Migrants : terminus Bruxelles, gare du nord

Marianne Klaric

Publié le lundi 06 mai 2019 à 18h42
On les appelle les migrants en transit. La plupart ne demandent pas l’asile en Belgique. Ils ont trop peur d’être renvoyés dans le premier pays européen où ils ont mis le pied, en vertu du règlement de Dublin. Souvent, c’est un pays d’Europe du Sud, débordé par l’afflux de réfugiés et incapable de leur fournir l’assistance nécessaire. « En Italie, je devais chercher à manger dans les poubelles », raconte un Africain dans un récent rapport du CIRE (Coordination et Initiatives pour réfugiés et étrangers). Comme ils ne demandent pas l’asile, ils ne reçoivent pas d’aide du gouvernement fédéral via Fedasil.
Au sous-sol de la Gare du Nord, ils dorment sur des cartons, sans accès ni aux douches, ni aux toilettes. Certains ont accepté de nous parler. C’est qu’ils ne font pas confiance aux journalistes. « Dernièrement, un reporter m’avait promis de ne pas montrer mon visage et il ne l’a pas fait. Nous sommes des êtres humains comme vous, nous ne voulons pas être filmés dans cette misère ».

Un jeune Erythréen de 17 ans raconte : « Je ne demande pas l’asile ici. Je suis ici depuis sept mois. Je dors ici. Je suis très déçu par l’Europe. Tout ce qu’ils font, c’est prendre tes empreintes digitales… Et après, tu dois partir. Moi je veux aller au Royaume-Uni. Là-bas, j’aurai un boulot. On y vit très bien ». Vous allez trouver un moyen d’y aller ? Oui, tout ira bien ». Parce qu’en Grande-Bretagne, il n’y a pas de contrôles d’identité. Les migrants sont convaincus qu’ils pourront y travailler même dans la clandestinité. Mais c’est dangereux et de plus en plus difficile d’y aller. « J’essaye chaque semaine. Je connais les endroits où il faut aller (monter dans les camions). Il y a aussi des bus. C’est possible. Vous espérez toujours ? Oui, je n’ai pas le choix. C’est la seule possibilité. J’ai essayé partout »

Un autre, un Soudanais de 20 ans, raconte : « Ici je ne me sens pas en sécurité. Tous les jours, il y a des problèmes. Et puis tu ne sais jamais si tu ne vas pas être pris par la police. On ne sait jamais ce qui peut arriver… Tu voudrais rentrer au Soudan, demande l’interprète. Tu es fou ou quoi ? Rentrer ? Après tout ce que j’ai fait et sans avoir réussi… Ce n’est pas possible ».

En bout de course, la plupart d’entre eux n’osent dire à leur famille qu’ils ont échoué. Ils leur mentent ou alors, ils évitent de les appeler. Au premier étage de la gare, il y a un Hub humanitaire, monté par des ONG et par la Plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés. Médecins Sans Frontières y tient une consultation de santé mentale. « On pensait qu’on allait avoir des troubles de stress post-traumatique à cause de leur voyage. » raconte Xavier Guillemin, psychologue chez MSF. « Mais on s’est trompé. Ici, les gens souffrent principalement de dépression. Après tout ce qu’ils ont enduré, ils arrivent ici et doivent vivre dans des conditions déplorables… Et de poursuivre : « on essaye de leur redonner des repères, mais ça prend du temps. Certains ont été vendus en Libye pour 5 dollars. C’est moins qu’un menu McDo. Ils ont été vendus par les passeurs comme esclaves. Comment refaire confiance en l’être humain après ça ? »

Ces migrants en transit ne survivent que grâce aux dons, aux bénévoles et aux ONG. Pour le gouvernement fédéral, ils n’entrent pas en ligne de compte. « Je n’ai pas l’intention d’installer un centre d’accueil pour des gens qui ne demandent pas l’asile, nous a répondu Maggie De Block, OpenVLD, en charge de la politique d’asile. « Nous n’allons pas résoudre leur situation de cette manière, d’autant que cela va créer un appel d’air ».

Pour la Plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés, l’appel d’air est un épouvantail. « Depuis deux ans, nous organisons un accueil à la Porte d’Ulysse, ou chez l’habitant. On les amène avec des chauffeurs, et on n’a pas vu affluer des hordes de migrants », nous dit Mehdi Kassou, son porte-parole, qui demande ce centre d’accueil et d’orientation.

« Il ne faut pas en faire un problème national, nous dit Pierre Verbeeren, directeur de Médecins du Monde. « C’est gérable. On a déjà le HUB et la Porte d’Ulysse, on peut prendre en charge tous les soirs, six à sept cents personnes. Il leur faut un lieu où ils pourront se poser. Leur état se détériore. Il faut pouvoir faire un travail juridique et d’intégration. Ils veulent contribuer à notre société et vivre mieux ».

Françoise Romnée, bénévole et gestionnaire de la Plate-forme de soutien aux réfugiés de la Gare du Nord, n’a pas sa langue en poche : « J’ai envie de dire au gouvernement fédéral : bouger votre c… imaginez-vous à leur place et tendez-leur la main. Aidez les bénévoles qui travaillent depuis 2015 ».

Depuis que les chauffeurs de De Lijn et de la STIB ont décidé de ne plus s’arrêter à la Gare du Nord, Maggie De Block promet de tout faire pour trouver une solution rapide.

 

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