Streetpress // Le CRA du Mesnil Amelot

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Officiellement ce n’est pas une prison, mais un centre de rétention
administrative. Pourtant, enfermés entre 4 murs au Mesnil-Amelot, 163
sans-papiers attendent une expulsion probable. StreetPress a pu s’y
rendre et recueillir leurs colères.

Mesnil-Amelot (78) – « Il ne faut pas suivre la police pour faire la
visite », alerte Atef, un jeune retenu, enfermé depuis 45 jours au
Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot :

    « La directrice, elle ne va pas tout vous montrer. »

A l’entrée de la « zone de vie » du CRA, ils sont une dizaine de
sans-papiers à faire le pied de grue autour du distributeur de boissons.
Aujourd’hui, le bâtiment bout d’une activité inhabituelle. Deux
sénateurs communistes, Eliane Assassi et Fabien Gay, arpentent les
couloirs exigus du plus grand centre de rétention de France. «
Je voulais exercer mon droit de visite », explique le second,
nouvellement élu en Seine-Saint-Denis :

    « Tous les parlementaires devraient venir. Et voir comment on
accueille les étrangers chez nous. »

La présence de journalistes de StreetPress et de l’Humanité ne passe pas
inaperçue. Jusqu’en mars 2016, impossible en effet pour un plumitif de
franchir les grilles du Mesnil-Amelot sans obtenir une autorisation
exceptionnelle, délivrée au compte-gouttes par la préfecture. Depuis la
réforme du 7 mars 2016, les visites de journalistes sont censées être
autorisées, sur simple demande. On s’en était tout de même vu refuser
l’accès en novembre de la même année.


Thérapie collective

Ce jour-là, les retenus sont bien décidés à perturber le programme prévu
par les autorités pour ses visiteurs du jour. Au passage de deux
directeurs du CRA et de la directrice adjointe de la police aux
frontières dans le département, ils tentent de se faire entendre. «
Pourquoi on ne peut pas retirer nos sous ? Pourquoi on n’a pas le droit
de ramener de la nourriture ? Et pourquoi on n’a pas d’eau chaude ? »,
interpelle Ismaël. Silence gêné des policiers qui les escortent. Il faut
dire que le tableau dressé par les autorités est toute autre.
Installation dernier cri, suivi par un médecin et accès aux droits… « On
a tout ce qu’il faut pour le repas des bébés », vante même l’un des
directeurs du CRA . Adossé à l’une des grilles de la promenade, Toufik,
enfermé au Mesnil-Amelot depuis mi-octobre, livre un autre son de cloche
:

    « Ici, ils nous traitent comme des chiens. » 

Dans les couloirs du CRA, les gens vont et viennent. Les policiers ne
savent plus où donner de la tête. La visite prend des allures de
thérapie collective. Ismaël interpelle les autres retenus. Il les incite
à témoigner. Mais gare aux représailles, prévient-il :

    « Quand on parle avec vous, ils nous regardent. Ils vont essayer de
nous mettre dans des vols. Ici, ils sont pires que la Gestapo. » 


Destination finale

Posé entre une caserne de CRS, des champs et les pistes du plus grand
aéroport de France, le Centre de Rétention Administrative du
Mesnil-Amelot est un cul-de-sac. On y rentre pour être expulsé. On en
ressort, parfois, amoché par les conditions de détention et le ronron
constant des avions qui prennent leur envol. « C’est de la torture
morale. Tous les jours, tu vois les avions, tu te demandes si cela va
être le tien », explique Youcef. Le jeune algérien, emmitouflé dans une
épaisse doudoune, est arrivé au CRA il y a 38 jours. Tout en grignotant
une gaufrette, il finit par lâcher :

    « Ici, c’est pire que la prison. » 

Atef arbore casquette orange, sweat rayé et combo
claquettes-chaussettes. Teint blafard, yeux cernés… cela fait près de
deux mois que le jeune homme est enfermé. Il dénonce la déshumanisation
des retenus dans le Centre de rétention :

    « Ici on est pas des hommes. On est des numéros. 101H, c’est mon
matelas. 1462, c’est mon numéro de PV. Les gardiens m’appellent comme
ça. » 

Des grilles aux spots, de la lumière chirurgicale aux boxs uniformes :
tout évoque la pénitentiaire. Youcef n’en veut pourtant pas aux
policiers. « Ils font leur travail et il n’y a pas à dire ils sont
plutôt gentils », explique le jeune homme :

    « C’est eux qui séparent les gens quand ils se battent. Ici,
certains n’ont pas toute leur tête. » 


« J’ai vu aussi beaucoup de détresse chez les fonctionnaires », affirme
Fabien Gay :

    « Je n’oppose pas les uns aux autres. »

C’est après les conditions même de la rétention que la plupart des
enfermés en ont. Celles-là même qui détruisent les corps et font vriller
les esprits.
Hôtel quatre étoiles

La liste des doléances est longue pour les 163 habitants du Mesnil. « Il
faut que vous alliez voir les chambres et les toilettes », conseille
Atef dans la cour principale du CRA, un pré carré mi bitume, mi herbe,
cerné de grilles vertes et parsemé de caméras de surveillance. Les
conditions de vie sont spartiates. L’ameublement sommaire. « Le soir, tu
ne peux même pas boire. La fontaine qu’ils ont installée, elle ne marche
plus », rebondit Ismaël. Les retenus doivent alors se contenter de l’eau
chaude de leurs salles de bain qu’ils font refroidir dans des bouteilles
en plastique.

Devant le quartier des femmes et des enfants, l’homme rit jaune à la vue
d’une femme de ménage qui frotte consciencieusement le sol des petites
cellules :

    « D’habitude, elles ne restent pas si longtemps. C’est quelques
minutes au plus. »

Au coin du bloc 12, on croise Fabrice. Le trentenaire, en provenance de
République Démocratique du Congo, est enfermé depuis le 30 octobre. Il
boite bas. Son gros orteil est ensanglanté. « Je me suis coincé le doigt
de pied dans la porte », annonce t-il, piteux :

    « L’infirmerie n’a pas voulu de moi. » 

Pour cautériser la plaie, Fabrice a mis du sel sur sa chair à vif. « Je
suis africain, c’est comme ça qu’on fait chez moi », rigole t-il.


Les méandres de l’asile

Dans le couloirs du CRA du Mesnil-Amelot, on croise aussi des paumés de
l’asile, ceux qui ne comprennent plus rien à ce dédale de procédures et
d’interlocuteurs. « Le centre de rétention, ce n’est pas pour les gens
qui ont une procédure en cours, non ? », interroge Fabrice. Il ne
comprend pas vraiment pourquoi il est enfermé :

    « Moi j’ai une procédure Dublin mais je veux déposer l’asile en
France. Je suis ici parce que j’ai refusé d’aller en Italie. » 

Jugé illégal par un arrêt de la Cour de Cassation du 28 septembre 2017,
le placement en rétention des dublinés est pourtant inscrit dans le
projet de loi sur l’immigration, présenté par le gouvernement fin
septembre. Celui-là même qui prévoit d’étendre la rétention à 90 jours
au lieu de 45. En attendant le vote de la loi, Fabrice ne devrait pas
être là mais les juges tardent à le libérer.

« Lui, il est mineur », annonce finalement Ismaël en montrant un jeune
garçon timide qui se tient au milieu d’un groupe de retenu. Il s’appelle
Nabil. Ismaël nous tend un extrait d’acte de naissance. D’après ce
document, dont StreetPress n’a pu déterminer l’authenticité, l’homme
serait né le 21 septembre 2000. Il aurait 17 ans alors que le placement
en rétention est réservé aux majeurs. Ces journées, Nabil les passe avec
les hommes. La nuit, il dort dans le quartier des femmes et des enfants,
à l’abri. Il a fait sa vie en France mais risque d’être renvoyé à tout
moment. « On ne peut pas arracher la vie de milliers de personne comme
cela », tonne Fabien Gay :

    « C’est le système qu’il faut changer. »