Loi immigration : face au «marchandage» entre le gouvernement et LR, l’inquiétude des associations de terrainn

Libération, Gurvan Kristanadjaja, publié le 29 mai 2023

Le projet de loi, maintes fois repoussé, devrait être présenté à l’automne. Les exigences très répressives des députés Les Républicains, indispensables à l’adoption du texte, font craindre aux acteurs associatifs une législation parmi les plus dures jamais votées sous la Ve République.

Après les retraites, place à l’immigration. En prenant la parole dans une grande interview donnée au Parisien ce week-end, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ouvre la voie à une nouvelle séquence. Le projet de loi immigration, dont l’examen a été plusieurs fois repoussé mais qui reste vivement souhaité par le pensionnaire de Beauvau, doit être à nouveau présenté à l’automne au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Avant même d’en connaître les grandes lignes, il s’agit dès à présent pour le gouvernement de préparer le futur vote et de trouver des «compromis» avec les députés LR sur des mesures phares, avec pour objectif de s’éviter l’hypothèse d’un nouveau 49.3.

Les ténors de droite, Eric Ciotti en tête, ont déjà formulé des propositions la semaine passée : notamment inscrire dans la Constitution la possibilité de déroger aux traités et au droit européen en matière d’immigration, supprimer l’aide médicale d’Etat et exclure du texte la régularisation des travailleurs sans-papiers des métiers en tension. Des mesures, jugées «très dures» par les observateurs, qui placeraient d’office le texte en tête des lois les plus répressives jamais votées sous la Ve République en matière d’immigration. «On peut garder notre texte, déjà adopté par la commission des lois du Sénat, en discutant ensemble des amendements pour le modifier. Les LR voudraient absolument qu’on redépose ensemble un nouveau texte de loi ? Nous y sommes prêts s’il est discuté avec les centristes et les radicaux», a affirmé Gérald Darmanin dans le Parisien«Chacun doit faire un pas» en vue d’un compromis entre la majorité présidentielle et Les Républicains, a exhorté le ministre de l’Intérieur, estimant par ailleurs qu’il n’y aurait pas «d’accord à n’importe quel prix».

«Mesures nauséabondes»

Ce projet de loi pourrait pourtant bien marquer une rupture pour Emmanuel Macron. Jusqu’à présent, le Président s’inscrivait dans la doxa «humanité et fermeté». Comprenez : si les macronistes formulent une mesure répressive en matière d’immigration, une autre, plus «humaniste» doit venir dans la balance. A l’été dernier, par exemple, Gérald Darmanin avait suggéré la création d’un «titre de séjour métiers en tension», qui devait ouvrir la voie à une régularisation des travailleurs sans-papiers dans des secteurs en souffrance, pour compenser les dispositions censées faciliter les expulsions. Mais pour obtenir les votes de LR farouchement opposés aux régularisations, le gouvernement se dit désormais prêt, selon Beauvau, à porter à «cinq, six ou sept ans» la condition de résidence pour obtenir le titre de séjour, à fixer à 1,5 smic la condition de revenus, et à ajouter l’obligation d’avoir un CDI. Autant d’ajustements qui en limiteraient considérablement l’intérêt.

De nombreux acteurs et observateurs associatifs, syndicaux et politiques déplorent également de n’avoir pas été consultés dans l’élaboration du texte. «L’interview de Gérald Darmanin est inquiétante car elle va dans le sens de ce qu’on craignait, c’est-à-dire le début d’un marchandage sans fin avec Les Républicains concernant des mesures toutes plus nauséabondes les unes que les autres. Le gouvernement a l’idée de faire à tout prix ce texte et ils sont prêts à rogner sur des fondamentaux pour cela. C’est l’exemple typique d’une instrumentalisation des questions migratoires à des fins politiques», estime Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d’asile. «D’aller faire les yeux doux à la droite ou à l’extrême droite, de considérer qu’un étranger en situation irrégulière n’a pas de possibilité de se soigner, c’est une vision de notre société très effrayante», abonde Jean-Albert Guidou, qui accompagne pour la CGT les travailleurs sans-papiers. «C’est une course à l’échalote sur le sujet “plus dur que moi tu meurs” avec les LR qui pensent se refaire une santé avec un discours martial de droite dure. On ira vers un durcissement du texte et le “en même temps” va finir par être un grand écart sur l’immigration qui fait mal aux adducteurs», estime de son côté Borris Vallaud, député PS de la 3e circonscription des Landes, qui assure que la gauche «formulera des propositions».

«Consensus»

Surtout, ce projet de loi est le révélateur d’une incompréhension grandissante entre le gouvernement et les différents acteurs de la société civile.

«On est de plus en plus inquiets de voir le décalage entre les recherches sur les questions d’immigration dans le monde universitaire et scientifique et le monde politique, qui ne se nourrit pas de ces travaux, regrette Delphine Rouilleault. Sur la question des travailleurs sans-papiers, sur celle de l’aide médicale d’Etat, il y a un consensus des personnes qui connaissent les questions migratoires. Mais c’est le même raisonnement que sur les questions environnementales : les politiques font comme si les travaux scientifiques n’existaient pas. Au lieu de cela, ils vont alimenter les réflexes populistes.»