Par Jean-Pierre Stroobants (Luxembourg, envoyé spécial), Le Monde, 08 octobre 2021
Les ministres de l’intérieur et des migrations des Vingt-Sept se sont réunis, vendredi 8 octobre, au Luxembourg, alors que les violences se multiplient contre les migrants dans plusieurs pays.
Ils ont survolé la question, devenue, il est vrai, banale : les ministres européens de l’intérieur et chargés des migrations, réunis vendredi 8 octobre à Luxembourg, n’avaient pas envie de s’appesantir sur cette nouvelle affaire de pushbacks (refoulements illégaux) de migrants, révélée la veille par le consortium d’investigation Lighthouse Reports . Cette fois, celui-ci s’était appuyé sur des enregistrements prouvant les brutalités commises par des membres de forces de l’ordre, aux uniformes rendus anonymes, des « unités spéciales » à l’œuvre en Croatie, en Grèce et en Roumanie, et dont le financement pourrait venir de fonds européens.
Les ministres des pays concernés ont promis d’enquêter. Ce n’est pas la première fois, et les résultats éventuels des investigations précédentes n’ont jamais été dévoilés. « Nous n’allons pas nous excuser, nous protégeons les frontières extérieures et luttons contre les réseaux de trafiquants », expliquait, dès jeudi, le ministre grec des migrations, Panagiotis Mitarakis.
La commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, parle d’« une normalisation inacceptable de la violence », tandis que la commissaire européenne à la migration, Ylva Johansson, s’est, pour sa part, dite « extrêmement inquiète ». Mais ses services font valoir leur incapacité à contrôler, et éventuellement à sanctionner, des Etats membres.
Pas d’action « en tant qu’Union »
Au cours de la discussion de vendredi, Mme Johansson a bien dû constater que, sur ce sujet comme sur d’autres, sa marge de manœuvre semble s’amenuiser de réunion en réunion. « Nous agissons en tant qu’Europe du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou du Nord, mais pas en tant qu’Union » a-t-elle déploré. Autour de la table, un consensus a seulement été trouvé pour condamner vivement l’attitude du régime biélorusse et son instrumentalisation de la migration : visé par des sanctions européennes pour la violente répression à laquelle il se livre, le régime d’Alexandre Loukachenko a dirigé vers ses frontières avec la Lituanie et la Pologne des milliers de personnes, majoritairement des Irakiens.
Evoquant ce qu’ils appellent une « attaque hybride » contre eux et l’Union, les deux pays concernés, appuyés par dix autres, dont la Grèce, la Hongrie et l’Autriche, réclament désormais de la Commission qu’elle finance la construction de murs aux frontières extérieures de l’Union. Ils jugent que ce projet doit devenir prioritaire, car « au bénéfice des Vingt-Sept ». « Les fonds européens ne peuvent servir qu’aux systèmes de gestion intégrée des frontières », a précisé un porte-parole de la Commission. Ce qui exclut, a priori, l’édification de murs.
Un autre sujet de préoccupation des ministres européens reste la possible arrivée sur le continent de réfugiés afghans . « A ce stade, pas de panique, mais nous restons attentifs », a commenté un diplomate. Jeudi, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a exprimé son souhait que l’Union accueille 42 500 réfugiés afghans au cours des cinq prochaines années, soit la moitié d’un contingent de 85 000 personnes séjournant actuellement dans les pays voisins de l’Afghanistan. « C’est réalisable », a jugé Mme Johansson, même si, pour l’heure, aucun pays n’a précisé son degré d’engagement.
Quelque 22 000 ressortissants afghans ont jusqu’ici été évacués et accueillis dans 24 Etats membres. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile estime que, depuis le mois d’août dernier, 123 000 demandeurs d’asile afghans sont arrivés en Europe. En France, 7 200 Afghans ont demandé l’asile depuis le début de l’année, et 2 618 ont été accueillis depuis la mi-août.
Plusieurs contradictions
Certaines sources envisageaient l’arrivée de 500 000 demandeurs supplémentaires en 2021, à la suite de la chute de Kaboul. A ce stade, la perspective d’une arrivée massive semble s’éloigner, a confirmé le ministre français Gérald Darmanin. Tant mieux, soupirent certains diplomates, car une nouvelle version de la crise syrienne accentuerait les tensions et les divisions entre les Vingt-Sept, d’autant que le projet de pacte global pour la migration déposé en septembre 2020 par la commission serait dans ce cas d’un faible secours. C’est ce que diagnostique Catherine Wihtol de Wenden dans une récente étude pour la Fondation Robert-Schuman : la directrice de recherche émérite au CNRS souligne qu’aucun des outils proposés ne serait utile, en l’occurrence.
Il ne pourrait être question, comme le suggère le projet de pacte, d’accélérer les retours pour des gens qui fuient un régime comme celui des talibans. Il serait difficile de négocier un accord avec l’Iran et le Pakistan comme cela avait été le cas avec la Turquie, pour les réfugiés syriens, en 2016. Quant au « partage solidaire » des personnes accueillies, il se heurterait, à coup sûr, au refus d’une majorité de pays membres.
De quoi illustrer, une fois de plus, « les contradictions entre l’approche sécuritaire qui domine chez les gouvernants européens, une solidarité entre Etats qui fait défaut, et le rappel par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell , du devoir d’accueil », note Mme Wihtol de Wenden.
Au-delà, ce pacte « pour une politique juste et raisonnable » a-t-il encore la moindre chance de voir le jour ? Il propose notamment une harmonisation du droit d’asile, une solidarité obligatoire en cas de crise aiguë, une accélération de la politique de retours et un filtrage des migrants à l’entrée. A ce stade, seul ce dernier point semble récolter l’assentiment d’une majorité de pays membres. « Il faudra sérier les problèmes, mais ne pas oublier la solidarité », expliquait vendredi M. Darmanin, convaincu que la prochaine présidence française de l’Union pourra faire progresser le débat. Pour d’autres capitales, il s’agit à l’évidence de s’en tenir uniquement à une approche strictement sécuritaire.
Dernier arrêt avant l’Angleterre pour une dizaine de milliers de migrants par an, le bidonville de Grande-Synthe, près de Dunkerque, héberge aussi quelques centaines de Vietnamiens particulièrement exposés aux passeurs-mafieux. Enquête sur une migration fantôme.
À droite, à gauche et en se penchant par-dessus le volant, Thomas Gauthier examine les environs du parking de la zone commerciale de Grande-Synthe. « Les CRS sont partout, ici. On va éviter de se faire contrôler et de se choper une amende… » Bénévole depuis 2013 dans l’association Wise, qui vient en aide aux exilés dans le nord de la France, ce trentenaire à la barbe poivre et sel cherche à gagner un camp de migrants qui voit passer quelque 9 500 personnes par an.
Le bidonville se cache dans les bois à quelques centaines de mètres à peine d’un Auchan, invisible aux regards des clients qui s’affairent avec leurs caddies. La Kangoo rouge s’engage dans un chemin bordé d’arbres et débouche sur un parking poussiéreux. Thomas entreprend de décharger la voiture avec Karim, « pote de pote » venu donner un coup de main pour la première fois. « La majorité de la population, ici, est constituée de Kurdes d’origine irakienne, iranienne et turque, lui explique Thomas. Il y a des Pakistanais et depuis peu des Érythréens. Et aussi des Vietnamiens… » « Des Vietnamiens ? » Karim est étonné. Il n’en avait encore jamais entendu parler.
Une migration méconnue
Cette migration, méconnue du grand public, fait les gros titres en 2019, lorsqu’un charnier de 39 corps est découvert à l’intérieur d’un camion réfrigéré, à 30 kilomètres de Londres. En découle une opération de police qui conduit à l’arrestation de 26 personnes en France et en Belgique. La fermeture d’une filière qui ne met toutefois pas fin au trafic. « Il y a toujours environ une trentaine d’asiatiques dans le camp », observe Claire Millot de l’association d’aide aux migrants Salam.
Au début du mois de mai dernier, une centaine de Vietnamiens arrivent au camp du Puythouck sous le regard stupéfait des associations. « Ils avaient des valises à roulettes, étaient bien habillés. On avait du mal à croire qu’ils vivaient là », se souvient Thomas Gauthier. La communauté vietnamienne représente pourtant près d’un passage de la Manche sur cinq, révèle le commissaire Xavier Delrieu, chef de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière (Ocriest).
« Toute la famille se mobilise pour réunir entre 30 000 et 40 000 euros pour payer le voyage. »
Dans les années 1970, les « boat people » fuyaient la crise humanitaire héritée de vingt années de guerre et l’effondrement du gouvernement du Sud Viêtnam. Aujourd’hui, ceux qui partent sont les laissés-pour-compte du développement économique. « C’est la pauvreté que fuient les Vietnamiens », observe Thi Hiep Nguyen. Chercheuse en littérature vietnamienne et en langue étrangère, elle a participé pendant près d’un an à une enquête de terrain sur la migration vietnamienne pour France Terre d’Asile.
Dans les centres de rétention administratifs (CRA) et les bidonvilles des Hauts-de-France, elle croise en majorité des hommes qui rêvent de l’eldorado britannique. À Londres et à Birmingham, elle rencontre des Anglais d’origine vietnamienne qui emploient des sans-papiers. « Certains gagnent beaucoup d’argent, comparé à leurs revenus au Vietnam – entre 1700 et 2300 euros – en travaillant dans des restaurants et des bars à ongles. »
Comparé à un salaire minimum de 160 euros par mois, le jeu semble en valoir la chandelle. « Toute la famille se mobilise pour réunir entre 30 000 et 40 000 euros pour payer le voyage. » L’objectif une fois sur place étant de rembourser la dette puis d’envoyer de l’argent au pays avant d’y retourner. « Les histoires de richesse et la prospérité apparente des voisins au village qui se construisent une belle maison incitent les personnes à partir », explique la chercheuse.
Du gage au servage
Mais les promesses de travail des trafiquants laissent souvent place au servage des migrants qui acceptent de s’endetter. C’est le cas des mineurs qu’accompagne Laura Duran de l’ONG Every Child Protected Against Trafficking (Ecpat UK). « Ils ne connaissent personne en Angleterre et sont sous l’emprise totale des passeurs », déplore-t-elle. Dans les groupes de parole qu’organise l’association, des adolescents de 15 ans racontent leur calvaire. « Certains travaillent dans des fermes de cannabis, vivent dans des appartements où ils dorment à même le sol avec un seul repas par jour. Ils ont interdiction de sortir sans être accompagnés. D’autres sont exploités… »
La militante observe également que des mineurs pris en charge par les services sociaux retournent parfois auprès de malfaiteurs par crainte de représailles contre leurs familles restées au pays. « Les trafiquants exercent une grande influence sur les jeunes, ajoute-t-elle. Beaucoup estiment qu’ils ont cette dette envers eux et acceptent de travailler presque sans revenus, ou sans. Ils sont réduits à l’état d’esclaves modernes. »
Parfois, ces migrants se retrouvent également forcés de collaborer à des activités criminelles. Xavier Delrieu, le patron de l’Ocriest, mentionne des cas de traite liés au trafic de drogue en France. « Tous les ans, nous avons en moyenne une ferme de cannabiculture qui est démantelée, constate-t-il. Les prisonniers [vietnamiens] ne se rendent pas compte de l’exploitation qu’ils subissent. » Au printemps 2020, huit personnes sont interpellées près de Montargis : elles cultivaient du cannabis dans deux fermes où des migrants vietnamiens auraient été contraints de travailler.
Grande-Synthe, dernière étape de la route migratoire
Pour Mediacités, le commissaire Delrieu remonte la filière bien rodée par laquelle les trafiquants, aidés de banquiers et de mafieux, s’assurent de transporter, nourrir et héberger les migrants. « Ils partent en avion du Vietnam avec un visa de travail pour la Russie. Ils entament la traversée de l’Europe de l’Est en poids lourd et arrivent à Paris où ils sont logés par les réseaux locaux. De là, en taxi ou en camion, ils sont envoyés à Grande-Synthe où le passage de la Manche s’effectue en small boat [embarcation de fortune] ». La petite commune accolée à Dunkerque est donc la dernière étape d’une éprouvante route migratoire.
À l’un des points d’eau du bidonville de Grande-Synthe, un asiatique d’une vingtaine d’années se passe de l’eau sur le visage. Il a le teint gris – est-il malade ? -, et une casquette de baseball vissée sur la tête. Il ne parle pas anglais, le français encore moins, mais tend son téléphone portable pour dialoguer. Sur l’écran s’affiche la page d’accueil d’un site de traduction automatique. Il explique qu’il va bien et souhaite aller en Angleterre pour travailler et aider sa famille restée au Vietnam. Avant de clore rapidement l’échange à l’arrivée de deux de ses compatriotes.
Arnaud Gabillat, coordinateur de l’association Utopia56, dégaine alors une carte sur laquelle est inscrit un numéro d’urgence : « Problem ? » Il mime de la fièvre en imitant une respiration lourde et en s’essuyant le front. « You », il le désigne. « Call and we help ! » invite-t-il enfin en faisant le geste du téléphone. Il termine avec un sourire. Son interlocuteur le lui rend, agite un « au revoir » de la main et s’éloigne, le regard plongé dans l’écran de son mobile.
« Les passeurs leur demandent de se méfier des associations. Ils leur font croire que s’ils nous parlent, ils seront interpellés par la police », explique Arnaud Gabillat. Parler à des associations et à des journalistes, c’est prendre le risque de subir des violences et des intimidations de la part des trafiquants. Quelques semaines plus tôt, un Vietnamien a été poignardé dans le camp, raconte-t-il. « La violence pèse à chaque instant sur les personnes qui vivent ici. »
Les différentes associations présentes à Grande-Synthe témoignent de la difficulté extrême d’entrer en contact avec les migrants vietnamiens. Claire Millot, de l’association Salam, admet que ces derniers viennent très peu les solliciter : « Ils ont leur nourriture, ils ont de l’eau et des vêtements et restent très discrets ». Le turnover lié à un rythme de passage soutenu empêche également les associatifs de tisser un lien ou d’avoir un interlocuteur fixe – à l’inverse d’autres communautés qui attendent parfois plusieurs mois avant d’effectuer la traversée.
Pour Mayliss, de l’association Solidarity border qui assure des maraudes de nuit, c’est aussi la barrière de langue qui rend le contact difficile. « On a des militants qui parlent arabe, parfois le kurde, mais personne ne parle le vietnamien malheureusement. » Reste que maîtriser parfaitement la langue et partager des origines communes ne suffit pas non plus.
Thi Hiep Nguyen s’est rendue dans le bidonville baptisé « Vietnam city », à Angres, démantelé en 2017. Elle se rappelle de la suspicion des migrants à son égard. « Je parle le dialecte du centre du Vietnam, d’où ils sont originaires. Nous avons discuté de mon frère, prêtre catholique qu’ils connaissaient [les Vietnamiens présents dans le camp sont catholiques pratiquants]. Mais malgré ces connexions, nous n’avons parlé qu’une heure. »
Nous aurons encore moins de chance aujourd’hui. À Grande-Synthe, les passeurs accompagnent, surveillent et vivent avec les exilés. À cause de cette surveillance, les langues sont liées. Sauf en de rares exceptions. Thi Hiep évoque encore l’histoire d’une jeune femme qui l’a bouleversée. « Elle nous avait sollicités parce qu’elle était enceinte. C’était contre ses convictions religieuses, mais elle voulait avorter à tout prix… » La chercheuse ne peut que deviner le contexte de cette grossesse non désirée. « Peut-être était-ce après l’agression d’un passeur… Elle ne nous a rien dit. »
« Pour [les passeurs], ils ne sont qu’une marchandise à protéger »
Pour Laura Duran, l’invisibilisation et l’exclusion sont des stratégies employées par les mafieux pour garder le trafic dissimulé, tout en dissuadant les voyageurs de renoncer en cours de route. « Pour eux, ils ne sont qu’une marchandise à protéger. » Sur les 800 Vietnamiens ayant traversé la Manche en bateau depuis le début de l’année, selon un décompte de la police aux frontières au mois de juin, combien seront asservis ? Impossible à dire, reconnaît la salariée d’Ecpat UK. Mais la tendance semble être à la hausse, sans que l’on dispose toutefois de statistiques récentes.
Après 40 minutes passées à chercher des exilés vietnamiens, Thomas et Karim finissent par marquer une pause devant un campement vide. Le bénévole désigne une serviette éponge grise sur laquelle on reconnaît un visage asiatique accompagné de lettres en majuscules : VIỆT NAM. Sur la parcelle désertée, un sachet de nouilles instantanées, des baguettes, un tube d’encens, de la sauce d’huître ou encore de la sauce piquante sriracha. Les lieux ne sont pas abandonnés – une rallonge serpente dans la forêt pour amener l’électricité dans les batteries portatives. Tout laisse supposer que le bivouac, prévu pour une dizaine de personnes, n’attend plus que l’escale des prochains voyageurs d’infortune.
Je rencontre pour la première fois des exilés vietnamiens en 2021, alors que j’accompagne des militants associatifs qui viennent en aide aux réfugiés du bidonville de Grande-Synthe, près de Dunkerque. À ma grande surprise, j’apprends qu’ils représentent près d’une personne sur cinq dans les bateaux qui traversent la Manche. Une réalité particulièrement méconnue du grand public.
Et pour cause : sur le terrain, les associations rencontrent les plus grandes difficultés à dialoguer et à évaluer les besoins de cette communauté. La barrière de la langue et le constant contrôle des passeurs contraignent les candidats à la traversée outre-Manche à la plus grande discrétion.
Mes origines sud-coréennes facilitent un peu les choses : certains acceptent enfin de me dire quelques mots, par le biais d’une application de traduction sur téléphone. Mais, sous surveillance, impossible d’instaurer une vraie relation de confiance : je ne parviens pas à discuter plus de dix minutes avec un habitant du camp, et jamais deux fois avec la même personne, en dépit de deux mois d’aller-retour régulier entre Grande-Synthe et Lille. Ce sont donc surtout les témoignages des chercheurs et des ONG qui ont pu travailler avec cette communauté qui m’ont permis de retracer le parcours de cette migration furtive.
Jour après jour, nous appelons. Mais personne ne nous entend. C’est le langage de nos coeurs ici à Calais. Calais est une très belle ville, mais nous vivons simplement derrière un rideau de beauté. Nous ne pouvons voir les lumières ni de la vérité, ni de la liberté, ni de la sécurité a Calais. Nous sommes venus dans cette ville parce que nous avons un petit objectif. Nous vivons dans l’espoir que demain sera peut-être meilleur. Mais nous devons demander, Pourquoi I’univers ne nous permet pas d’atteindre notre futur, notre liberté, notre sécurité ? Chaque matin à Calais, il y a une nouvelle épreuve. Nous vivons en sachant que nos amis qui sont avec nous aujourd’hui ne seront peut-être plus avec nous demain. La mort est dans nos yeux, la peur et l’anxiété ne quittent pas nos esprits. Nos vies sont pleines d’histoires, mais elles sont très tristes et douloureuses. Aujourd’hui, nous avons perdu le sourire de notre cher frère Yasser. Hier encore, il jouait. Nous marchons sur les routes pendant la journée mais la peur ne nous quitte pas. Puis nous essayons de manger mais nous ne goutons que la tristesse. Nous buvons de l’eau mais nous n’étanchons pas notre douleur. Quand la nuit arrive à Calais, c’est calme. Nos yeux essaient de se reposer mais nous n’avons pas d’endroit pour dormir. Tout cela parce que nous avons un petit objectif La police de Calais. Nous nous demandons de temps en temps: pourquoi toute cette cruauté de votre part ? Vous savez que nous ne sommes pas vos ennemis. Nous vivons dans les bois, loin de vos yeux, parce que nous vous craignons. Pourtant, vous venez tôt le matin et prenez nos affaires de fortune comme si elles n’ étaient rien pour vous mais ous savez très bien qu’elles sont tout pour nous. Nos maisons. Sans humanité, vous nous laissez à l’air libre avec le froid qui nous pince et la pluie sur nos têtes comme si nous n’étions pas des êtres humains. Puis nous essayons de partir pendant que vous détruisez nos biens, nous sommes battus et gazés par certains de vos membres. Ensuite, vous nous faites monter de force dans. des bus du gouvernement en direction d’endroits lointains que nous n’avons jamais vus auparavant, en prétendant que tout cela est pour notre protection. Pourquoi ne nous ‘demandez-vous pas notre avis avant ? Les chauffeurs routiers. Lors de nos tentatives de passage de la frontière en camion, nous subissons des blessures répétées qui entrainent des fractures, des blessures graves voire la mort. Nous pensons que chaque blessure que nous avons reçue avait une intention délibérée de la part des chauffeurs. C’est clair, lorsque vous, le conducteur, remarquez qu’un réfugié se trouve dans le camion, vous secouez le camion et appuyez sur les freins encore et encore jusqu’à ce que nous lâchions prise. Vous savez que nous allons tomber et nous casser une épaule, une main, une jambe ou la colonne vertébrale. Mais cela ne vous suffit pas. Lorsque nous tombons au sol, vous nous frappez sérieusement. Vous vous éloignez et continuez votre chemin. Quand nous ouvrons les yeux, nous sommes à I’hôpital, encore une fois. Pourquoi Ne POUVONS-NOUS pas continuer notre voyage ? Les organisations humanitaires et l’aide médicale Calais, nous profitons de cette occasion pour remercier chaleureusement les personnes qui portent les vestes d’aide humanitaire à Calais. Merci pour le travail que vous faites encore et encore. Vous sauvez la vie de nos frères et soeurs blessés. Nous vous devons beaucoup. Nous remercions également nos frères et soeurs des organisations qui nous aident en nous fournissant de la nourriture, de l’eau et des douches.
Pour Yasser, De la part des réfugiés de Calais, 2021,
Migrants à Calais : le prêtre annonce l’arrêt de sa grève de la faim
Philippe Demeestère, 72 ans, met fin à son action pour dénoncer le traitement infligé aux exilés dans la ville des Hauts-de-France et va « mettre en service un nouvel abri hivernal ».
Le Monde avec AFP
Publié le 04 novembre 2021 à 14h42 – Mis à jour le 04 novembre 2021 à 20h57
Au lendemain de l’annonce de la création d’un sas d’hébergement de nuit à Calais par le médiateur du gouvernement, le prêtre Philippe Demeestère a annoncé jeudi 4 novembre qu’il mettait fin à sa grève de la faim entamée il y a vingt-cinq jours pour dénoncer le traitement réservé aux migrants à Calais.
Les deux militants associatifs Anaïs Vogel et Ludovic Holbein continuent quant à eux le mouvement de grève, a précisé cet aumônier du Secours catholique âgé de 72 ans dans un communiqué.
« Je demeure totalement solidaire de la détermination qui est la leur, car les propositions faites jusqu’à ce jour par les autorités ne tiennent pas compte des itinéraires des personnes exilées à qui on n’accorde jamais la parole. »
Pas « un registre moins radical »
Cette grève, engagée le 11 octobre, « représentait pour moi un outil parmi d’autres pour ébranler les immobilismes, enrayer la mécanique infernale qui soumet les personnes exilées à des traitements inhumains et dégradants sur les terres calaisiennes », a expliqué le prêtre jésuite. Dès aujourd’hui, « je reprends le chantier préalable à la mise en service, sur Calais, d’un nouvel abri hivernal à destination des personnes exilées les plus vulnérables », a aussi annoncé le retraité à l’origine ces deux dernières années de l’ouverture de lieux d’accueil hivernaux pour les réfugiés.
« Cela ne veut pas dire que je passe sur un autre registre moins radical car pour moi, dès la fin novembre, j’irai coucher dans une des jungles, à laquelle je demanderai l’hospitalité », a-t-il affirmé plus tard lors d’une conférence de presse devant l’église Saint-Pierre de Calais.
Ludovic Holbein a dit pour sa part attendre « le jour où quelqu’un ait le courage politique qu’on attend ». Sa compagne, Anaïs Vogel, a quant à elle évoqué le chef de l’Etat, Emmanuel Macron : « Il est responsable de ma vie (…), je voudrais le rencontrer », a-t-elle dit.
Multiplication des opérations de sauvetage
Envoyé ces derniers jours en médiation à Calais par le gouvernement, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi, a annoncé mercredi la création d’un « sas d’hébergement de nuit » de trois cents places, qui « sera ouvert tous les jours après les évacuations » de migrants. Les personnes qui s’y rendront seront ensuite « orientées vers les hébergements pérennes en dehors de Calais » le lendemain matin, a-t-il précisé.
Cette structure doit permettre de tenir les promesses de l’Etat, qui s’est engagé mardi à proposer « systématiquement » un hébergement aux migrants délogés de leurs campements de fortune. Les propositions de M. Leschi avaient été jugées insuffisantes par les associations locales, qui dénoncent les conditions de vie de quelque 1 500 migrants actuellement présents à Calais et continuent de réclamer un « moratoire » sur les évacuations.
Deux morts, un disparu et des centaines de personnes secourues en deux jours : les tentatives de traversées de la Manche par des migrants sur des bateaux se sont multipliées ces derniers jours au large du Nord et du Pas-de-Calais, un bilan « très lourd » mobilisant d’importants moyens aériens et maritimes.
Jeudi matin, le corps d’un migrant a été retrouvé « dans une embarcation de 3,5 mètres remplie d’eau sur une plage de Wissant », a déclaré à l’Agence France-Presse une source proche de l’enquête. A ses côtés, deux personnes « en état d’hypothermie sévère » ont été transportées à l’hôpital. Deux autres migrants, signalés aux autorités maritimes comme des « naufragés à la mer » dans le même secteur, ont finalement été « retrouvés dans la journée sur la plage », annonce jeudi soir la préfecture maritime dans un communiqué.
A terre, un TER a percuté jeudi soir un groupe de quatre migrants qui circulaient sur les voies, faisant un mort, un blessé grave et deux blessés plus légers. L’accident s’est produit dans une zone pavillonnaire à l’est de Calais, située non loin d’un campement.
Calais: le médiateur officialise l’ouverture du «sas» d’accueil des migrants
Lors d’un point presse organisé ce vendredi, Didier Leschi a acté l’ouverture d’un lieu d’hébergement provisoire. Une étape avant un transfert vers des lieux d’hébergement de longue durée dans la région.
Grégoire Mathé| Publié le 05/11/2021
Plusieurs grands barnums ont été montés dans les hangars pour accueillir 300 personnes. PHOTO JOHAN BEN AZZOUZ – VDNPQR
Depuis mercredi, deux hangars situés rue des Huttes, dans la zone industrielle au nord-est de la ville, sont ouverts pour accueillir et loger 300 migrants. À l’intérieur, plusieurs grandes tentes ont été dressées en fil, et des kits de toilettes sommaires ont été disposés sur des lits de camp. Une équipe de nettoyage vient de terminer de préparer les lieux pour accueillir à nouveau des migrants la nuit prochaine. Ici, ils ne restent en principe pas plus d’une douzaine d’heures, avant de rejoindre, pour ceux qui le souhaitent, un lieu d’hébergement dans la région. Les évacuations des camps seront désormais annoncées en amont et une maraude passera pour inciter les migrants à rejoindre le sas d’hébergement, comme expliqué en début de semaine par le médiateur envoyé par l’État, Didier Leschi.
« Pas un point de fixation »
Didier Leschi a rappelé que les associations «devaient prendre leurs responsabilités et orienter les migrants vers le sas». PHOTO JOHAN BEN AZZOUZ – VDNPQRPour Didier Leschi, par ailleurs directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), la priorité est de faire de cet endroit un lieu de mise à l’abri temporaire, sans créer un point de fixation « et éviter qu’une nouvelle lande ne s’installe à proximité ». C’est d’ailleurs ce que redoute la maire LR de Calais, Natacha Bouchart qui, lors d’une conférence de presse ce vendredi, a qualifié le projet de « dispositif déjà voué à l’échec après 48 heures de fonctionnement ». Elle demande maintenant au gouvernement de trouver « une autre formule », en dehors de sa ville.
Les transferts ont commencé
Depuis 2017, le lieu est ouvert l’hiver dans le cadre du plan Grand Froid. PHOTO JOHAN BEN AZZOUZ – VDNPQRCes deux dernières nuits, 280 migrants ont été accueillis dans les hangars de la rue des Huttes. Tous ont été conduits vers des lieux d’hébergements en dehors de Calais. Un chiffre qui fait dire à Didier Leschi que le dispositif « peut fonctionner ». Pourtant, dans le contexte où le nombre de traversées a fortement augmenté ces derniers jours, les associations se demandent maintenant de quelle manière les naufragés, toujours plus nombreux, seront accueillis. Sur ce point, le médiateur n’a pas été en mesure de répondre.
Le rappel du contexte
Le 11 octobre dernier, le père Philippe Demeestere, aumônier du Secours catholique âgé de 72 ans, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein ont entamé une grève de la faim pour dénoncer la situation migratoire à Calais.
Depuis, l’église Saint-Pierre à Calais est le théâtre de leur jeûne. Les trois activistes réclament l’arrêt « des expulsions quasi quotidiennes » mais aussi « de la confiscation et la destruction des affaires des exilés » ou encore la fin « des humiliations, les coups et blessures par les forces de l’ordre ».
Plus de deux semaines après le début de la grève, le médiateur Didier Leschi a été envoyé à Calais par le gouvernement, suite à l’interpellation d’Emmanuel Macron. Après sa rencontre avec des grévistes et des associations non-mandatées par l’État, Didier Leschi a proposé que les migrants soient informés de la date de chaque évacuation afin qu’ils aient le temps de récupérer leurs affaires.
Le médiateur est revenu mardi à Calais pour confirmer que les propositions de mise à l’abri dans des centres éloignés de Calais deviennent « systématiques ». Mercredi tombait l’annonce de la création d’un « sas » pour les migrants.
Enfin, jeudi, le père Demeestere a annoncé arrêter sa grève de la faim, même s’il reste solidaire des deux militants qui, eux, maintiennent leur mouvement.
Migrants à Calais: envoyé par le gouvernement, Didier Leschi «continue la médiation»
Le patron de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), Didier Leschi, envoyé en tant que médiateur à Calais, fait le point sur sa mission qui ne convainc ni les grévistes de la faim, ni la municipalité.
Propos Recueillis Par Darianna Myszka| Publié le 04/11/2021
– Mercredi a été annoncée l’ouverture du hangar rue des Huttes comme « sas » de mise à l’abri, suite à votre rencontre avec les grévistes de la faim et des associations.
– Les grévistes de la faim ne sont pas satisfaits par cette annonce. Ils continuent leur action.
« L’État ne peut être dans une démarche de chantage dès lors qu’il y a des voies d’amélioration immédiates. Je pense en particulier à la nécessité de prévenir les personnes des évacuations de campement. Mais il est clair qu’il n’y a pas « un droit à être dehors » comme le prétendent certains militants. Partout en France, des associations souhaitent que chaque personne à la rue puisse bénéficier d’un hébergement. À Calais, j’ai été confronté à des militants habités par un « gauchisme infantile », pour paraphraser la célèbre formule, souhaitant le statu quo de la rue sous prétexte que rien ne doit entraver la volonté de rester aux mains des passeurs. Un raisonnement qui ne peut qu’étonner. »
– Natacha Bouchart, maire LR de Calais, s’oppose également à l’ouverture d’un sas dans sa ville par crainte de la création d’un nouveau campement…
« J’ai eu plusieurs entretiens avec la maire de Calais. Elle a des craintes légitimes (…). L’État ne souhaite pas le retour de cette indignité qu’était la lande. Madame Bouchart peut en être convaincue. »
– Ce jeudi matin, des migrants et associatifs ont empêché l’évacuation d’un campement à Calais. Quelle est votre réaction ?
« On a mis en place le protocole pour prévenir les migrants des évacuations et finalement ça a été utilisé pour empêcher l’opération. Cela confirme la volonté de certains de laisser se reconstruire, à Calais, une nouvelle lande. Une situation qui ne sera bénéfique que pour les passeurs. »
– Les dernières annonces n’incitent-elles pas les migrants à précipiter leur départ de peur d’être emmenés loin de Calais ? Ce mercredi des centaines de personnes ont été récupérées en Manche, un nombre particulièrement élevé alors que la météo n’était pas favorable. Une aubaine pour les passeurs…
« Des personnes sont récupérées tous les jours par les forces de l’ordre. Vous avez raison, les seuls grands satisfaits de la situation sont les passeurs. Mais comme personne ne peut imaginer que demain l’Angleterre mettra en place des « ferry-boats » pour permettre la traversée de tous ceux qui le souhaitent, le rôle de l’État est d’entraver au maximum leur activité criminelle. »
– Les grévistes et associatifs remettent en question votre rôle de médiateur. On vous soupçonne de ne pas être neutre, en tant qu’envoyé gouvernemental.
« J’ai été appelé par les autorités parce que je suis un technicien qui sait ce qu’est un engagement. Il ne s’agit pas d’être neutre mais d’être constructif et animé par un peu d’imagination et un peu de caractère. »
– Quelle marge de manœuvre avez-vous encore dans les discussions avec les grévistes et les associations ?
« Calais ne se limite pas à des militants associatifs s’entraînant mutuellement dans la radicalité. Il y a aussi des élus et des habitants qui sont en droit de demander que la charge de l’accueil ne repose pas uniquement sur leur ville. La règle qui va demeurer et celle d’une orientation vers des hébergements pérennes en dehors de Calais. La complexité ne peut se résoudre uniquement par un intransigeant « tout ou rien ». Il y a des situations humaines à Calais qui suscitent des révoltes légitimes. Mais dire que nous serions dans un pays qui nécessite de prendre le risque de mourir pour se faire entendre, c’est l’éduquer à une impasse. »
– Quel est votre point de vue sur la situation migratoire à Calais, cinq ans après le démantèlement de la « jungle » dont vous étiez l’un des acteurs ?
« La situation demeure complexe car des personnes arrivent régulièrement. Le démantèlement de la lande a eu des effets positifs pour les Calaisiens, comme pour ceux qui y demeuraient et qui ont déposé une demande d’asile en France. »
Didier Leschi revient ce vendredi à Calais. Une conférence de presse est prévue à 14 h 30.
Jeudi 4 novembre, le prêtre Philippe a annoncé mettre fin à sa grève de la faim. Il l’avait entamée 25 jours plus tôt avec Anaïs et Ludovic, deux citoyens, qui eux la poursuivent, pour dénoncer les traitements subis par les exilés dans le Calaisis. Une tentative de médiation, organisée par le ministère de l’intérieur, a échoué.
Calais (Pas-de-Calais).– Des revendications simples qui, pourtant, ne semblent pas être évidentes pour tout le monde. À Calais, le prêtre Philippe Demeestère, 74 ans, ainsi qu’Anaïs Vogel, 35 ans, et Ludovic Holbein, 38 ans, deux citoyens, ont commencé une grève de la fin le 11 octobre – que le prêtre Philippe a interrompue jeudi 4 novembre, après 25 jours sans s’alimenter – pour dénoncer le sort des exilés présents à la frontière avec le Royaume-Uni, tantôt chassés de leur lieu de vie temporaire par les forces de l’ordre toutes les 48 heures, tantôt soumis à des traitements dégradants, comme la saisie et la destruction de leurs effets personnels, des violences physiques ou verbales et des humiliations en tout genre.
Tous trois réclament une pause dans les « violations des droits humains et fondamentaux » des exilés (qu’un récent rapport de l’ONG Human Rights Watch pointait ici).
Mardi 2 novembre, le médiateur missionné par le ministère de l’intérieur pour résoudre la « crise », Didier Leschi – par ailleurs directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, appelé Ofii –, est venu rencontrer grévistes et associations pour la troisième fois, après une première entrevue une semaine plus tôt.
« On a l’impression d’être baladés, d’être pris pour des idiots », lâche Ludovic, amer, au lendemain du rendez-vous. En cause ? « Son attitude, le fait qu’il informe la presse avant nous de certaines choses, le décalage entre ce qu’il nous dit en réunion et ce qui ressort dans les médias… » Anaïs admet se sentir « trahie ». Mercredi matin, elle a reçu une vidéo montrant les forces de l’ordre lancer du gaz lacrymogène sur l’un des lieux de vie des exilés. « Ça résume plutôt bien les choses », s’agace-t-elle.
Lors de la dernière entrevue, Didier Leschi leur a présenté les « solutions » proposées par l’État (ou plutôt « imposées », si l’on en croit les grévistes) : un hébergement systématique, avec l’ouverture d’un « SAS » de 300 places rue des Huttes, sorte de zone tampon où pourront être hébergés les exilés avant leur transfert en centre d’accueil et d’examen des situations administratives (CAES).
Autrement dit, pas question pour les autorités de suspendre les démantèlements de camps et leur lot de souffrances, ni de reconnaître que les migrants subissent un harcèlement quasi quotidien et des traitements dégradants. À chaque fois, le même argument : celui de ne pas créer de « points de fixation », avec le sempiternel exemple de la jungle de Calais démantelée il y a tout juste cinq ans.
La goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli
« Tout se passe comme s’il n’y avait que deux options, les expulsions ou la création d’une nouvelle jungle. En réalité, aujourd’hui, quatre ou cinq petits camps existent sans qu’une grande jungle ne se soit formée. On n’est pas pour le fait de laisser les gens vivre dans de telles conditions, on demande juste à ce qu’on leur laisse leurs tentes et effets personnels. Et si demain un grand bâtiment inoccupé permet de leur offrir un accueil inconditionnel, c’est déjà bien », poursuit Ludovic, dont la longue barbe se confondrait presque avec l’écharpe grise qui entoure son cou. « Et qu’on laisse le choix aux personnes de se rendre en CAES ou de rester à Calais, selon les raisons qui leur sont propres », complète Anaïs, abasourdie par le fait que l’État veuille décider pour les personnes exilées, sans que l’on ne leur demande leur avis.
L’une des solutions imaginées par certaines associations serait la création de « maisons des migrants » sur le littoral, à l’instar de ce qui existe au Mexique, pour permettre aux personnes en transit d’être accueillies en sécurité, dans le respect des droits humains, avec un accès au droit et à l’information. Une idée balayée d’un revers de la main par les autorités, sous pression vis à vis du Royaume-Uni qui met tout en œuvre pour réduire le nombre de traversées dans la Manche en allant jusqu’à menacer la France de ne pas verser l’aide promise visant à renforcer la surveillance de ses frontières.
Le prêtre imagine, sans que cet avis ne soit partagé par les deux autres grévistes, la création d’un centre à la frontière où les exilés pourraient déposer leur demande d’asile pour le Royaume-Uni. Avec le risque, comme l’ont démontré les projets farfelus du gouvernement britannique (lire ici ou là), qu’un centre ne soit finalement créé à mille lieues du pays, dans une logique d’externalisation de la demande d’asile (lire notre article). Mercredi matin, Philippe reçoit un SMS du médiateur lui confirmant l’ouverture du site dès aujourd’hui et lui promettant de revenir en fin de semaine pour s’assurer de son bon fonctionnement. Et tant pis si cette solution ne répond pas à leurs revendications initiales.
Autour des grévistes, à l’intérieur de l’église Saint-Pierre, les banderoles sont pourtant là pour les marteler : « Stop aux expulsions pendant la trêve hivernale », « Stop au racket des affaires des exilé·e·s », « Ouverture du dialogue entre autorités et associations non mandatées ». Sur une table à l’entrée trônent la pétition en soutien aux grévistes (ayant réuni près de 50 000 signatures) et la déclaration des droits des personnes sans-abri.
À gauche, le regard immortalisé par les portraits de trois exilés décédés à la frontière, dont Yasser, un jeune Soudanais fauché par un camion fin septembre. Quelques heures après le drame, les forces de l’ordre procédaient à l’évacuation du lieu de vie le plus important de Calais, où vivaient ses proches. Pour lui rendre hommage, des exilés ont publié une lettre ouverte où ils décrivent leur quotidien.
Parmi une conjonction d’événements, sa mort a été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà trop rempli, conduisant Philippe, Anaïs et Ludovic à commencer leur grève. Les deux derniers, nomades durant cinq ans, ont visité Calais en février dernier avant de choisir d’y rester pour venir en aide aux migrants, d’abord auprès des associations non mandatées, puis en lançant leur propre projet visant à « créer du lien entre Calaisiens et exilés » à travers des ateliers.
« Que vaut notre vie ?, interroge Anaïs, un tour de cou multicolore remonté aux oreilles pour se protéger du froid. Jusqu’où l’État nous fera aller ? Macron est-il prêt à sacrifier trois vies pour être réélu ? » « Toutes les vies ne valent pas d’être pleurées », répond Philippe, qui voit en cette politique des gages de fermeté sur le phénomène migratoire visant à conforter les discours d’extrême droite, particulièrement en période électorale.
« Les pouvoirs politiques se renient et n’assument pas leurs responsabilités. On leur dit “ça suffit” », clame-t-il, bonnet doublé d’une capuche sur la tête et lunettes sur le nez. Régulièrement, il marque une pause pour prendre des notes sur un calepin ou fermer les yeux. « On refuse de s’habituer à l’intolérable et on compte bien inscrire notre action dans la durée. » Le combat continuera, assure-t-il le poing levé.
À 13 heures, un médecin bénévole vient les ausculter un à un. Ils sont plusieurs à se relayer pour assurer un suivi aux grévistes, surpris de découvrir leur résistance physique. Mais ils pourraient ne pas s’apercevoir de la détérioration de certains organes, ont prévenu les médecins.
Le prêtre se dit ravi de voir autant de soutiens, venus d’horizons différents, rassemblés à leurs côtés pour « faire face à la détresse » des exilés. Conscient que son statut de prêtre « aide », il estime que l’Église de France « garde des capacités de mobilisation impressionnantes ». « Les catholiques participent à ce mouvement en faveur de l’accueil des personnes. » À Calais, le Secours catholique fait partie des associations les plus actives pour venir en aide aux exilés, allant jusqu’à gérer un centre d’accueil de jour permettant de leur offrir un semblant de répit. « Ils font un gros boulot et nous sont d’un grand soutien pour la grève, même s’il n’y a pas qu’eux bien sûr », réagit Ludovic.
« Pas de dialogue possible »
Mardi soir, dans l’église Saint-Pierre, une vingtaine de personnes sont là pour chanter, guitare à la main pour certains, aux côtés des grévistes. « Certains passent juste dire bonjour, d’autres restent un peu plus longtemps. C’est une présence importante pour qu’ils ne fatiguent pas », confie Clara, coordinatrice de la plateforme de soutien aux migrants, après s’être engouffrée dans une pièce attenante au chœur de l’édifice.
Chaque soir, les soutiens affluent ici et occupent l’esprit d’Anaïs, Philippe et Ludovic, à l’aide de concerts ou de jeux de société – et même une partie de cache-cache, une fois, plaisantent-ils. « C’est une mise en lumière d’un ras-le-bol général, pas juste l’action de trois grévistes, estime Ludovic. Ça donne lieu à de très belles choses. »
Clara prend place autour de la table qui a reçu, le 27 octobre, Didier Leschi pour la première fois. Face à des attentes pour le moins « basiques », le médiateur aurait, selon elle, tenté de faire diversion en éludant la question des évacuations régulières et des traitements dégradants subis par les migrants. « Il ramenait toujours la discussion aux “dublinés”, aux mises à l’abri et solutions d’hébergement, sans admettre qu’il y avait un vrai problème. Il se comporte comme un émissaire de l’État, venu dérouler des solutions toutes prêtes qui ne répondent pas à nos revendications. Il y a un questionnement quant à son rôle de médiateur, qui est très ambigu », dénonce Clara.
Contacté par Mediapart, le patron de l’Ofii souligne la « complexité calaisienne », une ville où des personnes arrivent sans cesse. « Le point de divergence qu’il reste est la question du maintien ou non des personnes dans des campements de fortune alors qu’on leur propose des hébergements », pointe-t-il, évoquant les associations et grévistes qui estiment que les exilés ont le droit d’aller et venir et de rester à Calais s’ils le souhaitent. Et d’ajouter, tout en rejetant l’idée que des effets personnels puissent être « volés » aux migrants : « L’enjeu, depuis cinq ans, est que ne se reconstitue pas la “jungle”. Il continuera donc à y avoir des évacuations pour empêcher le grossissement de campements de fortune à Calais. »
Parmi les propositions faites aux grévistes et associations, l’arrêt des opérations menées « par surprise » et la mise en place de maraudes pour prévenir les personnes qu’un hébergement leur sera proposé. « Le jour des évacuations, un délai sera proposé pour qu’elles puissent récupérer leur tente ou leurs effets personnelles si elles le souhaitent. Il ne faut pas oublier qu’à Calais, il y a des Calaisiens, et il n’est pas illégitime de leur part de demander une meilleure répartition de la charge de l’accueil dans l’ensemble de la région. C’est donc ce qui se fait, des places vont être ouvertes. Et la maire, Natacha Bouchart, ne veut rien à Calais. » Des agents de l’Ofii inciteront par ailleurs les personnes à déposer leur demande d’asile en France.
Sur LCP mercredi soir, Didier Leschi a affirmé qu’il était « difficilement imaginable d’organiser des ferrys entre la France et l’Angleterre », alors que certains spécialistes préconisent l’ouverture de voies « sûres et légales », comme le chercheur François Gemenne (lire ici notre entretien). Cela pourrait, selon lui, alimenter le commerce des passeurs. « Les passeurs sont le résultat de la frontière », contrecarre Anaïs. Depuis la seconde rencontre, des associations non mandatées par l’État évoquent un sentiment de « mépris » – plusieurs évacuations ont eu lieu au premier jour de la trêve hivernale, lundi, malgré la médiation en cours. Sans « dialogue possible », organisations et grévistes comptent désormais interpeller Emmanuel Macron.
« Didier Leschi l’a dit lui-même, il est technicien et nos demandes sont politiques », note Clara. « Je n’ai pas le sentiment de les avoir méprisés, se défend le médiateur. Je suis allé les voir régulièrement et je considère que leur action est à prendre en considération. Mais il faut aussi accepter l’idée de victoires transitoires vers un avenir meilleur. » En attendant, certains parmi les soutiens des grévistes ont glissé être prêts à prendre la relève si Philippe, Anaïs et Ludovic venaient tous trois à cesser leur grève. « On a, de toute façon, d’autres leviers d’action », prévient le prêtre.
L’Etat n’a pas su résister à la pression des Britanniques sur la gestion des flux migratoires, observe le chercheur spécialisé en droit pénal Olivier Cahn.
Le Monde, Propos recueillis par Julia Pascual, publié le 3 novembre 2021
Olivier Cahn est membre du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) et auteur d’une thèse sur la coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche. Il revient sur l’histoire des relations entre la France et le Royaume-Uni sur la question migratoire.
Sur le front migratoire, la balance est-elle à l’équilibre entre Londres et Paris ?
La question migratoire est traitée de façon bilatérale entre la France et le Royaume-Uni depuis le milieu des années 1990. D’abord parce que ce n’était pas une compétence européenne. Ensuite, en raison de la pression mise par les Britanniques sur les Français, alors qu’ils ne font pas partie de l’espace Schengen. Ils sont théoriquement une frontière extérieure, mais ils vont parvenir à se soustraire à cette situation en concluant des accords bilatéraux et des arrangements administratifs.
Le protocole de Sangatte, signé en 1991 et qui émane du traité de Canterbury de 1986 relatif au tunnel sous la Manche, prévoit qu’à bord du train, chaque pays assure les contrôles sur son territoire. Rapidement, les migrants désireux de gagner l’Angleterre développent une technique pour éviter d’être débarqués. Ils prennent des billets de Paris à Lille mais se maintiennent dans le train jusqu’en Angleterre. Les Britanniques commencent alors à mettre la pression sur la France. En 1995, un gentlemen’s agreement prévoit que lorsque le migrant est contrôlé avant l’arrivée du train sur le territoire britannique, il doit être repris par la France. Considérant que les Britanniques font un usage abusif de l’accord, Paris saisit la Commission européenne qui donne raison aux Français. Mais les Britanniques ne vont pas se soumettre et c’est là que débutent une série de renoncements, qui placent aujourd’hui la France dans une position qu’on pourrait comparer à celle des pays limitrophes de l’Union européenne comme le Maroc ou la Turquie, qui acceptent moyennant finance de gérer la question migratoire.
A votre sens, la France a-t-elle renoncé à sa souveraineté ?
Cela s’est formalisé en 2001, lors du sommet de Cahors, où Lionel Jospin et Tony Blair ont finalisé un protocole additionnel à celui de Sangatte, dans un contexte où de nombreux migrants parvenaient à passer outre-Manche. La France renonce à sa souveraineté en acceptant de délocaliser les contrôles au départ des trains, à Lille et à la gare du Nord, à Paris. Il faut bien se rendre compte : au cœur de la capitale, un espace est concédé aux Britanniques dans lequel ils procèdent à des contrôles et peuvent refouler les gens en appliquant la loi britannique.
Malgré cela, les Britanniques ne seront pas satisfaits. En 2002, David Blunkett, ministre de l’intérieur de Tony Blair, va convaincre son homologue de l’époque, Nicolas Sarkozy, d’adopter la vision britannique qui consiste à justifier le contrôle strict de la frontière par la lutte contre les passeurs. Alors même qu’au début des années 2000, il y avait très peu de passeurs sur la zone.
La lutte contre l’immigration clandestine a-t-elle porté ses fruits ?
Les gens n’ont jamais cessé de passer. Tous les moyens techniques de sécurisation ont été déployés et l’effet de cette politique a plutôt été l’implantation de réseaux de passeurs pour les contourner et la mort de migrants en mer. Pour autant, la logique à l’œuvre n’a jamais varié. Deux arrangements administratifs sont conclus en 2002 qui prévoient la coopération policière entre les pays et la mise en sécurité de la gare de fret de Calais-Fréthun [Pas-de-Calais]. C’est à partir de là que s’installe une contrepartie financière : les Britanniques payent les équipements que les Français vont utiliser. En 2003, le protocole de Sangatte est élargi à la sécurisation du port de Calais : c’est le traité du Touquet.
En 2010, avec l’arrangement Besson-Green [du nom d’Eric Besson et de Damian Green, alors ministres de l’immigration français et britannique], la Grande-Bretagne obtient que ses services de l’immigration aient le droit de travailler sur le territoire français pour dissuader les gens de traverser la Manche. En 2015, un « centre de commandement et de contrôle commun » chargé de coordonner l’action dans le Calaisis des forces de police françaises et britanniques est créé. Ce qui veut concrètement dire que l’action policière est codécidée avec les Britanniques. C’est l’accord Cazeneuve-May. Il devait être accompagné de contreparties : alors que la « jungle » dans laquelle vivaient plus de 10 000 personnes est démantelée en 2016, les Britanniques s’étaient engagés à prendre une partie des mineurs isolés justifiant un lien particulier avec le Royaume-Uni. Ils devaient aussi respecter les clauses de réunification familiale prévues par l’accord de Dublin. En pratique, ils n’ont que très partiellement tenu leur parole.
Comment les choses ont-elles évolué sous la présidence d’Emmanuel Macron ?
La politique en vigueur jusque-là a été entérinée puisque l’arrangement administratif Cazeneuve-May – la cogestion policière de la frontière, donc – devient un traité engageant la France lors du sommet de Sandhurst (Royaume-Uni), en 2018. Et tandis qu’explose le phénomène des traversées de la Manche en small boats survient le Brexit. Le Calaisis est donc devenu une frontière extérieure de l’Union européenne, que des migrants veulent franchir, mais les accords bilatéraux signés avec les Britanniques ne permettent pas de les laisser sortir. La situation du gouvernement, qui mène une politique restrictive en matière d’asile mais dont les policiers empêchent des étrangers de quitter le territoire, serait ironique si les conditions imposées aux migrants n’étaient pas si dramatiques.
Nous sommes d’ailleurs peut-être arrivés à la limite de cette politique. Les Britanniques, pour des raisons de politique intérieure qui tiennent à la gestion critiquée du Brexit et de la crise liée au Covid-19, ont un discours agressif envers la France. Ils nous reprochent de ne pas faire assez pour empêcher les traversées. La logique des Britanniques a toujours été celle d’un rapport de force. Et leur idée aujourd’hui est d’externaliser l’asile en France. Ils voudraient installer des centres d’examen de la demande d’asile sur notre sol, comme l’UE a voulu le faire avec le Maroc et la Turquie. Mais côté français, on assiste à un changement de discours. Quand Gérald Darmanin dit qu’il veut négocier un traité européen sur les questions de reconduites, d’asile et de regroupement familial, ce pourrait être, espérons-le, les prémices d’une rupture considérable.
Un médiateur, Didier Leschi, a été dépêché par le gouvernement dès hier soir, pour rencontrer les grévistes, qui envoient ce communiqué à la suite :
« La rencontre avec Didier Leschi n’était qu’un premier tour de piste. A ce stade nos trois revendications n’ont pas été prises en compte. Une nouvelle rencontre aura lieu demain jeudi 28 octobre 2021 à 12h en présence des associations non mandatées par l’état. Nous continuerons la grève de la faim, notre détermination est intacte.
Nous vous proposons une conférence de presse à 17 h 30 sur le parvis de l’église Saint Pierre sur la place Crèvecoeur à Calais. »
La mobilisation continue !
#faimauxfrontières Page et Hashtag à suivre sur les réseaux sociaux pour soutenir les grévistes de la faim, et relayer leurs revendications !
EXPULSION DU SQUAT DE RANVILLE : LETTRE OUVERTE AU PREFET DU CALVADOS
25 octobre 2021
Mardi 19 octobre, à 8h00 du matin, le site de Pegasus Bridge, symbole du Débarquement en Normandie situé à quelques kilomètres de Ouistreham, était encerclé. Les forces de l’ordre se déployaient en nombre pour expulser 10 jeunes soudanais de leur lieu de vie.
Jeudi 21 octobre 2021, 10h00, depuis la cabine téléphonique du Centre de Rétention Administrative de Rouen-Oissel :
« Dis madame, pourquoi je suis enfermé depuis mardi ? Je n’ai rien fait de mal. Je ne vais pas rester en prison. J’ai demandé mes papiers en France et je veux rester en France »
Vendredi 22 octobre le juge des libertés et de la détention a statué sur sa mise en liberté ainsi que pour son compatriote également demandeur d’asile en procédure Dublin. Ils seront enfermés pendant 28 jours.
A. et M. vivaient au squat de Ranville jusqu’à ce mardi 19 octobre.
A 8 heures du matin, le site de Pegasus Bridge, haut symbole de la Liberté, renommé « Pont pour la paix entre les peuples » à l’occasion du 75ème anniversaire du Débarquement en Normandie, était encerclé. Les forces de l’ordre se déployaient en nombre. Étaient présents pour l’expulsion la police aux frontières (PAF), la gendarmerie nationale, le sous-préfet chef de cabinet du préfet et responsable de la sécurité dans le département, l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et une association agréée de sécurité civile.
Neuf jeunes demandeurs d’asile soudanais originaires du Darfour et un mineur isolé étaient expulsés de leur lieu de vie suite à une décision du tribunal judiciaire de Caen rendu le 3 juin 2021. Sept d’entre eux ont été emmenés en car sans explication aucune vers un centre d’hébergement pour 4 d’entre eux et vers un hôtel pour 3 d’entre eux.
Dans un communiqué publié le jour de l’expulsion, le préfet du Calvados “se montre déterminé à mettre fin à ces occupations illégales” au motif qu’une offre d’hébergement serait selon lui suffisante dans le Calvados.
Alors Monsieur le Préfet, pourquoi deux jeunes se retrouvent-ils enfermés dans un centre de rétention administrative ? Que pouvons-nous répondre à ces deux personnes qui ont demandé l’asile en France ?
Alors Monsieur le Préfet, comment est-il possible qu’une cinquantaine de jeunes vivent dans un campement sur les bords du canal de l’Orne sans aucun moyen de satisfaire leurs besoins fondamentaux, qu’ils dépendent des citoyen.nes, des collectifs et des associations pour survivre et qu’ils soient soumis à des expulsions régulières de leur lieu de vie ?
Cette situation de violence et de précarité auxquelles sont exposées les personnes exilées se retrouve sur l’ensemble du littoral franco-britannique. A Calais, ces campements font l’objet d’expulsions quasi-quotidiennes, sans proposition d’hébergement adapté, parfois accompagnées de destructions des effets personnels et de violences. Les associations humanitaires indépendantes – qui agissent quotidiennement pour permettre aux personnes d’accéder aux services de base (eau, hygiène, alimentation et soins) ainsi qu’à une information sur leurs droits – subissent des entraves et des intimidations. Ces entraves sont complétées par des arrêtés préfectoraux, sans cesse renouvelés depuis plus d’un an, interdisant la distribution de nourriture et de boissons dans un large périmètre de la ville. Pour obtenir l’arrêt de la maltraitance des personnes exilées dans le Calaisis, trois personnes ont décidé d’entamer une grève de la faim depuis le 11 octobre 2021.
La Cimade dénonce les agissements des pouvoirs publics et les politiques de répression sur le littoral franco-britannique et demande la liberté pour les deux jeunes soudanais enfermés au CRA de Oissel.
Le groupe local de La Cimade à Caen interpelle l’ensemble des acteurs de son territoire pour dénoncer ces situations et demande le droit à un hébergement digne pour tou.te.s, et en particulier pour les exilé.es vivant sur le littoral franco-britannique.
3 soutiens des personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique, Anaïs, Ludo et Philippe ont entamé une grève de la faim à Calais le lundi 11 octobre avec ces 3 revendications :
1) Arrêt des expulsions de lieux de vie pendant la période hivernale :
les expulsions en flagrance sur décision du procureur de la République toutes les 48h (et désormais toutes les 24h) à toute heure du jour doivent
cesser ;
les « mises à l’abri » (que nous nommons en réalité des démantèlements)
avec départs forcés vers les CAES concomitantes à ces expulsions en
flagrance et au déboisement / pose de grillage des terrains occupés à
l’instar de celle du 28 septembre 2021 doivent également prendre fin ;
de véritables mises à l’abri supposent le volontariat, le consentement
des personnes, une information sur les lieux de destination et doivent
faire l’objet d’un diagnostic social comme précisé dans l’instruction du 25
janvier 2018. Les départs en bus vers les CAES doivent être généralisés et
des hébergements complémentaires et inconditionnels doivent être créés.
2) Durant cette même période, arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées :
Arrêt de la confiscation et de la destruction / dégradation des tentes
et effets personnels des personnes exilées lors des expulsions de
campements à la fois lorsque les personnes sont présentes et signalent le
souhait de récupérer leurs affaires mais également lorsqu’elles sont
absentes.
Les services publics de la ville ou l’entreprise APC doivent mettre en
place des bennes de grande capacité et venir récupérer les déchets sur des
points de ramassage des déchets à proximité des campements de manière
régulière. Les services de la ville doivent distribuer des sacs poubelles
afin que la collecte des déchets puisse se faire dans de bonnes conditions
sanitaires et que les déchets ne s’accumulent pas.
3) Ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l’ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées :
Rencontre mensuelle entre les autorités, associations et personnes
exilées en présence de médiateurs en capacité de traduire et ouvert aux
journalistes :
Ces réunions doivent permettre d’aboutir à organiser :
Présence de points d’eau fixes et disponibles 24h/24h à proximité de
l’ensemble des lieux de vie ;
Distribution de repas 2 X / jours sur l’ensemble des lieux de vie en
adequation avec le nombre de personne vivant à Calais;
Point de départ vers les douches depuis l’ensemble des lieux de vie et
augmentation de la capacité quotidienne des douches afin de la mettre en
adéquation avec le nombre de personnes vivant à Calais ;
Installation de sanitaires et de bac à laver le linge à proximité de
l’ensemble des lieux de vie ;
Mise en place de panneaux d’information et de document d’information en
plusieurs langues pour informer les personnes exilées de l’accès aux
services.
Et tout autre point permettant d’assurer la santé et la réponse aux
besoins fondamentaux des personnes exilées.