie) et montrait comment « l’addition d’accords européens et de traités bilatéraux, destinés à empêcher les indésirables d’accéder au territoire britannique a fait de cette région un mur meurtrier ».

Des liens récents entre militant·es français·es et activistes britanniques ont permis de travailler à la publication de cette enquête sur les personnes exilées mortes à la frontière franco-britannique pour un public anglophone. Fruit d’une collaboration entre l’Institute of Race Relations (IRR), le Tribunal Permanent des Peuples (TPP) de Londres et le Gisti, le rapport « Deadly Crossings and the Militarisation of Britain’s Borders » a pour but de donner à voir, une fois encore, les conséquences des politiques migratoires menées par les gouvernements français et britanniques dans cet espace frontalier et d’outiller activistes et associations anglophones dans leur contestation sans relâche du régime meurtrier des frontières.

le 23 novembre 2020
Rapport Deadly crossings

L’Institute of Race Relations (IRR) est une association antiraciste britannique. Elle produit des rapports de recherche et des analyses approfondies qui se fondent sur l’expérience des personnes victimes de racisme et de discriminations raciales afin de renfoncer les luttes antiracistes en Grande-Bretagne, en Europe et au-delà.
Le rapport Deadly crossings est publié sur le site de l’IRR, ici

Le groupe de Londres du Tribunal Permanent des Peuples (TPP) réunit des organisations engagées contre les violations des droits humains des migrants et des réfugiés. Il sensibilise l’opinion publique et défend une approche des politiques migratoires fondée sur les droits, afin de permettre aux migrants et aux réfugiés de faire valoir leurs intérêts face à l’État en leur offrant un espace d’action politique et sociale.

De Calais à Menton, une pression de tous les instants contre les migrants

 De Calais à Menton, une pression de tous les instants contre les migrants

https://www.liberation.fr/france/2020/11/24/de-calais-a-menton-une-pression-de-tous-les-instants-contre-les-migrants_1806620

Libération – Par Stéphanie Maurice, à Lille , François Carrel, à Grenoble , Mathilde Frénois, à Nice et Gurvan Kristanadjaja — 24 novembre 2020 à 20:06

A French antiriot police (CRS) officer tries to prevent illegal migrants from hiding in trucks heading for England in the French northern harbour of Calais, on June 17, 2015. AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN (Photo by Philippe HUGUEN / AFP)

Des migrants voulant rejoindre l’Angleterre bloqués par un policier en 2015. Photo Philippe Huguen. AFP

Depuis 2015 en France, la scène de violences observée à Paris lundi soir reflète le quotidien des exilés et des bénévoles d’association.

A quelques heures de l’installation des tentes sur le parvis de la place de la République lundi, du côté d’Utopia 56, l’association à l’origine du campement symbolique, on anticipait déjà : «On va sûrement se faire taper dessus, on le sait…» Car depuis 2015, lors de chaque manifestation ou évacuation en lien avec les migrants, la même répression s’exprime. «On n’est pas étonnés de ce qui s’est passé à Paris. Cette violence policière, on la vit depuis cinq ans partout sur le territoire», s’indigne Pierre Jothy d’Utopia 56 Paris. De Menton à Calais, des Alpes à la capitale, les bénévoles et exilés font le même récit de tentes détruites, de coups de matraque, d’insultes ou de dispersions systématiques au gaz lacrymogène.

A Calais : «Ils nous ont frappés comme si nous étions des animaux»

A Calais, les bénévoles en témoignent sans détours : «Le triptyque disperser, détruire et violenter, c’est ce que nous connaissons ici», pose Juliette Delaplace, du Secours catholique. Selon les associations, un Erythréen est hospitalisé au CHU de Lille depuis deux semaines, touché gravement au front et à la mâchoire lors d’une confrontation entre forces de l’ordre et migrants le 11 novembre, à proximité de la rocade portuaire de Calais. D’après les témoignages recueillis sur place par Human Rights Observers, qui documente les opérations policières, l’homme aurait reçu un tir de LBD 40 en pleine tête, tiré à moins de 10 mètres de distance. La préfecture du Pas-de-Calais affirme ne disposer «d’aucun élément à ce stade attestant d’un tir de LBD sur un migrant». En outre, l’association collectionne les PV pour non-respect du confinement, le sous-préfet de Calais estimant qu’elle ne remplit pas une mission humanitaire, à filmer les policiers : 16 contraventions à ce jour de 135 euros chacune. La communauté érythréenne, indignée par cet épisode, s’est mobilisée et a écrit une lettre ouverte, dans laquelle elle détaille la répression quotidienne : «Le 5 novembre […], ils [les policiers, ndlr] sont venus vers nos tentes et ils ont gazé toutes nos affaires personnelles et nous ont frappés comme si nous étions des animaux, pas des êtres humains.»

A Calais, les expulsions sont fréquentes, et de deux types. Premier cas, l’évacuation lambda, qui intervient tous les deux jours sur tous les sites. Elle est devenue un rituel, que les exilés anticipent en déplaçant leur tente même pas repliée sur le trottoir voisin. Il s’agit de nettoyer le campement des abris abandonnés et des détritus. Tant pis pour celui qui a échoué dans sa traversée de la nuit et est retenu au poste de police. François Guennoc, de l’Auberge des migrants, témoigne : «Cette pression policière s’appuie sur une loi qui dit que l’Etat peut intervenir dans une situation de flagrance. Si un camp est évacué dans les 48 heures, c’est comme s’il n’avait pas existé. Au bout de 48 heures, ses occupants gagnent des droits, il faut les informer de l’évacuation, et prévoir des mesures alternatives pour les personnes fragiles.» Deuxième cas, plus rare, l’expulsion massive : là, tout le campement est encerclé par les forces de l’ordre, les migrants présents montent à bord de bus qui les emmènent vers des CAES (centres d’accueil et d’examen des situations) et tout est détruit.

Cette logique n’est pas nouvelle, elle a comme objectif majeur, pour les gouvernements successifs, d’éviter des points de fixation, comme ont pu l’être, de leur point de vue, le hangar de la Croix-Rouge à Sangatte, fermé en 2002, ou l’extension de «jungles» difficiles à contrôler, comme celle qui a existé entre l’été 2015 et l’automne 2016 et rassemblé jusqu’à 10 000 personnes. Aujourd’hui, les associations estiment à 600 le nombre d’exilés à Calais, découragés par la pression policière organisée, mais surtout par le mauvais temps, qui rend périlleuses les traversées clandestines par la mer. Cet été, ils étaient entre 1 300 et 1 600.

En banlieue parisienne : «On nous insulte plusieurs fois par nuit, on nous chasse de là où on dort»

Ces derniers mois, après les évacuations successives du Nord parisien, les associations ont fait ce même constat : «Ce qui se passait à Calais est en train d’arriver ici.» «Là-bas, il y a des chasses à l’homme depuis 2015, et on nous a récemment interdit de distribuer des repas. Désormais, on vit la même chose à Paris, un harcèlement permanent», explique Yann Manzi, d’Utopia 56. Le militant y voit une «volonté politique» : «C’est un sujet qu’on laisse pourrir volontairement et sur lequel le gouvernement peut faire monter le nationalisme. Ainsi, ces gens [les exilés] sont responsables de tous les maux de la société, du terrorisme, de l’insécurité…»

En une semaine, en banlieue parisienne, le petit millier de migrants à la rue disent avoir vu la démonstration de tout l’arsenal policier : une évacuation aux grenades lacrymogène le 17 novembre à Saint-Denis, des courses-poursuites, des coups, des gardes à vue. Une pression de tous les instants. «On nous insulte plusieurs fois par nuit, on nous chasse de là où on dort. Les policiers sont vraiment méchants avec nous, parfois même violents, ils nous frappent et nous aspergent de gaz lacrymogène», affirme Nasser, un Afghan d’une trentaine d’années. Mardi, lui et deux de ses amis sont sortis des urgences de l’hôpital Bichat avec des entorses et des luxations causées par les forces de l’ordre. «Le plus dur, c’est qu’ils sont un peu en train de revivre les scènes qui les ont poussés à quitter leurs pays en guerre. Pour certains, les blessures sont aussi psychologiques», assure Nicolas Delhopital de Famille France-Humanité.

A Menton : «Pour déloger des gens des toilettes, les policiers entrouvrent la porte et gazent»

Mardi matin, comme tous les jours depuis 2016, Jacopo Colomba scrute le poste-frontière, sur la route du bord de mer entre l’Italie et la France, entre Vintimille et Menton. Ce consultant juridique pour l’ONG WeWorld assure son rôle d’observateur. La veille, il y a recueilli le témoignage d’un Algérien «arrêté dans le train et frappé fort par la police» «Il est revenu avec un papier d’un hôpital de Nice, relate-t-il. Il a mal en bas du dos. C’est la même police qui l’a emmené à l’hôpital et qui l’a refoulé.»

A la frontière franco-italienne, les renvois sont quotidiens, la brutalité est fréquente. Depuis 2015, la France a fermé cette voie de passage : les trains sont systématiquement fouillés, les voitures surveillées, et les contrôles réalisés – «parfois au faciès», selon les associations. La répression s’accentue lorsque la pression migratoire se fait plus forte – elle est moindre à l’heure actuelle. «A certains moments, on a des témoignages de comportements brutaux sur des personnes refoulées, confirme Agnès Lerolle, chargée de projet à la Cafi (Coordination des actions aux frontières intérieures), pilotée par cinq associations. Parfois, il y a l’utilisation de gaz lacrymogène de façon abusive dans les trains. Pour déloger des gens des toilettes, les policiers entrouvrent la porte et gazent cet espace réduit jusqu’à ce que les personnes se sentent mal et sortent.»

L’avocate niçoise spécialisée dans la défense des migrants Mireille Damiano parle de «violence institutionnelle récurrente» «A la frontière franco-italienne, on ne peut pas faire de demande d’asile, des mineurs sont renvoyés, des personnes sont privées de liberté pendant plus de douze heures.» Le tribunal administratif de Nice a épinglé à plusieurs reprises la préfecture des Alpes-Maritimes sur ces faits, pointant des «atteintes graves» et suspendant le renvoi de migrants. En 2020, huit dossiers ont été déposés et une trentaine sont en passe de l’être. C’est Me Zia Oloumi qui plaide. «On ne prend pas en compte leur vulnérabilité. […] Ils n’ont pas d’interprète, pas de couverture, ils dorment par terre. On n’est pas dans le contrôle, on cherche à les dégoûter pour qu’ils ne passent plus par là.»

Les informations circulent sur les téléphones : il faut éviter ce poste-frontière. Alors les migrants prennent toujours plus de risques et se mettent en danger : ils courent sur l’autoroute, marchent sur les chemins escarpés en montagne, grimpent sur les toits des trains. Le 8 octobre, un jeune homme est mort électrocuté sur un wagon qui circulait entre Vintimille et Menton.

Dans les Alpes : «Au Poste, un policier a dit : « Regarde, ce sont les nègres de la dernière fois »»

Ces derniers mois, si les témoignages de violences directes se sont faits plus rares à Briançon (Hautes-Alpes), selon Tous Migrants, la pression policière sur les exilés et les maraudeurs ne s’est en rien allégée. Depuis huit jours, les forces de l’ordre présentes à Briançon ont encore été renforcées, «compte tenu de l’évolution de la menace terroriste», précise la préfecture des Hautes-Alpes, avec la mobilisation de militaires de la mission Sentinelle aux côtés de la de la police aux frontières (PAF) et des diverses forces de gendarmerie. Jeudi, deux maraudeurs ont été placés en garde à vue pendant 48 heures, alors qu’ils venaient de secourir une famille d’Afghans, dont une mère enceinte souffrante et ses deux enfants. Ils ont été reconduits en Italie après huit heures de rétention, témoigne Agnès Antoine, de Tous Migrants.

Perquisition chez le militant Cédric Herrou à Breil-sur-Roya, en 2017. Photo Laurent Carré pour Libération

Des dizaines de témoignages recueillis ces dernières années auprès de migrants à Briançon ont été rapportés par Stéphanie Besson dans son livre Trouver refuge (Glénat, 2020) : «Au poste de la police aux frontières, un policier a dit : « Regarde, ce sont les trois nègres de la dernière fois. »» (P., 21 ans, décembre 2018). Ou encore : «C’était ma quatrième tentative, j’étais épuisé. Après un très bref entretien, j’ai été détenu pendant environ huit heures dans un local avec huit autres personnes. Nous avons demandé quelque chose à manger et à boire mais les policiers ont refusé.» (S., août 2019).

Des constats confirmés lors d’une mission d’observation menée en octobre 2018 sur la frontière briançonnaise. Le collectif d’associations à son origine a relevé des «pratiques illégales et dégradantes» des forces de l’ordre : «Refoulements de personnes exilées dont des mineurs, contrôles discriminatoires, courses-poursuites dans la montagne, propos menaçants et insultants, entraves à l’enregistrement de demandes d’asile…» Parfois, des sanctions sont prises : deux agents de la police aux frontières ont ainsi été condamnés en juillet par le tribunal de Gap à de la prison avec sursis et à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans. Le premier a été reconnu coupable de «violences commises par une personne dépositaire de l’autorité publique» sur un jeune migrant malien, l’autre de «détournement de fonds» après une contravention dressée contre un migrant, des faits remontant à l’été 2018.

Au-delà de ces dérapages, la pression policière sur la frontière pousse là encore les migrants à prendre des risques en altitude, de nuit, comme à la frontière italienne : des dizaines se sont blessés gravement, certains ont été amputés pour gelures, et cinq sont morts durant leur traversée depuis 2017, dont Blessing, une Nigériane de 18 ans qui s’est noyée en mai 2018 dans un torrent, alors que des gendarmes mobiles la poursuivaient.

Stéphanie Maurice à Lille , François Carrel à Grenoble , Mathilde Frénois à Nice , Gurvan Kristanadjaja