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Les esprits s’échauffent à la réunion publique sur l’avenir du bois Chico Mendès
Mardi soir, on parlait de l’avenir du bois Chico Mendes à la salle Gauguin Matisse. Et les esprits se sont peu à peu échauffés entre les riverains, la maire et l’auberge des migrants.
Par Nord Littoral |
A l’issue de la réunion, les membres de l’Auberge et certains riverains ont discuté sans beaucoup s’entendre…
Qui aurait cru que ce modeste bois de cinq hectares, en bordure de l’A16, pouvait susciter autant de passions?
Un bois aimé de tous
Pour les plus anciens habitants du Beau-Marais, le bois Chico Mendès est la dernière relique du temps où le quartier méritait son nom : « Moi, j’habite ici depuis 1962, je vous ai tous vu arriver !, s’exclame le référent du quartier. A l’époque, il y avait des bois partout au Beau-Marais. Aujourd’hui il ne reste plus que celui-là… » Un autre habitant, arrivé lui en 1972, serappelle d’un espace durable, écologique avant l’heure: « Du temps de Jean-Jacques Barthe, on en parlait déjà. On voulait que ça reste le plus naturel possible: protéger la précieuse mare, et mettre des grand peupliers pour étouffer le bruit de l’A16… »
« On voulait que ça reste
le plus naturel possible : protéger la précieuse mare, mettre des peupliers »
Des éducatrices soulignent que pendant des années, se sont les élèves, notamment de l’école Mouchotte voisine, qui y faisaient des sorties et ont même mis en terre quelques plantes… D’autres parlent de la faune qui peuple la mare, des tritons et salamandres… Et puis, il y a les membres de l’Auberge des migrants, qui parlent de ceux qui vivent aujourd’hui dans le bois, et qu’ils viennent chaque jour ou presque alimenter en nourriture et vêtements : les migrants.
Les « infiltrés »
En constatant qu’une bonne dizaine de membres des associations d’aide aux migrants sont venus assister à la réunion publique, Natacha Bouchart fait au début bonne figure : « C’est la population riveraine qui a été invitée en priorité ici ce soir. Il y a dans cette salle des gens qui n’ont rien à voir avec le quartier… Mais c’est une réunion publique, je leur souhaite la bienvenue. »
La première polémique ne vient pas d’ailleurs pas du tout des associations. Natacha Bouchart présente rapidement son projet pour le bois Chico Mendès: en faire une sorte de parc Curie, mais sur quatre fois plus d’espace vu la taille du bois. On y retrouverait des aménagements comparables: cheminements, jardin partagé, bancs, jeux, tables de pique-nique, terrain multi-sport…
Une éducatrice de la Spirale trouve que ce dernier équipement est superflu: « Des terrains de multi-sport, il y en a plein dans le quartier : Matisse, Marinot… Il suffirait de les réhabiliter, d’autant que les jeunes ont déjà leurs habitudes là-bas… » Sur le détail des équipements, la maire se veut rassurante: on n’en n’est qu’au début de la réflexion, tout est censé être encore négociable… Alors les plus nostalgiques des habitants remettent en cause le fondement même du projet: pourquoi transformer le « bois » en « parc » ? La nuance peut paraître fine, mais il y a une différence de taille: un bois est libre d’accès et sans frontières physiques, un parc est entouré d’une enceinte fermée… et est soumis à des horaires d’ouverture. Or, Natacha Bouchart annonce que cet aménagement-là n’est pas négociable: la clôture qui va enserrer le bois Chico Mendès est du même modèle que celle qui entoure le parc Curie, elle est déjà commandée et doit être installée dans le courant du mois de juillet… « Nous y voilà », semblent se dire les militants associatifs, qui, jusqu’ici, ne se passionnaient pas spécialement pour la taille des bancs prévus ou l’intensité de l’éclairage public…
Hors sujet, vraiment?
La première militante est dans l’ironie bien calibrée: « Je ne suis pas une habitante du quartier, mais je vis à Calais. Il y a dans ce bois des gens qui sont aussi des personnes humaines. (…) Et c’est aussi leur présence qui permet de faire réaménager cet espace… » « C’est une interprétation un peu osée… », souffle un riverain du parc, et Natacha Bouchart nie fermement le lien de cause à effet: « On ne rénove pas la ville à cause des migrants, on le fait quartier par quartier. » Mais la Maire remercie l’intervenante, malgré leur désaccord, parce « qu’on est en démocratie ».
« C’est aussi la présence des migrants qui permet de faire réaménager cet espace… »
Pour le moment… Car les interventions de militant(e)s se succèdent pour dénoncer la clôture du bois, et la Maire finit par couper court : « Je ne vais pas rentrer dans le débat ce soir. » Un vœu pieux qui ne tient pas longtemps, car elle reprend : « Ces personnes ont des solutions d’hébergement et de mise à l’abri qu’elles refusent. Elles choisissent d’être dans l’illégalité. Je suis là pour permettre à la population de se réapproprier l’espace, pas pour répondre aux associations! Je vous renvoie donc aux services de l’État et à la sous-préfecture! »
L’État, le grand absent
Mais le sous-préfet étant retenu ailleurs -ou ayant prudemment décliné l’invitation- ça vire vite au dialogue de sourds, faute d’interlocuteur… Surtout qu’une patrouille de police municipale est apparue comme par enchantement à la sortie de la salle Gauguin Matisse… Certains riverains interpellent d’ailleurs les membres de l’Auberge des Migrants : on entend un très lucide « Ca va finir en pugilat », l’incontournable « Vous n’avez qu’à les héberger chez vous », le lapidaire « Ils sont sales, ils sont sauvages » et le mélancolique « J’ai longtemps eu de la compassion pour eux mais ça fait trop longtemps que ça dure… »
Edouard Odièvre