« Les Etats et les institutions européennes doivent garantir un espace humanitaire en Méditerranée »
A l’occasion de la Journée de l’Europe, le 9 mai, un collectif d’une centaine d’élus, parmi lesquels Martine Aubry, Carole Delga et Grégory Doucet, appelle, dans une tribune au « Monde », les Etats de l’UE à respecter les règles applicables au sauvetage en mer et à mettre fin aux sanctions contre les associations humanitaires.
Publié le 08 mai 2023 dans Le Monde
Les collectivités territoriales agissent au quotidien pour garantir la dignité des femmes, des hommes et des enfants qui subissent les effets de la précarisation ou sombrent dans l’extrême pauvreté. Villes, départements et régions soutiennent et accompagnent ces populations sur le fondement des principes de solidarité et d’humanité.
Ce que nous faisons sur nos territoires, pour porter assistance aux personnes en difficulté et en détresse sociale, nous le faisons aussi par-delà, notamment en soutenant les opérations vitales de recherche et de sauvetage de SOS Méditerranée. Ici ou là-bas, ce sont ces mêmes principes qui fondent et motivent nos actions : la main tendue à terre, par l’intermédiaire de nos organismes sociaux, est la même main que celle qui est tendue en mer par les marins sauveteurs de SOS Méditerranée, lesquels ont sauvé plus de 37 000 personnes de la noyade depuis février 2016.
Cet attachement à garantir avant tout le droit à la vie et à la dignité, quels que soient les territoires et quelles que soient les personnes, diffère de la démarche menée par les gouvernements de l’Union européenne (UE). En enchâssant le sauvetage des personnes en détresse dans le carcan de la politique migratoire, ces derniers ont réduit ce devoir élémentaire d’assistance à une question de contrôle des espaces, des personnes et des associations de sauvetage.
Dans un contexte de crise politique prolongée sur la question de l’asile et de l’immigration, les Etats européens ont focalisé les débats et les actions sur les contrôles aux frontières extérieures de l’UE. Cela s’est traduit par un soutien croissant aux gardes-côtes libyens, par un retrait des moyens navals de Méditerranée et par une augmentation des pouvoirs et moyens de l’Agence européenne de coordination des contrôles aux frontières extérieures, Frontex.
Un marchandage dangereux
Par ailleurs, en liant sauvetage et politique migratoire, ils ont modifié les bases du débat. En droit, le devoir d’assistance en mer s’applique à tous les capitaines de navire ; seules la coordination des opérations de sauvetage et la désignation d’un port sûr de débarquement relèvent de la compétence et des obligations des Etats côtiers. Or, en situant la question du secours en mer dans le champ de la politique migratoire, les Etats l’ont enfermée dans le domaine de leur compétence et de leur souveraineté exclusives. Ce mouvement a été accompagné par une délégitimation des organisations non gouvernementales opérant en Méditerranée et par une intensification des contraintes légales (signature de codes de conduite) et administratives (contrôles approfondis après débarquement) à leur encontre, entravant toujours plus leurs opérations vitales de secours.
Ces orientations ont conduit les Etats européens à conditionner les débarquements à une négociation préalable pour déterminer qui accepterait de prendre les personnes rescapées sur son territoire, et combien. Ce marchandage a parfois duré de longues semaines, mettant en danger tant les personnes secourues que les équipages.
La nouvelle stratégie des autorités maritimes italiennes, obligeant, depuis fin décembre 2022, les navires humanitaires à rallier un port de débarquement très lointain après un premier sauvetage, a pour conséquence d’éloigner ces derniers des zones de détresse, alors que les moyens déployés y font déjà cruellement défaut.
Pendant ce temps, le décompte macabre se poursuit : selon une estimation basse de l’Organisation internationale pour les migrations, au moins 26 000 personnes qui tentaient de rejoindre l’Europe sur des embarcations de fortune ont péri noyées en Méditerranée depuis 2014.
Secourir sans conditions
Au moment où débutent les semaines de l’Europe, et à une année des élections européennes, nous, maires et présidents des 94 communes, intercommunalités, métropoles, départements et régions solidaires de SOS Méditerranée, souhaitons rappeler que le sauvetage en mer est un devoir moral et légal qui relève tout à la fois du rôle des Etats, des institutions européennes et des acteurs de la société civile.
Nous refusons de fermer les yeux face au drame humain qui se joue chaque jour en Méditerranée et exhortons les Etats et les institutions européennes à penser de manière globale, de l’international au local, et sur le long terme, une politique d’accueil des personnes exilées à laquelle nous nous engageons de continuer à prendre toute notre part.
Nous leur demandons de faire respecter les règles applicables au sauvetage en mer et d’abolir les sanctions contre les associations humanitaires, alors qu’elles portent secours aux personnes en détresse en mer dans le strict respect du droit international.
Nous leur demandons de garantir que les personnes secourues en haute mer puissent être débarquées dans un lieu sûr, sans conditions et dans les meilleurs délais.
Nous les invitons, enfin, à maintenir un espace humanitaire ouvert en haute mer. L’assistance inconditionnelle à personne en détresse doit être rétablie dans sa plénitude, tant au regard des espaces que des acteurs. C’est une obligation tout autant qu’une urgence.
Premiers signataires : Nathalie Appéré, maire (Parti socialiste, PS) de Rennes ; Martine Aubry, maire (PS) de Lille ; Jeanne Barseghian, maire (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) de Strasbourg ; Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie ; Grégory Doucet, maire (EELV) de Lyon ; Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris ; Michel Ménard, président (PS) du département de Loire-Atlantique ; Benoît Payan, maire de Marseille ; Johanna Rolland, maire (PS) de Nantes ; Sébastien Vincini, président (PS) du département de la