Communiqué
« Concertation asile-immigration », lettre ouverte au Premier ministre
Monsieur le Premier ministre,
Par un message du 6 janvier, vous avez invité le Gisti à une réunion de concertation sur la politique de l’asile et de l’immigration fixée au 11 janvier, précisant qu’il s’agissait d’une « deuxième réunion pour évoquer l’avant-projet de loi » et que l’ordre du jour détaillé nous en serait communiqué « ultérieurement ».
Nous tenons à vous faire connaître les raisons pour lesquelles il ne nous apparaît pas possible de répondre positivement à cette invitation.
Nous souhaitons d’abord vous rappeler que 470 associations, réseaux ou collectifs engagés dans la défense des droits des personnes migrantes lançaient le 20 juin 2017 un appel à un changement radical de politique migratoire en France [1]. Constatant que la gestion répressive des migrations internationales et le non-respect du droit d’asile qui prévalent dans la plupart des pays d’Europe et en France en particulier sont un échec effroyable, ces organisations vous appelaient, ainsi que le Président de la République, à convoquer d’urgence une conférence impliquant tous les acteurs, afin qu’émergent des politiques alternatives d’accueil et d’accès aux droits.
Sans égard pour ces recommandations, vous présentiez le 12 juillet 2017 un « plan migrants » – incluant un projet de loi, alors annoncé pour le mois de septembre 2017 – dont le Défenseur des droits lui-même devait relever, le 21 juillet, qu’il « s’inscrit dans la ligne des politiques successives qui dysfonctionnent depuis 30 ans ».
Constatant que cette annonce ignorait les propositions portées par celles et ceux qui œuvrent au plus près des personnes migrantes, ce sont alors près de 260 associations et collectifs de solidarité et de défense des droits humains qui, en réponse, décidaient de prendre elles mêmes en charge l’organisation d’une large concertation citoyenne sur l’accueil et les droits des personnes migrantes en France [2]. Cette concertation a pris la forme d’États généraux des migrations, dont le processus a été lancé le 21 novembre 2017 [3].
De son côté, la Commission nationale consultative des droits de l’homme adoptait le 17 octobre 2017 une « déclaration alerte sur le traitement des personnes migrantes », publiée le 19 novembre 2017 au Journal officiel, aux termes de laquelle, « ayant pris connaissance par voie de presse de certaines dispositions du projet de loi intitulé « pour un droit d’asile garanti et une immigration maîtrisée » elle soulignait « l’urgente nécessité de construire une autre politique migratoire avec une dimension internationale et européenne », ajoutant que « cette refonte politique suppose une véritable concertation avec l’ensemble des acteurs (État, société civile, chercheurs, syndicats, etc.) ».
Pourtant, conviées au cabinet du ministre de l’intérieur le 20 novembre 2017, les représentantes du Gisti se voyaient présenter les premiers axes d’un futur projet de loi sur l’immigration et l’asile qui confirmaient les orientations annoncées le 12 juillet, à rebours de celles que nous défendons, avec tant d’autres. Au cours de cet entretien, aucun intérêt n’était manifesté par leurs interlocuteurs ni pour les observations critiques suscitées par les mesures annoncées, ni pour le rappel de cette voie alternative.
C’est dans ce contexte que vous nous invitiez le 20 décembre à une première « réunion de concertation Asile immigration » fixée au lendemain même, augurant ainsi fort mal de la volonté de concertation affichée sur un avant-projet de loi dont le texte restait au surplus inconnu.
Nous sommes aujourd’hui contraints de constater que la deuxième réunion, fixée au 11 janvier, ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices : le texte de l’avant-projet de loi ne nous est toujours pas communiqué et l’ordre du jour de cette réunion ne nous sera précisé qu’ultérieurement, de sorte qu’il est déjà acquis qu’il ne pourra en aucune façon s’agir d’une véritable concertation, en dépit d’un affichage trompeur.
Il nous faut relever en outre qu’une fois de plus seuls les sièges de quelques associations nationales sont pressentis pour être associés à cette concertation, laissant de côté les centaines d’associations locales, de collectifs, comités de soutien, réseaux qui partout en France se mobilisent et agissent au quotidien pour pallier les défaillances de l’État en matière d’accueil, manifestant ainsi leur hostilité aux politiques que votre gouvernement entend encore amplifier.
Mais le contexte de cette invitation ne se résume ni à votre désintérêt pour les recommandations de tant d’institutions de la République et de représentants de la société civile, ni aux conditions gravement dégradées de la « concertation » à laquelle vous nous conviez. Il est également marqué par la circulaire de votre ministre de l’intérieur du 12 décembre 2017, relative à l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence.
Vous avez pu prendre la mesure, Monsieur le Premier ministre, de l’émoi considérable soulevé par les instructions données dans cette circulaire, qui remettent en cause tant le principe d’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence que l’inviolabilité de domiciles relevant de lieux privés et la protection de données à caractère personnel.
A l’évidence, une concertation digne de ce nom ne pourrait être engagée que dans le climat apaisé qui résulterait de signes forts attestant de votre volonté que ces instructions restent sans suites et sans effets.
Faute d’avoir perçu le moindre écho, jusqu’à ce jour, d’une telle préoccupation de votre part et compte tenu de l’absence de perspectives d’une concertation loyale et approfondie sur un projet de loi dont il est déjà annoncé qu’il sera présenté et examiné dans des délais contraints, vous comprendrez que nous ne jugions pas utile de répondre à votre invitation. Vous comprendrez également que, compte tenu des enjeux qui s’attachent à un débat public sur ces questions, nous prenions la liberté de rendre cette réponse elle-même publique.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, à l’assurance de notre parfaite considération.