Une journée à Calais – une bénévole de Salam raconte…

6H45, départ pour Calais. La radio annonce des bouchons dans cette direction et je serai en retard pour la préparation du petit déj, je me dis en soupirant que la journée commence mal…

Arrivés rue des Verrotières, une longue file nous attendait, les gars étaient transis de froid, nous commençons notre distribution, aujourd’hui pour moi : poste « Marmelade » avec Maxime.

Peu après notre installation et en plein travail, Maxime me fait remarquer qu’il y a de grands hommes en blanc qui circulent dans le bois. « Annick, va tout de suite prévenir Yolaine », s’exclame-t-il, mais quelques-uns parmi les migrants sont déjà en train de courir. Yolaine et moi-même, abandonnons nos postes et partons au secours des affaires personelles de nos amis. Yolaine hurlant « Allez allez, les petits gars, police police, take the blanckets and sleeping bags », certains déménagent déjà et se sauvent affolés avec la couverture sur le dos, l’un d’entre eux nous emmène de l’autre côté du bois sur la route, où surprise, cinq camions de CRS, un de la PAF et le camion benne étaient garés. Devant chaque camion, un CRS posté… alors impossible de prendre en photo les numéros d’immatriculation.

Sur le chemin, deux Afghans nous signalent qu’ils ont déjà embarqué six personnes en nous montrant leurs deux mains croisées pour s’exprimer et ils nous conduisent exactement où se trouve l’équipe en bleu cette fois. Ils étaient environ  une vingtaine encerclant une rangée de migrants assis au sol, il ne manquait plus que les mains sur la tête pour qu’ils n’oublient pas le pays en guerre qu’ils avaient quitté, pour certains, pour arriver chez nous afin de sauver leur peau. Un des policiers s’approche et nous somme de quitter le bois « Mesdames, vous savez que c’est une propriété privée », notre battante Yolaine impuissante mais toujours dans un calme olympien ne désarme pas et demande qu’ils aient au moins la gentillesse de leur laisser prendre les affaires personnelles, comme il était prévu au cours d’une réunion avec Monsieur le Préfet. Le policier répond « Ceux qui acceptent d’être contrôlés pourront les récupérer  et ceux qui refusent le contrôle seront emmenés en Centre de Rétention», Yolaine désemparée : « Mais alors Monsieur, il y a apparemment deux sons de cloche à en croire vos paroles ». Le CRS nous explique que ce n’est qu’un contrôle de papiers… en bref pour nous : un triage, d’un côté ceux en règle, de l’autre les illégaux qui ne se soumettent pas à ce contrôle… De qui se moque-t-on ?

Un peu plus loin, de l’autre côté du bois, un groupe d’Afghans déjà triés, mais les mains presque vides, simplement un sac de couchage au bras, attendait hors du bois, ils étaient très en colère et surtout très énervés. Certains d’entre eux hurlaient en voyant la destruction de leur cabane de fortune. La police demande à Yolaine de les calmer… Tout en s’approchant d’eux, « BOSS MAMIE» comme ils disent si bien, finit par apaiser le groupe, de par son regard rempli d’affection, ses accolades et ses mots rassurants.

Durant tout ce temps, les hommes en blanc étaient en pleine mission de découpage et débarrassaient les affaires laissées sur place. C’est passionnant comme métier « DETRUIRE ».

Une policière nous amène un très jeune garçon accompagné de son soi-disant frère, mais dans l’échange des regards nous avons tout de suite compris : le grand avait des papiers mais pas le « tcho » de 9 ou 10 ans au plus, il s’accrochait et ne voulait pas quitter son garde du corps, cet enfant avait des yeux de supplication, c’est un petit bout de gamin pour qui la vie devrait être remplie de joies. A ce moment-là, je n’ai pu retenir mes larmes, je pensais à mon Léo du même âge avec en plus un brin de ressemblance, je me suis dit à moi-même : « Mais si cela devait arriver à nos petits enfants ? »… Un moment de grande émotion. Pour moi, c’est insupportable, c’est l’âge ou l’on découvre le monde qui nous entoure, l’âge ou l’on ne pense qu’à jouer et lui !!!!!! que vit-il ? J’avais le cœur brisé. Mamie Yolaine « URGENCE » prend son téléphone et appelle, appelle, laisse des messages pour trouver une protection, certains sont sur répondeur, d’autres ne répondent pas, désarmée, elle ne savait plus comment faire… Et subitement une réponse positive de France Terre d’Asile mais malheureusement, le temps de deux coups de fil, le gamin a réussi à s’enfuir, je mets au défi celui qui court aussi vite que lui…

Arrivées en dehors du bois, le policier nous somme à nouveau de quitter le lieu. « Encore un terrain privé », nous dit-il, il y avait une barrière de trois mètres de haut, Yolaine toujours très courtoise : « Mais monsieur, je ne peux pas escalader une barrière si haute, je n’en ai plus l’âge ». Il appelle le commissaire qui nous montre l’endroit où l’on peut sortir et nous dit avec ironie : « Vous voyez, je ne suis pas méchant ».

Quelques instants plus tard un salarié du Secours Catholique vient nous rejoindre et s’explique avec les CRS mais cela ne change rien dans leur attitude.

Aujourd’hui où est cet enfant ? Par quelles mains sera-t-il pris en charge et comme on le sait bien ce n’est pas toujours protecteur… Dans quelles conditions va-t-il vivre ? Qui va le prendre sous son aile protectrice ? Bien des questions restent sans réponse et pendant ce temps-là, un enfant est dans la nature.

La journée s’est mal terminée c’était sans doute prévu au départ, je savais que quelque chose allait se passer, j’en avais le pressentiment …

Annick Coubel (bénévole Salam).

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