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proposition de loi portée par le député Eric Ciotti visant à interdire la diffusion des images de policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Tribune de Libération du 30 mai 2020

Empêcher de filmer et diffuser des images de violences policières, c’est livrer les victimes à encore plus d’arbitraire

Par Amal Bentounsi , Hamid Aït Omghar , Abdourahmane Camara et Jessica Lefèvre, membres du Collectif Urgence Notre Police Assassine

Signé par de nombreuses personnalités, cet appel du collectif Urgence notre police assassine s’insurge contre la proposition de loi portée par le député Eric Ciotti visant à interdire la diffusion des images de policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans une proposition de loi, le député Eric Ciotti et d’autres parlementaires veulent faire condamner d’une amende de 15 000 € et d’une peine de 6 mois d’emprisonnement toute personne qui diffuserait des images de policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Éric Ciotti ne s’en cache pas : il vise directement l’application Urgence Violences Policières lancée au mois de mars par le collectif Urgence notre police assassine et mise en libre accès (sur Apple Store et Android) afin de lutter contre les violences et crimes de la police et de la gendarmerie.

Selon Eric Ciotti et les porteurs de ce texte, cette loi viserait à «protéger» la police.

Mais qui faut-il protéger ?

Zyed Benna, Bouna Traoré, Amadou Koumé, Lahoucine Ait Omghar, Abdoulaye Camara, Amine Bentounsi, Ali Ziri, Hocine Bouras, Mourad Touat, Babacar Gueye, Rémi Fraisse, Wissam El Yamni, Lamine Dieng, Aboubakar, Fofana, Adama Traoré, Angelo Garand, Karim Taghbalout, Ibrahima Bah, Shaoyo Liu, Romain Chenevat, Gaye Camara, Allan Lambin, Steve Maia Caniço, Zineb Redouane, Cédric Chouviat, Mohamed Habsi… Ce sont des dizaines et des dizaines de personnes – dont une majorité d’hommes non-blancs, souvent issus des quartiers populaires – qui sont mortes entre les mains de la police ces dernières années, et ce dans des circonstances rarement éclaircies. Sur la seule période de confinement qui nous précède, près d’une quinzaine d’hommes sont encore venus allonger la liste de ces tués, asphyxiés, noyés, traqués, pourchassés. Presque à chaque fois, les policiers impliqués ne sont pas inquiétés ou sont vite blanchis faute de «preuves», et souvent au mépris des nombreux témoignages les incriminant.

Les vidéos sont capitales : elles sont des preuves.

À côté de ces dizaines de crimes policiers, les violences se multiplient sous d’autres formes qui vont de l’insulte raciste tels que «bicot», «bougnoule», «sale arabe», «bamboula» à la mutilation en passant par les incessants contrôles au faciès. Là encore, c’est dans les quartiers populaires que ces violences s’exercent notablement depuis des décennies. Mais elles ont fait une irruption fracassante dans les mouvements sociaux, ces dernières années, notamment dans les manifestations des Gilets Jaunes, provoquant la multiplication des images de ces violences et leur diffusion dans différents médias. Grenades et tirs de LBD à bout portant, passages à tabac, croche-pieds, coups de poing, de pied, de matraque… Le pouvoir de ces graves images a réveillé bon nombre de consciences sur la réalité de ces pratiques policières et a permis d’expliquer le nombre extraordinaire de blessés et de mutilés. Elles ont aussi ulcéré la police et ses syndicats – Alliance en tête – qui voudraient continuer d’avoir, au sens propre, les mains libres. Ces derniers se félicitent donc publiquement de cette proposition de loi, qu’ils ont appelée de leurs vœux, car peut-on agir plus librement que lorsque l’on reste dans l’ombre ?

Les vidéos sont capitales : elles sont des preuves. Ce sont elles qui, dans la plupart des cas, permettent de mettre à mal les versions des forces de l’ordre qui plaident quasi systématiquement ce qu’elles appellent la légitime défense ou «les règles de l’art». Même quand il s’agit de tirer dans le dos d’un homme, d’étrangler une personne menottée, ou d’en violer une autre à coups de matraque. Nous le répétons : ces images sont des preuves, et c’est pour cela que l’application UVP-Urgence Violences Policières a été lancée. Elle permet à tout citoyen de conserver les images de ces agressions. Cela, dans le but de pouvoir agir ensuite aux côtés des victimes et de leurs familles, de manière efficace et organisée – preuves à l’appui – contre l’impunité policière qui règne dans 95% des cas. En France comme aux États-Unis. On l’a d’ailleurs encore vu ces derniers jours : à Minneapolis, ce sont des images devenues virales qui ont permis de confondre et d’inculper le policier meurtrier d’un homme noir, George Floyd.

Plus que jamais, il est donc essentiel de pouvoir filmer la police lors de ses interventions et il est essentiel que les citoyens, journalistes et associations qui le souhaitent puissent diffuser publiquement les images des abus ou violences constatés afin d’informer, de protéger et de prouver. La proposition de loi d’Éric Ciotti, si elle devait passer, viendrait allonger la liste des lois scélérates qui bafouent nos droits fondamentaux et déshonorent la France dont l’image dans le monde s’est considérablement écornée ces dernières années. Mobilisons toutes nos forces pour l’en empêcher.

En soutien aux familles qui ont créé l’application Urgence Violences Policières : Hamid Aït Omghar, Abdourahmane Camara, Jessica Lefèvre, Amal Bentounsi (une cagnotte a, par ailleurs, été lancée pour les aider financièrement).

Signataires : Kery James, auteur, artiste ; Adèle Haenel, actrice ; Aïssa Maïga, actrice ; Camélia Jordana, chanteuse, actrice ; Angèle, chanteuse ; Leïla Bekhti, actrice ; Omar Sy, acteur ; Marina Foïs, actrice ; Youssoupha, auteur, rappeur ; Ladj Ly, réalisateur ; Vincent Cassel, acteur ; Fary, humoriste ; Lilian Thuram, ancien footballeur, président de la Fondation Thuram contre le racisme ; Vegedream, artiste ; Jain, chanteuse ; IAM, artistes rap ; Sonia Rolland, actrice, réalisatrice ; Ayo, chanteuse ; Stomy Bugsy, artiste, comédien ; Demi Portion, rappeur ; Waly Dia, humoriste, comédien ; Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice ; Imany, chanteuse ; Seth Gueko, artiste ; Faïza Guène, écrivaine ; Samir OGB, artiste, auteur, producteur ; Mati Diop, réalisatrice ; Juliette Fiévet, journaliste, animatrice ; Féfé, artiste ; Jo le Phéno, artiste, rappeur ; Moise 21, chanteur ; Chilla, artiste, chanteuse ; Audrey Dana, comédienne ; Yaniss Odua, chanteur ; Léonie Pernet, musicienne ; Claudy Siar, journaliste, producteur ; Leila Sy, réalisatrice ; Cyrille Teranga, manager ; Tété, artiste, musicien ; Ussar, musicien, auteur, interprète ; Raphäl Yem, journaliste, animateur ; Pascal Boniface, universitaire ; Olivier Bassuet Linda, producteur ; Jean Pascal Zadi, acteur, réalisateur ; Mouss et Hakim de Zebda, artistes, chanteurs ; François Durpaire, auteur ; Nicolas Duvauchelle, acteur ; Jeanne Added, chanteuse ; Rebeka Warrior, chanteuse ; Nadège Beausson-Diagne, actrice ; Enora Malagré, Comédienne, animatrice ; Gilbert Melki, acteur ; Nabil Fekir, footballeur ; Déborah Lukumuena, actrice ; Virginie Despentes, romancière ; Wesley Weigel, comédien ; Franck Ribéry, footballeur  ; Shay, chanteuse rap

Amal Bentounsi , Hamid Aït Omghar , Abdourahmane Camara , Jessica Lefèvre membres du Collectif Urgence Notre Police Assassine

Violences contre des migrants: quand des gendarmes brisent l’omerta

https://www.mediapart.fr/journal/france/290520/violences-contre-des-migrants-quand-des-gendarmes-brisent-l-omerta?onglet=full

29 mai 2020 Par Tomas Statius

Dans une affaire de violences à l’encontre d’un mineur étranger à Calais, des gendarmes ont dénoncé des collègues, permettant une condamnation.

C’est une histoire calaisienne comme il y en a des tas d’autres. Une histoire de migrants qui croisent des policiers à la nuit tombée, après avoir tenté leur chance à la frontière. Dans ces histoires, trop souvent les exilés se plaignent de mauvais traitements. Coups, brimades, téléphones brisés, nourriture jetée et vol d’argent… C’est ce que décrit Suleman*, mineur afghan, dans une plainte au procureur de Boulogne-sur-Mer remontant à mars 2016, accompagnée d’un certificat médical et d’une carte indiquant où les violences se seraient déroulées.

Pour une fois, la plainte a fait du chemin. Car pour une fois, des membres des forces de l’ordre ont brisé l’omerta, d’après des informations obtenues par Mediapart.

En octobre dernier, à l’issue d’une enquête préliminaire confiée à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), trois militaires impliqués dans l’affaire de Suleman ont ainsi comparu devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer. À l’adjudant Raphaël S., il était reproché des coups : il a été condamné à trois mois de prison avec sursis (comme mentionné brièvement par La Voix du Nord), sans inscription au casier judiciaire.

À lui, ainsi qu’à deux camarades, les gendarmes Mikaël C. et Romain T., le parquet reprochait aussi des vols d’argent et la destruction de plusieurs téléphones portables appartenant à Suleman et ses amis. Tous les trois ont été relaxés, malgré les confessions de Mikaël C. pour ce qui est de la destruction de portable.

Depuis la condamnation, Mediapart a pu consulter l’intégralité de l’enquête préliminaire et se plonger dans cette affaire de violences pas comme les autres : lors de leurs auditions par l’IGGN, plusieurs gendarmes ont dénoncé des mauvais traitements et la destruction d’effets personnels de migrants de Calais.

Ce jour de janvier 2016, il est 23 heures passées quand des gendarmes de Saint-Nazaire, détachés à Calais, rejoignent leur hôtel en périphérie de la ville. La journée a été harassante. C’est l’époque de la « jungle », campement de plusieurs milliers d’habitants qui concentre tous les maux de la crise des réfugiés.

Sur le chemin, non loin du centre-ville, les gendarmes remarquent plusieurs ombres qui semblent se cacher derrière une voiture. L’endroit est connu pour être un point de rencontres d’exilés qui essayent de s’introduire dans le tunnel sous la Manche en direction de l’Angleterre. Il s’agit de Suleman et ses amis, les gendarmes les soupçonnent d’être en train de fracturer une voiture.

L’enquête établira qu’il n’en est rien : ils se dirigent simplement vers la « jungle » quand les gendarmes leur tombent dessus. Dans son témoignage, rédigé avec l’aide d’un traducteur et d’une bénévole de l’association la Cabane Juridique, Suleman s’explique : avant même de croiser la route des militaires, la soirée a été galère, le jeune homme se plaint d’avoir été aspergé de gaz lacrymogènes par des hommes qu’il pense être des policiers en civil. « Cela ne correspond à personne », grince un militaire, sur procès-verbal. À moins que ce ne soit ces groupes de calaisiens proches de l’extrême droite locale qui patrouillent la nuit aux abords de la jungle pour passer à tabac des migrants, tente ce gendarme. L’enquête ne répondra pas à la question. Les exilés sont rapidement appréhendés par le groupe de gendarmes et l’histoire aurait pu s’arrêter là sans le coup de sang de l’adjudant S.

Deux d’entre eux appartiennent à une autre compagnie appelée en renfort le soir des faits : le lieutenant Loïc H. et le maréchal des logis Denis W. Le dernier, le gendarme Mikaël C., faisait partie de la même troupe que l’adjudant S. Tous les trois se souviennent que ce soir-là, l’adjudant, sportif, a envoyé « un bon kick » au niveau de l’épaule de Suleman, 16 ans. Puis un coup de poing, complète le gendarme C.

Leur témoignage est proche de celui du jeune homme, et du récit qu’il fait au médecin chargé de l’ausculter lors de sa visite aux urgences de l’hôpital de Calais plus tard dans la soirée. Il se plaint alors d’une douleur au niveau de l’omoplate, « sans luxation », indique le certificat que Mediapart a pu consulter. Un autre médecin estimera à 1 jour d’ITT ses blessures.

Pourquoi ce geste de l’adjudant S. ? Personne n’en sait rien. L’intéressé nie encore aujourd’hui, fait savoir son avocat, Me Cottigny. Ses états de service étaient irréprochables… si ce n’est un signalement pour des faits de violence lors d’une audience au tribunal correctionnel de Paris un mois avant les faits. D’autres collègues invoquent les conditions de travail dans le Calaisis et les missions harassantes.

L’affaire Suleman jette également pour la première fois la lumière sur un autre délit longtemps dénoncé par les associations de défense de migrants (dont Amnesty International et l’Auberge des Migrants), jamais étayé dans le cadre d’une enquête judiciaire : la destruction des téléphones des migrants par les forces de l’ordre. Le gendarme C. reconnaît avoir brisé l’un d’entre eux : « On savait que les migrants s’appelaient entre eux pour avertir de la présence des forces de l’ordre. Sans arrêt, lorsque nous arrêtions des migrants, leur téléphone sonnait. Par exemple, si l’on arrêtait un groupe de migrants, un autre était averti de notre présence pour échapper à notre vigilance. Du coup, c’est un peu pour cette raison que j’ai jeté le téléphone derrière moi au lieu de le rendre à son propriétaire. »

L’homme plaide le geste d’humeur et affirme ne pas avoir répondu à une consigne de ses supérieurs. À l’audience, il demande pardon. Il a été relaxé par le tribunal.

Il n’est pas le seul, à en croire le lieutenant H. et le maréchal des logis W., qui se souvienne avoir vu plusieurs téléphones brisés aux pieds de Suleman et de ses amis. L’enquête ne permettra pas d’étayer leurs déclarations.

D’après les documents consultés par Mediapart, c’est silence radio dans le reste de la compagnie. L’ensemble des gendarmes se rangent derrière leurs camarades et ne s’expliquent pas le témoignage dissonant de trois des leurs.

Me Cottigny, l’avocat de l’adjudant S., regrette aujourd’hui une enquête « peu poussée » et l’absence de confrontation entre son client et ses détracteurs : « On s’est posé la question de faire appel mais il voulait tourner la page. » La condamnation est donc définitive. Mais l’homme est toujours gendarme, nous confirme la direction générale de la gendarmerie nationale.

Suleman, lui, a rejoint l’Angleterre. Il n’était pas présent au tribunal et n’a pas pu être interrogé au cours de l’enquête. Contacté par Mediapart, le cabinet du préfet du Pas-de-Calais, Fabien Sudry, se refuse quant à lui à tout commentaire « à propos d’une décision judiciaire ».

*Le prénom a été modifié.

Contactés par Mediapart, l’adjudant S., les gendarmes C. et T, n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.

A Calais, des associations pointent une recrudescence des violences policières

Mediapart

29 mai 2020 Par Nejma Brahim

Une vidéo montre des policiers exfiltrer violemment des exilés d’un bus, vendredi 22 mai. Globalement, des militants jugent que les conditions de vie dans les camps se sont aggravées pendant le confinement. « Le seul centre d’hébergement spécial Covid créé n’a pas suffi. »

«Pour les personnes qui le désirent, il y a un autre bus derrière. » Ce sont les propos tenus par un agent de police vendredi 22 mai, dans un bus à Calais, à l’égard de deux personnes noires exilées. Les paroles s’accompagnent de gestes violents : le même policier empoigne l’un des migrants pour le contraindre à se lever, avant que son collègue le tire par le bras et le mette à terre pour le traîner au sol jusqu’à l’extérieur du bus.

« Doucement ! », peut-on entendre dans une vidéo de la scène tournée par un témoin, alors que des passagers tentent de réagir timidement. Le second exilé est ensuite extirpé de force du véhicule par trois agents de police, l’un d’entre eux n’hésitant pas à le tirer par la jambe pendant qu’il tente de s’agripper à la barre de maintien.

« Ce genre de procédé consistant à refuser les exilés dans les transports n’est pas nouveau, on avait déjà eu plusieurs témoignages à ce sujet », note Jérémie Rochas, travailleur social et bénévole chez Appel d’air, un collectif de soutien aux personnes exilées de Calais. Mais depuis le début de la crise sanitaire, le phénomène se serait « automatisé », selon lui. Au point que le collectif dénonce un « apartheid ».

En assistant à la scène, Laura*, 18 ans, sort son smartphone et filme. « J’étais choquée, c’était très violent. » Selon elle, les deux exilés « n’avaient rien fait de mal ». « J’étais au même arrêt de bus qu’eux quand ils sont montés. Le chauffeur ne voulait pas les prendre et leur a demandé de descendre. Il n’y avait pas de raison de les refuser, ils avaient un masque. »

Le chauffeur a alors alerté des contrôleurs. À l’arrivée de ces derniers, quelques arrêts plus loin, ils ont voulu vérifier l’identité des migrants. « Ils leur ont aussi demandé leur ticket alors que le bus est gratuit », s’étonne Laura. Puis signifié de descendre du bus pour prendre le suivant, moins plein. Face au refus des usagers, et à la demande des contrôleurs, la police est alors intervenue.

Dans un article publié dans le journal Nord Littoral, le directeur de la compagnie de transports Calais Opale Bus, Daniel Roussel, justifie l’intervention des contrôleurs et des forces de l’ordre par le non-respect de la distanciation sociale chez ces usagers.

Contactée par Mediapart, la préfecture du Pas-de-Calais abonde. « Ils étaient en effet assis côte à côte et refusaient de maintenir entre eux un siège vide. Le contrôleur avait initialement demandé à ces deux personnes de se séparer afin de respecter les mesures de distanciation sociale. Celles-ci ont refusé et ont manifesté de l’agressivité dans leurs réponses. »

Pourtant, plusieurs témoins assurent qu’ils résistaient calmement – ce que démontre la vidéo. « Personne ne leur a dit de laisser un siège entre eux, tranche Laura, pour qui la scène s’apparente à du racisme. On leur a tout de suite ordonné de descendre du bus. Ils n’ont pas été agressifs, ils se sont défendus en refusant d’être traités différemment. Ce sont des êtres humains comme tout le monde. » Et d’ajouter : « Hier encore, j’ai pris ce même bus et deux personnes blanches étaient assises l’une à côté de l’autre. Elles n’ont eu aucun problème. »

Daniel Roussel reconnaît que, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, les chauffeurs « évitent » de prendre des migrants. « On doit la sécurité à notre personnel et aux usagers. Les migrants n’ont pas pu être confinés, il est donc difficile de confronter ces deux populations [les migrants et les Calaisiens] », a-t-il déclaré au quotidien local.

« Ce n’est donc pas un choix arbitraire fait par les chauffeurs, s’indigne Antoine Nehr, coordinateur de l’antenne locale de l’association Utopia 56, qui se mobilise pour venir en aide aux exilés depuis 2016. C’est impressionnant qu’en 2020, en France, on en soit là et que ce type de consignes vienne d’en haut. »

L’adjoint au maire de Calais chargé de la sécurité, Philippe Mignonet, avait d’ailleurs prévenu à la fin mars : les bus ne marqueraient plus l’arrêt aux stops où des groupes d’exilés patienteraient. Une exception serait faite pour les personnes seules ayant un rendez-vous impératif, pour des soins par exemple, impliquant pour les conducteurs de déduire au faciès qui serait exilé ou non et de procéder à des contrôles de justificatifs.

Pour Jérémie Rochas, il y a eu une recrudescence des violences policières à l’égard des migrants durant la crise sanitaire. « Les exilés ne cherchent pas la confrontation parce qu’ils savent à quoi s’attendre si la police débarque. La peur de donner son identité, et des répercussions, fait que c’est assez rare de voir des personnes qui résistent. »

Fin mars, un exilé noir s’est vu refuser l’entrée d’un centre commercial où il souhaitait acheter des produits de première nécessité. La sécurité a appelé les CRS, accusés de l’avoir ensuite frappé. « Il a porté plainte auprès du procureur pour coups et violences volontaires. J’ai six témoignages de personnes discriminées à l’entrée de ce centre », affirme Candice, coordinatrice du projet Human Rights Observers à Calais et Grande-Synthe.

Le 14 avril, une communauté d’Érythréens a alerté l’opinion publique dans une lettre ouverte adressée à la préfecture et a décidé de porter plainte pour des violences. « Notre plainte concerne une compagnie de CRS et leurs actions impulsives et agressives à notre égard. Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains », dénonçaient-ils. Le Défenseur des droits a été saisi à plusieurs reprises par différentes associations.

Côté campements, Antoine Nehr a constaté que les conditions de vie se sont fortement aggravées. Retrait partiel ou complet de plusieurs associations, droits fondamentaux bafoués au quotidien, accès « plus que compromis » à l’eau, à la nourriture et aux soins… « La situation est dramatique, note Candice. Il y a une mise en danger des exilés puisque rien n’est fait pour leur venir en aide en pleine pandémie. »

« Les autorités maintiennent la politique de l’épuisement, une politique hostile, à l’heure où l’on aurait eu besoin de voir se développer des solutions d’hébergement pérennes ou des cliniques mobiles », regrette le coordinateur d’Utopia. Un « harcèlement moral intenable » que dénonce aussi Human Rights Observers…

Les démantèlements de camps, qui ont lieu tous les deux jours, ont pris des formes de rituel. Certains exilés évitent de s’absenter du camp ces jours-là afin de pouvoir garder leur tente ou sac de couchage. « L’équipe de nettoyage procède à une saisie des affaires et du matériel. Une partie est jetée, une autre est amenée dans un grand conteneur à la ressourcerie par le biais d’un système mis en place par la préfecture », explique Candice, qui accompagne les migrants sur place pour leur permettre de rechercher leurs effets personnels, souvent sans résultat.« Ces expulsions sont un semblant de mises à l’abri, forcées, vers des Centres d’accueil et d’examen de la situation (CAES) », soffusque Jérémie Rochas. C’est là qu’on évalue si la personne peut demander l’asile : si ce n’est pas le cas, elle n’a plus sa place dans le centre. « Ce n’est pas adapté au public de Calais dont la majorité est représentée par des déboutés ou des “dublinés” [auxquels s’impose la règle européenne voulant que le pays en charge de leur demande d’asile soit le premier dans lequel ils ont posé le pied – ndlr]. »

Une évacuation sécurisée aurait dû se tenir le 31 mars et a été reportée à la dernière minute. « Il y a eu à la fois un manque de places d’hébergement et la découverte de deux cas de Covid-19 dans les camps », explique Jérémie Rochas. Trois cents migrants, sur plus d’un millier, auraient dû être mis à l’abri ce jour-là. « Le seul centre d’hébergement spécial Covid créé n’a pas suffi », complète Antoine Nehr.

Les bénévoles d’Utopia 56 et de l’Auberge des migrants ont dû aussi faire face à l’acharnement des forces de l’ordre durant le confinement. Vingt-huit verbalisations ont été dressées à des membres d’Utopia alors qu’ils distribuaient des vivres ou des couvertures aux exilés dans les camps.

A Calais, les actes d’hospitalité s’affichent en plusieurs langues !

Tout autour, une œuvre commune

Répondant à l’invitation du PEROU (Pole d’exploration des ressources urbaines), des calaisiennes et calaisiens publient chaque semaine des actes d’hospitalité dans l’espace public. Vous aussi, donnez une visibilité à ces actes d’hospitalité !

Retrouvez les actes d’hospitalité déjà recensés ici, et ajoutez-y les vôtres en écrivant à : hospitalite@perou.org !

« Tous nos actes d’hospitalité méritent d’être connus… Et l’acte d’hospitalité devrait être inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité nécessitant une protection urgente conformément à la convention de l’UNESCO de 2003.

Nous sommes à Calais, Vintimille, Rome, Lesbos, Clichy-Monfermeil, Hambourg, Bruxelles, à Lampedusa, à Bayonne, à Bordeaux…Et encore ailleurs ! Nous sommes nombreux à « faire hospitalité » et depuis longtemps ! Tous ces actes d’attention, à la rencontre des personnes migrantes, qui arrivent dans le dénuement et à bout de souffle, toutes ces attentions à la présence de l’autre : ces actes sont de ceux qui feront tenir le monde de demain.

Des archives de ces actes se constituent, pour un héritage précieux, nous sommes tous invités à y contribuer. Et le PEROU travaille à leur inscription au patrimoine mondial de l’humanité.

Chaque lundi, nous publions, tous en même temps, des fragments de ces archives en train de se constituer.En PJ vous trouverez des fragments.

A Calais, nous avons renouvelé notre affichage, en couleur, et avec des traductions !

Chacun.e peut participer : à l’inscription d’acte d’hospitalité dans l’archive : hospitalite@perou.org, et en créant des « publications » selon les modalités, même minuscules, et les lieux de son choix, et en documentant cette action. »

Actes d’hospitalité – Semaine du 25 mai 2020

TOUT AUTOUR, UNE OEUVRE COMMUNE

premier fragment de notre archive commune

à lire, afficher, publier, transmettre, augmenter

TUTTO ATTORNO. UN’OPERA COMUNE

primo frammento del nostro archivio comune

da leggere, esporre, pubblicare, diffondere, ampliare

في جميع الأنحاء. عمل مشترك”
القطعة الأولى من أرشيفنا المشترك
للقراءة، للعرض، للنشر، للتداول، للإغناء

RUNDHERUM. EIN GEMEINSCHAFTSKUNSTWERK

erstes Fragment unseres Gemeinschaftsarchivs

zum Lesen, Plakatieren, Veröffentlichen, Weitergeben, Erweitern

OVERAL RONDOM. EEN GEMEENSCHAPPELIJK WERK

eerste fragment van ons gemeenschappelijke archief

bedoeld om te lezen, te tonen, te publiceren, door te geven, uit te breiden

OΛΟΓΥΡΑ, ΕΝΑ ΚΟΙΝΟ ΕΡΓΟ

Πρώτο απόσπασμα του κοινού μας αρχείου

να διαβαστεί, να προβληθεί, να εκδοθεί, να διαδοθεί, να αυξηθεί

Lydie H., 53 ans, sans emploi demeurant à Calais, se rend dans un campement le 21 février 2017 vers 10 heures 30 avec une douzaine de sacs tissés et autant de petites étiquettes blanches d’écolier. Elle retrouve un groupe de migrants qu’elle connaît, ainsi que quelques nouveaux venus. Chacun l’attend un ballot de linge sale à la main, et le lui confie. Lydie H. inscrit noms et prénoms sur les étiquettes qu’elle applique sur chacun des sacs correspondants. Rentrée chez elle, elle déballe le contenu d’un premier sac. Elle sépare la couleur du blanc. Elle place les deux petits paquets d’affaires dans les deux lave-linges en sa possession. Elle lance ainsi plusieurs cycles de lavage, vidant les sacs lessive après lessive. Elle étend le linge dans son garage, dans son salon et dans l’ancienne chambre de ses enfants. Elle repasse ensuite pantalons et chemises, plie tee-shirts et sous-vêtements, puis les range dans les sacs étiquetés. Le surlendemain, 23 février 2017 au matin, Lydie H. rapporte les vêtements à Nasratullah B., Afghan de 28 ans, qui se charge de les distribuer à chacun.

Martine D., 69 anni, pensionata residente a Calais, offre a Ramzi B., minore afgano, la possibilità di fare una doccia a casa sua. Dopo che lui si è lavato in bagno al primo piano, ritorna nella cucina, dove Martine, ai fornelli, gli propone di condividere un pasto. Ramzi gli risponde che vuole solo bere una tazza di latte e gli chiede di riscaldarlo aggiungendovi una grande quantità di zucchero.

شارلوت ك. متقاعدة، تقيم في سانتماريأومين (Sainte-Marie-aux-Mines)، وهي متطوّعة لدى “مطاعم القلب” الخيرية في مدينتها. تعرف اسم وكنية كل واحد من لاجئي مركز الاستقبال الذين يأتون بشكل منتظم للغداء في مقر الجمعية، وتحرص على إرضاء أذواق كل واحد منهم. يوم 25 آذار/ مارس، وبعد انتهائها من العمل، وبعد جلي الأطباق وترتيبها، تُجري شارلوت ك. عدة اتصالات هاتفية وتقوم بعدد من التدابير التي تسمح لذكر الله م.، وهو لاجئ أفغاني يبلغ من العمر 23 عاماً، أن يجد حقيبته التي نسيها في الباص.

Camille S., 47 Jahre, Näherin aus Tarnos, holt am 17. Februar um 11 Uhr ein Herrenrad aus ihrer Garage. Sie entstaubt es, pumpt die Reifen auf und fährt damit zum Platz vor der Kirche. Sie trifft sich dort mit dem 22-jährigen Eritreer Janice O., dem sie das Fahrrad übergibt. Sie geht anschließend durch die Avenue Lénine zu Fuß nach Hause.

Emmanuelle A., winkelmanager woonachtig in Pau, geeft Rafa T., een 15-jarige Afghaan, op 22 maart een paar hoge leren sportschoenen maat 43, kleur marineblauw.

Ο Simon K., 31 ετών, σερβιτόρος που κατοικεί στο Pantin, βρίσκει τον Kiros M., Ερυθραίο ηλικίας 22 ετών, σε μία καφετέρια της λεωφόρου JeanJaurès στο Aubervilliers την 1η Ιουλίου στις 16h30. Ο Simon K. ονομάζει τα αντικείμενα και τον εξοπλισμό που βρίσκονται στο εσωτερικό του καταστήματος. Περιγράφει στη συνέχεια τις ενέργειες που βλέπουν να διεξάγονται στο δρόμο. Ο Kiros M. επαναλαμβάνει τις λέξεις και τις φράσεις πολλές φορές, μέχρι κάποιο επιβεβαιωτικό σημάδι του Simon K. να του δώσει να καταλάβει ότι η πρόφορά του είναι σωστή. Αυτό το μάθημα γαλλικών συνεχίζεται έτσι κατά τη διάρκεια μιας ώρας.

Michaël B., 55 ans, chômeur, domicilié en banlieue nantaise, dispose de bonnes connaissances horticoles et botaniques. Il passe une partie de ses journées à récolter légumes et plantes sauvages comestibles dans la campagne environnante. Presque chaque soir, il en fait une soupe qu’il apporte ensuite à un groupe de migrants vivant à cinq stations de bus de chez lui. Le 11 mars, le potage qu’il a cuisiné se compose de carottes, panais et tétragones. Michaël B. y ajoute crème fraîche et persil avant de charger sa cocotte hermétiquement fermée sur un cabas à roulettes et de sortir de chez lui. Il est 19 heures 30.

Bernard T., 51 anni, falegname residente a Dunkerque, usa una parte del suo garage come deposito per assi di legno, arnesi, chiodi e segatura, che mette da parte dall’inizio dell’anno. Nel fine settimana, con il suo furgone, consegna e ridistribuisce questi materiali nei diversi accampamenti della Hauts-de-France, affinché i migranti possano utilizzarli per rinforzare le loro baracche. Bernard vi costruisce anche dei bagni a secco e distribuisce un documento, tradotto in inglese, per spiegarne il funzionamento.

غيدو ت. يبلغ من العمر 32 عاماً، بلا عمل، يقيم في أورلي (Orly). يستقبل في منزله يوم 28 تموز/ يوليو عند الساعة 10 صباحاً محمد حسين ز. وأحمد س.، وهما أفغانيان ييبلغان من العمر تباعاً 27 عاماً و18 عاماً. يُطلعهم على منزله المؤلف من غرفتين، ويشرح لهما طريقة عمل الآلات الكهربائية فيه. بعد شُرْب قهوة معهما، يُعطي كل واحد منهما قطعة من الورق المقوّى دوّن عليها رمز دخول المبنى ورقمَيْ هاتف جاريه، زُويه ه. ومالك ي.، ثم يرسم خريطة للحيّ يعيّن فيها محطة الميترو وموقفَيْ الباص القريبين. بعد ذلك يعطيهما غيدو ت. مجموعة من المفاتيح ويغادر المكان عند الساعة 11 ونصف تقريباً، وذلك لمدّة 12 يوماً.

Jeanne L., 43 Jahre, Tierärztin aus Boissy-Saint-Léger, begleitet am Vormittag des 29. August zwei afghanische Jugendliche zum Pariser Nordbahnhof. Sie kauft ihnen zwei Zugfahrkarten nach Calais, zwei Flaschen Wasser sowie eine Umhängetasche. Sie begleitet die beiden zum Gleis 5 und bringt sie in den Waggon mit ihren reservierten Plätzen. Anschließend kehrt sie auf den Bahnsteig zurück, wo sie bis zur Abfahrt des Zuges um 11:46 Uhr wartet.

Philippe K. en Sophie K., beiden basisschoolleraar, woonachtig in een dorp in de regio Nice, geven sinds vier maanden onderdak aan Omar L., een 21-jarige Gabonees. Op 23 mei laat de jonge man weten dat hij zijn weg wil vervolgen naar Parijs. Nadat ze met z’n drieën hebben gegeten stellen Philippe K. en Sophie K. voor dat Omar L. de sleutels van hun woning bij zich houdt, voor het geval hij terug wil komen.

Η Mylène T., 81 ετών, συνταξιούχος κάτοικος του Calais, ελέγχει τη σωστή λειτουργία της σύνδεσής της στο Internet πριν πάει να κοιμηθεί. Είμαστε τη 12η Σεπρεμβρίου, είναι 9:00 μ.μ.. Eδώ και ένα χρόνο, μετανάστες συγκεντρώνονται μπροστά από το σπίτι της για να χρησιμοποιήσουν το ασύρματο δίκτυο που αφήνει σε ελεύθερη πρόσβαση με τη θέλησή της.

Solange B., 48 ans, coiffeuse à Calais, se rend régulièrement au bureau de Poste pendant sa pause déjeuner. Anglophone, elle propose son aide aux migrants qui ont besoin que leur demande soit traduite au guichet.

Michel P., 47 anni, medico pneumologo in esercizio a Nancy, il 14 ottobre riceve nel suo ambulatorio Maki A., sudanese di 37 anni. L’uomo soffre di una bronchite cronica aggravata. Michel è stato contattato da Rachel K., 39 anni, insegnante a Metz e sua vicina di casa in campagna, dove Maki è attualmente in convalescenza. Dopo aver fatto una radiografia gli è stata diagnosticata una polmonite. Michel, che riordina regolarmente le sue scorte di antibiotici in caso di emergenza, gli dà le medicine sufficienti per una decina di giorni. Non gli fa pagare né la visita, né la radiografia, né i medicinali. Gli propone infine di ritornare per una visita il mese seguente, per verificare che l’addensamento polmonare e l’infezione siano definitivamente scomparsi.

سيسيل د. تبلغ من العمر 35 عاماً، وهي معلمةُ مدرسة، تقيم في الدائرة 19 في باريس. من الـ31 من كانون الأول/ ديسمبر 2016 حتى الأول من تموز/ يوليو، تنهض باكراً يومي السبت والأحد لتغلي 16 ليتراً من الماء تضعها في أوعية كبيرة حافظة للحرارة. تضيف عليها ظروفاً من الشاي الأسود تحرص على أن تعقد خيوطها ببعضها كي يسهل نزعها، وتُفرغ فيها ما قدره كيلو من السكّر. عندما يخمر الشاي، تغلق الأوعية الحافظة، تصفّها في عربة صغيرة وتذهب إلى قناة أورك (Canal de l’Ourcq) حيث تلتحق بجمعية الحيّ التي توزّع معها الفطور على اللاجئين.

Dominique M., 69 Jahre, Rentner aus Calais, spricht am 1. Februar per Skype mit Shada K., einer 38-jährigen Irakerin, die seit 2010 als Geflüchtete in Großbritannien lebt. Er berichtet ihr, wie es Ibrahim K. und Hude K. geht, ihren 15 und 17 Jahre alten Kindern, die Dominique M. seit mehreren Wochen in seinem Haus beherbergt.

Chantal M., 61 jaar, bibliothecaresse woonachtig in Bordeaux, vraagt Abdullah A., 46 jaar, Sudanees, op 22 maart om een identiteitsbewijs voor zijn inschrijving bij de bibliotheek. Als ze Abdullah A. ziet aarzelen begrijpt ze dat hij zo’n bewijs niet kan laten zien. Chantal M. gaat verder met de inschrijving, waarbij ze mompelt: ‘Identiteitsbewijs gezien…

Η Léa S., 39 ετών, διαχειρίστρια τουριστικών ξενώνων κάτοικος Barcelonnette, προτείνει στις 10 Μαρτίου στους Ali S., Mohamed G., Aba M., Djibril V. και Issa G., Σουδανούς 26, 34, 26, 23 και 32 ετών αντίστοιχα, που έφθασαν την προηγούμενη μέρα με λεωφορείο να εγκατασταθούν γύρω από το τραπέζι του σπιτιού της. Τους σερβίρει μία σούπα με κόκκινες φακές, τυρί tomme από την Ubaye και μία τάρτα αχλαδιού.

Nadine R., 62 ans, retraitée demeurant à Calais, reçoit le 14 février 2017 vers 22 heures un appel téléphonique de Mahdi M., Afghan de 16 ans. Le jeune homme, le souffle coupé, peine à finir ses phrases. Il lui explique qu’il a les yeux gonflés par du gaz lacrymogène, les tibias et les cuisses tuméfiés par des coups de matraque. Nadine R. prend sa voiture et le retrouve sur la route de Gravelines. Elle ramène Mahdi M. chez elle, lui panse ses plaies, lui offre le couvert et le logis.

Anne K., 60 anni, professoressa di lingue domiciliata a Chesnay, incontra Almas F., afghano di 25 anni, davanti alla Gare du Nord a Parigi, in data 20 agosto. Almas è ansioso. Chiede ad Anne se può aiutarlo a capire i formulari che lui deve compilare. Anne lo porta in un bar e gli traduce i documenti. Decidono insieme di fissare un appuntamento settimanale per portare avanti le procedure amministrative. Un anno dopo Almas si trasferisce a casa di Anne e di Michel T., suo marito. Entrambi lo considerano come un membro della famiglia.

آدل ب. تبلغ من العمر 9 أعوام ونصف، وهي تلميذة في الصف الرابع في كاليه، شاركت يوم 23 أيلول/ سبتمبر مع أمها ومتطوّعين من جمعية “الإغاثة الكاثوليكية” في توزيع الثياب على مجموعة من المنفيين القُصَّر غير المصحوبين.

Julie L., 24 Jahre, die als Studentin in Paris wohnt, begleitet am 26. Juni den jungen Iraker Bahroz H. zum Nordbahnhof. Sie hat dem 19-jährigen für zwei Nächte Unterschlupf gewährt und er fährt an diesem Abend weiter nach Dünkirchen. Als sie den Bahnsteig betreten, nimmt sie seine Hand und schmiegt sich an ihn, damit sie wie ein Pärchen wirken und dem jungen Mann eine Polizeikontrolle erspart bleibt. Julie L. wartet, bis der Zug um 20:56 Uhr abfährt, und verlässt dann den Bahnhof.

Sylviane M., 33 jaar, inwoonster van Parijs, komt op weg naar haar werk regelmatig een bedelend Syrisch gezin tegen in de metro. De twee kinderen van het paar, een jongen en een meisje, zijn ongeveer even oud als haar zoon Arthur, die net 7 is geworden. Op zaterdag 8 april besluiten Sylviane en haar zoon, aan wie ze over deze bijna dagelijkse ontmoeting heeft verteld, de boekenkast van de jongen te bekijken en er de boeken uit te halen die Arthur niet meer leest. Meerdere woensdagen achtereen gaan moeder en zoon samen de metro in om deze boeken naar de twee kinderen te brengen. Ze geven er steeds maar twee of drie, want ze weten niet waar het Syrische gezin verblijft en of het meisje en de jongen de boeken mee kunnen nemen. Beetje bij beetje doet Arthur zelfs afstand van de boeken waaraan hij erg is gehecht. Hij maakt zich lang zorgen om het lot van Riham en Bassel, van wie hij inmiddels de voornamen kent, en informeert bij zijn moeder waar ze naar school gaan.

Ο Mathieu M., 40 ετών, καθηγητής κάτοικος Calais, στις 26 Ιανουαρίου ανοίγει την πόρτα του σπιτιού του στον Mustafa O. Και στον Αwad A., Σουδανούς λαθρομετανάστες ηλικίας 28 και 29 ετών αντίστοιχα. Τους δείχνει ένα δωμάτιο που έχει δύο κρεβάτια στο ισόγειο της βίλας του. Είναι το δωμάτιο των παιδιών του που ζουν μία στις δύο εβδομάδες στο σπίτι της μητέρας τους. Ο Mathieu M. τους προτείνει να μένουν εκεί όταν το δωμάτιο είναι άδειο.

Déclaration publique : Amnesty demande que les autorités françaises cessent immédiatement le harcèlement et l’intimidation des défenseurs des droits à la frontière

https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/nord-de-la-france-calais-droit-des-migrants-covid-19

NORD DE LA FRANCE : EN PLEINE CRISE SANITAIRE, LES DÉFENSEURS DES DROITS DES MIGRANTS SONT TOUJOURS HARCELÉS

Dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, les défenseurs des droits humains jouent un rôle crucial pour que la lutte contre la pandémie soit respectueuse des droits de tous. Pourtant, à la frontière franco-britannique, les personnes venant en aide aux migrants continuent de faire l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités françaises. Nous demandons que cessent immédiatement les pratiques abusives à leur égard.

CONDITIONS DE VIE INDIGNES ET ABSENCE DE PROTECTION POUR LES PERSONNES EXILÉES

Depuis le début de la crise sanitaire en France, les expulsions de lieux de vie informels se sont poursuivies dans le nord de la France, laissant les personnes exilées dans le dénuement le plus total. Entre mars et avril 2020, l’équipe de Human Rights Observers a recensé 180 expulsions de campements à Calais et 12 à Grande-Synthe. Selon les associations locales, ces expulsions se sont accompagnées de la saisie de tentes et d’effets personnels (sacs de couchage, couvertures, sacs à dos, téléphones), mais aussi de violences et d’un recours excessif à la force par la police.

Suite aux demandes d’Amnesty International France et des nombreuses associations qui travaillent sur le terrain, des opérations de mise à l’abri et quelques mesures d’assistance humanitaire ont tardivement été mises en place. Cependant, de nombreuses personnes exilées continuent de vivre dans des conditions indignes, sans aucune mesure de protection face au virus. Plus de 1000 personnes exilées sont encore présentes dans les campements informels à Calais et environ 600 à Grande-Synthe.

AMENDES, CONTRÔLES D’IDENTITÉ, MISES EN GARDE À VUE : L’INTIMIDATION DES AIDANTS SE POURSUIT

Dans ce contexte, les personnes qui viennent en aide aux exilés présents à Calais et Grande-Synthe ont un rôle essentiel : elles fournissent une assistance humanitaire indispensable, signalent les violences et les abus observés notamment lors des expulsions, et interpellent les pouvoirs publics sur les mesures à prendre pour protéger des personnes déjà marginalisées. Pourtant, au lieu d’être soutenus, les bénévoles sur le terrain continuent de faire l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des forces de l’ordre.

A Calais et Grande-Synthe, Human Rights Observers a par exemple recensé 37 contraventions dressées essentiellement au motif du non-respect des mesures de confinement entre le 17 mars et le 11 mai 2020. Les bénévoles verbalisés étaient alors en maraude ou présents aux côtés des exilés, des personnes qui ne seraient donc pas « assez vulnérables » aux yeux des autorités pour faire l’objet d’une dérogation pourtant prévue par l’attestation de circulation.

A Grande-Synthe, quatre membres de l’association Utopia 56 ont été arrêtés et placés en garde à vue, le 24 avril dernier, alors qu’ils documentaient l’évacuation violente d’un campement de personnes exilées par les forces de l’ordre, lors d’une mise à l’abri. Les quatre bénévoles ont passé toute la journée en garde à vue pour « atteinte à l’autorité de la justice par discrédit d’une décision de justice » et « complicité de mise en danger de la vie d’autrui, en ayant incité les exilés à se rendre sur l’autoroute ». Les quatre bénévoles sont finalement sortis dans la soirée sans qu’aucune poursuite n’ait été retenue contre eux à ce jour.

Par ailleurs, alors qu’ils ne font qu’observer des situations souvent tendues ou violentes afin de signaler de potentiels actes délictueux des forces de l’ordre, les bénévoles associatifs auraient été à plusieurs reprises filmés par la police et sommés de s’éloigner du périmètre d’opération. Selon les associations locales, ils sont aussi régulièrement soumis à des contrôles d’identité et de véhicules.

AUCUNE MESURE PRISE POUR METTRE FIN À CES PRATIQUES ABUSIVES

Les autorités françaises ne doivent pas prendre le prétexte des restrictions imposées dans le cadre de la pandémie pour restreindre le droit de défendre les droits et entraver l’action des aidants dans le nord de la France. Elles doivent au contraire reconnaître que la défense des droits fondamentaux constitue une activité d’autant plus essentielle dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui permet l’adoption de mesures restrictives de libertés, et veiller à ce que tous les aidants puissent agir sans avoir à craindre d’actes d’intimidation.

Alors que nous alertons sur cette situation depuis près d’un an, aucune mesure en ce sens n’a encore été prise. Les autorités françaises doivent également condamner toute tentative de délégitimer le travail des aidants et enquêter de façon approfondie et impartiale sur tous les abus signalés à Calais et Grande-Synthe.

Journal des Jungles n°13 : le supplément !

« Nous avons perdu beaucoup de gens dans la Jungle, dont plusieurs étaient mes ami.e.s. La police n’a aucune sympathie envers nous. Cruelle, elle nous maltraite constamment à Calais. Cela nous fait souffrir psychologiquement et ce n’est moralement pas juste. Ils nous ont tout pris, y compris de l’argent, des tentes qui nous fournissent un abri et des vêtements qui nous gardent au chaud (…) »

Découvrez ci-dessous le puissant texte d’Helina, « Ouvrez les frontières ! », rédigé au cours de la résidence d’écriture du Journal des Jungles n°13, qui s’est déroulée entre femmes, fin septembre 2019, au sein de l’accueil de jour du Secours Catholique à Calais.

Journal des Jungles n°13 – Complément

La résidence du Journal des Jungles n°13, entre femmes à Calais, a été très riche ! Vous avez parcouru ce numéro avec émotion ? On vous propose de prolongez le plaisir en découvrant ici de nouveaux textes, rédigés lors de cette même résidence mais encore non publiés.

Voici donc, en exclusivité, le puissant texte d’Helina : « Ouvrez les frontières ! »

Retrouvez également ci-dessous le texte d’Estella, bénévole au Secours Catholique souhaitant la bienvenue à l’ensemble de ces femmes aujourd’hui encore inconnues, mais avec lesquelles seront bientôt construits des liens…

 

Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe: Les droits de l’homme de plus en plus menacés en Europe

COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME DU CONSEIL DE L’EUROPE

DUNJA MIJATOVIĆ

RAPPORT ANNUEL D’ACTIVITÉ 2019

 

Dans les activités qu’elle a menées en 2019, la Commissaire a abordé un large éventail de thèmes relatifs aux droits de l’homme. Elle s’est tout particulièrement concentrée sur les droits de l’homme des immigrés, des demandeurs d’asile et des réfugiés, la liberté des médias et la sécurité des journalistes, ainsi que sur les droits des femmes et l’égalité de genre. Elle a aussi continué d’attirer l’attention sur les droits de l’enfant, les droits de l’homme des personnes handicapées, des personnes LGBTI et des Roms, ainsi que sur la question de la justice transitionnelle, notamment dans les Balkans occidentaux. L’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la lutte contre le terrorisme et la protection des droits de l’homme ainsi que la lutte contre le racisme et l’intolérance ont également figuré au rang de ses principales préoccupations.

Droits de l’homme des immigrés, des réfugiés et des demandeurs d’asile. S’agissant des droits des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile, en 2019, la Commissaire a mené de nombreuses activités spécifiques à des pays, notamment une visite en Hongrie,suivie de la publication d’un rapport, des visites en Grèce et en Bosnie-Herzégovine,spécialement axée sur la situation migratoire dans ces pays. Des lettres ont aussi été adressées aux autorités de l’Allemagne, de la Grèce et de l’Italie. La Commissaire a en outre effectué une déclaration sur la Bosnie-Herzégovine et trois interventions en qualité de tierce partie devant la Cour européenne des droits de l’homme, décritesde façon plus détaillée dans une autre section du présent rapport.La protection des droits des réfugiés et des migrants dans la région de la Méditerranée a été l’un des principaux thèmes de travail. Le27 mars, la Commissaire a fait une déclaration appelant les États membres à renforcer la capacité de sauvetage en mer Méditerranée, à s’abstenir d’entraver et d’ériger en infraction pénale le travail des ONG qui réalisent des activités de recherche et de sauvetage, à renforcer la transparence et la responsabilité dans la coopération avec les pays tiers, et à suspendre l’aide apportée aux garde-côtes libyens si ceux-ci ne sont pas en mesure de prouver que ce soutien necontribue pas à des violations des droits de l’homme. Le18 juin, la Commissaire a publié sa Recommandation intitulée « Sauver des vies. Protéger les droits. Combler le manque de protection des réfugiés et des migrants en Méditerranée ». Ce document contient35 recommandations se répartissant en cinq domaines clé, à savoir:l’efficacité des opérations de recherche et de sauvetage, le débarquement sûr et rapide, la coopération avec les organisations non gouvernementales, la coopération avec les pays tiers, et la prévention des voyages dangereux au moyen de voies sûres et légales. Le7octobre, elle a fait une autre déclaration dans laquelle elle salue les initiatives déjà prises pour mieux partager les responsabilités concernant le sauvetage des migrants et encourage les États membres à y prendre part. Elle attire également l’attention sur le fait que l’instauration d’un mécanisme de débarquement et de relocalisation ne doit pas conduire les États membres à prendre des mesures qui pourraient entraîner le renvoi de personnes secourues en mer vers des lieux où elles seraient exposées à des risques de violations graves des droits de l’homme.Outre la situation dans la région méditerranéenne,la Commissaire s’est penchée sur d’autres questions relatives à l’asile et aux migrations. Ainsi, le 6 mars,dans le cadre de sa visiteà Genève, la Commissaire a prononcé un discours devant l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) dans lequel elle a traité du rôle que pourraient jouer les institutions nationales des droits de l’homme (INDH) dans le domaine des migrations. Elle a notamment souligné qu’il était nécessaire que celles-ci s’occupent des violations flagrantes des droits des migrants comme les refoulements, les mauvais traitements et la rétention de longue durée dans de mauvaises conditions, appelant également les INDH à contribuer au débat public et politique sur les migrations, à assumer leur rôle de pont entre la société civile et les gouvernements afin que la voix des migrants soit entendue dans les décisions qui les concernent et à militer pour plus de transparence et de responsabilité dans les politiques migratoires. Le 12 septembre, la Commissaire a publié dans le Carnet des droits de l’homme un article intitulé « Il est temps de respecter les engagements pris pour protéger les personnes en situation de déplacement de la traite et de l’exploitation », dans lequel elle attire l’attention sur la nécessité d’agir contre la traite des êtres humains, mais aussi d’examiner de près la manière dont les politiques migratoires actuelles se répercutent sur la prévention de la traite, ainsi que sur l’identification et la protection des victimes et l’accès de celles-ci aux mesures d’assistance, y compris aux frontières extérieures de l’Europe.

Les vies encampées, et ce que nous en savons

Les vies encampées, et ce que nous en savons

La moitié de la population de la planète est confinée à domicile. Cette assignation pourrait nous donner une toute petite idée de ce qu’est la vie en camps de réfugiés. Mais nous serions encore très loin du compte…

Tribune. Depuis presque un mois et demi, comme la moitié de la population de la planète, nous sommes confinés. Tout le monde s’interroge sur le bouleversement de son quotidien, sur cette restriction de liberté, et sur la durée de cette période… Nous faisons ainsi un tout petit peu l’expérience de celles et ceux qui passent leur vie en camp – de réfugiés, de déplacés internes, de migrants, de rétention. Une toute petite idée pratique de la vie encampée, sur un territoire confiné, avec la perception durcie d’un dedans et d’un dehors, avec des autorisations de sortie, une présence policière et des contrôles dans les lieux de passage, des tentatives de resquille, l’attente d’une fin ou d’une sortie, et l’incertitude permanente. Dans les camps, les cas de pathologie psychique sont légion, des équipes médicales sont dédiées à cela en particulier, j’ai suivi des infirmiers de MSF en Sierra Leone qui avaient leurs circuits quotidiens de distribution d’antidépresseurs dans les camps. De mon côté, en parlant avec les réfugiés, j’ai maintes fois entendu les mots qui évoquent la prison, l’inutilité, la lassitude, l’attente, j’ai vu des colères plus ou moins refoulées dues au désir de sortir pour retourner dans son pays, ou vivre librement dans le pays d’accueil, ou partir ailleurs. Mais ne pas rester enfermés.

Ce qui préoccupait le plus les encampés, c’était l’incertitude, ne pas savoir par exemple quand ils pourraient revenir chez eux, dans leur pays, c’est-à-dire à l’état antérieur (et normal, pensaient-ils) de leur existence. Le lieu confiné était un territoire de l’attente et de la contrainte mais, leur disait-on, ils n’avaient pas le choix, puisque c’était l’espace humanitaire, là où ils recevraient de quoi survivre. Espace d’exception, mais humanitaire, donc acceptable «en attendant». Encampés sous contrainte, ils et elles montraient des capacités étonnantes de soumission, d’adaptation et d’invention. Mais avant cela, les premiers jours ou premières semaines, c’est le temps de l’urgence, c’est-à-dire de la sidération à cause de ce qui a été vécu avant (violence, catastrophe, fuite, faim) et qui reste imprégné, ou parce que c’est le temps suspendu du soin et de la réparation, ou du simple fait de ne pas comprendre où l’on est. Puis la vie qui s’organise est une succession de bricolages, d’accommodements avec les autorités du camp, avec les nouveaux voisins, avec ce qu’on trouve juste autour de soi pour transformer le quotidien dans son abri, le rendre plus habitable, agréable même.

Nous pourrions presque partager un «nous» commun avec les millions de personnes qui, dans le monde, vivent une sorte d’enfermement mi-humanitaire mi-sécuritaire, acceptant cela faute de mieux ou se révoltant parfois contre telle ou telle inégalité de traitement au sein de cette même condition. Comme si nous expérimentions une petite part de l’existence des autres encampés, les «vrais» et durables, ou qui nous semblent tels alors qu’eux-mêmes, comme nous aujourd’hui, se voient là par accident, par exception et provisoirement. Des millions de personnes sont confinées dans des camps alors qu’elles croyaient y être pour quelques jours, quelques semaines, sidérées d’abord, puis perturbées, puis remarquablement «résilientes», dit-on d’elles.

Mais non, je ne pense pas que nous finirons par être abandonnés, invisibles ou indésirables, comme le sont les réfugiés et migrants tenus à l’écart dans des camps faute de politique globale d’accompagnement des mobilités. La généralisation de l’enfermement, qui nous révèle l’unité de la planète aux prises avec une pandémie, révèle en même temps une forte différenciation sur le plan social et en termes de droits humains. Nous pouvons juste saisir cet instant pour ressentir une solidarité plus empathique, compréhensive et objective avec les personnes dont le confinement est la vie ordinaire.

Nombreux sont ceux qui sont pris au piège non seulement de l’encampement mais de l’encampement confiné : toute la bande de Gaza est un camp qui doit être décloisonné, le blocus doit cesser et l’enclave être ouverte pour permettre l’entrée de matériel de soin pour ses 2 millions d’habitants. Le camp de Moria sur l’île de Lesbos, en Grèce, doit être fermé et ses 20 000 occupants, enfermés sans autre motif que d’avoir voulu demander refuge à l’Europe, libérés et relogés dans des habitats sains et sécurisés. Les centres de rétention en Europe, notamment en France, doivent être fermés et leurs occupants, en attente d’expulsions qui ne peuvent avoir lieu, relogés dans des conditions saines et sûres, tout comme les 1 500 occupants des campements de Calais et de Grande-Synthe, enfermés dehors sans protection. Ces situations montrent la dangerosité des dispositifs d’encampement du point de vue de l’accès aux soins et aux droits humains en général.

Tous les camps dans le monde sont différents. Certains, les plus visibles comme Zaatari en Jordanie, ou certains camps de conteneurs en Grèce continentale sont supportables et les maux de l’encampement ne sont que ceux, décuplés, que nous pouvons imaginer à partir de l’expérience du confinement : incertitude, manque de liberté, absence de perspectives, peurs. Mais pour la plupart des encampés, en Afrique, en Asie centrale, au Proche-Orient, et pour les près de 40 000 occupants des hotspots des îles grecques, c’est la double peine du confinement dans l’enfermement, la précarité et l’abandon politique rendant les populations chaque jour plus fragiles face à la propagation du virus. Après que les premiers cas de Covid-19 ont été révélés dans les campements du Calaisis fin mars, l’Etat vient de commencer leur mise à l’abri. Faute d’anticipation, et surtout par manque d’alternative aux camps, leur dangerosité est ainsi reconnue, et l’urgence est encore une fois la seule réponse. Encore faut-il qu’elle soit menée à son terme.

Michel Agier est l’auteur de: l’Etranger qui vient. Repenser l’hospitalité (Seuil, 2018).

Michel Agier anthropologue (IRD et EHESS). Directeur du département Policy de l’Institut des migrations (ICM)