Communiqué de presse // 02.06.2016 // A Chocques, une expulsion sans illusion

Jeudi 2 juin 2016.

Mercredi 1er juin 2016, les forces de l’ordre, les services préfectoraux et une entreprise privée sont intervenus en présence du sous-préfet de Béthune pour expulser et détruire le campement de Chocques où survivaient une vingtaine de migrants en transit, originaires d’Érythrée, du Soudan et d’Éthiopie.

La ville de Chocques est située non loin de l’aire de repos de la Grande Bucaille sur l’A26, l’une des autoroutes qui mène au port de Calais. Ce campement est occupé par des exilés candidats au passage vers la Grande Bretagne depuis 2014. A l’automne 2015, une vingtaine d’exilés hommes et femmes se sont installés sur un terrain appartenant à Réseau Ferré De France qui a demandé l’expulsion du lieu devant le TGI de Béthune et l’a obtenu en avril 2016.

La DDCS a proposé une solution de relogement aux exilés : les Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO). Aucun exilé présent n’a voulu monter dans le bus qui les y aurait emmenés. En effet, si le départ en CAO peut convenir à certains, les exilés les plus proches de la traversée de la frontière n’envisagent pas cet éloignement des points de passage et regardent avec méfiance le dispositif proposé en raison des grandes inégalités de traitement selon les CAO.

L’expulsion a été menée rapidement et dans les règles: le terrain, dont Réseau Ferré de France ne s’est jamais servi, est désormais rasé. Plus rien ne reste du campement qui s’y dressait hier.Mais les exilés sont là.Désormais sans aucun abri. Avec, en tête, cette expulsion supplémentaire, inutile et délétère. Comme d’habitude. Ils craignent d’aller à Calais retrouver les tensions qui ont marqué le week-end dernier, conséquences de la promiscuité suite à la destruction d’une grande partie du bidonville le mois dernier. Pour l’instant accueillis par la communauté Emmaüs de Bruay, ils ne savent où aller.

Les points de passage n’étant pas nombreux, l’aire de la Grande Bucaille sera sans doute prochainement à nouveau fréquentée par des exilés sans refuge qui tenteront de monter dans des camions. Que se passera-t-il alors ? Une nouvelle expulsion ?

Est-ce que les autorités peuvent enfin admettre la présence de personnes en transit ? Est-ce que le droit à l’hébergement peut enfin être respecté ? Est-ce que l’hospitalité peut enfin être mise en œuvre ?

Cette expulsion intervient le lendemain de la signature en grande pompe d’une convention concernant le camp de Grande-Synthe dans laquelle l’État s’engage à soutenir financièrement le fonctionnement du camp tout en annonçant sa volonté de l’effacer de la carte.

Il est illusoire de croire que les gens et les campements vont disparaître parce que des abris d’infortune ont été détruits ou parce qu’un ministre l’a décidé. Cela fait des années que les autorités successives s’entêtent à en faire la preuve. Ce qui s’est passé à Chocques hier n’en sera qu’un exemple de plus.

Il est illusoire de croire qu’il est possible de déplacer les exilés au gré des volontés gouvernementales. Ces personnes ne sont pas là dans l’espoir d’être parquées dans des conteneurs ou dans des ghettos. Elles sont là pour aller retrouver des proches ou continuer des études en Grande-Bretagne ou ailleurs. Certaines autres demandent l’asile ou pourraient entamer cette démarche en France mais l’hostilité administrative qu’elles subissent et l’incertitude quant à leur prise en charge ne le permettent pas.

Les associations et personnes qui viennent en aide aux exilés présents à Chocques et ailleurs continueront à les soutenir et à leur fournir de quoi s’abriter de la pluie et du vent, où qu’ils soient, et ceci tant que l’État ne se montrera pas responsable et respectueux de leurs droits fondamentaux.

Pour éviter des destructions inutiles et coûteuses comme celles de Chocques, les organisations signataires demandent instamment aux autorités:

– de construire l’hospitalité en mettant en place des Maisons des Migrants proches des différents lieux de passage, comme l’actuel premier ministre le suggérait il y a trois ans,

– de renégocier avec la Grande-Bretagne les accords du Touquet qui rendent la frontière meurtrière

– de renégocier le règlement Dublin III qui empêche les demandeurs d’asile de présenter leur demande dans le pays de leur choix et rallonge coûteusement et inutilement les délais d’examen de la demande.

 

Signataires :

Aide Migrants Solidarité (AMiS)

Arras Solidarité Réfugiés

Comité humaniste et résistant

Comité local du Secours Populaire Français de Vendin-Oblinghem

Délégation du Secours Catholique du Pas-de-Calais

ECNou

Emmaüs France

Entraide de l’Eglise Protestante Unie de France à Dunkerque

Fraternité Migrants Bassin Minier 62

Itinérance Cherbourg

Itinérance Dieppe

La cabane juridique / Legal center

Médecins du Monde Haut de France

Terre d’Errance

Terre d’Errance Flandres Littoral

Terre d’Errance Steenvoorde

 

Contact presse : Terre d’errance – 06 95 28 29 43

Calais Mag’ // L’autre journal de la Ville de Calais // PEROU

Un magazine de la Ville de Calais!

Un magazine qui met l’hospitalité au centre. Un magazine qui ne met pas de côté les difficultés, mais un magazine qui montre aussi les richesses, les liens, la beauté créés par la présence d’exilés dans la ville de Calais.

Le Calais Mag’ du Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU) est paru le 9 avril 2016.

Le voici (en .pdf)

Un projet du PEROU

Enfants en danger // Communiqué Défenseur des droits

Le Défenseur des droits souligne, une nouvelle fois, le caractère alarmant de la situation indigne des enfants non accompagnés présents à Calais, leur protection constituant un défi exceptionnel relevant de la responsabilité partagée de l’Etat et du département.

  • Il attire, une nouvelle fois, l’attention des Pouvoirs publics sur la nécessité de disposer d’un document précis et régulièrement actualisé recensant les mineurs isolés ;
  • Il prend acte des engagements de la préfète et du président du conseil départemental en vue de la mise en place d’un accueil de jour doublé d’une possibilité de mise à l’abri de nuit sur le site Jules Ferry et encourage la poursuite de ces réflexions afin qu’elles se concrétisent dans les délais les plus brefs ;
  • Il insiste sur le volet éducatif de la prise en charge en rappelant que ces mineurs doivent être scolarisés et rappelle que l’éducation compte parmi les droits fondamentaux ;
  • Il note également les efforts entrepris pour faciliter et accélérer les démarches en faveur d’une réunification familiale de ces enfants avec un de leur proche résidant au Royaume-Uni, en application des dispositions spécifiques favorables aux mineurs du règlement Dublin III et recommande au ministère de l’Intérieur de poursuivre les démarches engagées avec l’Etat britannique afin de faciliter cette procédure.

Le 6 octobre 2015, le Défenseur des droits a publié un rapport intitulé « Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais » dans lequel il a rappelé un certain nombre de principes et émis des recommandations sur les difficultés d’accès aux droits fondamentaux des exilés, parmi lesquels se trouvaient de nombreux mineurs, accompagnés ou non.

Particulièrement soucieux du sort de ces enfants, le Défenseur des droits a poursuivi l’instruction de leur situation. A cette fin, la Défenseure des enfants, Geneviève Avenard et les services de l’institution  se sont déplacés à plusieurs reprises à Calais. Des échanges sont intervenus avec les services de la préfecture et du conseil départemental ainsi que des rencontres avec les opérateurs du département, de l’Etat et les associations présentes auprès des migrants.

A l’issue de ce travail, le Défenseur des droits constate que les mineurs non accompagnés présents à Calais ne sont aujourd’hui, pour la grande majorité d’entre eux, pas protégés. Et en situation de très grande vulnérabilité. Il émet de nouvelles recommandations afin que la protection à laquelle ils ont droit soit enfin garantie.

Communiqué de presse de la Cimade

 20 avril 2016

Après Calais, le littoral Nord : enfermer et menacer d’expulser au lieu de protéger

Suite à la destruction d’une partie de la jungle de Calais, des exilés qui cherchent à gagner le Royaume Uni se regroupent autour d’autres points de passage, en Belgique et sur tout le littoral nord français. Aux abords des ports de Ouistreham (Caen) et de Cherbourg en premier lieu, mais aussi de Roscoff, Saint Malo, Le Havre, Dieppe ou même de petits ports de l’ouest du Cotentin.

Déjà présents dans certains de ces lieux, leur nombre se multiplie, et démontre que la fermeture de la frontière franco-britannique demeure le problème principal. Démanteler Calais ne fait que reporter le problème ailleurs, de façon plus diffuse.

Sur place, parmi les réponses institutionnelles, la volonté des préfets est clairement affichée : dissuader pour éviter des Calais bis. Cette dissuasion prend notamment la forme d’expulsions de squats ou de campements, mais aussi d’interpellations qui se multiplient dans ces ports et alentours. Elle passe aussi par une pratique administrative illégale : enfermer ces personnes dans des centres de rétention au prétexte de vouloir les expulser, avec pour seul objectif réel de les disperser et de les dissuader de revenir vers ces ports.

La préfecture du Pas-de-Calais avait déjà utilisé cette méthode à grande échelle fin 2015, enfermant 1200 exilés ressortissants de pays en guerre vers lesquels l’autorité administrative sait que l’expulsion est impossible.
Désormais les préfectures de la Manche et du Calvados sont à l’œuvre et enferment des Iraniens, des Afghans, des Irakiens, notamment dans le centre de rétention de Rennes. Autant de personnes fuyant des pays en guerre, ou faisant état de persécutions dans leur pays d’origine en raison de leur opinion politique, leur orientation sexuelle ou leur religion.

Présente au sein du centre de rétention de Rennes, La Cimade est témoin de ces abus. Depuis janvier, près de 140 exilés ont ainsi été enfermés au lieu d’être protégés. Certains d’entre eux, venaient juste de réussir à gagner le Royaume-Uni qui les a refoulés vers la France, sans tenir compte de leur souhait d’introduire une demande d’asile.
D’autres, interpelés dans les ports sont d’abord privés de liberté dans des locaux de rétention notamment à Cherbourg où les associations et avocats ne sont pas présents, puis amenés à Rennes ce qui réduit fortement la possibilité de saisir la justice. Certains sont séparés de leur famille, d’autres sont mineurs isolés ou enfermés pour la quatrième fois derrière les barreaux de la rétention. Ils sont ainsi privés de leur liberté au mépris de leurs droits les plus fondamentaux.

Tous sont finalement libérés, soit par la préfecture, soit par les juges qui sanctionnent les multiples atteintes aux droits inhérents à ces pratiques. Ces personnes retournent à la précarité de l’errance et des lieux qu’elles peuvent trouver pour vivre dans l’attente du passage. Bâtiment désaffecté à Roscoff, ancienne chapelle à Cherbourg, hébergements d’urgence.

Si les autorités françaises œuvrent pour un meilleur accès au droit d’asile, elles ne peuvent cautionner de telles pratiques qui bafouent les droits les plus fondamentaux et la dignité humaine de ces personnes. La Cimade demande l’arrêt immédiat de l’enfermement illégal de ces personnes en rétention.

Depuis l’été 2015, la multiplication des placements en rétention de ces personnes en recherche d’une protection a engendré une dégradation très forte des conditions d’intervention de La Cimade. Cette situation ingérable ne lui permettant plus d’assurer de façon satisfaisante sa mission d’accompagnement à l’exercice effectif des droits, l’association s’est retirée du centre de rétention de Rennes du 18 au 20 avril.

Bruxelles propose de réformer l’accueil des demandeurs d’asile en Europe

C’est une communication particulièrement attendue mais hautement polémique que s’apprête à faire Bruxelles, mercredi 6 avril. Une annonce qui a déjà été repoussée au moins deux fois durant le mois de mars, sur demande, entre autres, du président du Conseil européen, Donald Tusk, qui craignait qu’elle ne creuse encore plus la fracture entre pays européens au sujet de la migration et ne fasse capoter l’accord entre l’Union européenne (UE) et Ankara de renvoi de Syriens en Turquie, signé vendredi 18 mars, et mis en œuvre depuis lundi 4 avril.

La Commission européenne devrait dévoiler ses propositions pour réformer le « règlement » de Dublin qui définit les règles de répartition des demandeurs d’asile dans l’UE. Datant de 1990, ce règlement détermine quel Etat est responsable du traitement des demandes. Révisé déjà deux fois (la dernière en 2013), Dublin dispose que c’est le pays de « première entrée » d’un migrant dans l’UE qui doit en premier lieu instruire sa demande d’asile.

Lire aussi :   « Alors, ça y est, l’Europe nous expulse »

  • Un simple toilettage…

Selon nos informations, Bruxelles veut mettre deux options sur la table, laissant le soin aux Etats membres de prendre leurs responsabilités. Elle ne fera sa proposition législative définitive qu’un peu plus tard dans le courant du printemps. Les pays pourraient choisir le quasi-statu quo : le règlement de Dublin actuel serait maintenu, avec des pays de « première entrée » (principalement la Grèce et l’Italie) portant l’essentiel du « fardeau » des réfugiés.

Un mécanisme de solidarité temporaire lui serait adjoint : en cas de forte pression migratoire, les demandeurs d’asile devraient être répartis partout dans l’UE, selon une clé de répartition dépendante du produit intérieur brut, du taux de chômage, du nombre de réfugiés déjà arrivés etc. Bruxelles propose ainsi de pérenniser la « relocalisation » des 160 000 demandeurs d’asile décidée en septembre 2015, mais qui peine pour le moins à se mettre en place. Selon le dernier décompte de la Commission, en date du 4 avril, seuls 1 111 réfugiés ont été accueillis de Grèce et d’Italie dans d’autres pays de l’Union.

  • … ou une refonte en profondeur

Deuxième option : le règlement de Dublin actuel, avec sa règle du pays de première entrée, est abandonné, et les demandeurs d’asile sont répartis d’entrée de jeu entre les vingt-huit pays de l’UE, toujours selon une clé de répartition tenant compte de leur « capacité d’absorption ». Plus question de laisser la Grèce et l’Italie prendre le plus gros de la charge.

La Commission devrait aussi, mercredi 6 avril, proposer d’uniformiser drastiquement les procédures d’examen des demandes d’asile, qui diffèrent encore énormément d’un pays à l’autre. Le cadre législatif existe déjà (avec la directive sur les conditions d’accueil des réfugiés, remaniée en 2013 ou celle de 2011 sur les conditions d’octroi du statut de réfugié). C’est sa mise en œuvre qui pose problème, certains réfugiés provenant pourtant des mêmes régions du monde ayant bien plus de chances d’obtenir une protection dans un pays membre plutôt que dans un autre.

L’idée de Bruxelles serait de transformer l’actuel « bureau européen d’appui en matière d’asile » (l’EASO, European Asylum Support Office) en une agence traitant de manière centralisée toutes les demandes d’asile parvenant dans un pays de l’Union. Une sorte de « super » Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) au niveau européen : les pays membres seraient privés de cette compétence, consistant à juger si un réfugié est éligible ou non au droit d’asile.

  • La négociation s’annonce ardue

Comment les vingt-huit pays membres de l’UE vont-ils réagir, eux qui ont dû se résoudre à un accord très controversé avec la Turquie, faute, précisément, d’avoir réussi à s’entendre collectivement sur un mécanisme minimal de solidarité ? Les positions des uns et des autres sur les questions migratoires se sont encore durcies depuis les attaques terroristes à Paris et à Bruxelles.

La plupart des capitales devraient convenir qu’un débat est nécessaire, même s’il sera éruptif. De fait, personne ne nie, même en Pologne ou en Hongrie (où les gouvernements refusent d’accueillir des réfugiés), que Dublin ne fonctionne pas. Jusqu’à présent, la Grèce et l’Italie n’obligeaient pas les réfugiés à déposer leur demande d’asile chez eux, et les laissaient filer vers le nord de l’Europe, en Allemagne ou en Suède. Et Berlin ou Stockholm avaient les plus grandes peines du monde à renvoyer ces réfugiés dans ces pays de première entrée. Au plus fort de la crise migratoire, l’Allemagne a suspendu ces renvois vers la Grèce, déjà débordée.

Cependant, il devrait y avoir deux camps bien distincts, et difficiles à réconcilier. Celui en faveur de la deuxième option : les pays de première entrée (Grèce et Italie) ; et les pays de « destination », privilégiés par les migrants (Allemagne, Suède, Pays-Bas, mais aussi la Belgique). Angela Merkel, qui avait ouvert les portes de son pays aux Syriens à l’été 2015, réclame une réforme drastique de Dublin depuis des mois.

Et il y aura le camp des « anti », les pays de l’est de l’Europe (Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Pologne), en faveur du statu quo, qui estiment invendables politiquement auprès de leurs opinions publiques des « quotas » permanents de réfugiés. Et qui, en coulisses, ces dernières semaines, ont parlé de « provocation » à propos de l’initiative de la Commission.

  • Divergences entre la France et l’Allemagne

La France fait partie de ces inconditionnels de la première option. A Paris, on argue que la règle du « pays de première entrée » doit être conservée, car elle maintient une pression sur les Etats aux marges de l’espace de libre circulation Schengen pour qu’ils protègent davantage une frontière considérée ces derniers mois comme une véritable passoire. « Cela les responsabilise », précise une source diplomatique française. « Il y a aussi la crainte du vote Front national, le refus de cautionner un système de quotas permanents », ajoute une source diplomatique européenne.

Quant à la proposition de « super » Ofpra européen, elle implique un transfert de souveraineté et nécessite un changement des traités : autant dire qu’elle n’a aucune chance de voir le jour dans un avenir proche tant les Etats membres ont peu d’appétit pour ce genre d’évolutions… Pour contourner cet Himalaya politique, Bruxelles devrait proposer, mercredi, de transformer en règlements les directives sur les conditions d’accueil des réfugiés et sur la définition des réfugiés. Les règlements, contrairement aux directives, sont des textes d’application immédiate dans les droits nationaux, ce qui aurait pour avantage d’harmoniser tant soit peu les pratiques. Encore faut-il, là aussi, l’accord conjoint du Parlement européen et des Etats membres.

La Commission sait qu’elle a peu de temps devant elle : un débat constructif et dépassionné sur Dublin ne pourra démarrer qu’à partir du moment où le flux de migrants venus de Turquie aura drastiquement baissé. Tout dépendra du succès de l’accord signé avec Ankara. Mais il faudrait que cette discussion s’engage avant la fin de juin, date qui coïncide avec le début de la présidence slovaque de l’UE. Le gouvernement slovaque s’étant illustré ces derniers mois par des positions radicales, antimigrants et xénophobes, « on ne sent pas à Bratislava un appétit fou pour faire avancer le dossier » relève un diplomate européen.

ACCORD UNION EUROPEENNE – TURQUIE

Action collective

Accord Union européenne – Turquie
Externaliser pour mettre fin au droit d’asile

Ces 17 et 18 mars, lors d’un nouveau sommet à Bruxelles, l’Union européenne et la Turquie adopteront un accord supposé résoudre ce qui est à tort nommée la « crise migratoire ». Un plan qui permet surtout à l’Union de repousser les réfugiés hors de ses frontières et de sous-traiter ses obligations à la Turquie. Les États membres fuient ainsi leurs responsabilités au mépris du droit d’asile. Le réseau Migreurop, réseau européen et africain qui réunit une cinquantaine d’organisations défendant les droits des migrants, et l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme s’opposent fermement à cet accord et demandent à l’Union de respecter l’ensemble de ses obligations internationales.

Les demandeurs et demandeuses d’asile qui arrivent dans l’Union européenne sont les rescapé-e-s d’odyssées qui transforment la Méditerranée en fosse commune. Ces personnes ont dû échapper au contrôle exercé par les États tiers jouant le rôle de gardes frontières de l’UE. Jusqu’au récent exode de centaines de milliers de Syriens, les États membres avaient ainsi réussi à canaliser la demande d’asile, maintenue à des niveaux historiquement faibles, et à faire reposer la quasi totalité de l’accueil des réfugiés sur les pays proches des zones de conflits [1]. Les textes européens régissant l’asile, notamment les règlements « Dublin » successifs, ne fonctionnent qu’à condition que peu de réfugiés arrivent dans l’UE. Certes, il existe des dispositions spécifiques en cas « d’afflux massif ». Mais la directive « protection temporaire » a été conçue de façon à ce que sa mise en œuvre soit particulièrement complexe, et elle n’a d’ailleurs jamais été activée depuis son adoption en 2001. La courte période, à l’automne 2015, pendant laquelle des demandeurs d’asile ont pu accéder en nombre et relativement librement à un État membre, a été une parenthèse ouverte parce que la chancelière allemande a délibérément choisi de ne pas appliquer les règles européennes en vigueur.

Avec le projet d’accord avec la Turquie, l’UE entend refermer cette parenthèse pour revenir à ses fondamentaux en matière de mise à distance des demandeurs d’asile. Elle fait feu de tout bois avec l’arsenal juridique à sa disposition (« pays tiers sûr », « pays d’origine sûr », accords de réadmission…) au mépris des droits fondamentaux et d’une convention de Genève bien peu défendue par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR).

Alors que la Turquie accueille à elle seule près de trois millions de réfugiés syriens, les dirigeants européens la désignent à la fois comme coupable (puisque les réfugiés ne devraient pas arriver jusque dans l’espace Schengen) et comme partenaire privilégié. Pour cela, ils sont prêts à fermer les yeux sur les dérives autoritaires d’un Recep Tayyip Erdogan ayant relancé une guerre civile contre une partie de sa population, notamment kurde, et usant de tous les moyens afin de faire taire ses opposants (journalistes, universitaires, magistrats…). Aujourd’hui, la Turquie n’est un « pays sûr » ni pour ses ressortissants, ni pour les réfugiés. Mais l’UE est prête à toutes les contorsions juridiques pour qu’Erdogan accepte de limiter les départs vers la Grèce, qu’il laisse patrouiller l’Otan – transformée en agence de surveillance des frontières européennes – dans ses eaux territoriales et qu’il accepte de reprendre sur son sol les exilés passés par la Turquie et expulsés de Grèce. Le niveau d’aveuglement politique, de mépris des droits fondamentaux et d’abaissement moral des négociateurs de l’UE est tel qu’ils envisagent de troquer la réinstallation dans l’Union européenne de demandeurs d’asile vivant dans la plus grande précarité en Turquie contre l’acceptation, par cette dernière, d’un contingent équivalent de personnes « éloignées » des États membres.

L’UE doit renoncer à cet accord avec la Turquie et cesser de se barricader contre les réfugiés. Les États membres doivent arrêter la fortification de leurs frontières et enfin assumer leurs obligations en matière d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. Le prochain conseil européen des 17 et 18 mars doit suivre les recommandations du Parlement européen (résolution du 9 octobre 2013) et organiser la mise en œuvre de la directive « protection temporaire ». Ce serait un premier geste de rupture avec l’irresponsabilité d’une politique d’externalisation ayant entraîné le naufrage du droit d’asile et la mort de dizaines de milliers de personnes en recherche de protection et d’un avenir meilleur.

Paris, le 16 mars 2016

Organisations signataires :

  • AEDH (Association Européenne pour la Défense des droits de l’Homme)
  • Migreurop

[1Au cours des années 2000, l’UE dont le nombre des États membres est passé de 15 à 27, enregistrait annuellement entre 200 000 et 400 000 demandes d’asile, pour un espace comprenant près de 500 millions d’habitants en 2010.

Vous pouvez retrouver ce communiqué sur le site
www.migreurop.org

Communiqué de presse // 09.03.2016 // À Calais, un bouc émissaire parfait : les No Border

Depuis que la destruction de la dernière jungle de Calais a débuté, les autorités multiplient les déclarations mensongères à l’égard du mouvement No Border, espérant ainsi détourner l’attention de la violence dont elles font elles-mêmes preuve chaque jour.

Le lundi 29 février 2016, au cours de la première journée de destruction de la jungle, au moins quatre personnes ont été arrêtées, accusées pour deux d’entre elles de « tentative de destruction par incendie », puis ont été relaxées et remises en liberté le mercredi 2 mars. Deux de ces personnes étaient des volontaires de l’Auberge des Migrants, une association calaisienne*. Sur son compte facebook, la maire de Calais désignait pourtant ces personnes comme étant « deux activistes de la mouvance No Border, interpellés lundi au cours de heurts survenus lors du démantèlement de la partie sud de « la jungle ». La maire allant même jusqu’à regretter que « nous nous heurtions dans de trop nombreux dossiers à une absence de preuves formelles, empêchant de sanctionner les fauteurs de troubles », dévoilant ainsi sa conception particulière d’une justice qui n’est pas assez politique pour elle [1].

Cet épisode illustre le net retour du mouvement No Border comme cible des autorités locales et nationales dans leurs déclarations, trop souvent reprises telles quelles, sans réelle analyse [2]. Du ministre de l’Intérieur en passant par la Préfète et la maire, tous se sont unis dans une chorale mensongère sur « No Border », reprise une fois de plus en chœur par les médias traditionnels.

Ainsi, dans leurs discours, les « No Border » sont parfois tenus pour responsables des actes de violence, quand ils ne sont pas accusés de manipuler les exilés, de ne pas réellement se soucier de ces personnes, ou encore soupçonnés de brûler des cabanes de la « jungle ». Et ceci à chaque fois que les migrants osent protester contre la répression et l’humiliation qui leur sont faites au quotidien.

Les autorités ont clairement intérêt à désigner le mouvement « no border » comme étant responsable de ce qui ne va pas à leurs yeux :

  • Il est plus simple d’affirmer que les exilés sont manipulés que d’admettre qu’ils puissent individuellement ou collectivement protester. Ceci consisterait à reconnaître le caractère cruel et répressif de la politique frontalière actuellement menée et la violence avec laquelle elle est mise en œuvre, en plus d’une reconnaissance d’intelligence et d’autonomie pour chacune de ces personnes. Reconnaître que des personnes se défendent, c’est reconnaître qu’elles sont purement et simplement attaquées.
  • Depuis plusieurs décennies, les gouvernements britannique et français se sont escrimés à chasser les migrants de la région, en utilisant impunément tous les moyens répressifs à leur disposition. Si la répression n’est pas nouvelle, l’intensité de la solidarité et de l’intérêt pour cette situation l’est. Il est plus simple de tenter de diviser le monde associatif en désignant tous ceux et celles qui déplaisent comme « No Border », que de reconnaître une mobilisation inédite des habitants et du monde associatif pour aider les migrants.
  • Calais est un lieu de tensions et de brutalité où se déroulent des attaques fascistes commises par des groupes et des individus, mais dont la majorité de la violence est perpétrée par la police avec l’utilisation quotidienne de gaz lacrymogène, de coups et la destruction des habitations. La frontière elle-même a fait de nombreuses victimes. Il est plus simple de détourner les regards en accusant « les No Border » de violences, que de reconnaître les violences administratives et policières de l’État, pourtant déjà pointées du doigt par plusieurs instances [3] et qui redoublent durant l’expulsion en cours.

« Les No Border » constituent un bouc émissaire parfait. Il ne s’agit pas d’une association ou d’un collectif mais d’un réseau informel. Les autorités peuvent ainsi se permettre de désigner vaguement certains anarchistes insaisissables et manipulateurs de migrants, en sachant pertinemment qu’il n’y aura pas de réactions. Nombreux sont celles et ceux, y compris au sein des organisations signataires, qui envisagent avec enthousiasme et réalisme les idées d’ouverture ou de disparition des frontières.

Au delà des idées, très concrètement et quotidiennement sur le terrain, les personnes qui se revendiquent du mouvement No Border font partie du paysage militant et associatif, et nous nous en réjouissons [4]. Nous n’accepterons pas que des organisations associatives ou des individus puissent être tenus pour responsables des exactions et des dysfonctionnements des autorités.

Nous exhortons les gens à être aussi critiques face aux déclarations concernant les « No Border » qu’ils devraient l’être face aux promesses de l’État français d’une « expulsion humanitaire » sans violence. Informons-nous au-delà des voies officielles et, avant tout, soyons soudés contre la répression étatique à Calais.

Le 7 mars 2016


Premiers signataires :

  • Calais Migrant Solidarity
  • Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62
  • Emmaüs France
  • Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (Gisti)
  • Itinérance Cherbourg
  • L’Auberge des migrants (Calais)
  • Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Dunkerque
  • MRAP Dunkerque
  • Médecins du Monde Nord Pas-de-Calais
  • Réveil voyageur (Calais)
  • Solidarity for all (Grande Synthe)
  • Terre d’errance (Norrent Fontes, 62)
  • Union des Familles Laïques (Ufal)

[2] Articles de presse portant des déclarations calomnieuses sur les « No Border » :
- dans Le Parisien
- dans Metronews

[4] Voir précédent communiqué de presse interassociatif du 17.11.2015 « Non, le mouvement No Border n’est pas responsable de l’augmentation de la tension dans le Calaisis »