Décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018 – Loi permettant une bonne application du régime d’asile européen
Par sa décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, dont il avait été saisi par plus de soixante sénateurs. La portée de sa décision est à appréhender au regard des seules dispositions de la loi dont il était saisi.
Les requérants contestaient certaines dispositions des articles 1er et 3 de la loi, modifiant les conditions de placement en rétention administrative et d’assignation à résidence des demandeurs d’asile relevant du règlement européen du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (règlement dit « Dublin III »).
Les dispositions contestées modifient le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de définir les conditions dans lesquelles le demandeur d’asile présentant un risque non négligeable de fuite peut être placé en rétention. Elles définissent douze critères en fonction desquels ce risque peut être regardé comme établi. Elles réduisent de quinze à sept jours le délai de recours contre la décision de transfert vers l’État responsable de l’examen de la demande d’asile, lorsque l’étranger ne fait pas l’objet d’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence.
Trois séries de griefs étaient formulés contre ces dispositions.
En premier lieu, il leur était reproché de méconnaître l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, faute de permettre de déterminer le moment à partir duquel l’étranger relevant du règlement européen dit Dublin III pourra désormais être mis en rétention.
Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en jugeant qu’il résulte des dispositions contestées que le placement en rétention ne peut concerner qu’un demandeur d’asile faisant l’objet soit d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge par un autre État, soit d’une décision de transfert vers l’État responsable de l’examen de sa demande. Il en va de même pour le placement en rétention d’un demandeur d’asile qui était auparavant assigné à résidence.
En deuxième lieu, il était soutenu que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté individuelle en autorisant, même en l’absence de menace pour l’ordre public ou de nécessité de bonne administration de la justice, le placement en rétention de demandeurs d’asile alors que ceux-ci ne font pas nécessairement, à ce stade de la procédure organisée par le règlement du 26 juin 2013, l’objet d’une mesure d’éloignement, et en autorisant le placement en rétention d’un étranger sans caractériser un risque de fuite de celui-ci.
Le Conseil constitutionnel relève à ce titre, d’une part, que le placement en rétention intervient à un stade de la procédure où l’autorité administrative dispose d’indices sérieux que l’examen de la demande d’asile échoit à un autre État en application du règlement européen du 26 juin 2013. Le placement ne peut être décidé qu’à l’encontre d’un étranger qui présente un risque non négligeable de fuite, alors qu’il est susceptible d’être transféré vers un autre État. Cette mesure est donc motivée par la sauvegarde de l’ordre public. Il appartient à l’administration d’apprécier, sous le contrôle du juge, les situations caractérisant un risque non négligeable de fuite sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé et de tenir compte d’éventuelles circonstances particulières ne permettant pas de regarder le risque allégué comme établi. Si au nombre des situations pouvant caractériser un tel risque de fuite comptent l’altération de ses empreintes digitales pour empêcher leur enregistrement, la fraude aux titres d’identité, de séjour ou de voyage, la dissimulation de son identité, de son parcours ou de sa situation, notamment vis-à-vis de l’asile, l’appréciation du caractère volontaire de ces altérations, fraudes ou dissimulations est placée sous le contrôle du juge.
D’autre part, le placement en rétention n’est susceptible d’intervenir qu’en dernier ressort, si une mesure d’assignation à résidence n’est pas suffisante pour parer au risque de fuite. La mesure de rétention, qui ne peut être prolongée au-delà de quarante-huit heures qu’avec l’accord du juge judiciaire, ne peut durer plus de quarante-cinq jours.
De l’ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel déduit que l’atteinte portée à la liberté individuelle doit être regardée comme nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur.
Enfin, selon les sénateurs requérants, la réduction du délai de recours contre la décision de transfert lorsque l’étranger ne fait pas l’objet d’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence portait atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en relevant notamment que, lorsque l’intéressé n’est pas assisté d’un avocat, les principaux éléments de cette décision lui sont communiqués dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, que la décision de transfert ne peut pas faire l’objet d’une exécution d’office avant l’expiration d’un délai de quinze jours et que le recours contre cette décision a un caractère suspensif.
Pour ces motifs, le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution le premier alinéa et les 5° à 8° du paragraphe II de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le second alinéa de l’article L. 554-1 et les 1° bis et dernier alinéa du paragraphe I de l’article L. 561-2 de ce même code, dans leur rédaction résultant de l’article 1er de la loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, ainsi que le mot « sept » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 742-4 du même code, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de cette même loi.