Le Monde // « Les pouvoirs publics face à un nouvel afflux de migrants à Calais »

Par Maryline Baumard

http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/03/les-pouvoirs-publics-face-a-un-nouvel-afflux-de-migrants-a-calais_5138214_3224.html
Dans les Hauts-de-France, le nombre des migrants augmente avec l’arrivée des beaux jours. Le gouvernement veut à tout prix éviter de nouveaux « points de fixation ».

Deuxième ramadan en face des côtes britanniques. Pourtant, Ahmad, Soudanais de 30 ans reste confiant dans son passage prochain au Royaume-Uni. Les portes du poids lourd qu’il a refermées à l’aube, jeudi matin 1er juin, sur son ami Israël ne se sont rouvertes qu’à Londres. Une vraie victoire ! Et Ahmad sourit d’aise, en imaginant, là-bas, celui qui tentait depuis sept mois le passage, et en jurant que la prochaine fois, il ne sera « pas celui qui ferme la porte, mais celui qui se cache dans le camion ».

Lové dans les fauteuils de velours de la salle paroissiale de Steenvoorde (Nord), un gros bourg situé au bord de l’A25 entre Lille et Dunkerque, il discute avec une dizaine d’Erythréens. Lui qui a séjourné à Calais (Pas-de-Calais) préfère ce lieu discret, un peu en retrait dans les terres.

Pour soutenir la centaine de migrants qui vivent depuis 2008 dans la petite jungle qui jouxte l’aire d’autoroute, l’évêché a ouvert cet accueil de jour qu’Anne-Marie Defrance et son époux de l’association Terre d’errance, font tourner.

En dépit des attaques diverses, de la perquisition et même de l’incendie de leur maison, le couple continue à apporter aux Africains de passage cette humanité que la République leur refuse. « Quand le maire a fermé les douches, des citoyens ont ouvert leur salle de bain », commente celle que tous appellent « mamie » et qui telle une mère de famille, trouve une solution à tous les soucis.

La mécanique des flux migratoires sur laquelle la dissuasion et les violences institutionnelles ne semblent pas avoir beaucoup d’effet, s’est réactivée dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais avec l’arrivée des beaux jours. Alors que certains passent la Manche vers Londres ou Manchester, d’autres arrivent de Paris ou du sud du pays, souvent quelques semaines à peine après leur traversée de la Méditerranée.

600 migrants à Calais

A Steenvoorde, le nombre de migrants reste identique, comme bloqué autour de la centaine depuis 2008. Mais à Grande-Synthe, dans la banlieue de Dunkerque, il croît doucement en dépit des destructions récurrentes de mini-campements.

« La police a vidé trois fois la réserve naturelle du Puythouk, observe le maire du lieu, Damien Carême, mais chaque fois les réfugiés reviennent un peu plus nombreux. » Le maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV), qui avait construit un camp en mars 2016 n’exclut pas aujourd’hui de « refaire un lieu de transit plus sécurisé, de plus petite taille » sur sa commune où les Kurdes se donnent rendez-vous depuis des années.

A Calais, l’Auberge des migrants et le Secours catholique estiment à 600 les Erythréens, Ethiopiens et Afghans présents là en ce début juin. « Il y a quelques mois, je connaissais tous les mineurs présents ici, au moins de vue. Aujourd’hui je suis dépassée », se désole Pauline, en service civique à Utopia 56.

Ils sont nombreux, avec leurs visages enfantins, à errer par petits groupes, à nouveau visibles dans la ville depuis plusieurs semaines. Près de l’ancienne jungle, ils squattent les fossés, se cachent dans les bosquets, tuant le temps comme ils peuvent en attendant les camions.

Jeudi à l’aube, sur la rocade portuaire, le premier feu de branchage depuis la grande évacuation de la jungle en octobre 2016, a signé un peu plus officiellement leur retour. C’est l’un des moyens qu’ils employaient, l’an passé, pour ralentir ou stopper les camions et se glisser dans les remorques.

Eviter de nouveaux camps

Les autorités refusent l’évidence, persuadées que l’évacuation de la jungle a définitivement réglé le problème de Calais. Le préfet, Fabien Sudry tient un discours rassurant, rappelant que « des opérations sont régulièrement menées pour retirer les tentes et abris de fortune découverts dans le Calaisis, dès qu’un point de fixation est repéré ».

De son côté, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a signifié son intérêt pour le sujet à la maire (Les Républicains) de Calais, Natacha Bouchard. Reprenant la méthode de Bernard Cazeneuve, lorsque ce dernier était Place Beauvau, il l’a appelée dès son arrivée au ministère, assurant l’édile qu’il ferait tout pour éviter les nouveaux camps…

De Beauvau aux préfectures, le concept du « point de fixation » est devenu le terme technocratique le plus en vogue, et le mal à combattre dans la France de 2017.

Sur le terrain, tous les coups semblent permis pour parvenir à rendre invisibles ces indésirables. Jeudi et vendredi, à Calais, les associations d’aide se sont vues interdire de distribuer de la nourriture et même de l’eau hormis entre 18 heures et 19 h 15. Et la distribution du soir s’est faite encadrée d’une présence policière massive et hostile.

Prétextant un « tapage diurne » dans la zone industrielle désertée à cette heure, les forces de l’ordre ont même fait éteindre la musique au milieu du repas, avant, une fois la dispersion ordonnée, de passer aux contrôles d’identité aléatoires.

« On a reculé d’un siècle »

Bien rodés à la pratique, les plus jeunes se disaient tous mineurs. Une stratégie qui contre toute attente semble leur garantir de rester libres, même s’ils sont justement ceux que la France devrait légalement mettre à l’abri…

Le préfet avait prévenu qu’« un contrôle des étrangers en situation irrégulière est mis en œuvre et que des reconduites à la frontière sont menées ». En revanche, il a aussi rappelé que « l’action de la police s’effectue dans le respect du droit ». Or, sur ce point, la somme des récits de migrants doublée de celle des témoignages d’humanitaires laisse planer un doute.

Uzer Khan, un Pakistanais de 23 ans, un bras dans le plâtre et un poignet bandé raconte avoir été poursuivi par la police mercredi soir. Plusieurs autres parlent de coups de matraque en plus des gaz lacrymogènes, le même soir. Les blessures visibles sont nombreuses et elles s’ajoutent au gazage récurrent des sacs de couchage, voire des stocks d’eau ou de nourriture que beaucoup racontent comme habituels. Utopia 56 et l’Auberge des migrants avaient convoqué une conférence de presse jeudi sur ce sujet.

D’ailleurs, les associations sont désormais elles aussi prises pour cibles par les forces de l’ordre. Des motards de la police sont spécialement venus, jeudi midi, faire une inspection scrupuleuse des véhicules des associatifs. Le camion de L’Auberge des migrants a été pesé, ce qui a valu verbalisation de l’association et obligation de vider les bouteilles d’eau qui occasionnaient son surpoids. La même association se voit d’ailleurs contrainte sous huitaine par les services vétérinaires à engager des travaux dans la cuisine du hangar où sont préparés les 600 repas quotidiens, faute de quoi le lieu sera fermé.

« On a reculé d’un siècle. On n’est même plus crédibles aujourd’hui quand on rappelle aux migrants qu’ils peuvent demander l’asile en France », se désole Vincent de Conninck du Secours catholique.

Vers « une ligne dure anti-migrants »

De toute manière, c’est matériellement impossible et compte tenu de la chasse à l’homme autour de la gare de Calais, les derniers réfugiés encore désireux de rester, se sont retrouvés dans les bureaux de la police de l’air et des frontières en tentant d’honorer leur rendez-vous de demande d’asile.

« Franchement, je comprends mal la ligne politique du chef de l’Etat qui d’un côté félicite [la chancelière allemande] Angela Merkel pour son accueil des réfugiés et de l’autre laisse ses administrations agir ainsi face à ces jeunes Erythréens, Ethiopiens et Afghans », déplore Vincent de Conninck.

Côté ministère de l’intérieur, difficile d’y voir clair. Selon certains hauts responsables on s’engage « sur une ligne dure anti migrants ». Si officiellement le directeur adjoint du cabinet, Nicolas Lerner, est pour l’heure chargé de ce dossier, officieusement, beaucoup lisent déjà la patte du directeur du cabinet, Stéphane Fratacci, dans la gestion répressive du sujet. En attendant un conseiller migration qui viendra. Ou non.