Témoignage // Quelle mise à l’abri des mineur.e.s isolé.e.s à Dieppe

Ci-dessous, le témoignage de Edwige, membre de l’association Itinérance Dieppe, sur les conditions de mise à l’abri d’un mineur non-accompagné à Dieppe :

COLÈRE ET INTERROGATIONS…

Il est tard, coup de fil… De jeunes mineurs isolés, hébergés en hôtels à Dieppe, ont rencontré un jeune sur un banc en ville.
Ils ont décidé de remonter lui chercher quelque chose à manger, et redescendent avec ce qu’ils ont pu lui trouver car il est affamé.

Compte-tenu de l’heure tardive (et, au passage, admiratifs de leur esprit de solidarité), nous accompagnons le jeune au commissariat.
Il a 16 ans 1/2, vient de Côte d’Ivoire.

Après un temps d’attente, exténué, il doit répondre à de nombreuses questions, fait état de sa douloureuse histoire.

On nous dit qu’on ne peut pas faire grand-chose car il n’a aucun papier.
Nous demandons que la procédure soit appliquée, à savoir : appel au procureur pour signalement de mineur en danger et mise à l’abri.
Ce qui est fait.
Celui-ci ordonne sa mise à l’abri mais…
pas de place ni en foyer, ni en hôtel.
Le jeune passera la nuit au commissariat sur un petit matelas à même le sol et une couverture. Pas possible pour nous de l’emmener car nous n’obtenons pas l’autorisation de la police.
Au moins, il est à l’abri.
Nous ressortons du commissariat à minuit 45.

A 7h, le lendemain matin, la police demande au jeune de partir et le voilà de nouveau à la rue.

Nous appelons le secrétariat du procureur qui est en vacances mais, après discussion, une magistrate demande que le jeune retourne au commissariat en précisant que c’est sur instructions du parquet.
Il se fait éconduire et on l’envoie à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). On lui dit alors qu’il n’y a pas de place et qu’il faut qu’il revienne au rendez-vous qu’on lui a donné pour le lendemain matin.
Le jeune, complètement perdu, doit être accompagné pour retourner au commissariat.
Entre temps, la magistrate a donné l’ordre à la police de prendre le jeune en charge et nous sommes, cette fois, très bien reçus.
Audition, ordonnance de placement provisoire prononcée mais, comme la veille, pas de place.
Une 2ème nuit au commissariat est proposée mais cette fois, pas de matelas… une chaise et une couverture.
Le jeune est épuisé ; il a froid.
Les nuits dehors, les trombes d’eau, l’humidité…
Bref, en désespoir de cause, je demande l’autorisation de l’héberger pour la nuit.
Il est 22h30.Le procureur donne son autorisation et nous repartons.
Après une douche et une bonne nuit, un petit déjeuner copieux, le jeune, un peu réconforté, se rend à son rendez-vous à l’ASE.
On lui confirme qu’il est bien pris en charge mais qu’il devra attendre qu’une place se libère et on lui donne un autre rendez-vous pour dans une semaine.

D’ici-là, toujours à la rue…

Ré-appel du parquet qui saisit immédiatement le juge des enfants. La magistrate confirme que l’ASE ne remplit pas ses obligations et doit trouver une solution en attendant l’intervention du juge.

Envoi d’un mail à l’ASE… pas de réponse.
2 appels… pas de réponse.

On est vendredi soir.
A la recherche d’une solution et, en accord avec les jeunes, je monte à l’hôtel pour demander exceptionnellement l’autorisation que notre jeune ami puisse partager la chambre d’un autre jeune, puisque chaque chambre est équipée d’un lit mezzanine.
La personne de l’accueil m’explique qu’elle n’a pas le droit. Je lui demande alors le numéro d’astreinte de l’ASE.
En ligne avec une inspectrice de l’ASE du département, j’explique la situation.
Elle me confirme qu’il n’y a aucune place libre.

Je lui précise que je suis au courant du manque de places, que je comprends que la situation est difficile et lui fait part de cette solution que nous avons envisagée.

Je m’entends répondre que ce n’est pas possible et que le jeune doit attendre son rendez-vous de vendredi prochain.

Je rappelle que les mineurs doivent être mis à l’abri et sont protégés par des textes de loi, que je ne peux remettre le jeune à la rue.

Rien n’y fait, et toujours cette phrase qui revient en boucle : pas de solution, pas de solution…
je rappelle que je suis en train d’en proposer, une solution.

« Mais, Madame, vous êtes inspectrice de l’ASE, il me semble que vous êtes habilitée à prendre ce genre de décision ?… »  Réponse : une personne seule ne peut prendre une décision et 2 personnes dans une même chambre, ce n’est pas le même coût, sans compter les repas…
Ah, si ce n’est que ça… je propose alors que notre association puisse prendre en charge éventuellement, à titre tout à fait exceptionnel, la différence.
Pas possible non plus… Aucune décision seule, ni pendant l’astreinte.
Instructions du département… cadre juridique, etc., etc…
Il faudrait attendre mercredi, compte-tenu du pont du 15 août, pour soumettre la proposition au Conseil départemental.

« Mais à quoi sert ce numéro d’astreinte s’il ne répond pas aux situations d’urgence ? »

Comprenant que je n’obtiendrai rien pour venir en aide à notre jeune ami, je ne peux m’empêcher de dire à mon interlocutrice que, naïvement peut-être, je pensais que Aide Sociale à l’Enfance signifiait que l’on apporte une aide aux enfants, pas qu’on les laisse dormir dans la rue, en proie à tous les dangers…

Pas de solution, pas de solution….

« Mais enfin, Madame, vous rendez-vous compte que vous êtes en train de me dire que ce jeune doit retourner dormir dans la rue ?… Vous-même, comment pouvez-vous dormir après ça ? »…
A ce moment précis, je sens que le ton de ma voix change… Oui, je suis en colère, vraiment en colère…

La conversation se termine sans qu’on me propose la moindre solution pour mettre le mineur hors de danger.

Comment, sous prétexte de répondre aux ordres, en arrive-t-on sciemment à mettre en danger la vie d’autrui, a fortiori un mineur ?

Mais quelle est donc cette institution qui nous dit : « vous savez, ces jeunes sont sous notre responsabilité. C’est comme si nous étions leurs parents »… et qui, par ses décisions, ou ses non-décisions, les rend victimes de maltraitance… car c’est bien de cela dont il s’agit.

Est-ce que nous, en tant que parents, laissons nos enfants dormir à la rue ?

Il ne s’agit pas de mettre en cause les éducateurs ou professionnels.
Certains font plus que leur travail et j’ai vraiment une grande admiration pour certains, mais quels sont ces ordres du Département, ou de l’État lui-même qui ne respecte pas ses propres lois ?

Et enfin, comment peut-on accepter et obéir aux ordres avec un tel déni de bons sens et d’humanité ?

L’histoire nous a montré où de tels comportements pouvaient mener…

 

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