Calais: le médiateur officialise l’ouverture du «sas» d’accueil des migrants
Depuis mercredi, deux hangars situés rue des Huttes, dans la zone industrielle au nord-est de la ville, sont ouverts pour accueillir et loger 300 migrants. À l’intérieur, plusieurs grandes tentes ont été dressées en fil, et des kits de toilettes sommaires ont été disposés sur des lits de camp. Une équipe de nettoyage vient de terminer de préparer les lieux pour accueillir à nouveau des migrants la nuit prochaine. Ici, ils ne restent en principe pas plus d’une douzaine d’heures, avant de rejoindre, pour ceux qui le souhaitent, un lieu d’hébergement dans la région. Les évacuations des camps seront désormais annoncées en amont et une maraude passera pour inciter les migrants à rejoindre le sas d’hébergement, comme expliqué en début de semaine par le médiateur envoyé par l’État, Didier Leschi.
« Pas un point de fixation »
Didier Leschi a rappelé que les associations «devaient prendre leurs responsabilités et orienter les migrants vers le sas». PHOTO JOHAN BEN AZZOUZ – VDNPQRPour Didier Leschi, par ailleurs directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), la priorité est de faire de cet endroit un lieu de mise à l’abri temporaire, sans créer un point de fixation « et éviter qu’une nouvelle lande ne s’installe à proximité ». C’est d’ailleurs ce que redoute la maire LR de Calais, Natacha Bouchart qui, lors d’une conférence de presse ce vendredi, a qualifié le projet de « dispositif déjà voué à l’échec après 48 heures de fonctionnement ». Elle demande maintenant au gouvernement de trouver « une autre formule », en dehors de sa ville.
Les transferts ont commencé
Depuis 2017, le lieu est ouvert l’hiver dans le cadre du plan Grand Froid. PHOTO JOHAN BEN AZZOUZ – VDNPQRCes deux dernières nuits, 280 migrants ont été accueillis dans les hangars de la rue des Huttes. Tous ont été conduits vers des lieux d’hébergements en dehors de Calais. Un chiffre qui fait dire à Didier Leschi que le dispositif « peut fonctionner ». Pourtant, dans le contexte où le nombre de traversées a fortement augmenté ces derniers jours, les associations se demandent maintenant de quelle manière les naufragés, toujours plus nombreux, seront accueillis. Sur ce point, le médiateur n’a pas été en mesure de répondre.
Le rappel du contexte
Le 11 octobre dernier, le père Philippe Demeestere, aumônier du Secours catholique âgé de 72 ans, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein ont entamé une grève de la faim pour dénoncer la situation migratoire à Calais.
Depuis, l’église Saint-Pierre à Calais est le théâtre de leur jeûne. Les trois activistes réclament l’arrêt « des expulsions quasi quotidiennes » mais aussi « de la confiscation et la destruction des affaires des exilés » ou encore la fin « des humiliations, les coups et blessures par les forces de l’ordre ».
Plus de deux semaines après le début de la grève, le médiateur Didier Leschi a été envoyé à Calais par le gouvernement, suite à l’interpellation d’Emmanuel Macron. Après sa rencontre avec des grévistes et des associations non-mandatées par l’État, Didier Leschi a proposé que les migrants soient informés de la date de chaque évacuation afin qu’ils aient le temps de récupérer leurs affaires.
Le médiateur est revenu mardi à Calais pour confirmer que les propositions de mise à l’abri dans des centres éloignés de Calais deviennent « systématiques ». Mercredi tombait l’annonce de la création d’un « sas » pour les migrants.
Enfin, jeudi, le père Demeestere a annoncé arrêter sa grève de la faim, même s’il reste solidaire des deux militants qui, eux, maintiennent leur mouvement.
Migrants à Calais: envoyé par le gouvernement, Didier Leschi «continue la médiation»
– Mercredi a été annoncée l’ouverture du hangar rue des Huttes comme « sas » de mise à l’abri, suite à votre rencontre avec les grévistes de la faim et des associations.
« À travers sa création, il s’agit d’organiser une prise en charge rapide et limitée dans le temps des personnes évacuées des campements. Chaque matin, ces personnes se verront proposer des départs vers des hébergements pérennes qui seront situés dans la région. Ces hébergements seront accessibles aux personnes quelle que soit leur situation administrative. »
– Les grévistes de la faim ne sont pas satisfaits par cette annonce. Ils continuent leur action.
« L’État ne peut être dans une démarche de chantage dès lors qu’il y a des voies d’amélioration immédiates. Je pense en particulier à la nécessité de prévenir les personnes des évacuations de campement. Mais il est clair qu’il n’y a pas « un droit à être dehors » comme le prétendent certains militants. Partout en France, des associations souhaitent que chaque personne à la rue puisse bénéficier d’un hébergement. À Calais, j’ai été confronté à des militants habités par un « gauchisme infantile », pour paraphraser la célèbre formule, souhaitant le statu quo de la rue sous prétexte que rien ne doit entraver la volonté de rester aux mains des passeurs. Un raisonnement qui ne peut qu’étonner. »
– Natacha Bouchart, maire LR de Calais, s’oppose également à l’ouverture d’un sas dans sa ville par crainte de la création d’un nouveau campement…
« J’ai eu plusieurs entretiens avec la maire de Calais. Elle a des craintes légitimes (…). L’État ne souhaite pas le retour de cette indignité qu’était la lande. Madame Bouchart peut en être convaincue. »
– Ce jeudi matin, des migrants et associatifs ont empêché l’évacuation d’un campement à Calais. Quelle est votre réaction ?
« On a mis en place le protocole pour prévenir les migrants des évacuations et finalement ça a été utilisé pour empêcher l’opération. Cela confirme la volonté de certains de laisser se reconstruire, à Calais, une nouvelle lande. Une situation qui ne sera bénéfique que pour les passeurs. »
– Les dernières annonces n’incitent-elles pas les migrants à précipiter leur départ de peur d’être emmenés loin de Calais ? Ce mercredi des centaines de personnes ont été récupérées en Manche, un nombre particulièrement élevé alors que la météo n’était pas favorable. Une aubaine pour les passeurs…
« Des personnes sont récupérées tous les jours par les forces de l’ordre. Vous avez raison, les seuls grands satisfaits de la situation sont les passeurs. Mais comme personne ne peut imaginer que demain l’Angleterre mettra en place des « ferry-boats » pour permettre la traversée de tous ceux qui le souhaitent, le rôle de l’État est d’entraver au maximum leur activité criminelle. »
– Les grévistes et associatifs remettent en question votre rôle de médiateur. On vous soupçonne de ne pas être neutre, en tant qu’envoyé gouvernemental.
« J’ai été appelé par les autorités parce que je suis un technicien qui sait ce qu’est un engagement. Il ne s’agit pas d’être neutre mais d’être constructif et animé par un peu d’imagination et un peu de caractère. »
– Quelle marge de manœuvre avez-vous encore dans les discussions avec les grévistes et les associations ?
« Calais ne se limite pas à des militants associatifs s’entraînant mutuellement dans la radicalité. Il y a aussi des élus et des habitants qui sont en droit de demander que la charge de l’accueil ne repose pas uniquement sur leur ville. La règle qui va demeurer et celle d’une orientation vers des hébergements pérennes en dehors de Calais. La complexité ne peut se résoudre uniquement par un intransigeant « tout ou rien ». Il y a des situations humaines à Calais qui suscitent des révoltes légitimes. Mais dire que nous serions dans un pays qui nécessite de prendre le risque de mourir pour se faire entendre, c’est l’éduquer à une impasse. »
– Quel est votre point de vue sur la situation migratoire à Calais, cinq ans après le démantèlement de la « jungle » dont vous étiez l’un des acteurs ?
« La situation demeure complexe car des personnes arrivent régulièrement. Le démantèlement de la lande a eu des effets positifs pour les Calaisiens, comme pour ceux qui y demeuraient et qui ont déposé une demande d’asile en France. »
Didier Leschi revient ce vendredi à Calais. Une conférence de presse est prévue à 14 h 30.