24 centres de rétention sont passés au crible : statistiques précises, témoignages et spécificités locales. Alors qu’un énième projet de loi est en cours de discussion, l’édition 2017 du rapport offre analyses et chiffres inédits pour décrypter une politique migratoire menée au détriment des droits fondamentaux des personnes étrangères.
Rapport commun sur les centres de rétention administrative par ASSFAM Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade, Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte.
Les six associations intervenant dans les centres de rétention administrative présentent leur huitième rapport commun.
En 2017 la barre des 300 enfants enfermés en métropole a été franchie avec 147 familles soit 304 enfants privés de libertés derrière les barbelés de la rétention en métropole. La majorité de ces enfants avaient moins de 6 ans et 20 % moins de 2 ans. Pour signer la pétition commune et demander à Emmanuel Macron de mettre fin à cet enfermement des enfants pour lequel la France a été lourdement condamné à six reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme, c’est ici.
Au total, 47 000 personnes ont vécu la violence traumatisante de l’enfermement en CRA, un chiffre plutôt stable depuis quelque années. Mais une hausse de 17 % en métropole s’explique notamment par une course au chiffre après le drame de Marseille survenu en octobre. La France est de loin le pays de l’Union européenne qui enferme le plus de personnes étrangères au seul motif qu’elles ne peuvent pas présenter le bon papier au bon moment lors d’un contrôle de police.
Le projet de loi actuellement en cours de discussion prévoit, entre autres mesures répressives, de doubler la durée légale de l’enfermement pour passer de 45 à 90 jours, alors que comme chaque année, en 2017, la durée moyenne de l’enfermement est de 12,8 jours et que 80 % des expulsions sont effectives dans les 25 premiers jours. Cette nouvelle durée de rétention apparaît ainsi disproportionnée et inefficace, elle ne ferait qu’augmenter les souffrances et les traumatismes.
Un article du Monde:
Centres de rétention : en 2017, davantage d’étrangers enfermés, mais seulement 40 % d’expulsions
Six associations dénoncent, dans un rapport, les « abus » de la politique d’enfermement des sans-papiers en métropole en 2017.
LE MONDE | | Par Anne-Aël Durand
Des abus répétés et de tristes records : le rapport annuel sur les centres de rétention administrative, présenté mardi 3 juillet par six associations d’aide aux migrants (AssFam, Forum Réfugiés, France Terre d’asile, la Cimade, l’Ordre de Malte et Solidarité Mayotte), dresse un bilan sévère de la politique de la France vis-à-vis des migrants.
25 274 personnes enfermées, dont 304 enfants
Les centres et locaux de rétention administrative (CRA et LRA) sont des « prisons qui ne disent pas leur nom », selon David Rohi, responsable de la rétention à la Cimade. Les étrangers en situation irrégulière ne sont pas « détenus » mais « retenus », car ils sont enfermés par l’administration et non par des juges, en attendant d’être renvoyés vers leur pays d’origine ou un autre pays de l’Union européenne.
Au cours de l’année 2017, 25 274 personnes de 140 nationalités différentes ont été enfermées en métropole, et 19 683 personnes en outre-mer, principalement dans le CRA de Mayotte, le plus grand de France, qui a vu défiler à lui seul 17 934 personnes.
Si les chiffres en outre-mer ont décru par rapport à 2016, les associations déplorent une hausse de près de 10 % du nombre de placements d’étrangers dans les centres de rétention de métropole en 2017, soit des niveaux comparables aux débuts de la crise migratoire en 2014, alors que trois centres sont restés fermés durant toute l’année, à Hendaye, à Strasbourg et à La Réunion.
Les associations déplorent en particulier le doublement du nombre d’enfants placés en CRA avec leur famille pour faciliter leur expulsion : ils étaient 304 en 2017, contre 172 l’année précédente, et seulement 41 en 2013. L’enfermement de mineurs, contraire aux droits de l’enfant, a été condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, et la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, ont dénoncé récemment cette expérience traumatisante pour des enfants parfois très jeunes — plus de la moitié d’entre eux avaient moins de 7 ans.
Un taux d’éloignement en baisse
La Cimade dénonce « l’emballement de la machine à expulser » qui conduit à des procédures abusives : « Plus les préfets enferment hâtivement sans examiner les situations individuelles, plus les violations de droits se multiplient : les libérations par les juges atteignent un niveau record de 40 %, alors qu’on n’avait jamais atteint plus de 34 % depuis 2010 », déplore M. Rohi. Ainsi, l’enfermement des « dublinés », les étrangers ayant laissé leurs empreintes dans un autre pays de l’Union européenne, a été poursuivi durant toute l’année alors qu’il avait été jugé illégal en septembre 2017.
En outre-mer, et en particulier à Mayotte, un statut dérogatoire rend difficile l’accès au juge, et la plupart des expulsions se décident très rapidement d’où un taux d’éloignement de 94 %. Mais en métropole, la rétention administrative, qui est l’option la plus coercitive, après la notification d’obligation de quitter le territoire (OQTF), l’aide au retour ou l’assignation à résidence, n’aboutit pourtant à une expulsion que dans 40,4 % des cas. Un taux d’« efficacité » en recul par rapport à 2016 (44 %).
Des taux d’expulsions très inégaux
D’un centre à l’autre, le taux d’expulsion varie fortement : il n’est que de 18 % à Rennes, et de 27 % à Coquelles, près de Calais, contre 59 % à Lyon et 69 % à Perpignan.
15 % de rétention en plus après l’attentat de Marseille
L’attentat commis le 1er octobre à la gare Saint-Charles, à Marseille, par un Tunisien qui était en situation irrégulière et aurait dû se trouver en rétention a constitué un coup d’accélérateur. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, avait exhorté, fin novembre, les préfets à « agir rapidement » pour expulser davantage, mais le fait divers avait déjà eu des répercussions sur l’arrestation et l’enfermement d’étrangers en situation irrégulière.
Les Algériens, Tunisiens et Marocains ont été les premières victimes de cette politique du chiffre, avec un « pic » d’entrée dans les centres de rétention dès le mois d’octobre.
Une durée plus longue, pas forcément plus efficace
Au-delà de la description du fonctionnement des centres de rétention, le rapport 2017 est un plaidoyer contre la nouvelle loi asile et immigration, en cours d’examen au Parlement. L’allongement de la durée de rétention, de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, est notamment critiqué pour son inefficacité. En effet, la durée moyenne de séjour est bien loin de ce maximum, et reste à 12,8 jours, très proche de l’an dernier (12,7 jours).
Les données compilées par les six associations d’aide aux migrants montrent que la moitié des expulsions sont en réalité prononcées dans les dix premiers jours de rétention. « Garder des personnes trois mois va créer des tensions alors que les centres sont déjà pleins, craint M. Rohi. Il y a des tentatives de suicide, des automutilations, des bagarres. Tout le monde est très inquiet : les associations, les médecins et les présidents des centres eux-mêmes. » A Marseille, un Albanais est mort en décembre 2017 après s’être pendu durant sa rétention.
La moitié des expulsions ont lieu dans les dix premiers jours de rétention
Un article du Figaro:
Rétention administrative: 2017, une année «sombre» aux yeux des associations
En 2017, environ 46.800 étrangers ont été enfermés dans l’un des 40 centres ou locaux de rétention administrative de France. Une situation que six associations continuent de dénoncer sans relâche dans leur huitième rapport annuel sur le sujet.
«Banalisée et détournée, la rétention est trop souvent inutile et déshumanisante». Dans leur rapport 2017 présenté ce mardi matin, six associations – Assfam-groupe SOS solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, la Cimade, l’Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte – dénoncent une politique de rétention administrative «dont les abus déjà signalés au cours des dernières années se sont encore amplifiés».
En France, il existe aujourd’hui 40 centres ou locaux de rétention administrative (CRA ou LRA), dans lesquels des étrangers interdits de séjour dans l’Hexagone peuvent être retenus jusqu’à 45 jours avant d’être expulsés. L’année dernière, 45.257 personnes ont été enfermées en CRA, dont 25.274 en métropole et 19.683 en outre-mer, et environ 1900 en LRA, 1200 en métropole et 700 en outre-mer, selon des estimations.
Ce nombre total d’environ 46.800 personnes enfermées – en grande majorité des hommes – est «sensiblement le même» que celui de 2016. Depuis quelques années, la situation reste d’ailleurs quasi identique, avec néanmoins un pic à 49.537 personnes enfermées en 2014. Mais en 2017, si le nombre d’enfermements a baissé en outre-mer, le nombre d’étrangers passés en CRA ou en LRA a augmenté de 10% en métropole.
Une hausse que les auteurs du rapport attribuent en grande partie à l’attaque de Marseille le 1er octobre 2017, lors de laquelle un Tunisien de 29 ans en situation irrégulière sur le sol français avait mortellement poignardé deux cousines de 20 ans. Le jour du drame, le suspect aurait dû être enfermé en CRA, mais avait été remis en liberté la veille par erreur.» LIRE AUSSI – L’auteur de l’attaque de Marseille avait été arrêté à Lyon
Aux yeux de David Rohi, responsable national de la rétention pour la Cimade, l’attaque de Marseille a certes eu une conséquence «politique» d’augmentation de placements en rétention, mais cette dynamique était «déjà bien amorcée». «Au-delà du recours massif à la rétention administrative, ce qui nous inquiète, c’est la hausse des abus et des violations des droits constatées sur le terrain», souligne-t-il auprès du Figaro.
«Enfermer plus ne permet pas d’éloigner plus»
«La France est de loin le pays qui a le plus recours à l’enfermement» par rapport aux autres États membres de l’UE, notent les associations, persuadées qu’«enfermer plus ne permet pas d’éloigner plus». Et de citer notamment le cas de l’Allemagne, qui enfermait en 2016 quatre fois moins de personnes étrangères que la France mais réalisait pourtant dix fois plus d’éloignements.
Le rapport dénonce également une «explosion du nombre d’enfants enfermés», avançant le chiffre de 147 familles pour 304 enfants concernés en métropole en 2017 contre 88 familles et 304 enfants en métropole en 2016. «Même de courte durée, la rétention, qui présente toutes les caractéristiques du milieu carcéral, est profondément traumatisante pour des enfants», se scandalisent les auteurs de l’enquête.
Cette proximité entre «rétention administrative» et «prison» est d’ailleurs un des grands motifs d’indignation des six associations. «Policiers présents partout, cellules d’isolement, barbelés, grilles, haut-parleurs, miradors», locaux «exigus», distractions «rares»… «La rétention, c’est un environnement extrêmement anxiogène», martèle David Rohi.
» LIRE AUSSI – Centres de rétention: «Je ne pensais pas que cela ressemblait autant à une prison»
Autant d’éléments qui poussent Assfam-groupe SOS solidarités, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, la Cimade, l’Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte à appeler le gouvernement à un «changement de cap» sur la question de la rétention administrative. Contacté par Le Figaro, le ministère de l’Intérieur a indiqué ne pas avoir de commentaire à faire.
De son côté, David Rohi pointe deux objectifs à court terme: la fin de l’enfermement des enfants et des locaux de rétention administrative (LRA), dans lesquels «les conditions de rétention sont encore moins bonnes qu’en CRA», selon lui. Autre cheval de bataille: le passage de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours, un projet «très dangereux humainement […] qui se révélera en outre inefficace», conclut David Rohi.
Immigration : le taux de rétention en France en forte augmentation
Le taux d’éloignement des personnes placées en centres de rétention administrative n’est que de 40%, relève le rapport annuel des six associations qui interviennent dans ces lieux d’enfermement.
« L’année 2017 a été marquée par une forte augmentation du nombre de personnes placées en rétention en métropole et par des violations des droits qui ont atteint un niveau inégalé depuis 2010 », constate le rapport annuel sur les centres et locaux de rétention administrative (CRA, LRA). Au total, 46 800 personnes y ont été enfermées, dont 26 474 en métropole (+ 10 % par rapport à 2016) et 20 383 outre-mer – ce qui fait de la France « le pays qui a le plus recours à l’enfermement » de l’Union européenne.
Cette politique de la rétention, qui vise à éloigner davantage, s’avère cependant « inutile pour plus de la moitié des personnes enfermées », souligne le rapport, qui rappelle qu’elle engendre « un coût économique exorbitant et de profondes souffrances ».
Les chiffres le démontrent : pour la France métropolitaine, « le taux d’éloignement ne s’élève qu’à 40 % contre 57 % de remises en liberté ». Parmi les personnes éloignées, près de la moitié l’a été vers un Etat membre de l’UE ou de l’espace Schengen. En comparaison, cite le rapport, « l’Allemagne enfermait en 2016 quatre fois moins de personnes étrangères et réalisait dix fois plus d’éloignements ». En somme, « enfermer massivement ne permet pas d’éloigner beaucoup plus ».
Violation de droits et remise en liberté
A 71 %, les remises en liberté « résultent du constat par les juges de violations des droits des personnes retenues », relève le rapport, qui met en relief trois situations rencontrées en 2017.
La première a été celle du placement en rétention de demandeurs d’asile en procédure Dublin (NDLR : personnes susceptibles d’être transférées vers un autre Etat de l’UE) alors même que la Cour de cassation avait jugé cette pratique illégale, et avant la loi de mars 2018 l’autorisant.
La deuxième est la façon dont les préfectures du Nord, du Pas-de-Calais et de Paris ont enfermé en rétention quelque 3 000 personnes originaires de pays à risque (Afghanistan, Irak, Soudan, Erythrée, voire Syrie), soit non expulsables, pour décourager leur présence dans le Calaisis ou éviter la formation de campements à Paris.
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Le rapport dénonce aussi l’utilisation de l’enfermement comme « réponse politique » après l’attentat de Marseille, le 1er octobre 2017, où deux jeunes femmes ont été tuées par un Tunisien en situation irrégulière. La pression sur l’administration qui a suivi a conduit « à une explosion tous azimuts des placements ». Avec une efficacité très limitée sur le taux d’éloignement : dans les CRA de Perpignan et Toulouse par exemple, le nombre de personnes enfermées expulsées a chuté de façon drastique au dernier trimestre (de 70 à 49 % et de 49 à 26 %).
304 enfants enfermés
Autre constat alarmant, dénoncé également le 14 juin dernier par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) : l’explosion du nombre d’enfants enfermés en rétention. En 2017, 304 enfants, pour 147 familles, ont été placés dans des CRA. 76 % d’entre eux avaient moins de 12 ans.
Évolution du placement des familles S’il s’agissait, dans 70 % des cas, de « placements de confort » pour des transferts Dublin, organisés souvent la veille pour un départ le lendemain, le séjour, même court, dans ces lieux calqués sur le système carcéral « est profondément traumatisant pour des enfants », souligne le rapport, qui rappelle que la France a été cinq fois condamnée par la CEDH pour cette pratique. A Mayotte, 2 493 enfants, souvent arbitrairement rattachés à un adulte, ont été eux aussi privés de liberté.
Un allongement sans effet
A l’heure où le projet de loi Asile et immigration est débattu, le rapport rappelle que le doublement de la durée de rétention – que le texte prévoit de faire passer de 45 à 90 jours – n’aura qu’« un impact limité sur le nombre d’éloignements ».
En clair, « enfermer longtemps ne permet pas d’expulser plus », souligne-t-il, chiffres à l’appui. Ainsi, le nombre d’expulsions depuis la métropole est le même en 2010 qu’en 2017 (environ 10 000 personnes) alors que la durée de rétention est déjà passée de 32 à 45 jours en 2011.
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80 % des éloignements ont lieu entre le 1er et le 25e jour de rétention. « Cette mesure apparaît donc inopérante et disproportionnée au regard des coûts humains et économiques qu’elle engendre », insiste le rapport.
« Banalisée et détournée, la rétention est souvent inutile et déshumanisante », concluent les six associations, qui appellent une nouvelle fois le gouvernement et les parlementaires « à l’urgence d’un changement de cap ».
Rapport réalisé par l’Assfam-groupe SOS Solidarités, Forum-Réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade, Ordre de Malte France, Solidarité Mayotte.