La Voix du Nord // Lille squat de Vauban, l’ultime asile de jeunes albanais

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On commence à bien connaître ces regards. Méfiants. Terrifiés. Aux aguets. Le plus dramatique serait de s’y habituer. Eux s’habituent à ce semblant de vie dans le dédale des anciens bureaux d’EDF. Un immeuble de six étages, en lambeaux, où ces jeunes gens venus d’Albanie improvisent des chambres là où il y a encore des fenêtres. Avec des matelas sur des palettes ou des briques. Au détour d’un couloir, l’ingéniosité d’une cuisine qui se résume à une planche et un peu de vaisselle. Pas d’eau. Ni douche, ni toilettes. L’unique point d’eau est à l’extérieur du bâtiment. L’électricité va et vient. Selon les coupures et les habiletés de chacun.

 

PHOTO BAZIZ CHIBANE

La situation n’est évidemment pas sans rappeler le squat «5 étoiles» de Moulins. Lieu d’exclusion et de marginalité. À proximité du collège Levi-Strauss, les riverains se plaignent de tapages et de la saleté de ce site à l’abandon.

« Je mens tous les jours à ma famille »

Fin 2017, le squat a commencé par accueillir des familles avec enfants. Des familles irakiennes et africaines qui ont depuis trouvé des solutions plus pérennes grâce au soutien d’associations comme L’île de solidarité. Depuis quelques mois, entre 60 et 100 jeunes gens venus d’Albanie vivent ici. Hysni a 19 ans, s’exprime en anglais. Il a quitté Shköder avec un sac à dos en promettant à ses parents qu’il aurait une vie meilleure en France. Et il fait tout pour sauver les apparences : « Tous les soirs quand ma mère m’appelle, c’est son obsession : elle veut savoir ce que j’ai mangé. Alors j’invente des plats délicieux, parce que bien souvent je me contente d’un sandwich. Oui, je lui mens. Tous les jours. Elle croit que tout va bien… »

 

PHOTO BAZIZ CHIBANEIl se souviendra longtemps de cet hiver. Aussi rude que ses premières désillusions. Mais Hysni est heureux de nous montrer son univers : un lit tiré à quatre épingles, des bouquins de Français et des sacs de course qui contiennent toute sa vie… Et ce dont il est le plus fier : la clé de chez lui. Au bout d’un cadenas.

Des mineurs livrés à eux-mêmes

Comme tous les occupants du squat, Hysni, Fotyom, Armundo, Kolie ont déposé une demande d’asile. Leur pays a beau être considéré comme « sûr » par l’Europe et la France, ces garçons aspirent à une vie décente, des études, un travail sans histoire… « Tous les gens de notre âge quittent l’Albanie parce qu’il n’y a pas de travail. Et il y a tout un système de corruption qui exclut les familles pauvres de tout. Dans mon village, un jeune a voulu se présenter aux élections locales. Ils ont menacé sa famille… »

 

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Les plus âgés – ils ont 25 ans tout au plus – nous expliquent qu’ils veillent sur les plus jeunes. Les plus jeunes ? « Il y a plusieurs gamins de 16 ans, confirme Ben de L’île de solidarité. On fait régulièrement appel au 115 mais c’est compliqué. Il manque des places… » C’est pourtant une obligation de mettre les mineurs à l’abri. Les bénévoles de l’association, qui viennent régulièrement apporter des denrées et des soins, sont sur le qui-vive à l’approche de la fin de la trêve hivernale. Ce site privé serait sous le coup d’un avis d’expulsion. En attendant, si certains tuent le temps, Hysni et Fotyom ont trouvé une façon de se rendre utiles : ils participent aux maraudes auprès des sans-abri de la région.

La Préfecture a enregistré 3 310 demandes d’asile l’an dernier

En 2017, l’Albanie a été le premier pays d’origine des demandeurs d’asile avec près de 8 000 demandes répertoriées par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). L’an dernier, cette demande a baissé de 28 %. Pour l’ensemble de l’année 2018, la demande d’asile introduite à l’Ofpra atteint 122 743 dossiers (+22 %). Les principaux pays d’origine de la demande d’asile sont l’Afghanistan, l’Albanie, la Géorgie, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Plus de 46 700 personnes (mineurs inclus) ont été placées sous la protection de l’Ofpra aux titres du statut de réfugié et de la protection subsidiaire (+9 % ).

Principaux pays d’origine : Guinée, Algérie, Irak

Dans le Nord, la Préfecture a enregistré 3 310 demandes d’asile en 2018 (1 412 de plus qu’en 2017) avec pour principales nationalités : Guinée, Algérie, Irak.

Candidat à l’entrée dans l’UE, l’Albanie – 3 millions d’habitants, l’équivalent de la Bretagne – est l’un des pays les plus pauvres d’Europe, avec un salaire moyen de moins de 300 euros par mois. Le taux de chômage des jeunes dépassait 30 % en 2017 selon la Banque mondiale.

Un pays d’origine « sûr » pour l’État français

Peu de demandes d’asile aboutissent en France qui a révisé, en 2015, sa liste de pays d’origine « sûrs ». Elle considère que l’Albanie répond à des critères démocratiques européens suffisants au même titre que ses voisins : la Serbie, le Monténégro, le Kosovo, la Macédoine…

Mais la convention de Genève s’applique à tous les « réfugiés s ans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine. » Ce principe exige de chaque pays signataire à traiter tous les dossiers de demande d’asile.