Les représentions cartographiques sur les mouvements migratoires peuvent se révéler trompeuses comme le montre un atlas.
Peut-on faire confiance aux cartes des migrations ? Paradoxalement, c’est un atlas qui pose la question, et qui donne une réponse sans appel : il faut s’en méfier. Fruit d’un long travail de terrain, mené par le réseau Migreurop (1), qui réunit militants et chercheurs, l’Atlas des migrants en Europe (2) propose de déconstruire les cartes «officielles» des phénomènes migratoires.
Face à un Vieux Continent qui croit prendre sa part de la misère du monde et qui le montre avec une carte où chaque pays affiche un cercle rouge proportionnel aux quelques milliers de Syriens accueillis, les auteurs élargissent le cadre. Ils intègrent les pays du Moyen-Orient, notamment la Turquie, le Liban et la Jordanie, où se trouve l’immense majorité des réfugiés syriens, pour relativiser la générosité européenne. Même chose avec l’idée d’un péril migratoire, matérialisé par d’énormes flèches rouges en provenance de chaque pays d’Afrique qui se rejoignent en un flux massif vers une Europe prise d’assaut. Aucun sens, rétorque l’ouvrage, tant les parcours sont divers et ne se résument pas à un point de départ et à un point d’arrivée.
Pour introduire un peu de nuance et de complexité dans la représentation de ces phénomènes, l’atlas fait le choix de la multiplicité des documents. Les cartes apparaissent aux côtés de photos, de dessins et autres bandes dessinées. Solides du point de vue scientifique, elles ne sont pas uniformes graphiquement pour mieux souligner la diversité des interprétations possibles. Elles multiplient aussi les niveaux d’analyse.
A l’échelle continentale, on y mesure l’extension spatiale des dispositifs de contrôle et d’enfermement, désormais présents jusqu’en Afrique centrale. On y entend aussi la parole des migrants, dont les cartes mentales racontent la difficulté à franchir des frontières toutes différentes, chacune imposant un statut administratif nouveau, tantôt légal, tantôt illégal. A l’échelle locale, les cartes montrent comment se créent des territoires de la migration, comme ce Paris des migrants aux 28 camps informels entre Austerlitz et la gare de l’Est. Au fil des liens qui se tissent entre le proche et le lointain, impossible de se sentir tout à fait étranger à cette question.
(2) Atlas des migrants en Europe. Approches critiques des politiques migratoires, Armand Colin, 25 €.