Médiapart // Le gouvernement veut exclure les sans papiers des hébergements d’urgence

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Malgré l’opposition des acteurs de terrain, le ministre de l’intérieur a diffusé aux préfets une circulaire qui autorise les vérifications administratives dans les centres d’hébergement d’urgence afin d’en faire sortir les sans-papiers. Les associations nationales dénoncent un « tri » des personnes sans abri.

Le ministère de l’intérieur est passé en force. Malgré le refus catégorique exprimé par les acteurs de l’hébergement d’urgence et les associations de défense des droits des étrangers, Gérard Collomb a signé le 12 décembre 2017 une circulaire mettant peu ou prou fin à l’hébergement inconditionnel qui permet théoriquement à toute personne, y compris celles qui sont dépourvues d’autorisation de séjour, de ne pas dormir à la rue.

Intitulé « Examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence », ce texte, également paraphé par le ministre de la cohésion des territoires Jacques Mézard, autorise des « équipes mobiles », constituées d’agents des préfectures, d’agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (sous la tutelle du ministère de l’intérieur) et éventuellement de travailleurs sociaux, à entrer dans les centres d’hébergement d’urgence pour vérifier la situation administrative des personnes afin d’en faire sortir les sans-papiers. Il demande aux préfets de tenir à jour des fichiers en « bâti[ssant] localement un dispositif de suivi administratif robuste des personnes étrangères en hébergement d’urgence ».

Les ministres assurent ne pas contrevenir au principe d’accueil inconditionnel inscrit au premier alinéa de l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles, qui dispose que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Cet accès n’est subordonné à aucune condition de régularité au séjour, comme le reconnaît la circulaire elle-même. Les ministres affirment d’ailleurs agir pour mieux « orienter » les personnes en fonction de leur statut.

Mais le subterfuge transparaît dans les solutions d’hébergement préconisées pour les uns et les autres. Les demandeurs d’asile et les personnes ayant obtenu le statut de réfugié doivent être conduits dans les centres prévus pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, centres qui sont saturés, ce qui explique que ces personnes se retrouvent aujourd’hui dans l’hébergement d’urgence. Les étrangers en situation régulière doivent, quant à eux, pouvoir accéder, indique la circulaire, au logement social de droit commun, dans lequel ils ne peuvent entrer, compte tenu de la longueur des files d’attente, qu’après plusieurs années de patience.

Et les autres, c’est-à-dire « ceux qui ne remplissent aucune condition de droit au séjour » ? Pour eux, la circulaire ne prévoit pas d’hébergement, mais un « transfert », sous-entendu vers un autre pays européen pour les demandeurs d’asile sous le coup du règlement de Dublin, ou un « retour », sous-entendu une expulsion vers le pays d’origine pour les étrangers en situation irrégulière.

Après avoir reconnu que l’hébergement était inconditionnel, la circulaire, pour se justifier, souligne que l’État n’est pas tenu d’assurer l’hébergement des personnes auxquelles une obligation de quitter le territoire (OQTF) a été notifiée. Pour asseoir son interprétation, contestée par les associations de défense des droits des étrangers, les ministres affirment se fonder sur « plusieurs décisions de principe » du Conseil d’État.

Conscient que ce dispositif risquait de poser problème, le ministère de l’intérieur a réuni le 8 décembre les acteurs de l’hébergement d’urgence et plusieurs associations nationales d’aide aux migrants. À l’issue de la rencontre, les uns et les autres avaient solennellement rappelé, dans un communiqué commun, que l’accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse était un principe du code de l’action sociale et des familles qui « s’oppose au tri des sans-abri en fonction de leur situation administrative ».

« Ce principe qui constitue l’ADN des associations de lutte contre l’exclusion n’est pas négociable », avaient-ils affirmé, rappelant que les services de police n’étaient pas autorisés à intervenir dans les centres d’hébergement en dehors de l’application d’une décision de justice et que la Cnil encadrait strictement la transmission d’informations individuelles.

« Le renforcement des mesures de contrôle des personnes dans les lieux d’hébergement va précariser les personnes, dont des familles avec enfants, les éloigner des structures d’accueil en favorisant ainsi la reconstitution de squats et campements indignes, particulièrement dans les grandes villes », prévenaient-ils enfin.

[[lire_aussi]]Ce à quoi Gérard Collomb, dans un communiqué, avait rétorqué que l’objectif de la circulaire était de « retrouver de la fluidité dans [les] structures d’hébergement ». Un préfet, celui des Hautes-Alpes, a compris le sous-texte en envoyant, avant même la diffusion de la circulaire, une lettre – révélée par Le Monde – aux centres d’hébergement de son département leur demandant de lui fournir la liste des personnes hébergées afin de faciliter l’assignation à résidence des personnes ayant perdu leur droit au séjour, en vue de leur reconduite à la frontière.

Ce texte du 12 décembre s’inscrit dans le sillage d’une autre circulaire en date du 20 novembre, qui préparait le terrain. Les préfets y étaient mis sous pression pour accroître le rythme des expulsions : il leur était demandé d’« agir rapidement » et, pour être sûr d’obtenir des résultats, le ministre de l’intérieur exigeait la remise d’un « bilan » de leur action « d’ici à la fin du mois de février 2018 ».

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