Journal des jungles n°7

En mai 2016, un résidence de rédaction du Journal des Jungles s’est tenue au sein de la Maison du Jeune Réfugié de Saint Omer, une dispositif d’accueil pour mineurs isolés géré par l’association France terre d’asile.

Voici le résultat!

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Après la publication du journal, nous sommes allés à la rencontre de certains des jeunes ayant participé à la résidence, sur cette page, ils nous racontent ce qu’ils sont devenus.

Certains textes ont été coupés dans la version papier.

Voici les textes complets.

Mahamoud, 17 ans, de Conakry, la capitale de la Guinée.

J’avais 16 ans quand j’ai quitté la Guinée.  La décision de quitter mon pays c’est suite au retard de la rentrée scolaire. D’habitude l’école ouvre en octobre, mais pas cette fois à cause de la maladie Ebola, alors j’ai avancé vers le Mali. Je suis monté tout seul dans une remorque à Conakry pour rejoindre Bamako. J’avais peur. J’y ai passé deux nuits, à la gare, où je ne connaissais personne, et je ne savais pas où aller. Je n’avais pas d’argent et pas de quoi acheter à manger. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous. J’ai eu l’occasion de prendre le bus pour Gao.

Là-bas, je suis resté dans un foyer pendant une semaine. Le responsable du foyer nous a mis dans un pick-up à destination de l’Algérie. Nous avons fait plusieurs jours de voyage dans le désert. On est arrivé à Kidal où on a été arrêté par des Touaregs qui contrôlaient la route. Ils nous ont fait descendre et ils nous ont dépouillés de tous nos biens, avant de nous renvoyer à Gao. Les responsables du foyer se sont organisés pour préparer un deuxième convoi, avec un conducteur touareg. On était 16 dans son pick-up, assis comme des sardines, que des garçons, pas de filles. On ne se comprenait pas, car on ne parle pas la même langue, ni les mêmes dialectes. Moi, je parle français, poular et un peu soussou. Notre chauffeur a négocié avec les Touaregs et il nous a fait passer en Algérie. On a rejoint Tamanrasset, puis la frontière  du Maroc. Je suis arrivé à Oujda, puis Rabah, puis Tanger, où je suis resté un mois dans la forêt. Quand j’ai vu les conditions de vie au Maroc, j’ai voulu venir en Europe. On a organisé un convoi en zodiac avec 32 personnes à bord et on a pris la mer pour l’Espagne, malgré la peur. Quand il y a de fortes vagues, le zodiac balance et on risque tout ! Mais on a réussi, on a été sauvé par la guardia civil espagnole. On nous a envoyés dans un camp de réfugiés. Après trois mois dans ce camp, on a été transféré à Madrid. Nous étions un groupe de 60. Nous nous sommes dispersés. Comme je ne comprends pas l’espagnol, j’avais du mal à communiquer. Mais j’étais en contact avec un Français. Il m’a proposé de venir en France. Je me suis dit, comme je me débrouille en français, pourquoi pas ?

Il m’a pris dans son minibus et m’a emmené jusqu’à la gare du Nord à Paris. Là, on m’a conseillé d’aller à Dunkerque, au centre social, j’ai dit OK. Mais de là-bas, on m’a envoyé à Lille, avec un plan pour aller à la maison d’évaluation de mise à l’abri EMA pour les mineurs. On m’attendait, je me suis présenté et on m’a donné une date pour l’évaluation et un plan pour aller au parc des Olieux, quartier Moulin, arrêt métro Porte d’Arras, pour y passer la nuit, pour me mettre à l’abri. La mise à l’abri, c’est des tentes dans un parc ! Quand j’ai vu ça, j’avais les larmes aux yeux. Je me suis demandé si ce n’était pas une malédiction !

On te donne un plan, une adresse, on te dit va là, que tu saches lire ou pas. On arrive, on ne connaît pas la ville, on est mineur, ils devraient nous accompagner ! Quand j’ai présenté mes documents à EMA, mes papiers, mon attestation du bac au pays, mon certificat de scolarité, j’étais sûr que j’allais être inscrit dans une école, mais ça n’a rien donné. On m’a « invité » à la PAF ! Ils ont pris tous mes documents, je n’ai plus aucune pièce qui justifie mon identité ni de quel pays je viens. La PAF m’a promis de me les rendre après vérification, m’a demandé de revenir les chercher, car c’était de bons papiers. Malheureusement, ils ne m’ont rien rendu. Et je suis toujours dans le parc. On est entre 150 et 200. Certains dorment à l’église. Le Département dit qu’ils aident les mineurs isolés, qu’il nous prend en charge, alors qu’on dort sous des tentes dans un parc ! Sans douche, sans toilette ! Ce sont des conditions inhumaines et déshumanisantes.  Il y a des bonnes volontés qui viennent à notre secours, mais ce n’est pas une vie.

Je suis allé au Département, qui loge les mineurs, pour apprendre son refus. Ils m’ont dit : « j’ai une mauvaise nouvelle pour toi. Le Département ne te prendra pas en charge car tu as reçu un refus d’EMA.  Tu as été évalué majeur par la PAF suite au test osseux. Et dans vos allégations, on ne vous trouve pas mineur. »  Je suis trop mature. Mais dans leur refus, ils ne disent pas que mes papiers ne sont pas bons ! Je viens avec des papiers authentifiés par la Guinée. On me les prend et maintenant que je ne les ai plus, je ne peux aller nulle part. J’ai le sentiment d’être piégé. Je trouve ça triste. J’ai cru qu’en venant en France, avec mes papiers, j’aurais le soutien de l’autorité française.

La dame du Département  m’a dit : « Bon courage ! » Mais du courage, j’en ai pour venir jusque-là, je n’ai pas besoin qu’on me souhaite bon courage.

Je reste optimiste. Un jour ça va aller. Mon objectif c’est de faire des études de droit. Pourquoi le droit ? Je me suis dit : pourquoi nous quittons notre pays ? Parce qu’il n’y a pas un Etat de droit chez nous, ni de  justice. Alors je veux avoir une bonne formation pour aider mon pays et la future génération, qu’elle ne soit pas victime comme moi. C’est mon ambition et je vais me battre pour cela.

Vive la justice, vive la liberté et à bas les opportunistes !

 

Mohammed, 16 ans, de Conakry (Guinée)

Je m’appelle Mohammed, j’ai 16 ans, je viens de La Guinée Conakry. Je suis parti de chez moi depuis novembre 2015, j’ai voyagé 3 mois et je suis à Lille depuis 5 mois. J’ai besoin de raconter  ce que j’ai vécu  de l’Afrique jusqu’à la France.

Beaucoup d’entre nous ont  une vie insupportable en Afrique et  veulent aller à l’école pour étudier.

Mais ils ne peuvent pas par manque de moyens de financiers pour payer  une scolarité mais aussi pour subvenir aux besoins primaires. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous ont quitté l’Afrique pour l’Europe. Pour pouvoir étudier, travailler et trouver une meilleure vie. Ce que je veux c’est avoir le droit d’étudier.

Il y a aussi d’autres jeunes  dont les parents sont très méchants avec eux. Les parents les obligent à faire des travaux durs physiquement et les frappent s’ils ne le font pas. Il n’y a pas de machines pour travailler dans les champs. Donc  les jeunes  travaillent à la main pour récolter le riz, les oignons … Si on travaille  dans les champs on ne peut pas aller à l’école. L’avenir est alors tout tracé. C’est pourquoi  on décide de venir en Europe, pour trouver une vie meilleure.

Pour partir il faut traverser les déserts, le Niger, l’Algérie… Des jours sans manger, sans boire d’eau jusqu’au Maroc pour rejoindre l’Espagne ou l’Italie. La traversée se fait avec un passeur et d’autres  gens qui viennent de partout en Afrique. Et pour y arriver il faut traverser la mer ou franchir des grillages ? ce qui coute la vie à beaucoup de monde.

Par exemple, moi qui vous parle, j’ai vu plus de 50 personnes  perdre leur vie sous mes yeux.

Une fois arrivé en Europe on ne trouve pas ce que l’on imaginait. Lorsqu’en Afrique on te dit qu’il y a des gens en Europe qui dorment dehors,  tu ne peux pas les croire. Et surtout lorsqu’ils te disent  que ce sont des mineurs, des mineurs qui ont risqué leur vie pour l’Europe. Tu peux même penser que cette personne est folle car la France est une puissance économique, d’une grande richesse culturelle et c’est un état de droit.

Moi même, une fois arrive ici, j’ai vu que des gens dorment  réellement dehors en Europe. Moi je suis en France à Lille, quartier Moulin, arrêt de métro porte d’Arras. J’ai 16 ans, je dors sous  une tente, dans un square,  avec 150 autres mineurs.

La maire de Lille  et le département du Nord disent dans les médias qu’ils s’occupent des mineurs isolés étrangers. Et pourtant il y en  a qui dorment dehors, dans le  centre ville. Cela fait longtemps qu’ils sont dehors, qu’ils n’ont pas les moyens de trouver à manger, qu’ils n’ont pas passé  une bonne nuit depuis le jour où ils sont arrivés  à Lille.

J’écris ce texte  pour dire où nous sommes et demander de l’aide.

Nous sommes là-bas car nous faisons nos démarches dans la ville et  nous sommes obligés de rester sur les lieux avant d’obtenir la confirmation de la juge des mineurs pour être hébergés et scolarisés.

150 mineurs à prendre en charge, ça ne me semble  pas beaucoup pour le département du Nord. Alors nous, mineurs étrangers isolés,  tendons les mains pour avoir votre aide et votre soutien. Nous avons besoin d’être hébergés et d’être scolarisés pour étudier, avoir ainsi une meilleure vie et réaliser notre rêve. Beaucoup d’entre nous ont un talent  et souhaitent l’exercer. Ils sont  chanteur, footballeur, danseur, musicien, acteur de théâtre…
Moi ce que je veux, c’est être scolarisé, travailler et pouvoir penser à mon avenir. Dans la paix et la sécurité.

 

Sisko, de Côte d’Ivoire

Après le décès de mes deux parents, mon oncle qui est cultivateur nous a emmenés vivre chez lui mon petit frère et moi. Mon oncle qui n’avait pas eu d’enfants et qui travaillait seul dans son champ a décidé d’interrompre mes études pour que je puisse l’aider. Alors que moi je rêvais d’aller loin dans les études et j’aimais bien l’école. J’ai tout fait pour que mon oncle change de décision, j’ai pleuré, arrêté de manger mais il m’a donné à choisir entre sa décision ou la rue. Pour ne pas me retrouver dans la rue, j’ai décidé de l’accompagner au champ.

On marchait 3 kilomètres pour arriver au champ. 4 mois plus tard, je suis tombé malade et mon oncle a refusé de croire en ma maladie. Je suis resté dans la maison sans traitement médical. Jusqu’au jour  où j’ai croisé le frère d’un ami à qui j’ai expliqué ma situation. Il m’a emmené à l’hôpital puis dans sa famille. Il m’a parlé de sa vie et de son travail en Libye. A la fin de son séjour dans sa famille, je suis parti avec lui. Il m’avançait l’argent du voyage que je lui rembourserais en travaillant.

On a franchi la frontière de mon pays pour atteindre le Burkina Faso et on est rentrés au Niger. Là, on a payé un passeur et on est montés dans un camion pour arriver en Libye. J’y ai  travaillé pour rembourser mon voyage. Quand j’ai eu fini de le rembourser, je ne voulais pas rester en Libye parce que tout le monde, même les enfants de 13/14 ans portaient des armes, couteaux ou pistolets et je ne me sentais pas en sécurité.  Je ne voulais pas retourner chez mon oncle alors j’ai décidé d’avancer vers l’Europe.

J’ai quitté la Libye avec l’aide d’un passeur et j’ai traversé  la mer en zodiac pour arriver en Italie. C’est la marine italienne qui nous a récupérés et  on a passé 3 jours en pleine mer, sans manger avec seulement de l’eau, en attendant que la marine récupère tous les zodiacs.

Arrivé à Naples, je ne comprenais pas la langue et les gens ne me comprenaient pas. J’étais complétement perdu. J’ai rencontré 2 autres jeunes et nous avons décidé de venir en France. Je me disais qu’avec la langue, je pourrais vite m’en sortir et que j’allais avoir une vie normale.

Arrivé à Paris, un jeune qui était avec moi connaissait quelqu’un à Lille hébergé dans un foyer de mineurs. A la gare, On a demandé à quelqu’un de nous prêter son téléphone car on n’avait pas de crédit. Le jeune de Lille nous a envoyé des tickets de bus par internet sur le téléphone.

Arrivés à Lille, il nous a rejoints et nous a indiqué le foyer EMA (Evaluation Mise a l’Abri). Il nous a dit que c’était mieux d’arriver séparément.
Quand je me suis présenté à EMA, ils m’ont mis à la porte car je n’avais pas de document qui justifiait ma minorité.

On m’a indiqué un parc, le parc des Olieux.  J’y ai rencontré d’autres jeunes qui étaient dans la même situation que moi et je suis resté avec eux. Les habitants de ce quartier nous venaient en aide avec des vêtements, de la nourriture. J’ai expliqué mon problème. Ces habitants, on les appelle « Collectif des Olieux ». Ils m’ont demandé si je pouvais contacter quelqu’un qui pourrait m’envoyer le document qu’on me demandait et qu’ils prendraient tout en charge. J’ai donné le contact de mon oncle. Ils l’ont appelé et il ne voulait pas parler de moi parce qu’il n’était pas au courant de mon voyage. Ces gens lui ont parlé et l’ont convaincu d’envoyer le document. Comme lui ne savait pas comment faire pour l’envoyer, le collectif lui a expliqué. Il a envoyé mon acte de naissance.

Quand je l’ai reçu, je me suis à nouveau présenté à EMA. J’ai pu expliqué mon histoire. Ils n’avaient pas de place pour m’héberger, qu’il fallait que je demande une place au Département et que j’aille  à la PAF (Police Aux Frontières) pour vérifier si mon acte de naissance était  authentique.

A la PAF on m’a dit   que mon acte de naissance était faux. A ma  question « pourquoi ? »,  on m’a répondu  que je n’avais  pas  droit à la parole, que je devais  fermer ma gueule et on m’a mis en garde à vue. Après quelques heures, on m’a envoyé à l’hôpital pour faire le test osseux  sans mon accord. Ensuite on m’a renvoyé en garde à vue en disant que j’avais 19 ans. Un chef me demande si je reconnais que mon acte est faux et que je suis majeur. Lorsque je lui réponds que non,  il me dit de fermer ma gueule , d’arrêter de me foutre de lui et que tous les papiers africains sont des faux, qu’il suffit de brasser quelques billets dans les administrations pour obtenir des faux. Il me demande pourquoi nous venons en France alors qu’ils sont venus maintenir la paix dans notre pays et qu’ils ont perdu des collègues lors de la crise en Côte d’Ivoire. Je lui dis que  nous vivons dans  une ancienne colonie française où on  ne parle que le français, voilà pourquoi nous sommes ici. Il me dit  » pourquoi tu ne vas pas en Belgique, en Belgique on parle français ? Ici, en France, on n’a plus rien, vous les étrangers vous avez tout pris ! ». Il me demande  de signer un rappel à la loi comme quoi  j’ai été mis en garde à vue pour faux et usage de faux et que si je ne signe pas, je ne peux pas sortir. Par peur de rester en garde à vue, j’ai signé le document et on m’a libéré  sans me rendre mon acte de naissance.

J’étais reconnu majeur.

Le collectif m’a guidé pour aller voir une avocate. Il fallait cette fois faire un passeport que le collectif m’a payé, 115 euros. Les semaines passaient : l’ambassade pour avoir le passeport et six semaines d’attente pour l’obtenir ; un  recours en justice avec le récépissé de ma demande  et un refus car il fallait les originaux ; mon passeport une fois arrivé, envoyé à police pour en vérifier l’authenticité, et toujours l’attente .

Enfin  la loi française me reconnaît mineur isolé. 8 mois se sont écoulés depuis ma première visite à EMA.

J’ai attendu encore 3 semaines pour être mis à l’abri.

Je me demande souvent   si c’est moi qui ne suis pas le bienvenu. Je ne suis pas un danger pour la France. Je voudrais seulement pouvoir aller à l’école.

Pourquoi la France ne m’aide t’elle pas à réaliser mes rêves ?…Parce que je suis noir ?… Ou parce que je suis né en Afrique ?

C’est pas moi qui ai choisi de naître en Afrique, c’est pas moi qui ai choisi d’être noir. Si on pouvait arrêter de faire une différence entre les humains,  nous sommes tous pareils. Ce sont des petites choses qui nous différencient.  la couleur ? Le bon Dieu nous a créé de différentes couleurs pour rendre l’humanité plus belle.

Lille et ses jeunes migrants ou la chronique de la maltraitance publique

Article de Damien Boone publié le 10 août 2015 par Mediapart dans le cadre de l’opération #Open Europe

Ils viennent de Guinée-Conakry, du Mali, du Congo, de Côte-d’Ivoire. Pour la plupart mineurs, ces migrants se sont installés depuis 5 semaines dans un parc à proximité du centre-ville lillois, en attendant que le département, juridiquement tenu de leur venir en aide au nom de l’aide sociale à l’enfance, daigne s’occuper de leur cas.

Seuls les quelques rires et cris des enfants qui ont pris d’assaut l’air de jeux du jardin des Olieux viennent troubler le calme en ce vendredi après-midi. À proximité, quelques jeunes les regardent en silence. Plus loin, d’autres écoutent un peu de musique, discutent par groupes de trois-quatre, cassent la croûte autour d’une table de ping-pong, ou à côté des poubelles. Jeunes migrants venus d’Afrique, ils se sont installés depuis déjà 5 semaines dans ce parc à l’écart de tout grand axe, au milieu des résidences et sous le regard des habitant.es du quartier. Il y a un peu à manger, quelques matelas, des couvertures, quelques cabanes dans les arbres pour dormir. Certains sont arrivés par la mer, d’autres par avion. Et tous un peu par hasard à Lille, après avoir été bourlingués de villes en villes, trompés par leurs passeurs, de refuges en refuges, au gré des expulsions. « On ne se connaissait pas, mais on est devenus un peu comme une famille en se retrouvant à Lille ». Aucun d’entre eux ne souhaite s’appesantir sur les raisons qui les ont poussés à quitter l’Afrique : leurs regards se perdent au loin en évoquant « des problèmes….1 ». Leurs souhaits ? « Pouvoir rester dans de bonnes conditions » ; « avoir l’opportunité d’aller à l’école tous les jours » ; « on veut se former » ; « si on abandonne l’école, on n’a rien. On veut avoir la capacité de s’en sortir par nous-mêmes. Ne pas dépendre de l’État ».

Se présentant majoritairement comme mineurs, ils espèrent la protection due à tout mineur isolé étranger (MIE), responsabilité incombant au département via l’aide sociale à l’enfance (tandis que les majeurs dépendent de l’État, et sont expulsables), et aussi en partie aux services de l’État (protection judiciaire de la jeunesse). En attendant, sans la nationalité française et sans représentants légaux sur le territoire français, les migrants lillois sont dépourvus de toute capacité juridique. La situation de MIE est ambiguë car elle ne constitue pas un statut juridique à proprement parler : elle est à la lisière du droit des étrangers et, au titre de l’enfance en danger, du dispositif français de protection de l’enfance, qui ne requiert aucune condition de nationalité, ni de régularité du séjour. Reste à savoir si les autorités préfèrent les considérer avant tout comme des « étrangers » ou comme des « enfants » : en théorie, les engagements de la France à l’égard de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée en 1989, devraient faire prévaloir le statut d’« enfant », et ainsi faire appliquer ladite convention qui énonce en son article 20 :

« Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial,
ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu,
a droit à une protection et une aide spéciales de l’
État »

En outre, dans un document dont certains passages font office de réquisitoire à l’égard de la situation des droits humains en France, le Comité des droits humains de l’Organisation des Nations Unies s’est inquiété en juillet « que des mineurs isolés continuent à être maintenus en zone d’attente pour une durée pouvant aller jusqu’à vingt jours ». Aussi, il recommande que « [la France s’assure] que les mineurs isolés étrangers reçoivent une
protection judiciaire et le soutien de l’aide sociale à l’enfance 
» (le dossier complet est téléchargeable ici).

Les textes sont donc clairs. Interrogées dans la presse locale, les autorités se renvoient pourtant les responsabilités. La préfecture n’est pas au courant ; le département accuse l’État ; et la municipalité renvoie à l’État et au département. Ainsi, plutôt que de défendre et assurer la protection a priori des exilés, plutôt que de faire appliquer la législation favorable à ces derniers, l’État et ses démembrements considèrent la question avec méfiance et, en retardant la mise en place d’un dispositif pour ces jeunes, la longueur des procédures aura pour résultat de faire sortir un certain nombre d’entre eux du recours à l’aide sociale à l’enfance. En effet, les bénéficiaires d’une protection pendant leur minorité ne sont pas pour autant assurés de pouvoir demeurer en France à leur majorité. C’est donc avec les préfectures qu’il faudra ensuite lutter pour éviter qu’aux mesures de protection ne succèdent des mesures dites « d’éloignement ».
Le département du Nord est tenu de considérer ces jeunes hommes pour ce qu’ils sont : des enfants privés du soutien de leur famille ou d’un tuteur. Cette semaine d’ailleurs, le tribunal administratif de Nantes a une fois de plus donné tort au conseil départemental de Loire-Atlantique, qui refuse d’héberger la plupart des migrants mineurs arrivés fin juillet. Verdict : le département doit leur assurer un hébergement.

Pour le moment, des habitants du quartier et des militants associatifs assurent la solidarité et la protection auxquelles les services de l’État se dérobent. « Heureusement, on a des visites, des voisins, des gens d’associations ». L’antenne locale d’Ozanam, à deux pas du parc, offre un point douche le matin, et Le point de repère, lieu d’accueil de jour destiné aux jeunes sans domicile, fournit des soins. Mais, sollicités dans l’urgence par un public inhabituel, la pérennisation de ces recours, qui ne font pas d’accompagnement social, se pose. En outre, ces structures sont fermées le week-end. Une habituée vient apporter son soutien : « on s’organise pour faire la bouffe le soir, à tour de rôle. Le midi, ce sont des habitants. Tiens, ce midi, c’étaient des Marocains, ils ont fait un couscous pour tout le monde ». Des soutiens apportent des vêtements : « tout ce qu’on porte, on nous l’a donné ».

Mais, au quotidien, les migrants font surtout face à de nombreuses difficultés : comme le résume l’un d’eux, « y a la pluie, et y a la police… ». Si le temps est clément à Lille depuis une quinzaine de jours, les nuits de pluie sont le cauchemar éveillé de tous : « la pluie, tu peux rien faire. Quand il pleut, on ne dort pas. On marche, on erre dans la rue, on cherche un abri ». Un jeune montre des cicatrices sous la lèvre : « j’ai eu des boutons pendant une nuit de pluie. J’en avais partout sur le visage. On tombe vite malades. On est fatigués. Et on ne peut pas aller à l’hôpital ». Un autre est allongé et grimace : « il a mal sur le côté. On lui a laissé le meilleur matelas ». Un autre ennemi : l’ennui. Il faut tuer le temps. « On est ici parce qu’on n’a pas le choix. Et on ne peut pas bouger : on fait quoi ? On prend le train, le métro, et on va avoir des amendes pour rien ? ». Des habitants apportent quelques livres. « Quand on a fini, on les rend ».

Cependant, l’État n’est bien sûr pas totalement absent. La police nationale fait régulièrement des rondes en voiture. S’arrête parfois pour des contrôles d’identité. Donne des consignes : « ils disent de pas faire de bruit, de pas faire de saletés ». Intimide : « La semaine dernière, la police est venue avec des chiens. On essaie de nous faire partir par la force. La police a pris les réchauds, les matelas, les tentes ». Culpabilise : « un policier m’a dit : vous bénéficiez de la générosité de la Franceˮ. Peut-être, pour l’instant. Mais on ne veut pas en bénéficier toute notre vie. Et pour cela, on veut aller à l’école ». La police passe au ralenti : « ils ont peur des rafles. Il faut qu’il y ait le plus de blancs possible », glisse la sympathisante. Très curieusement, les services municipaux sont soudainement prompts à réaliser des aménagements que les riverains réclament depuis des mois, et qui étaient sans cesse repoussés. Ainsi, la mairie est intervenue la semaine dernière pour… élaguer des arbres dans lesquels les migrants avaient construit des cabanes, et démonter les pergolas.

Ces actes révèlent le déploiement, à différents niveaux de l’État, de moyens « exceptionnels » – traque, intimidation, refus de droits fondamentaux – pour organiser l’invisibilisation et la marginalisation de certaines populations considérées comme indésirables (au même titre que les arrêtés anti-mendicité vus ailleurs), comme si la misère devait disparaître des centres-villes, et comme si son invisibilisation devait être assimilée à sa disparition. « On n’est pas des criminels, on n’est pas des malfaiteurs » se sentent-ils sommés de se justifier.« On veut juste avoir la chance d’aller à l’école ».

Une femme apporte deux ballons pour que les jeunes puissent s’occuper. Deux gamins du quartier, d’une dizaine d’années, viennent serrer quelques mains et demandent si tout va bien. Au moment où, au niveau national, Nadine Morano profite du creux médiatique de l’été pour asséner que les migrants devraient rester « chez eux » pour y combattre leurs ennemis ; où, plus localement, Xavier Bertrand, tête de liste « Les Républicains » pour les régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, fait des effets de manche sur la question des migrants de Calais et court après Marine Le Pen avec des arguments aussi grossiers qu’elle, on ne peut compter, pour le moment, ni sur la lassitude des migrants lillois, ni sur démobilisation de leurs soutiens, ni sur la désapprobation des riverains pour renoncer à ce qu’il peut rester d’humanité dans un débat public pollué par des arguments racistes. Au jardin des Olieux, une trentaine de démunis volontairement laissés à la rue vous remercieront même chaleureusement d’être passé les voir et d’avoir évoqué avec eux leurs espoirs de vie meilleure.

1 À la demande des personnes rencontrées, échaudées par un article de la Voix du Nord montrant des visages non floutés, aucune photographie ne sera divulguée ni aucun nom mentionné.

 

« Quand on a la situation qu’ont les migrants, faut tout accepter » // Libération, 03.05.2015

http://www.liberation.fr/politiques/2015/05/03/quand-on-a-la-situation-qu-ont-les-migrants-faut-tout-accepter_1287088

Haydée SABÉRAN Lille, de notre correspondante 3 mai 2015 à 19:46

751096-france-rights-immigrationLa «nouvelle jungle» de Calais, le 3 avril 2015. (Photo Denis Charlet.AFP)

 

«Libération» s’est procuré un enregistrement qui révèle comment des gendarmes ont rabroué des clandestins venus porter plainte contre des policiers pour agression à Calais.

«Dans leur pays, ils oseraient dire que la police les a cognés ?» Cette phrase d’un gendarme de Norrent-Fontes (Pas-de-Calais) a laissé sans voix Clémence Gautier, la juriste de Plateforme de services aux migrants de Calais. Ce 24 juin 2014, elle accompagnait des exilés érythréens qui venaient déposer plainte pour coups et blessures contre la police et un chauffeur de camion. Elle a enregistré plusieurs minutes d’un dialogue édifiant, dont elle a livré l’enregistrement audio à Libération.

L’affaire commence à Norrent-Fontes, village en bordure de l’A26, près de la dernière aire d’autoroute avant Calais, dans la nuit du 22 au 23 juin. Ici, comme sur presque toutes les aires de la région qui mènent vers cette ville, chaque nuit, des migrants grimpent dans des poids lourds pour tenter de rejoindre l’Angleterre. Ceux qui échouent se font cueillir au port par les vigiles, par la police française ou par l’immigration britannique.

«Matraque». Cette nuit-là, la police – «ils avaient un uniforme bleu, sur lequel était écrit « police »», précisent des migrants – ouvre un camion, découvre une vingtaine d’hommes, de femmes et d’adolescents, et ça tourne mal. «Tout le monde est sorti, et j’étais le dernier, raconte Matias, 16 ans, au téléphone depuis l’Angleterre, où il a réussi à passer un mois plus tard dans un camion frigorifique. J’ai mis plus de temps que les autres à sortir. Alors, le chauffeur m’a frappé, plusieurs fois. Ma bouche et mon nez se sont mis à saigner. La police regardait et ne disait rien.» Un certificat médical confirme le nez tuméfié, le sang, la lèvre ouverte. Ermiyas, érythréen lui aussi, raconte la suite, dans un témoignage recueilli par un bénévole : «Ils nous ont fait asseoir. Deux camionnettes et deux ou trois autos de police sont arrivées. Les femmes sont montées dans une camionnette qui est partie. [Nous, les hommes, avons été conduits] hors de la ville, sur un terrain sans éclairage. Les policiers nous ont fait descendre un à un. […] Les six, dont une femme, criaient et nous frappaient de leur matraque, leurs poings et leurs pieds. Une fois la personne frappée, ils lui faisaient signe de partir. Les policiers sentaient l’alcool et ne parlaient pas anglais.»

Les migrants se réfugient alors dans la «jungle», puis rentrent à Norrent-Fontes et racontent au reste du groupe. Les bénévoles présents les convainquent de porter plainte. «On s’est dit qu’il serait plus simple de s’adresser à la gendarmerie de Norrent-Fontes qu’à la police de Calais»,dit Clémence Gautier.

«Excusable».Fille de policier, elle pousse la porte de la gendarmerie en confiance. Mais le dialogue tourne au vinaigre. Les gendarmes dissuadent les migrants de déposer plainte en mettant en avant le risque de se retrouver en centre de rétention. Ils minimisent les faits. Alors, la juriste appuie sur le bouton «play» de son smartphone. Le commandant : «Le gars qui en a marre de les trouver dans son camion, il fait quoi, il dit merci ? Faut se mettre à sa place, aussi. Après, je ne pardonne pas le geste, hein. […]. Mais il y a des règles à respecter, point barre ! Maintenant, ils viennent dire : « Ouais, mais il m’a frappé ! » Certes, ça ne se fait pas. Mais on va aller jusqu’où comme ça ? Bientôt, ils vont venir s’installer là, et puis on va devoir leur dire merci ? […] Moi, je suis le commandant de la brigade. […] Je me rends bien compte que c’est des gens qui sont dans la misère, je suis sûr qu’ils seraient sûrement mieux chez eux que de devoir traverser tout ce qu’ils traversent, mais quand on a la situation qu’ils ont, ben, faut tout accepter, malheureusement. Ça fait partie de la chose. […] Je ne dis pas qu’ils doivent tout encaisser tout le temps, mais il faut savoir faire le canard à certains moments. Ils prennent un risque en montant. Parce qu’ils montent quand même en commettant une effraction. Le propriétaire du camion, quand il veut faire remplacer sa bâche ou la faire recoudre, qui c’est qui paie ? C’est l’assurance ! Pour qui ? Pour ces gens-là !»

Un autre gendarme : «Le chauffeur, il est presque excusable d’avoir tapé sur un migrant, le mec, il…»

La juriste : «Ah non, hein ! Je ne suis pas d’accord.»

Un gendarme : «Le gars il est excédé, il en a marre.»

La juriste : «Il est excédé, mais il n’a pas d’excuse ! Je comprends qu’il soit énervé, mais je ne tolère absolument pas les coups et blessures. Ce n’est pas normal, absolument pas, en aucun cas […].»

Le commandant : «Bon, vous donnez les noms, et puis vous expliquez sommairement les faits, qu’ils sont montés dans le camion, que le chauffeur les a descendus, et puis voilà. Comme ça, tout le monde sera content, les faits seront dénoncés. Et eux, ils dormiront où ils veulent ce soir [sous-entendu : pas en centre de rétention, ndlr] […].»

Un gendarme : «Je ne veux pas vous porter la poisse. Attendez-vous à des retombées quand même, hein. Après, hein.»

La juriste : «De quel style ?»

Un gendarme : «Ben, vous allez avoir du gendarme et du policier sur le parking et aux environs à gogo, ça, je peux vous le garantir. Enfin, moi, je le vois comme ça, hein.»

Selon les bénévoles, les migrants se sont plaints que sur l’aire de Norrent-Fontes, dans les jours qui ont suivi, de nombreux gendarmes se sont relayés. Puis la surveillance s’est relâchée.

Le commandant : «Bon, on va relater sur dix-quinze lignes ce qu’on vous a rapporté. Forcément, le destinataire de votre procédure, c’est le procureur de la République. Il va voir arriver ça, il va dire bon… Ils sont quand même…»

Un autre gendarme : «…ils sont gonflés, les mecs.»

Le commandant : «…gonflés de venir signaler telle chose alors que…»

Les migrants qui se plaignaient de violences sont passés en Angleterre depuis. Alertée par Libération jeudi, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, a assuré que la gendarmerie ferait «les recherches nécessaires» sur cet épisode. «Toute personne qui vient porter plainte a le droit d’être entendue, c’est la loi», poursuit la préfète. Une enquête a été confiée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale.

Par Haydée Sabéran, Correspondante à Lille

Calais vaut bien quelques requiem

Jean-Pierre Alaux

Gisti

 

Article extrait du Plein droit n° 104, mars 2015
« Aux frontières de l’Europe, les jungles »

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Carte réalisée par Jérémy Nourri, Terre d’Errance, Norrent-Fontes
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Étranges printemps et été calaisiens du ministre de l’intérieur. Nommé depuis quelques semaines dans cette fonction, M. Bernard Cazeneuve ordonne l’expulsion de plusieurs squats du centre-ville de Calais, le 28 mai 2014. Il sait que nombre des personnes résidentes sont atteintes par la gale. Mais aucune considération humanitaire ne le retient. Souhaitant manifestement montrer sa fermeté, il néglige les protestations associatives(1) comme il avait ignoré leurs appels antérieurs à des soins.

Il va récidiver le 2 juillet dans la zone portuaire où les personnes exilées, chassées de leurs squats un peu plus d’un mois auparavant, se sont aussitôt regroupées aux abords du site de distribution alimentaire. Avec l’appui d’organisations militantes et humanitaires, elles avaient installé là un nouveau camp, qui avait un caractère protestataire. L’opération policière permet 540 interpellations, dont 121 mineurs. Environ 200 personnes font l’objet de mesures d’éloignement avant d’être dispersées dans différents centres de rétention de l’Hexagone afin de les priver de la proximité de leurs soutiens. Tout comme les suites judiciaires de l’évacuation médiatisée de la « jungle des Pachtounes » en septembre 2009 par M. Besson(2), celles-là tourneront à la bérézina(3). Certains tribunaux constatent que l’administration n’a pas informé les personnes interpellées de leurs droits. D’autres découvrent que les procès-verbaux d’audition par la police sont identiques et donc stéréotypés. Quant au tribunal administratif de Melun, il constate que, bien qu’il ait pris des dizaines de mesures d’éloignement (expulsions dans les pays d’origine), le préfet du Pas-de-Calais n’a rien fait pour les exécuter. De ce fait, les juges estiment qu’il s’agit là d’un stratagème en réalité destiné à vider un squat, ce qui constitue un « détournement de pouvoir ». Le 19 février 2015, le tribunal annule ainsi d’un coup 44 obligations à quitter le territoire français (OQTF) ](4).

Jamais deux sans trois ? On peut le craindre dans la mesure où l’improvisation juridique de la préfecture le 2 juillet – la fin justifiant les moyens – témoigne de son empressement à interdire tout regroupement un tant soit peu important de personnes exilées(5). Or, dès le 12 juillet, ces personnes ouvrent le nouveau squat de l’impasse des Salines, avec l’appui de nombreuses associations, à l’issue d’une manifestation « contre les violences policières ». De partout arrivent là, et dans d’autres squats (notamment celui de la zone industrielle des Dunes), les matériaux indispensables à la survie. On évalue alors à 1 200 le nombre de migrantes et de migrants à Calais.

À la surprise générale, le préfet du département annonce, le 4 août, qu’il ne prévoit aucune opération de police à court terme contre les squats. Il faut d’abord, explique-t-il, « informer des différentes alternatives […] en termes de demandes d’asile, de demandes de retour au pays et de demandes d’hébergement d’urgence »(6). Ce souci inédit, après des évacuations policières en série, trahit d’évidence un constat d’impuissance des autorités, à commencer par le ministre de l’intérieur, qui ne savent plus à quels saints se vouer.

Autre surprise de taille : la très conservatrice maire de Calais, Natacha Bouchart, qui n’a cessé de réclamer l’expulsion des étrangères et des étrangers depuis son élection en 2008, propose soudain l’ouverture d’un « lieu d’accueil » qui, explique-t-elle, permettrait de « vider à 80 % le phénomène dans la ville(7) ». M. Cazeneuve s’y déclare rapidement opposé. « Je ne veux pas, dit-il, créer un centre d’accueil qui soit un nouveau point de convergence des migrants(8) » (28 août), avant de se rallier à cette idée, deux jours plus tard, par la voix de son préfet à Arras, sous la forme d’un « accueil de jour(9) ».

S’il bricole à Calais, le ministre de l’intérieur ne s’en tient pas là. Il explique que « l’Europe est l’échelon pertinent pour apporter des réponses durables et équilibrées à cette situation(10) ». De fait, pendant l’été 2014, le nombre de personnes exilées à Calais n’a cessé de croître pour atteindre 2 000 en août. Cet afflux, quantitativement exceptionnel dans le Calaisis, tient en partie à la multiplication des débarquements, au sud de l’Italie, de quelques milliers de leurs semblables, moins nombreux à se noyer en Méditerranée grâce à des sauvetages enfin consentis dans le cadre de l’opération temporaire « Mare Nostrum », déclenchée par les autorités de Rome à la suite d’un naufrage, le 3 octobre 2013, dont les 366 victimes avaient ému l’opinion(11). Cette augmentation des effectifs propulse M. Cazeneuve à Madrid, à Londres et à Rome.

Embarrassé par la situation dans le Calaisis, le ministre français de l’intérieur exerce, avec ses homologues européens, des pressions sur l’Italie pour qu’elle rentre dans le rang. Il faut qu’elle donne à nouveau la priorité aux interceptions en mer en vue de refoulements au détriment des sauvetages qui ont l’inconvénient de déboucher sur le débarquement en Europe des personnes rescapées. Et le ministre français de l’intérieur appartient au camp des vainqueurs, celui qui a ramené l’Italie à la « raison », c’est-à-dire, explique-t-il, à revenir au contrôle prioritaire des frontières « par la substitution à « Mare nostrum » d’une opération « Frontex + » de surveillance des frontières ». Car, précise M. Cazeneuve, si l’« opération de sauvetage de la marine militaire italienne [Mare Nostrum] a permis le sauvetage de nombreux migrants en mer, [elle] a aussi eu pour conséquence de créer des points de fixation des migrants dans le nord de la France(12) ». Calais vaut bien quelques requiem en amont(13)…

Il y a un autre enjeu à l’activité diplomatique de Bernard Cazeneuve. Ramenée à la « raison », l’Italie va, en effet, du même coup cesser la grève de l’enregistrement des empreintes digitales des personnes migrantes qui débarquent sur son territoire. Elle l’a entamée en rétorsion à l’absence de solidarité de ses « partenaires » européens qui ne veulent pas « partager le fardeau » du supplément de flux généré par les sauvetages. Or, l’absence d’empreintes déclarées dans les banques de données dactyloscopiques européennes empêche les renvois en Italie de ces personnes en application du règlement Dublin 3(14).

Jungle institutionnelle

Comment comprendre le futur centre d’accueil de jour de Calais – qui paraît être une concession humanitaire – dans la politique migratoire européenne caractérisée, elle, par sa dureté ?

Le centre Jules-Ferry (c’est son nom), qui devrait ouvrir en mars 2015, s’inscrit parfaitement dans la logique européenne. D’abord parce que, excentré à plusieurs kilomètres de la cité, dans une zone presque déserte, il vise à vider la ville de Calais des personnes exilées, à les faire disparaître. En dépit des apparences, il n’y a pas si loin entre disparitions physiques en mer et disparitions symboliques. Dans leur dissimulation aux yeux de la population, il y a la volonté de nier leur présence, comme le font les naufrages en diminuant le nombre des débarquements sur les rivages de Grèce ou d’Italie. Chacune à leur manière, ces disparitions minimisent une réalité humaine jugée indésirable. L’une et l’autre excluent, plus ou moins radicalement, que les personnes exilées puissent avoir des droits.

Sur ce plan, il en sera ainsi au centre Jules-Ferry. Seule la petite minorité des personnes jugées vulnérables bénéficiera d’un hébergement de nuit. Les autres seront seulement autorisées à s’abriter sous des bâches et des planches de fortune, nourries une seule fois par jour d’un repas financé par l’État. En capacité maximale, le camp réunira 1 500 personnes, dont 1 300 dans des conditions de survie indignes, celles d’une « jungle » institutionnelle. À cela s’ajoute l’assignation à résidence dans un ghetto, étant entendu que, dès lors que cette jungle officielle existera, il n’y aura plus aucune tolérance dans le Calaisis pour des jungles sauvages.

Déjà d’ailleurs, au début de 2015, le sous-préfet de Calais a invité les associations à convaincre les personnes exilées de déménager de leurs squats pour s’installer dans le maquis de Jules-Ferry. Avec pour résultat, la diminution de moitié de leur effectif, passé de 2 000 environ en août à un millier en février 2015. Sans doute pressentent-elles qu’approche l’heure d’une nouvelle vague de répression. Il y a de l’exterritorialité dans le camp Jules-Ferry : une mise en quarantaine hors des normes sociales de l’État de droit, assortie d’un enfermement arbitraire à l’intérieur dès lors que, bientôt, son existence donnera lieu à une interdiction tacite du territoire en dehors de ses limites. D’une certaine manière, les migrantes et les migrants qui vont y être dirigé·e·s se trouveront dans une enclave étrangère en territoire français, une zone d’attente. Mais de quoi ?

Qui peut considérer, en effet, que les conditions de survie du camp constituent, par exemple, ce « droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale », lequel a, selon le Conseil d’État(15), le statut d’« une liberté fondamentale » ? Qui peut encore considérer que les cahutes érigées dans le maquis de Jules-Ferry correspondront de près ou de loin, pour une part des personnes qui demandent l’asile et continueront à ne pas bénéficier du dispositif d’hébergement ad hoc, à ce « niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale » prévu par les normes européennes[Directive 2013/33 du 26 juin 2013 dite « Directive accueil ».Directive 2013/33 du 26 juin 2013 dite « Directive accueil ».] ?

Non seulement le camp Jules-Ferry nie l’existence des personnes exilées en les dissimulant, mais il leur laisse entendre qu’elles ne sont pas tout à fait arrivées en France ; que, sauf en matière de répression, elles se trouvent sur un territoire juridiquement indéterminé où le droit a, tout au plus, une existence aléatoire. C’est le sens de cette déclaration de M. Cazeneuve, le 22 août 2014, par laquelle il annonce son intention de « créer les conditions d’un accompagnement le plus humain possible »(16).

Or, si Jules-Ferry voit le jour, c’est en partie pour essayer de se conformer a minima aux exigences de nombreuses recommandations issues d’observations critiques de la situation calaisienne et qui, toutes, condamnent son inhumanité.

La dernière en date émane du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Dans son rapport du 17 février 2015, M. Nils Muižnieks dénonce à son tour l’existence de conditions de vie « déplorables » et la « persistance de cette situation depuis plusieurs années à Calais et dans sa région », rappelant qu’en août 2010 déjà, son prédécesseur avait vainement alerté M. Besson. « Je regrette, avait alors écrit M. Thomas Hammarberg, la volonté de poursuivre la politique de fermeté engagée vis-à-vis des migrants. […] L’intervention des forces de l’ordre a pour objectif d’empêcher l’installation des migrants. […] Ils se voient donc contraints d’errer, y compris la nuit, sans possibilité de trouver protection contre la pluie, la chaleur ou le froid. Au cours des interpellations réalisées par la police – ressenties par les migrants comme un harcèlement –, il m’a été indiqué que les effets personnels des migrants étaient détruits.[…] J’invite les autorités françaises à garantir le respect de la dignité des migrants et à mettre un terme à cette pression policière.  »

Quelques semaines avant, le 20 janvier 2015, Human Rights Watch (HRW) avait dressé un état des lieux tout aussi accablant : « Les demandeurs d’asile et migrants vivant dans le dénuement dans la ville portuaire de Calais sont victimes de harcèlement et d’exactions de la part de la police française. » Un peu plus de deux ans auparavant, le 13 novembre 2012, le Défenseur des droits avait, lui également, relevé entre autres l’existence d’un harcèlement policier avec des milliers d’interpellations sans autre objectif que de terroriser, des gazages, des expulsions illégales de lieux de survie avec destruction de biens personnels, des intimidations de personnes militantes(17).

Nombreux sont les rapports et enquêtes(18) à avoir alerté les pouvoirs publics sur cette misère et sur ces violences. Mais rien n’y a jamais fait : ils nient l’évidence, opposent la langue de bois à la réalité des faits et continuent à porter atteinte à la dignité des personnes exilées. Invariablement.

L’apparente concession du ministre de l’intérieur, avec l’ouverture prochaine du camp Jules-Ferry, ne laisse espérer aucune réorientation majeure. La dissimulation des personnes exilées dans un cadre de vie dégradant demeurant son objectif principal, elle les confirme dans un statut d’indésirables, annonciateur d’une répression qui les poursuivra partout en dehors de cette enclave en forme de ghetto.

Dysfonctionnements européens

C’est, au ghetto près, la poursuite à l’identique de la politique menée dans le Calaisis après la fermeture de Sangatte en 2002. À cette époque, M. Sarkozy avait décidé de supprimer du paysage un monument de visibilité où la presse internationale et l’opinion publique pouvaient constater que s’entassaient, dans des conditions matérielles indignes – mais de qualité supérieure à celles qui prévaudront à Jules-Ferry –, plus d’un millier de personnes chassées de chez elles par des conflits et des crises aiguës. Rançon de cette recherche d’invisibilité, M. Sarkozy et tous les ministres de l’intérieur qui lui ont succédé, y compris M. Cazeneuve, ont ensuite traqué tout regroupement de personnes exilées. Avec pour résultat leur dispersion progressive dans six départements (Pas-de-Calais, Somme, Seine-Maritime, Calvados, Manche et Paris).

À l’objectif d’invisibilité s’ajoutait le pari que la misère aurait un pouvoir dissuasif dans l’avenir, que cette misère saurait neutraliser l’effet d’« appel d’air » que tout accueil respectant la dignité humaine est supposé provoquer. Il est, de ce point de vue, saisissant de constater que, là encore, rien ne change. En 2002, M. Sarkozy avait âprement négocié la fermeture du camp de Sangatte contre la suppression, en Grande-Bretagne, du droit au travail dont ont bénéficié, jusqu’en juillet 2002, les personnes qui demandaient l’asile après six mois de procédure, droit qui avait été supprimé en France dès 1991(19). Derrière cette exigence, la recherche de la moindre attractivité possible de l’Europe et l’alignement du maximum de ses membres sur le moins offrant d’entre eux. En 2014, peu après avoir changé son fusil d’épaule et découvert les vertus d’un ghetto pour sa ville, la maire de Calais entreprend un voyage à Londres. Le 29 octobre, elle s’adresse aux parlementaires britanniques pour les inviter à comprendre que les 36 livres (45 euros environ) hebdomadaires versées aux demandeurs d’asile « peuvent paraître peu de choses au Royaume-Uni, mais ces gens […] viennent de pays très pauvres, ils ne comprennent pas que ce n’est pas beaucoup d’argent(20) ». Elle leur conseille de supprimer ou de réduire cette allocation qui les appâterait en Europe. En bref, elle érige en modèle universalisable le régime franco-calaisien d’abandon des personnes migrantes à la rue. Le ministre français de l’intérieur n’a pas commenté le raisonnement condescendant de la première magistrate de Calais. Mais les conditions d’« accueil » qu’il a définies pour le camp Jules-Ferry parlent pour lui.

Qu’est-ce que ce camp va donc changer pour que le gouvernement français puisse prétendre avoir entendu les critiques du Conseil de l’Europe et du Défenseur des droits ? Il devrait améliorer la prise en charge des personnes les plus vulnérables – en particulier les femmes enceintes et les mères d’enfants en bas âge – actuellement mieux traitées que les autres par les pouvoirs publics poussés à une attention tardive par l’investissement en leur faveur, tout particulièrement du réseau No Border (voir p. 9 de ce numéro).

Le nouveau camp va aussi permettre de mieux séparer le bon grain de l’ivraie, à savoir les personnes en demande d’asile des autres. Les premières devraient être orientées vers des centres ad hoc pour lesquels l’État a dégagé le financement de 500 places supplémentaires. Mais, là encore, le progrès sera minime dans la mesure où une forte proportion d’entre elles feront rapidement l’objet d’un renvoi vers un autre État en application du règlement Dublin 3. Or, faute de visas qui permettent d’emprunter des moyens de transport modernes, beaucoup de celles qui arrivent dans le Calaisis y parviennent à l’aide de passeurs après de longs périples terrestres et maritimes qui les exposent à de nombreux contrôles policiers. La plupart connaissent d’avance leur sort au point de renoncer à l’asile de peur d’être renvoyées à la périphérie de l’Union où il s’apparente à une chimère, ou bien dans un pays où l’on sait l’intégration quasi impossible, comme l’Italie.

Aux personnes paralysées par le règlement Dublin, s’ajoutent celles qui souhaitent à toute force gagner la Grande-Bretagne pour des raisons diverses et qui ne le peuvent pas en raison de la dérogation accordée en 1997 par l’Union européenne à ce pays l’exonérant de la liberté de circulation en vigueur partout ailleurs dans l’Union(2). De ce fait, la Manche et la mer du Nord sont devenues des frontières soumises aux mêmes règles de contrôle que des frontières extérieures, ouvrant la voie aux passeurs et à leurs trafics.

Si, dans l’Europe entière, tous les États jouaient loyalement le jeu de l’asile, si tous pratiquaient des conditions d’accueil décentes, mettaient en œuvre des procédures équitables et s’efforçaient d’intégrer au mieux les personnes devenues réfugiées ou placées sous protection subsidiaire, la pression serait infiniment moindre sur cette frontière artificielle, limitée à celles et à ceux – minoritaires – qui pratiquent la langue anglaise ou peuvent se prévaloir de raisons familiales. Mais la plupart des États cherchant à écœurer les personnes à la recherche d’une protection, nombre d’entre elles finissent par atterrir dans la nasse de Calais et plus largement du littoral de la Manche et de la mer du Nord.

Or, pendant son été largement européen, qu’a fait le ministre français de l’intérieur ? Il a passé des accords avec son homologue britannique pour renforcer les contrôles à la frontière(22), sans chercher à promouvoir une politique européenne constructive de l’asile, s’accommodant parfaitement de ses dysfonctionnements chroniques dans l’Union. Autant dire qu’il a adhéré à la philosophie de la lutte prioritaire contre l’« appel d’air », celle-là même qui, au fil des ans, a généré l’impasse calaisienne.

Qu’attendre, dans ces conditions, de la demi-mesure humanitaire de l’ouverture du centre d’accueil de jour Jules-Ferry ? Absolument rien, cette nouvelle structure n’étant rien d’autre, au même titre que le camp de Sangatte en son temps, qu’un cache-misère parfaitement intégré par son inhumanité à l’appareillage dissuasif que l’Europe tout entière déploie contre les personnes exilées, alors même que, comme l’expliquait le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) au Défenseur des droits, « la situation des migrants sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord a souvent été présentée dans le passé comme relevant de la seule question des migrations irrégulières. Or, poursuivait le HCR, la prédominance parmi eux de ressortissants afghans, soudanais, irakiens, érythréens et iraniens fait présumer que la majorité de ces personnes provient de pays dans lesquels la situation politique est instable, voire conflictuelle, ou de pays où les droits de l’Homme font l’objet de graves violations(23) ». Qu’importe.

À Calais, un été d’incohérence

À Calais, l’été 2014 a été saisissant par l’incohérence de ses rebondissements en cascade dans un temps très bref. Cette incohérence de la désorientation politique, moins spectaculaire parce qu’étalée dans un temps beaucoup plus long, qui n’a pas cessé depuis les années 1990.

  • Acte I : le 21 août 2014, Natacha Bouchard, sénatrice et maire très conservatrice de Calais, qui n’a cessé depuis son élection en 2008 d’exiger l’expulsion par la force, plaide soudain en faveur de l’ouverture d’un « centre éloigné des habitations des riverains », qui « devrait rester de dimensions raisonnables pour éviter toutes dérives » et ainsi « vider à 80 % le phénomène dans la ville » (AFP, 22 août 2014).
  • Acte II : « Je ne veux pas créer un centre d’accueil qui soit un nouveau point de convergence des migrants », lui répond, le 28 août, Bernard Cazeneuve. « Je ne peux pas à la fois démanteler les filières d’immigration irrégulière et organiser les conditions pour que les trafics continuent », explique-t-il pour justifier sa fermeté (AFP, 28 août 2014).
  • Acte III : mais voilà que, le 30 août, le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin, qui ne saurait s’exprimer sur le sujet sans l’aval de son patron, envisage l’idée d’un « lieu d’accès facile pour les migrants, où l’on pourrait concentrer les forces de tout le monde » et où les « populations migrantes auraient accès à un minimum de services : point d’eau, sanitaires, prestations de santé, accompagnement social et juridique ». Le préfet hésite entre un seul lieu d‘« accueil de jour » ou plusieurs « répartis en périphérie » (La Voix du Nord, 30 août 2014).
  • Acte IV : le 2 septembre, le ministère de l’intérieur, fait sienne l’idée de l’ouverture prochaine d’un centre d’accueil de jour pour les migrants à Calais.

On croit rêver. En douze jours, des pirouettes politiques ont chamboulé la situation. Une maire de la droite la plus hostile aux personnes migrantes, qui n’avait jusqu’alors cessé de revendiquer l’usage de la force pour les chasser de sa cité, souhaite, à la surprise générale, la création d’un lieu d’accueil. Quant au ministre, il passe, dans la plus totale contradiction avec lui-même, du refus au consentement.

Des gouvernements autistes face à des constats unanimes

Sur la situation des personnes exilées à Calais et dans le nord-ouest de la France, les rapports d’institutions officielles et de structures associatives font le même constat : une misère matérielle entretenue au mépris des lois et un harcèlement policier indigne d’un État de droit. Aucun des gouvernements en place au moment de la publication de ces différents bilans ne leur a prêté la moindre attention.

  • Conseil de l’Europe – Commissaire européen des droits de l’homme :
    • Rapport du 17 février 2015 par M. Nils Muižnieks
    • Lettre de M. Thomas Hammarberg du 3 août 2010 au ministre de l’immigration
  • Human Rights Watch, «  France : Les migrants et les demandeurs d’asile victimes de violence et démunis  », 20 janvier 2015.
  • Défenseur des droits : Décision MDS 2011-113 du 13 novembre 2012.
  • Calais Migrant Solidarity, «  Calais : cette frontière tue – Rapport d’observation des violences policières à Calais depuis juin 2009  », 2011.
  • Réseau euro-méditerranéen pour les droits de l’homme (REMDH), Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Association européenne pour la défense des droits de l’homme (AEDH) et Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (Gadem), «  Calais, la violence de la frontière – Mission d’enquête à Calais et à Paris 25 janvier-2 février 2010  », 2010.
  •  Migreurop, Les Frontières assassines de l’Europe, chapitre «  Calais et le nord de la France : zone d’errance, porte de l’Angleterre  », 2009.
  • Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), «  La loi des « jungles ». La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord, Rapport de mission d’observation mai-juillet 2008  », septembre 2008.

 


Notes

(1) Plusieurs communiqués ont condamné le 27 mai 2014 cette opération, notamment : « À Calais, soigner la gale en mettant les « galeux » à la rue ! » signé par 27 organisations ; « Exilés de Calais, la santé méprisée », Lettre ouverte à Manuel Valls par 10 autres organisations. (retour au texte1)

(2) Jungle de Calais : la plupart des migrants ont été relâchés », le Figaro, 29 septembre 2009.(retour au texte)

(3)Voir le cahier de jurisprudence dans ce numéro.(retour au texte)

(4)TA Melun, 19 février 2015, req. n° 1406150 et cahier de jurisprudence de ce numéro.(retour au texte)

(5)Témoigne aussi de cet empressement l’interpellation de 10 500 personnes au premier semestre 2014 entre Calaisis et Dunkerquois, selon des chiffres officiels. Voir APP, 18 juillet 2014 : « Calais : plus de 7 000 migrants arrêtés au premier semestre, deux fois plus qu’en 2013 ».(retour au texte)

(6)« Calais : le préfet n’évacuera pas les squats de migrants avant plusieurs semaines », La Voix du Nord, 4 août 2014.(retour au texte)

(7)« La maire UMP de Calais veut ouvrir un nouveau centre pour migrants », La Voix du Nord, 21 août 2014.(retour au texte)

(8)« Le ministre de l’Intérieur opposé à l’ouverture d’un centre pour migrants à Calais », La Voix du Nord, 28 août 2014.(retour au texte)

(9)« Calais : le préfet favorable à « un accueil de jour » pour les migrants », La Voix du Nord, 30 août 2014.(retour au texte)

(10)Communication au conseil des ministres, 3 septembre 2014.(retour au texte)

(11)« Mare Nostrum » a vu le jour en octobre 2013 après un naufrage qui avait fait 366 victimes au large de Lampedusa. L’émotion suscitée par ce drame parmi beaucoup d’autres qui, eux, étaient restés sans réactions a conduit l’Italie à surveiller la mer et à porter secours. Le programme a cessé en octobre 2014 faute de la participation de l’UE et de ses membres. Voir notamment « « Mare Nostrum » : le dilemme de Bruxelles », Le Monde, 20 octobre 2014.(retour au texte)

(12)Communication de M. Cazeneuve au conseil des ministres du 3 septembre 2014.(retour au texte)

(13)Si l’on enregistre des milliers de décès en amont du Calaisis, on en enregistre aussi sur place. Voir Philippe Wannesson, « De Valls à Cazeneuve : une année meurtrière à la frontière », 3 novembre 2014.(retour au texte)

(14)Le règlement Dublinn 3 prévoit que le pays dans lequel est déposée une demande de protection renvoie la personne requérante dans un autre pays signataire de ce règlement notamment s’il existe des traces (empreintes digitales) de son passage antérieur sur son territoire. Les 28n membres de l’UE ainsi que la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein sont parties prenantes au système Dublin.(retour au texte)

(15)Conseil d’État, ordonnance du 10 février 2012, Karamoko A., req. n° 356456.(retour au texte)

(16)Voir « Le plus humain possible », éditorial, Plein Droit n° 102, octobrebre 2014.(retour au texte)

(18)Voir l’encadré « Des gouvernements autistes face à des constats unanimes ».(retour au texte)

(19)Circulaire d’Édith Cresson du 26 septembre 1991.(retour au texte)

(20)« Calais : la maire explique son cas au Parlement britannique », 20 minutes, 29 octobre 2014.(retour au texte)

(21)Lorsque les accords de Schengen, qui prévoyaient l’abolition des contrôles aux frontières intérieures, ont été intégrés aux règles communes de l’Union européenne par le traité d’Amsterdam en 1997, l’Irlande et le Royaume-Uni ont obtenu un « opt-out » concernant cette partie du traité.(retour au texte)

A Calais, une jungle d’État pour les migrants // Libération, 02.04.2015

A Calais, une jungle d’État pour les migrants

Des réfugiés qui occupaient le site de l’ancienne usine Tioxide et des squats en ville ont été sommés de quitter les lieux et d’aller s’installer sur un terrain dans la lande, rebaptisé «new jungle».

 

«Le chef de Calais est venu, et il a dit : « Vous devez partir. Si vous êtes encore là fin mars, la police viendra, et prendra tout ».» Au milieu de l’ancien bidonville de l’usine Tioxide vidé de ses migrants soudanais, érythréens, éthiopiens, Afghans, Al-Noor, 22 ans, soudanais, tient entre les mains une bâche bleue roulée en boule. C’était la mosquée. Bois, plastique, ficelles, pieux : il est en train de tout démonter pour partir à quelques kilomètres de là, à l’écart de la ville, dans le camp que les autorités ont désigné comme «toléré».

Il y a eu sur le site de Tioxide jusqu’à 1 000 personnes l’été dernier. Et le nombre de candidats à l’exil en Angleterre, qui se glissent dans les camions, les ferries et les navettes de fret d’Eurotunnel, a grimpé jusqu’à 2 500. Un groupe d’extrême droite, Sauvons Calais, est né. Des migrants se sont fait tirer dessus. Juste en face de la mosquée démontée, l’église est déjà partie. L’«école», où on prenait quelques cours d’anglais et de français, est vide. Pareil pour le petit restaurant, la guérite du coiffeur, l’épicerie. Tout le monde a déguerpi sur la lande sud de Calais, sur ordre du sous-préfet.

Palette. En quelques jours, 1 000 des 1 300 migrants se sont installés là. Rue des Garennes, un homme passe, une palette sur le dos. Un kilomètre encore jusqu’au nouveau camp que les réfugiés ont surnommé la «new jungle». Deux Afghans poussent un caddie rempli de gâteaux, pour la future épicerie. Une ville-champignon est en train de pousser au bout de la rue, et le long du chemin des dunes. La «new jungle» est un rectangle de 500 mètres sur un kilomètre. C’est un bidonville officiel, un «Sangatte» toléré, à l’abri des regards des Calaisiens. Une «jungle» d’Etat, en quelque sorte.

Le sous-préfet, Denis Gaudin, a fait le tour des principaux squats de Calais et a expliqué aux migrants qu’il était «dans leur intérêt» d’aller là, pour éviter «tout recours à la force», c’est-à-dire gardes mobiles et bulldozers.

En ville, quelques irréductibles, surtout des Syriens, refusent de quitter le porche d’une église, un auvent d’un hangar sur le port, et un squat. Sur le sable de la «new jungle», voici Hirut (1), une Ethiopienne. Elle tend un morceau de ficelle à un jeune homme debout sur une chaise. Il attache les rondins qui vont former le toit de son «restaurant». Pour 3,5 euros, elle servira l’injera, une galette acide, à tremper dans la sauce.

Devant leurs tentes, Mustafa, Abil et Fasil, Ethiopiens. Ils ont entre 17 et 20 ans. Il y a quinze jours, ils ont quitté les prisons libyennes pour traverser la Méditerranée. «170 morts», dit Abil sans cesser de sourire. Il lève les yeux vers les camions qui passent sur l’autoroute au-dessus de leurs cabanes. «Ici, pour passer en Angleterre, on est bien placé.» A chaque embouteillage, les exilés tentent de monter dans les poids lourds. Au bout du chemin goudronné de frais par la ville de Calais, un groupe d’Erythréens et d’Ethiopiens remonte l’église. Certaines cabanes sont arrimées au sol sableux par des pierres. D’autres, emballées à la ficelle, ont un air de yourtes. Les associations ont donné du plastique agricole noir, des bâches bleues. Médecins du Monde a distribué 400 duvets, 120 tentes, construit cinq latrines.

Chemin des dunes, la ville de Calais fabrique une butte de terre, pour cacher les maisons voisines. Les riverains sont furieux, le camp est arrivé sans prévenir. En haut de la butte, un morceau de tissu jaune marque un repère. De l’autre côté, des ados égyptiens, avec Josette, aide-soignante, et son mari, infirmier, tous deux retraités. «Ils étaient dans le squat de la rue Blériot, sans eau, sans électricité, sans toilettes. C’était nos voisins depuis dix-huit mois, raconte la Calaisienne. Ça fait quelque chose de les voir partir. Ils nous appellent maman et papa. Le plus jeune avait 8 ans, tout seul.» La première fois, ils ont toqué à sa porte pour de l’eau, puis encore «dès qu’il y avait un petit bobo». Ils montent des tentes, plantent des pieux, ratissent. «On viendra les voir», promet Josette.

«Bidonville». Le vent d’ouest ramène l’odeur chimique de l’usine Tioxide, la même odeur que sur l’ancien squat. Christian Salomé, de l’association L’Auberge des migrants, s’inquiète : «On les entasse tous dans un bidonville. Des communautés différentes, qui n’ont pas la même façon de vivre, pas les mêmes problèmes. C’est très maladroit.» A côté de ce gigantesque campement, le «Centre Jules Ferry», un ancien centre aéré entre dunes et campagne, où une association, Vie active, gère, pour le compte de l’Etat, la distribution de nourriture, sous tente, une fois par jour, et l’hébergement de femmes et d’enfants. Les hommes ont droit à un accueil de jour, où ils peuvent recharger leur portable, boire un café et se reposer au chaud.

Mercredi, ils étaient 600 à la distribution du repas de 17 heures. Là, des toilettes, accessibles l’après-midi seulement, et trois robinets d’eau potable. «Trois robinets d’eau pour 1 000 personnes», soupire Christian Salomé. Le 11 avril, il y aura une soixantaine de douches. Pour l’instant, c’est compliqué, il faut avoir la chance de tomber sur le camion de Médecins du monde, qui n’a que 25 douches par jour à offrir. Nawab, afghan de 16 ans, montre ses cheveux sales : «Regarde, je n’ai pas pris de douche depuis quinze jours.» Un Erythréen s’approche : «J’ai le corps qui gratte, partout, je dois faire quoi ?» La gale. Voilà Isahak, 25 ans, ancien étudiant en psychologie à Addis-Abeba, en Ethiopie. «J’ai vécu la prison politique en Ethiopie, puis le désert libyen, la prison en Libye, la traversée de la Méditerranée, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir pitié de la France. Je n’imaginais pas cela.»

Haydée Sabéran

(1) Le prénom a été modifié.

« La torture au bout du fil » / Documentaire de Keren Shayo

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