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A Vintimille, la Croix-Rouge plie bagage, les migrants désignés à la vindicte

AFP

Modifié le – Publié le | AFP

Des préfabriqués vides: c’est tout ce qu’il reste du camp de transit géré par la Croix-Rouge depuis quatre ans à Vintimille, le Calais italien, à quelques kilomètres de la frontière française et de Menton. Pourtant, les migrants affluent.

Fermé aux nouveaux arrivants pendant l’épidémie de coronavirus et le confinement, le camp n’a pas été autorisé à rouvrir. D’ici fin août, tout sera démonté, sanitaires, douches, dortoirs, etc.

« C’est une décision de la préfecture, on s’adapte », indique la Croix-Rouge italienne alors que des dizaines de personnes originaires de pays en crise campent désormais éparpillées dans Vintimille, sous des ponts, sur la plage, sur les berges du fleuve Roya, seul point d’eau accessible dans la chaleur de l’été.

Entre début janvier et fin juillet, les tentatives de traversée au départ de la Libye vers l’Italie ont augmenté de 91 %, comparé à la même période l’an dernier, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Soulaïmen, 20 ans, dort sur les galets à Vintimille depuis dix jours, son sac de couchage comme seul abri, et les pâtes du Secours catholique italien (Caritas) comme seuls repas.

Originaire du Darfour, région théâtre d’un long conflit interne au Soudan, le jeune homme qui préfère taire son nom de famille, a déjà tenté plusieurs fois de gagner la France, par le train ou à pied, avant de se faire interpeller et refouler.

Malgré les contrôles incessants de la police aux frontières, il n’a pas l’intention de renoncer à passer, et encore moins de retourner au Darfour ou en Libye, pays par lequel il dit avoir transité avant de franchir la Méditerranée.

Pas question de repartir dans un pays où « il n’y a rien », expliquent aussi des jeunes Tunisiens, nombreux parmi les multiples migrants en errance à Vintimille.

« Partout en ville »

« On les retrouve partout en ville, à quémander de l’argent ou une cigarette », relève un habitant, Vittorio, comptable de 62 ans, promenant son chien.

Si lui-même ne se plaint pas des migrants, le sujet est politiquement explosif. La droite a repris la mairie l’an dernier et Matteo Salvini, le leader de la Ligue, a choisi à dessein Vintimille et ses 25.000 habitants pour son lancement de campagne aux élections régionales de septembre.

« Gentils oui, couillons non ! ! Les Italiens d’abord, le reste du monde après ! », a-t-il clamé mardi devant des dizaines de personnes traitant les migrants « d’envahisseurs ». « Si vous aimez les clandestins, prenez-les en pension chez vous ! ! », a-t-il raillé à l’adresse de bénévoles et militants venus le siffler.

« Le camp de la Croix-Rouge était fondamental », déplore Maurizio Marmo, responsable de Caritas. « En plus d’être un lieu où dormir, manger, se laver, il y avait deux choses importantes: l’accès à un médecin chaque matin et un point information sur le droit d’asile ».

En ville, il ne reste plus désormais que deux WC chimiques près de la gare pour environ 150 à 200 migrants dans les rues, selon des ONG, 400 selon la mairie. Difficile de savoir exactement combien ils sont, certains parvenant à franchir la frontière française, d’autres continuant d’arriver via les Balkans ou le sud de l’Italie.

« Les contrôles ralentissent les gens, mais ne les empêchent pas de passer » pour rejoindre la France, y rester ou simplement y transiter dans l’espoir de rejoindre d’autres pays européens, constate M. Marmo.

La semaine dernière, Rome et Paris ont annoncé la création d’une brigade franco-italienne qui suscite le scepticisme. Un commandement et des locaux mixtes, mais pour faire quoi, si l’Italie et la France continuent à avoir des intérêts divergents en terme de migrations ?

« Répartir »

« Il faut d’abord se mettre d’accord avec l’Europe et avec la France, et avoir une vraie répartition humanitaire. Il en arrive 1.000 ? On les accueille, on les identifie et puis, on les répartit: 100 en France, 100 en Allemagne, etc. », expose le maire de Vintimille, Gaetano Scullino.

En attendant, c’est le contraire qui se passe, avec un droit d’asile régulièrement bafoué côté français, dénoncent les associations humanitaires.

Dernier exemple épinglé par le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative en France, celui d’une Centrafricaine interpellée en mai avec son fils de cinq ans, récemment opéré, et renvoyée illico par les autorités françaises bien qu’elle présentait une demande d’asile.

« Les services de la police aux frontières étaient tenus d’enregistrer cette demande et d’en saisir le ministère de l’Intérieur, sans pouvoir refuser l’entrée (…) », a contesté le Conseil d’Etat le 8 juillet.

Cet arrêt constitue une première à Menton depuis que la France a fermé la frontière aux migrants en 2015. Mais pour la requérante, c’est une victoire en demi-teinte: reconnue dans son bon droit, elle a été priée par la haute juridiction française de refaire sa demande d’asile …en Italie.

Selon la préfecture des Alpes-Maritimes, depuis mai, le nombre de personnes refoulées chaque jour est « en augmentation progressive »: il « reste en moyenne inférieur au chiffre de 100 mais a pu ponctuellement le dépasser ». La plupart sont interpellées dans le train.

07/08/2020 19:40:27 – Vintimille (Italie) (AFP) – © 2020 AFP

79 réfugiés au coeur de tensions entre la ville et la préfecture

Mineurs isolés : « On ne sait pas trop ce qu’on va devenir »

Un jeune Guinéen, dans le gymnase Japy, à Paris (11e), le 4 août. AUGUSTIN LE GALL POUR « LE MONDE »

Isabelle Rey-Lefebvre

Evacués de leur campement parisien le 4 août, 79 jeunes réfugiés sont au cœur de tensions entre la Ville et la préfecture

La nuit fut courte et agitée, au campement du square Jules-Ferry, près de la place de la République (11e), à Paris. Les 79 jeunes migrants venus d’Afrique de l’Ouest – Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Bénin – étaient prévenus de leur évacuation, tôt le matin du mardi 4 août. Les agents des préfectures de police de Paris et d’Ile-de-France sont venus les réveiller vers 7 heures et les ont priés de faire leur paquetage avant de monter dans un car. Une vingtaine d’entre eux, notamment sept jeunes femmes, ont été conduits dans différents hôtels de la région parisienne, et 49 au gymnase Japy, tout proche, où les attendaient des lits de camp.

A 15 heures, la température sous la verrière du gymnase est déjà très élevée, avant même la canicule annoncée les jours suivant : « J’ai l’œil rivé sur la météo, j’ai prévu des frigos, de l’eau fraîche, des fruits et des brumisateurs, rassure Kamel Dif, responsable du pôle Urgences de l’association Alteralia, mandatée par l’Etat pour encadrer ces jeunes. Nous sommes là pour les aider, les nourrir, leur fournir ce dont ils ont besoin ; des tickets de métro, des jetons pour la laverie d’en face, mais aussi des médicaments… Le pire, c’est le désœuvrement : puisque nous sommes dans une salle de sports, demain arrivent les ballons de basket. » La venue d’une équipe médicale et des tests Covid sont programmés.

« On est en sécurité, ici, mais on ne sait pas trop ce qu’on va devenir », explique l’un des hébergés, d’origine malienne qui, comme ses compagnons d’infortune, veut garder l’anonymat. « Tout ce qu’on souhaite c’est aller à l’école, apprendre à lire, à écrire et s’installer ici, en France, résume son voisin ivoirien. Ce n’est pas Paris qui nous intéresse, nous sommes prêts à aller partout en France, même à être séparés après avoir galéré ensemble. » Un jeune Guinéen suit déjà, grâce à l’association Droit à l’école, des cours de français et de mathématiques et a repéré une formation en CAP de technicien de maintenance d’équipement industriel, dans un lycée d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) qu’il aimerait rejoindre dès la rentrée.

« Les rendre visibles »
« Il était temps que l’évacuation ait lieu car voilà cinq semaines que nous, associations, portons à bout de bras ce campement qui aura cependant permis de les rendre visibles et faire entendre leur voix, explique Corinne Torre, chef de mission à Médecins sans frontières. Mais la situation commençait à se dégrader : des prédateurs tournaient autour du camp, des SDF se montraient agressifs », témoigne Mme Torre.

Ces jeunes auront malheureusement eu le temps d’éprouver la violence de la vie dans la rue. « On m’a volé mes chaussures pendant que je dormais sur un banc public et mon téléphone dans le métro, raconte le jeune Ivoirien. La vie est dure à Paris, il n’y a pas de considération, pas d’accueil, tout est difficile : se nourrir, se laver, aller aux toilettes, alors qu’il y a tant de choses… », juge-t-il.

« Le gymnase n’est pas l’idéal et cela doit rester temporaire, insiste Mme Torre – la Ville de Paris, où commune et département se confondent, envisage d’ailleurs de récupérer cet équipement avant la rentrée scolaire – et nous ne l’avons accepté qu’à la condition que ces jeunes bénéficient du dispositif de prise en charge des mineurs par le département. C’est d’ailleurs l’une des obligations des Etats selon la Convention internationale des droits de l’enfant, comme le rappelle régulièrement le défenseur des droits », précise-t-elle.

Risque d’expulsion
Le fait d’être mineur est essentiel : il ouvre des droits à un logement, à des soins, à l’éducation, dans le cadre de la protection de l’enfance, sous la responsabilité des départements. S’il s’avère que certains de ces jeunes sont majeurs, ils rejoignent le droit commun des demandeurs d’asile ou des réfugiés, s’ils en obtiennent le statut, ce qui leur ouvre droit à un hébergement dans le cadre du dispositif national d’accueil (DNA), à la charge, cette fois-ci, de l’Etat. S’ils n’obtiennent pas le statut de demandeur d’asile ou celui de réfugié, ils peuvent aussi être accueillis par l’Etat dans les hébergements pour personnes sans abri, avec le risque d’être expulsés.

Or, la minorité de ces 79 jeunes gens est en question : une première évaluation faite par la Croix-Rouge a conclu à leur majorité à tous. Un recours à cette décision est pendant, devant le juge des enfants qui aura la décision finale, mais il n’est pas suspensif. « Nous les considérons donc comme majeurs, explique un porte-parole de la préfecture d’Ile-de-France, et ils ont vocation, comme les 3 469 personnes de la dizaine de campements démantelés depuis le 16 mars, à rejoindre le droit commun qui fonctionne très bien : être accueillis dans un centre d’examen de leur situation et orientés vers des hébergements, plutôt en province », assure-t-il.

« Présomption de minorité »
« Dès le début du mois de mars, nous avons proposé, en attendant la décision du juge, à la préfecture d’Ile-de-France de cofinancer à parts égales un centre d’hébergement pour ces jeunes mais elle a refusé », explique Dominique Versini, adjointe d’Anne Hidalgo chargée des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance. « Nous avions identifié un immeuble appartenant à la Ville, l’avions visité avec des agents de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement et pensions que l’affaire était bien engagée », se souvient Yann Brossat, adjoint de la maire de Paris chargé du logement et de l’accueil des réfugiés. Mais la préfecture d’Ile-de-France a décliné l’offre : « L’Etat n’est pas favorable à la création d’un dispositif tiers car cela ne se justifie pas », a dit Magali Charbonneau, sa secrétaire générale, à l’AFP.

Une déclaration qui ne passe pas auprès des associations qui ont accompagné les jeunes depuis des mois : « La position de la préfecture est intolérable car il faut respecter la présomption de minorité, plaide Mme Torre. Nous avions obtenu des assurances de la Ville de Paris pour que ces jeunes soient pris en charge en tant que mineurset nous mènerons toutes les procédures juridiques possibles pour qu’ils le soient. »

Amjad, un ancien de la jungle

Portrait

Amjad, un ancien de la Jungle, vient d’ouvrir son atelier d’artisanat à Calais

Amjad dans ses nouveaux locaux des « Ateliers de Tito » situés rue des Quatre-Coins.

Amjad dans ses nouveaux locaux des « Ateliers de Tito » situés rue des Quatre-Coins.

Amjad est un personnage attachant, toujours souriant. Malgré les nombreuses galères qu’il a connues : la fuite de la Libye, son arrivée à Calais en 2014, les campements de fortune, l’envie de rallier l’Angleterre malgré la dangerosité de l’opération… Et finalement, après plusieurs tentatives, il décide de tout faire pour rester en France, légalement. Six ans après avoir posé pour la première fois un pied à Calais, il crée aujourd’hui sa société et vient de terminer son atelier artisanal, rue des Quatre-Coins.

Des cabanes au mobilier industriel

L’homme de 33 ans se sent bien à Calais et il souhaite y poser ses valises durablement. Et surtout, travailler de sa passion. Passion qui revêt de multiples facettes.

« J’aimais beaucoup ce que je faisais mais j’avais toujours en tête d’ouvrir mon atelier et de confectionner mes

propres objets »

Amjad

Homme à tout faire, bricoleur de talent, Amjad a de l’or au bout des doigts et il sait mettre à profit cette qualité pour aider les autres. Déjà à l’époque de la Jungle, lui et quelques-uns de ses amis fabriquaient des cabanes pour loger les sans-abri. « À l’époque, il a même fabriqué un cabanon pour mon jardin et je l’ai encore », raconte un de ses amis.

Il obtient le statut de réfugié en 2014 et démarre une formation de soudeur dans la foulée, à Lille. Trois mois après, il obtient son diplôme et commence à travailler dans diverses entreprises. « Ça se passait toujours bien, raconte Amjad, j’aimais beaucoup ce que je faisais mais j’avais toujours en tête d’ouvrir mon atelier et de confectionner mes propres objets. » Il enchaîne les contrats et continue d’accumuler de l’expérience et de prendre des cours de français en parallèle de son travail. Il parle aujourd’hui très bien la langue de Molière, l’anglais et l’arabe.

Le 1er juillet, Amjad a pu réaliser son rêve lorsqu’il a enfin reçu les clefs de son atelier, au 181 rue des Quatre-Coins. 100m² exploitables qu’il a dû aménager pendant plusieurs semaines afin de pouvoir accueillir ses futurs clients et confectionner ses objets dans de bonnes conditions. « Je suis vraiment content de pouvoir enfin avoir mon propre atelier, c’était vraiment important pour moi. »

Bois, métal, meubles, portes… il peut tout fabriquer

Son atelier (presque) terminé, le Calaisien va pouvoir honorer ses premières commandes. « J’ai déjà plusieurs demandes avant d’avoir ouvert l’atelier », explique en toute modestie Amjad. Des amis ou des connaissances qui ont eu vent de son talent pour la majorité.

Mais au fait, quelle est la spécialité de cet artisan ? « Je suis soudeur de formation mais je travaille tous les matériaux, assure-t-il. Je fais tout à la main, je peux confectionner des meubles sur mesure, des portes en fer, en bois, des portails, des grilles… » Et la liste est longue en effet.

« Si l’entreprise grandit, je n’hésiterai pas à embaucher »

En clair, Amjad peut étudier toutes les propositions de ses clients, grâce à une photo ou une simple explication orale et ensuite il s’attelle à la tâche. « Je n’ai pas vraiment de référence, j’aime bien construire des objets, fabriquer des meubles, peu importe. » C’est même lui qui a réalisé les travaux d’électricité dans son atelier, nouvelle preuve de ses nombreux talents.

Pour le moment, Amjad travaille seul dans son atelier. Il vient d’ouvrir ses portes et attend de voir comment évolue son activité dans les mois et les prochaines années. « Mais si un jour j’ai besoin de quelqu’un, si l’entreprise grandit, je n’hésiterai pas à embaucher. »

Après notre entretien, Amjad, bosseur dans l’âme, retourne découper quelques planches pour préparer un futur objet métallique qui recycle le plastique. « Il n’arrête jamais, c’est vraiment quelqu’un de passionné et de motivé », lâche un de ses amis, qui confirme effectivement la première impression que l’on a lorsqu’un on rencontre Amjad.

Thomas DAGBERT

Contact : sur Facebook « Les Ateliers de Tito » ou par mail à l’adresse suivante ; lesateliersdetito@gmail.com

Asile : la France pourrait moins protéger les Afghans

 

La Cour nationale du droit d’asile veut revoir sa jurisprudence. Les associations redoutent une moindre protection des Afghans, premiers demandeurs d’asile en France.

Par Julia Pascual Publié le 16 juillet 2020 à 10h25

 

Depuis 2015, l’Afghanistan est l’un des principaux pays de provenance des demandeurs d’asile en France. Sous l’effet de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays et de l’expulsion de membres de la diaspora installés dans les pays frontaliers (Pakistan, Iran), cette place est devenue durable. En 2018, les Afghans se sont même hissés au premier rang de la demande d’asile. En 2019, ils étaient plus de 10 000 à solliciter le statut de réfugié.

Résultat : près de 24 300 ressortissants afghans bénéficient d’une protection à ce jour, selon les estimations de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Ce qui est davantage que toutes les autres nationalités. Pour toutes ces raisons, l’Afghanistan occupe une place prépondérante dans le système d’asile. Mais cela pourrait changer.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui statue en appel sur les demandes de protection, pourrait infléchir sa doctrine. C’est en tout cas ce que craignent plusieurs associations de défense des migrants, telles que la Cimade ou l’association des avocats du droit d’asile Elena.

« Jurisprudence Kaboul »

L’Ofpra, qui statue en première instance, a depuis plusieurs années réduit le taux de protection accordé aux Afghans. Il est passé de plus de 80 % en 2015 à moins de 60 % en 2019. « On a resserré notre expertise, explique un ancien de l’Office. Les experts ont regardé plus précisément la nature de la demande et il s’est avéré qu’on considérait des degrés de violence généralisée [dans le pays] alors qu’on ne devait pas le faire. La CNDA n’a pas suivi cette évolution. »

Un Afghan dont la demande d’asile a été rejetée par l’Ofpra a ainsi toutes les chances de se voir accorder une protection en faisant appel devant la CNDA. Celle-ci a en effet annulé 75 % des décisions de l’Ofpra pour accorder, la plupart du temps, une « protection subsidiaire » aux Afghans. Différente du statut de réfugié, qui nécessite d’établir une persécution individuelle, la protection subsidiaire est destinée à une personne exposée à une menace grave dans son pays « en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé ».

« Pour le moment, la CNDA considère que les personnes qui sont renvoyées vers l’Afghanistan doivent passer par Kaboul et que Kaboul est une ville où règne une violence aveugle d’une intensité exceptionnelle, explique une source interne à la Cour. En gros, n’importe quelle personne dont on pense qu’elle est afghane a droit à la protection subsidiaire. Ceux qui ne l’obtiennent pas sont de faux Afghans ou tombent dans les clauses d’exclusion [l’exclusion de l’asile concerne par exemple les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre]. »

Cette ligne de conduite de la Cour – communément appelée « jurisprudence Kaboul » – pourrait bientôt être renversée. Prenant appui sur deux dossiers de demandeurs d’asile afghans, la CNDA a décidé de se réunir en grande formation. Celle-ci a pour objectif « d’harmoniser la jurisprudence soit sur une question juridique nouvelle, soit sur l’appréciation d’une situation géopolitique », explique-t-on à la Cour.

« Volonté politique »

D’après les éléments de la procédure que Le Monde a consultés, les questions auxquelles veut répondre la Cour lors de cette grande formation sont notamment les suivantes : « Les informations disponibles conduisent-elles à identifier à Kaboul une violence d’un niveau [exceptionnel] ? » ; « Le trajet vers la région de destination doit-il être envisagé à partir d’autres points d’entrée que l’aéroport de Kaboul ? ».

Pour Valérie Paulhac, l’une des avocates des demandeurs dont les affaires ont été renvoyées devant la grande formation, « il y a une volonté politique de limiter l’accès à la protection subsidiaire ». L’avocate est même convaincue que la Cour a déjà tranché ces questions. Alors que l’audience, initialement prévue le 17 juin, a été renvoyée à une date non encore connue, les parties ont pris connaissance de l’existence d’une note méthodologique interne à la CNDA. Datée du 20 mai, et intitulée « Analyse de la violence aveugle », ce document de cinq pages, dont Le Monde a pris connaissance, s’inspire des travaux du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) sur l’Afghanistan, connu pour avoir une interprétation plus restreinte du niveau de violence sévissant en Afghanistan.

En reprenant les indicateurs de l’EASO, tels que le nombre de victimes civiles rapportées à la population ou encore le nombre d’incidents et de déplacés, la Cour trouve que la ville de Kaboul n’est pas en situation de violence aveugle d’exceptionnelle intensité. « Le EASO propose une méthodologie et des critères qui réduisent considérablement la possibilité d’obtenir la protection subsidiaire, souligne Valérie Paulhac. On nous fait venir à l’audience alors que la CNDA a préjugé de l’affaire. »

Lors du débat parlementaire sur l’immigration, en octobre 2019, le gouvernement d’Edouard Philippe ne cachait pas son souhait de combattre les disparités au sein de l’Union européenne sur les taux d’acceptation des demandes d’asile, convaincu que cela constituait un facteur d’attractivité de la France. « L’enjeu, c’est l’uniformisation des décisions en Europe, estime Gérard Sadik, de la Cimade. Au premier trimestre 2020, en première instance, le taux de protection des Afghans était de 57,6 % en France, de 28 % en Allemagne et de 87,6 % en Italie. » Et de mettre en garde : « Si la grille de lecture de la CNDA change pour l’Afghanistan, on appliquera les mêmes principes pour la Syrie, le Yémen, la Somalie ou la Libye. »

Hausse du nombre de migrants traversant la Manche : Londres accuse Paris

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/12/hausse-du-nombre-de-migrants-traversant-la-manche-londres-accuse-paris_6048766_3210.html

Les autorités britanniques, qui coopèrent étroitement avec leurs homologues français, demandent un renforcement des contrôles pour arrêter les départs clandestins en bateau.

Par Eric Albert Publié hier à 10h09, mis à jour hier à 20h19

Les agents des forces frontalières britanniques aident les migrants avec des enfants, dans le port de Douvres, sur la côte sud-est de l’Angleterre, le 9 août . Les agents des forces frontalières britanniques aident les migrants avec des enfants, dans le port de Douvres, sur la côte sud-est de l’Angleterre, le 9 août . GLYN KIRK / AFP

Soixante-cinq migrants sur quatre embarcations de fortune secourus dans les eaux britanniques dimanche 9 août ; 151 autres sur quinze bateaux la veille ; 146 et 235 migrants, encore, les deux jours précédents… Depuis le début de l’été, les bateaux d’immigrés clandestins tentant la traversée de la Manche pour se rendre au Royaume-Uni se multiplient.

Profitant du beau temps et de la mer calme, ils embarquent au petit matin des plages françaises et tentent de rejoindre les côtes anglaises, distantes d’une trentaine de kilomètres au passage le plus étroit. La plupart utilisent de petits canots pneumatiques motorisés, s’entassant dans des conditions dangereuses. Certains tentent même leur chance dans un simple kayak. Des hommes, des femmes, des enfants, certains en très bas âge, sont arrivés. Ils viennent d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan ou encore du Yémen…

Le soudain afflux de migrants a provoqué la colère des autorités britanniques, qui accusent en creux la France de fermer les yeux. Cultivant son image ultraconservatrice, Priti Patel, la ministre de l’intérieur, est montée à bord d’un patrouilleur des gardes-côtes britanniques lundi 10 août, arborant gilet de sauvetage et ton ferme : « Le nombre de migrants arrivant sur les côtes est absolument épouvantable et honteux. » Elle demande aux autorités françaises de tout faire pour rendre la traversée de la Manche « impraticable », d’une part en empêchant les départs des bateaux, et d’autre part en acceptant le retour des migrants qui auraient atteint les eaux britanniques. « La France et les autres Etats de l’UE sont des pays sûrs. Les vrais réfugiés devraient y demander l’asile, plutôt que de risquer leur vie et de violer la loi en venant au Royaume-Uni », estime-t-elle.

Filières de passeurs

Un groupe de migrants se repose sur la plage en attendant les responsables des forces frontalières britanniques à Dungeness, dans le sud de l’Angleterre, le 6 août. Un groupe de migrants se repose sur la plage en attendant les responsables des forces frontalières britanniques à Dungeness, dans le sud de l’Angleterre, le 6 août. Susan Pilcher / APDerrière l’écume politique, la réalité est pourtant que les autorités françaises et britanniques coopèrent étroitement sur la gestion des migrants depuis deux décennies. Le traité du Touquet, signé en 2003, a mis en place les bases de l’accord : les Français contrôlent la frontière et empêchent le passage des clandestins ; en échange, les Britanniques financent une partie des opérations.

En 2015, au plus fort de la crise européenne des réfugiés, le Royaume-Uni a ainsi payé pour le renforcement des barrières et de la sécurité autour du port de Calais et du tunnel sous la Manche. La traversée, que les clandestins effectuaient essentiellement à l’arrière de camions, est devenue beaucoup plus difficile.

Dès l’année suivante, les premières tentatives de traversée par bateau ont fait leur apparition. Le flux s’est accéléré à l’hiver 2018, et a augmenté fortement en 2020. De janvier à juillet, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a compté 342 tentatives de traversée totalisant 4 192 migrants, presque le double de la même période en 2019. « Ce n’est pas surprenant que le nombre de passages augmente, note Bridget Chapman, de l’association Kent Refugee Action Network. Du côté français, les autorités confisquent les tentes et la nourriture des migrants, les poussant à prendre plus de risques. Avec le beau temps, et le passage désormais très difficile par les autres chemins, beaucoup essaient la traversée. » Par ailleurs, des filières de passeurs, notamment kurdes, se sont mises en place.

Mardi, le sous-secrétaire d’Etat britannique à l’immigration, Chris Philp, a été reçu au ministère de l’intérieur à Paris. Il a annoncé la nomination de Dan O’Mahoney, un ancien militaire, pour diriger la lutte contre les clandestins dans la Manche. Ce dernier doit se rendre en France dans les prochains jours pour mettre en place de nouvelles opérations visant à enrayer ce trafic.

Loupe déformante

Dans l’atmosphère post-Brexit, où « les Britanniques veulent reprendre le contrôle de leurs frontières », selon la ministre de l’intérieur, Mme Patel, Londres laisse entendre que les accords avec la France pourraient être remis en cause. Objectif : renvoyer plus facilement les migrants qui arriveraient dans leurs eaux. « Nous devons revoir notre cadre légal », estime Boris Johnson, le premier ministre. Un tel changement nécessite cependant, par définition, l’accord des Français. « Cela démontre à quel point la promesse de reprendre le contrôle est vide de sens », s’est agacé sur la BBC Peter Ricketts, un ancien ambassadeur britannique en France.

Un navire de la Force frontalière aide un groupe de personnes soupçonnées d’être des migrants à bord depuis leur canot pneumatique dans la Manche, le 10 août. Un navire de la Force frontalière aide un groupe de personnes soupçonnées d’être des migrants à bord depuis leur canot pneumatique dans la Manche, le 10 août. Gareth Fuller / APCette controverse au cœur de l’été fait aussi effet de loupe déformante. Grâce à sa géographie protégée par la mer, le Royaume-Uni demeure peu touché par les vagues d’immigration clandestine. En 2019, l’Allemagne a reçu 142 000 demandes d’asile, la France 119 000, contre 44 000 outre-Manche. « La réaction des autorités britanniques est inhumaine, dénonce Mme Chapman. Il n’est pas acceptable de dire que les Français doivent recevoir tous les migrants. »

 

Réfugiés syriens : l’impossible retour

Par Léa Masseguin

Une étude révèle que si les trois quarts des réfugiés syriens souhaitent rentrer dans leur pays, la plupart considère que les conditions d’un retour sûr ne sont pas remplies. Leurs priorités : la réforme du système sécuritaire et un changement de régime.

Ils ne sont chez eux nulle part. Ni à Berlin, où certains responsables conservateurs les accusent d’être des criminels. Ni à Ankara, où Erdogan s’en sert comme un instrument de chantage. Ni en Grèce, où le gouvernement les expulse en secret – et en toute illégalité – vers les eaux internationales. Encore moins à Beyrouth, où on leur reproche de menacer l’équilibre communautaire. Impossible pourtant de rentrer chez eux, en Syrie, où ils craignent pour leur vie.

L’Association syrienne pour la dignité des citoyens (ASDC) a publié un rapport sur les conditions minimales d’un retour en Syrie pour les personnes qui l’ont fuie. Le document se base sur les témoignages de 1 100 individus – réfugiés au Proche-Orient et en Europe ou déplacés internes – contraints de quitter leur foyer entre 2011 et 2019. Si les trois quarts déclarent souhaiter à terme rentrer chez eux, l’écrasante majorité, indépendamment de leur situation géographique actuelle et de leur appartenance politique, considère que les conditions d’un retour sûr et durable ne sont à ce jour pas réunies. «Je ne rentrerai pas tant que le régime d’Assad est au pouvoir et qu’il n’y a pas d’Etat démocratique», confie Abed (1), 28 ans. Originaire de Damas, il a fui la guerre en 2013 après avoir obtenu une bourse pour étudier aux Etats-Unis. Il n’a jamais revu sa famille, restée en Syrie.

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Plus de la moitié des participants de l’étude vivaient dans des zones contrôlées par le régime lors de leur départ, contre 19% détenues par des factions de l’opposition et 16% par le groupe Etat islamique (qui a perdu ses derniers territoires en Syrie en mars 2019). Près de 90% d’entre eux ont quitté la Syrie pour des raisons sécuritaires. L’étude précise que les territoires dans lesquels ces individus souhaitent rentrer sont désormais détenus à 82% par le régime syrien.

Après neuf ans de guerre, la progression du régime d’Al-Assad et de ses alliés dans la reconquête des territoires est indéniable. Et l’impact potentiel d’une présence prolongée des Syriens – le plus grand nombre de déplacés de force dans le monde – inquiète les pays hôtes. Au Liban, en Turquie et en Jordanie, qui accueillent à eux trois plus de 5 millions de Syriens exilés, les autorités locales s’activent pour renvoyer dans leur pays les réfugiés, perçus comme un poids pour leur économie.

Violations des droits humains

Les participants à l’étude ont été invités à choisir cinq conditions préalables à leur retour sur dix domaines clés. Pour près de 75% d’entre eux, la première priorité concerne les actions de l’appareil sécuritaire du régime et la nécessité de le démanteler. «Je crains surtout d’être enrôlé de force par l’armée ou d’être kidnappé par les Chabiha [agents secrets officieux au service d’Assad, ndlr] qui pourraient demander une rançon à ma famille s’ils découvrent que je suis contre le régime», ajoute Abed.

Selon Amnesty International, les «civils qui rentrent en Syrie doivent se soumettre à une vérification de sécurité qui comprend notamment un interrogatoire par les forces de sécurité syriennes, responsables de violations des droits humains généralisées et systématiques constituant des crimes contre l’humanité». En 2019, l’ASDC avait publié un rapport sur les conditions de réinstallation de 300 personnes rentrées en Syrie : les deux tiers ont affirmé avoir été extorqués par les autorités ou avoir eu un membre de leur famille menacé d’arrestation.

La deuxième condition d’un retour est d’ordre politique : 67% des participants ont identifié le départ du régime syrien et de ses figures clés comme l’une de leurs priorités. «Les quatre principaux domaines prioritaires sont directement liés aux actions du régime syrien, à son régime politique oppressif et à l’utilisation répressive des services de sécurité», relève l’étude. En dépit des 380 000 morts causés par la guerre, Bachar al-Assad continue toutefois de s’accrocher au pouvoir. «Nous ne voyons pas de solution politique au conflit», déclarait fin juin Filippo Grandi, Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), lors d’une conférence de donateurs organisée par l’Union européenne et l’ONU.

Retours volontaires»

La situation sécuritaire sur le terrain est également pointée du doigt. Les participants exigent la fin des combats, l’arrêt des bombardements et des assassinats. Le conflit continue de faire rage en Syrie, où des affrontements entre les forces d’Al-Assad et les jihadistes de l’Etat islamique ont encore fait une cinquantaine de morts dans le centre du pays, début juillet. «Il y a plus de régions qui sont devenues plus stables, mais il y a encore des zones en conflit», avait encore mis en garde Filippo Grandi, avant d’ajouter que «les retours de réfugiés doivent se faire de manière volontaire».

De nombreuses ONG mettent toutefois en doute le caractère volontaire de ces retours et dénoncent des mesures visant à resserrer l’étau autour de ces exilés. En juillet 2019, l’ONG Human Rights Watch avait dénoncé une «pression illégitime» exercée par les autorités libanaises et l’expulsion de Syriens par la Turquie. Pour Amnesty International, «de nombreux réfugiés qui émettent le souhait de quitter le Liban ne sont pas en mesure de prendre une décision libre et éclairée» à cause des «conditions déplorables» dans lesquelles ils vivent et le manque «d’informations objectives sur la situation des droits humains» dans leur pays d’origine. Malgré les risques, plusieurs milliers de réfugiés syriens ont déjà quitté le Liban pour rejoindre la Syrie dans le cadre des opérations supervisées par la Sûreté générale libanaise, en coordination avec le régime de Bachar al-Assad. Lequel ne semble néanmoins pas s’impatienter du retour de ses exilés : «La Syrie est à présent plus homogène», avait lâché le président syrien en août 2017.

Dans les pays occidentaux, l’idée d’un retour est encore plus lointaine : 97% des réfugiés syriens en Europe, contre 9% au Liban, se considèrent «bien installés», malgré les différents problèmes auxquels ils sont confrontés, d’après l’ASDC. Ralph, 25 ans, a quitté Alep pour la France en 2012. Il assure qu’il ne retournera jamais en Syrie car, regrette-t-il, «plus rien ne sera comme avant».

(1) Le prénom a été modifié

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Léa Masseguin

Migrants à Saint Denis

Campement

Migrants à Saint-Denis : «Avec le bruit de l’autoroute, on n’arrive jamais à dormir»

Par Zidane Azzouzi

Plusieurs centaines d’hommes, principalement de jeunes Afghans, se sont installés près du Stade de France depuis l’évacuation d’un camp à Aubervilliers. Les associations s’inquiètent de leurs conditions de vie.

Ils sont entre 300 et 400 à avoir trouvé refuge sous le pont de l’autoroute A1 à Saint-Denis. Un nouveau campement de migrants s’est installé au début du mois près du Stade de France, au nord de Paris, quelques jours seulement après l’évacuation d’un camp près du canal Saint-Denis, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Selon les associations, un bon nombre d’entre eux y campaient auparavant et ont raté l’évacuation, le 29 juillet.

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C’est le cas d’Ahmed, Afghan de 29 ans : «Ce matin-là, je me rendais à l’assurance maladie pour faire une demande d’aide médicale. A mon retour, il n’y avait plus rien. Il restait seulement la police», explique le jeune homme, qui laissé sa femme et ses deux enfants en Afghanistan. Avec quatre amis, il s’est alors déplacé de quelques kilomètres pour installer sa tente près de cet accès à l’autoroute. En France depuis deux ans, Ahmed décrit sa situation actuelle comme «invivable» : «Ici c’est très sale et avec le bruit de l’autoroute, on n’arrive jamais à dormir.»

De petites tentes partagées par plusieurs personnes

Les associations présentes sur place s’inquiètent les conditions de vie précaires de ceux qui ont trouvé refuge à cet endroit. Il s’agit principalement d’hommes afghans entre 18 et 30 ans, selon Maël De Marcellus, coordinateur de l’antenne parisienne de l’association Utopia 56. «De jour en jour, le campement ne cesse de s’accroître et de nouveaux arrivants s’installent», explique-t-il. Les petites tentes de camping alignées occupent en effet de plus en plus d’espace. Souvent, elles sont partagées par plusieurs personnes. Utopia 56 se rend quotidiennement sur place pour aider les exilés dans leurs démarches de demandes d’asile. «On fait aussi de la distribution de produits d’hygiène et de vêtements», détaille Maël De Marcellus.

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Selon l’association Utopia 56, la police, omniprésente sur les lieux, aurait tenté à plusieurs reprises de disperser les exilés. Une vidéo diffusée le 16 août les montre recevoir des jets de gaz lacrymogènes. «C’est assez inacceptable, car ces réfugiés n’ont pas d’autre choix», dénonce Maël De Marcellus. Une stratégie de mise sous tension également pointée par France Terre d’asile :  «L’emploi de la police me parait inadapté, cela ne réglera rien», estime Pierre Henry, directeur général de l’association.

«On va mourir dans la rue»

Les associatifs mobilisés dénoncent le cycle ininterrompu des évacuations et réinstallations, qui se répètent sans que soit trouvé de solution pérenne : «Cette situation est aussi absurde qu’indigne», résume Pierre Henry. «Faire passer les gens par la rue, c’est l’apprentissage de la folie et de la violence, c’est insupportable», souligne-t-il.

«Il faut un vrai dispositif d’accueil», réclame Maël De Marcellus, d’Utopia 56, qui se dit «inquiet» pour ces réfugiés selon lui «en danger». Arian, également installé depuis quelques jours près de l’A1, souhaiterait, comme Ahmed, être relogé rapidement. «On veut tous un toit sous lequel dormir en sécurité», espère l’Afghan de 33 ans. «On est épuisés… Aidez-nous, on va mourir dans la rue», alerte-t-il.

Contactée par Libération, la ville de Saint-Denis se dit préoccupée par «les conditions de vie très dégradées et précaires» des migrants et «par la localisation très dangereuse de ce campement en bordure d’une bretelle d’autoroute». «Nous mettons en place avec les associations humanitaires des livraisons de packs d’eau et les acteurs de l’aide alimentaire d’urgence interviennent également», précise le service presse de la commune, qui souligne que la ville n’est pas propriétaire du terrain. La municipalité dit avoir alerté le préfet «sur la situation de l’ensemble des occupations illégales» sur son territoire et avoir demandé une «mise à l’abri» des exilés. Une réunion devrait avoir lieu prochainement avec les services de la préfecture.

Zidane Azzouzi

Donner un nom aux victimes de la Méditerranée

Hommes & migrations

Revue française de référence sur les dynamiques migratoires

Catherine Guilyardi, « Donner un nom aux victimes de la Méditerranée », Hommes & migrations

 

Livres

Donner un nom aux victimes de la Méditerranée

Deux livres et un documentaire proposent de revenir sur l’initiative lancée après le naufrage qui a causé la mort de près de 1 000 personnes, le 18 avril 2015, pour redonner une identité – et leur dignité – aux migrants qui traversent la Méditerranée et permettre à leur famille de faire leur deuil

« À 23 h 20, le capitaine donne l’ordre d’arrêter les moteurs et appelle l’ensemble de son équipage sur le pont pour procéder au sauvetage. C’est alors que le chalutier, désormais  à quelques centaines de mètres, vire soudain à bâbord et accélère, se dirigeant droit vers le King Jacob. Le choc est brutal. »

La journaliste Taina Tervonen raconte, dans son livre  Au  pays des disparus, comment, le 18 avril 2015, un petit  chalutier  bleu coule, emporté par  le  poids  de ses presque 1 000 passagers. 28 personnes survivront parmi celles embarquées  quelques jours plus tôt en sur une plage de Libye. Le capitaine et son second sont aujourd’hui en prison en Italie

La nouvelle du naufrage du Barcone crée un choc puissant  en Italie. Matteo Renzi, alors Premier ministre, décide de financer le renflouage du bateau et de permettre l’identification des morts grâce à une équipe qui travaille depuis plusieurs années sur la  reconnaissance des corps sans nom. L’Italie dispose d’un Commissaire extraordinaire pour les personnes disparues auprès du gouvernement (UCPS) et il y a la volonté d’une femme, placée au cœur des trois récits présentés ici, Cristina Cattaneo, anthropologue et médecin légiste.

« Le cimetière des désespérés »

Son rôle sera central dans cette entreprise d’identification autour du plus grand naufrage de migrants en Méditerranée, une mer qu’elle appelle « cimetière des désespérés ». Dans Naufragés sans visage (dont les bénéfices iront à son Laboratoire d’anthropologie et d’odontologie forensique, Labanof, de l’université de Milan), Cristina Cattaneo explique comment cette opération d’identification post mortem de près de 600 corps a été rendue possible après le renflouage du Barcone fin juin 2016.

Avec son laboratoire, elle a déjà travaillé sur l’identification des corps retrouvés après le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa en 2013. L’enjeu est important dans ce qu’elle nomme « le plus grand désastre de notre temps, une grande, une immense tragédie diluée dans le temps et l’espace » avec ces corps qui s’échouent presque chaque jour sur les plages de Sicile, de Lampedusa ou des autres îles de la Méditerranée. Le médecin légiste lutte contre l’administration qui n’impose à personne d’identifier un mort quand il n’est pas d’intérêt strictement judiciaire.

Qui ces corps de migrants intéressent-ils puisque personne ne semble les réclamer ?

L’ampleur de la catastrophe du Barcone en 2015 déchire « le ciel gris de la colère et de l’hostilité » contre les migrants, écrit Cattaneo, amenant « une lueur d’humanité (…) grâce à la volonté d’un pays qui, ironiquement était peut-être le dernier à pouvoir se permettre un tel geste, débordé qu’il était par l’accueil et la gestion déjà difficile de dizaines de milliers de migrants en vie ».

« Ce sont les objets personnels qui nous touchent » Le Barcone est donc renfloué par la marine italienne fin juin 2016, 1 an et 2 mois après son naufrage. Des corps sont récupérés autour de l’épave, puis le bateau ramené à la surface. Les premières images, émouvantes, du documentaire de Madeleine Leroyer et Cécile Debarge, #387 (numéro 387) montrent le bateau au fond de la Méditerranée avec des couronnes mortuaires posées sur le pont. Sur la base de Melilli, en Sicile, où est ramené le chalutier, l’équipe du Labanof, aidée par la police scientifique, les pompiers et des équipes tournantes de médecins légistes, autopsiera 528 corps pendant deux mois. Il faut faire « parler » les morts sans nom avant de les enterrer. Une course contre la montre dans des conditions difficiles. On devine l’odeur, l’horreur et l’émotion qui imprègnent tous ceux qui participent à l’opération qu’a pu filmer #387.

« Plus encore que les visages, ce sont les objets personnels qui nous touchent. (…) Peut-être parce qu’ils représentent les derniers gestes, les derniers choix. Ou alors égoïstement, parce que si les visages sont clairement ceux des “autres”, beaucoup de ces objets pourraient facilement être les nôtres », écrit Cristina Cattaneo.

Un sweat à capuche, un pantalon, une ceinture, des photos et surtout une lettre d’amour… C’est le peu qui reste du « numéro» 387, dont le corps a quasiment disparu, et dont la recherche d’identité sert de fil directeur au documentaire qui sera diffusé sur Arte début 2020. À la morgue de Milan, qui recueille précieusement ces objets, le numéro PM390047 portait sur lui un Nokia jaune citron, désormais brisé en trois morceaux, et le plastique qui le protégeait. Ce sont ces objets qui reviennent au fil de l’enquête de la journaliste Taina Tervonen dans Au pays des disparus.

Les lettres « PM », pour post mortem, sont attribuées lorsque le corps est retrouvé entier et peut être enterré. De nombreuses personnes sont enterrées sans autopsie, devenues un numéro sur une tombe. La chercheuse Georgia Mirto, dont le rôle est de consigner toutes les tombes sans nom  en Sicile, est un des personnages les plus  attachants de #387. « Honorer les morts, dit-elle, c’est servir les vivants, parce que notre civilisation, notre condition d’êtres civilisés, se mesure à la   façon dont nous traitons les morts. » La grand-mère de Georgia n’a jamais pu faire le deuil de son mari, enlevé par la mafia. Son corps n’a jamais été retrouvé et sa femme a toujours espéré son retour.

Retrouver les proches

Pour identifier un corps, il y a l’ADN prélevé, mais pas seulement. On étudie la forme des dents, des os, des empreintes digitales et du visage quand c’est possible. Cela permet de faire la concordance avec des photos ou des indications qui seraient données par la famille… si elle se manifeste.

Comment retrouver ceux qui pourront raconter l’histoire ante mortem, avant la mort, de ce corps

 

sans identité? C’est le deuxième défi de cette opération d’identification unique à ce jour.

Les reportages au long cours de Taina Tervonen, Madeleine Leroyer et Cécile Debarge nous emmènent de l’autre côté de la Méditerranée où la Croix Rouge internationale (CICR) prend le relais des médecins légistes italiens pour rencontrer ceux qui auraient signalé la disparition d’un proche. Ils sont rares, d’abord parce que, dans certains pays, le départ est interdit. En Érythrée, les proches risquent la prison s’ils se signalent. Au Mali et au Sénégal, d’où viendraient de nombreux passagers du Barcone, les familles ne savent pas toujours que leur fils, frère ou mari (ce sont en grande majorité des hommes jeunes qui partent) aurait embarqué de Libye ce jour-là. Parfois, le récit d’un survivant du naufrage a permis d’identifier un nom ou une provenance; rarement, le « coxeur» (qui est en contact avec les passeurs) a informé les familles   qui ont réussi à les joindre après le naufrage.

 

« La réalité est toujours plus complexe qu’on ne l’imagine »

Dans #387, comme dans les reportages de Taina Tervonen, nous allons à Kothiary, un village pauvre à l’est du Sénégal, d’où plusieurs hommes auraient embarqué à bord du Barcone. L’impossibilité de faire son deuil, en l’absence de corps ou de la confirmation du décès, est prégnante. Si le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) effectue des prélèvements d’ADN pour identifier les corps enregistrés par le Labanof, les familles ne comprennent pas à quoi cela va leur servir. Une fois de plus, on ne peut leur confirmer la mort de celui qu’ils espèrent encore voir revenir.

Au-delà du  défi  de  l’identification  de naufragés de la Méditerranée, l’initiative italienne aura  permis  plusieurs  enquêtes   journalistiques dans les pays  de  départ.  Soutenue  par  le  journal en ligne Les Jours, Taina Tervonen se rend au Niger, sur la route de la Libye, et au Sénégal. C’est un financement rare de la part d’un titre de presse :

« Le journalisme coûte du temps, rappelle l’auteur d’Au pays des disparus, parce que la réalité est toujours plus complexe qu’on ne l’imagine, parce qu’elle exige qu’on la regarde de près et qu’on l’écoute, sans se presser. » Le documentaire de Madeleine Leroyer, écrit avec Cécile Debarge installée en Sicile depuis six ans, retourne aussi d’où sont partis certains migrants morts dans le Barcone. Le film a bénéficié d’une coproduction internationale et a mis en place une campagne d’impact qui permettra la diffusion de #387 dans plusieurs pays africains.

L’enquête sur les vivants est aussi importante que celle sur les morts. Certains sont revenus chez eux. Dans le livre de Taina Tervonen, un jeune homme de retour de Libye, rencontré par la journaliste à Agadez au Niger, décide de ne pas tenter une nouvelle traversée. Elle le retrouve au Sénégal. Conscient des risques encourus, lourd de son échec à rejoindre l’Europe, meurtri par les morts et la violence qui ont jalonné sa route, il pense pourtant à repartir… Comme si la fermeture et le déplacement toujours plus au Sud des frontières de l’Europe, au lieu de décourager les départs, ne servaient qu’à rendre de plus en plus dangereuses les routes vers l’Occident et à provoquer la mort.

À ce jour, deux personnes ont été identifiées sur les 528 corps retrouvés sur le petit chalutier  bleu qui embarqua près de 1 000 personnes sur une plage de Libye en avril 2015. Selon United Against Racism, le nombre de morts « dues aux politiques restrictives de la forteresse Europe » était de 36570 personnes au 1er avril  2019,  dont  près  de 15 000 en tentant de traverser la Méditerranée. ¡ Catherine Guilyardi

 

 

Cristina Cattaneo, Naufragés sans visages, Paris, albin Michel, 2019, 224 pages, 19 .

Prix Galileo 2019.

#387, documentaire de Madeleine Leroyer, écrit avec Cécile Debarge (France, belgique, 2017).

Produit par Valérie Montmartin, Little Big Story. Co-production Arte, RTBF, Stenola productions, Shelter Production, Taxshelter.be, ING, Graffiti Doc.

2e  Prix du long-métrage documentaire au Global Migration Film Festival 2019.

taina tervonen, Au pays des disparus, Paris, Fayard, 2019, 256 pages, 19

Prix Louise Weiss du journalisme européen 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Poème d’Omar

*Farewell poem*

*BY 👋🏾👋🏾 BY*
~Friend of mine ~
*Stay well*
I became so far
*FROM you*
MY days have ended
*Remember me* The good time       together we spent
together *In jungle*
Yes, This is the *life*
some times is *sad* and some times is *happy*

See you next *time*
I have No luck to cross *U k*
But you, dont give up sucese that *line*
If you cross *england*!
Say Hello🤝🏾 to have *moon_street*
I would never ever reached
Becuase my soul became one of refugees *story*
THIS IS NEW *tragedy*
But you dont *worry*

*Just*
🧎🏿Pray for me 🧎🏿

MAY GOD REST
MY___ SOUL IN   *PEACE*

It would be enough for *me*

*BY👋🏾👋🏾👋🏾 BY*
MY dreams
should
not been *achieved*

🌨️But they have been lost in sea with water🌧️

BY👋🏾👋🏾👋🏾BY
Friend of mine

Dont give up try to copolite 👆that line✌🏻
Stay well *and* Take care of your self

Dont lose your way
have courage and be brave💪🏾

*BY👋🏾..👋🏾 BY*
Friend of mine

✍🏿Written by omer✍🏿

Migrants : ces Tunisiens et Algériens qui fuient leur pays

Migrants : ces Tunisiens et Algériens qui fuient leur pays

Reportage Tunisiens et Algériens constituent les deux premières nationalités de migrants qui arrivent par la Méditerranée en Europe. Près de dix ans après leur révolution, les Tunisiens ne croient plus à une embellie sociale dans leur pays. Et les Algériens déchantent, après les espérances du Hirak.

  • Amine Kadi (à Alger) et Rim Mathlouthi (à Tunis), le 20/08/2020 à 19:27 Modifié le 21/08/2020 à 09:15

Wassim ne supporte plus les ruelles étroites de son quartier dans la médina de Tunis. À 36 ans, il vit chez ses parents et cherche en vain des petits boulots. « Même si je travaille, ce que je gagne permet à peine de couvrir mes frais, mes cigarettes, je n’ai aucun projet ici. Mon ami en France a réussi là-bas, il a promis de m’aider dès mon arrivée. » Et il était très

 

Wassim avait gagné le nord du Maroc. « Le corona a contrarié tous mes projets », soupire-t-il, déterminé à reprendre, dès que possible, la route vers l’Union européenne (UE). Le nirvana auquel s’accrochent tant de Tunisiens et d’Algériens qui désespèrent, pour des raisons différentes, de leur pays. Au cours du seul mois de juillet, plus de 4 000 Tunisiens ont rejoint les côtes italiennes – c’est plus que les 3 900 arrivés l’année dernière. Ils sont devenus la première nationalité parmi les migrants qui arrivent dans le sud de l’UE, talonnés par les Algériens qui optent pour la route espagnole, via le Maroc (1).

L’Italie annonce le renvoi des Tunisiens à bord de vols hebdomadaires

Ainsi les passeurs ne transportent plus uniquement des jeunes chômeurs, mais aussi des familles, des adolescents, des personnes âgées et des malades qui ont perdu espoir dans la capacité de leurs dirigeants à éviter le risque d’effondrement économique de la Tunisie et à développer les régions déshéritées de l’intérieur, celles-là mêmes qui furent à l’origine de la révolution il y a près de dix ans.

 

Même s’il reste modeste, pour mettre le holà à ce regain de flux migratoire, une délégation s’est rendue à Tunis le 17 août : les ministres italiens des affaires étrangères et de l’intérieur, Luigi Di Maio et Luciana Lamorgese, ainsi que les commissaires européens à l’élargissement et aux affaires intérieures, Oliver Varhelyi et Ylia Johansson. L’Italie a annoncé le renvoi, par des vols hebdomadaires, des Tunisiens dans leur pays et l’Union européenne a débloqué une aide de plus de 8 millions d’euros pour la surveillance aux frontières. Mais rien qui puisse tarir l’irrépressible envie de départ dans les milieux défavorisés comme dans les plus aisés.

 

« Ici, même si je travaille, je n’arriverai jamais à avoir un crédit pour une voiture, je ne pourrai jamais gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins d’une famille et acheter une maison », peste Anis en remplissant des sacs de sable, sous un soleil de plomb, pour 15 € par jour, à quelque 30 kilomètres de Tunis. Le jeune ouvrier de 22 ans a longtemps travaillé à Zarzis, un des points de départ des embarcations depuis le Sud tunisien.

 

Il connaît toutes les étapes. Il a vu des familles payer 1 000 € par personne, plus de sept fois le salaire minimum, pour partir dans des conditions qu’il estime « correctes avec la garantie d’arriver vivant ». Mais il sait aussi que ceux qui arrivent là-bas peuvent se retrouver « pendant des années sans papiers, sans logement et sans travail ». « Moi je ne partirai pas clandestinement », affirme-t-il, en annonçant planifier un mariage « pour avoir un toit et une vie décente ».

L’appel d’air des « visa start-up » portugais

Même si sa situation peut paraître enviable, Aly, patron d’une start-up de 40 salariés, réclame, lui aussi, une vie meilleure. « Nous ne pouvons pas grandir alors que nous avons les compétences et les clients potentiels pour le faire. Nous sommes chaque jour confrontés à un système qui fait tout pour que nous restions en bas ; on avance péniblement, les épaules lestées de sacs de ciment », maugrée-t-il.

 

Et la Tunisie ne peut pas offrir « un système de santé et une éducation corrects, justifie-t-il, même en payant deux fois le salaire minimum pour l’école de mon fils de 5 ans ». Alors Aly baisse les bras et prévoit de gonfler, grâce aux facilités de « visa start-up » du Portugal, la longue cohorte maghrébine des cadres, informaticiens, médecins, etc. plus favorablement accueillis en Europe.

Le besoin impérieux d’une autre vie a violemment rejailli en Algérie

Ce besoin impérieux d’une autre vie a également violemment rejailli dans l’Algérie voisine à mesure que l’armée et le président Abdelmadjid Tebboune resserrent l’étau sécuritaire et que les horizons économiques se noircissent.

Le Hirak, le mouvement populaire du 22 février 2019 qui avait eu raison du président Bouteflika, avait, par l’immense espoir soulevé, stoppé pendant plusieurs mois les départs des harragas, ces « brûleurs de frontière » qui prennent la mer, avant de s’enliser sous les vagues de répression dès l’été 2019.

 

L’impasse politique prolongée, avant même l’aggravation de la crise sociale en 2020, a relancé les projets de départ dans tous les milieux sociaux. Le soupçon existe d’ailleurs que la répression de la migration ne peut pas être une priorité sécuritaire du gouvernement tant celui-ci n’a rien à offrir aux candidats au départ.

Yassine, activiste du Hirak de 35 ans, reconnaît que, parmi son groupe d’amis algérois, l’idée de tenter la traversée revient très fort depuis la fin du confinement en Europe. « C’est la crise en Algérie, bientôt on ne pourra même pas gratter assez d’argent pour se payer une traversée. C’est maintenant qu’il faut se sauver ! », clame-t-il.

« Tebboune, on te laisse ton Algérie, mange-la avec ton fils ! »

Des vidéos sur Facebook montrant des harragas à leur arrivée « triomphale » sur les côtes espagnoles, ont « lancé » la saison en Algérie en mai dernier. « Tebboune, on te laisse ton Algérie, mange-la avec ton fils ! », criait avec amertume, l’un des jeunes sur la barque, en faisant allusion aux affaires de corruption qui entachent la famille du nouveau président.

 

« Cela fait cinq ans que je bricole », fulmine Sid Ahmed qui aide son oncle dans une quincaillerie du Figuier, une ville balnéaire enchâssée entre Alger et la Kabylie. À 29 ans, il se voyait faire autre chose avec sa licence en droit. « Je ne pense plus rester dans ce pays. Ça se dégrade de jour en jour. »

Son cousin Ali est connu pour être redescendu à la dernière minute d’une barque de 15 harragas, au départ de la plage voisine de Sghirat, à la fin de l’été 2019. « Ali regrette de ne pas être parti, l’année qu’il a passée ici est pire que celle qu’il aurait pu passer là-bas, malgré le coronavirus », pointe Sid Ahmed qui envisage, avec son cousin, de rejoindre le flot des départs.

 

Comme Farida, qui codirige à 32 ans une petite agence d’évènementiel à Alger. Elle avait décidé, avec son mari, de migrer au Canada en 2017, avant de suspendre le projet au printemps 2019. « Nous avons vraiment pensé que l’Algérie allait changer, en voyant cette magnifique énergie des gens dans les rues partout dans le pays », se rappelle-t-elle, avant de déchanter et de réactiver sa procédure auprès des services canadiens de l’immigration. Au sein du gouvernement d’Abdelaziz Djerad, une source dit s’inquiéter de « cette vague qui se prépare de départs des ressources humaines qualifiées, préoccupante pour l’avenir ». Sans que cela n’infléchisse la ligne dure des autorités.

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Les arrivées par la Méditerranée en 2020

Jusqu’au 19 août : 43 500 arrivées, dont 17 000 en Italie, 12 000 en Espagne, 11 500 en Grèce, 2 000 à Malte et 726 à Chypre.

Les Tunisiens représentent 15 % des arrivées, les Algériens 8,5 %. Pour l’Italie, plus de 40 % des départs se font depuis les côtes tunisiennes.

Les départs depuis la Libye sont largement interceptés par les gardes-côtes libyens. 7 100 migrants et réfugiés ont été ramenés en Libye depuis le début de l’année. D’où la baisse des arrivées de Subsahariens et Moyen-orientaux.

Les arrivées les années précédentes

En 2019 : 124 000.

En 2018 : 141 000.

En 2017 : 185 000.

En 2016 : 374 000.

En 2015 : 1 million.

Les morts et disparus

Environ 450 morts depuis le début de l’année, 20 000 depuis 2015.

La situation en Libye

426 000 personnes déplacées en raison de la guerre. 47 000 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés par le HCR, 66 % sont Syriens et Soudanais.

(données HCR)

 

(1) Les départs de Subsahariens depuis la Libye sont en grande partie interceptés par les gardes-côtes libyens.