La Voix du Nord // Pourquoi le migrant mineur mort sur l’A16 n’a-t’il pas été mis à l’abri?

Abdulah avait 15 ans. Il est mort sur la rocade portuaire, percuté. Un drame de plus, le troisième en 2017. Au cours de l’année 2016, quatorze migrants avaient perdu la vie dans le Calaisis, neuf d’entre-eux avaient été percutés sur la rocade ou l’A16. Ils étaient plus nombreux encore en 2015.

Ce décès sur le chemin de l’Angleterre met en lumière la difficile protection des mineurs isolés. Après l’accident, Sabrya Guivy, de l’association Refugee Youth Service, affirmait que la présence du jeune homme avait été signalée aux services de Département, lequel a l’obligation de leur porter assistance. Dans un communiqué, deux jours plus tard, le Département du Pas-de-Calais démentait avoir reçu une information préoccupante au sujet de ce mineur isolé.

Deux enfants présentaient la même identité

Il y a de la vérité dans les deux affirmations, ce qui ajoute au tragique de la situation. «  Nous avons rencontré l’enfant le 14 décembre lors d’un entretien rue des Verrotières, affirme Julie Shapira, de Refugee Youth Service. Une information préoccupante a été remontée au Département le 16 décembre. » L’information est transmise par mail à France Terre d’asile et au Département, qui gère l’accueil d’urgence des mineurs isolés. «  On nous a répondu que ce mineur était déjà pris en charge à Condette depuis le 6 décembre, accueilli dans le cadre d’une procédure de rapprochement familial, poursuit la jeune femme. On a dit qu’ils se trompaient, qu’il était bien à Calais. »

Une homonymie, ou plutôt l’emprunt d’un nom par le cousin de la victime, serait à l’origine de ce quiproquo. Deux adolescents ont donné le nom d’Abdulah D. «  Le conseil départemental sait que ces jeunes peuvent fournir des identités différentes  », pouvait-on déjà lire dans le communiqué diffusé dimanche. Ce mercredi, au Département, le personnel se disait bouleversé et cherchait à comprendre, même si le communiqué officiel se voulait très factuel. «  Le Département du Pas-de-Calais déplore le drame qui bouleverse aussi ses travailleurs sociaux. Une enquête est en cours, elle n’est pas terminée. Enfin, une incertitude persiste sur l’identité de la personne décédée. »

« Faille aux conséquences désastreuses »

Une source bien au fait de la prise en charge des mineurs isolés confesse : «  Le Pas-de-Calais est confronté à une situation sans égale en France. Le système prouve son efficacité mais comporte des failles, celle-ci a des conséquences désastreuses. »

«  On peut reprocher aux services du Département de ne pas avoir creusé davantage, car les salariées des associations maintenaient qu’elles avaient face à elles un migrant mineur, tranche pour sa part François Guennoc, de l’Auberge des migrants. Depuis la fermeture des conteneurs, huit enfants se présentent tous les soirs pour une prise en charge la nuit, ils sont refoulés. Abdulah faisait partie de ces huit enfants. » Ce mercredi soir, en raison d’un vent fort, la préfecture a décidé de rouvrir l’accueil de nuit aux migrants.

Mineurs isolés: un manque de place?

Les associations d’aide aux migrants considèrent que le secours apporté aux mineurs isolés est plus efficace dans le Pas-de-Calais que n’importe où ailleurs en France, pointant des dysfonctionnements dans le Dunkerquois, à Lille ou Paris. «  Mais cela reste insuffisant  », regrette Sabrya Guivy, de Refugee Youth Service. Selon son association et l’Auberge des migrants, ils seraient encore une centaine de mineurs isolés à errer dans le Calaisis, alors que toutes les places pour les hébergements d’urgence (80 à Saint-Omer) et l’accueil dans l’attente de la stabilisation d’une situation (40 à Condette et 30 à Béthune) seraient occupées. «  Il y a un problème, le Département a l’obligation de prendre en charge les mineurs, or il n’y a pas de place pour eux, confie François Guennoc. La procédure pour les réunifications familiales est devenue trop longue, jusqu’à onze mois d’attente, cela bloque des places pour les urgences. »

Le Département et la préfecture donnent d’autres chiffres

Le Département et la préfecture contestent ces affirmations. Selon le Département, «  notre opérateur de terrain (France terre d’asile) estime qu’il y a une quarantaine de jeunes mineurs étrangers à Calais. 80 % d’entre eux refusent tout hébergement. » Et rappelle que «  du 1er janvier au 15 décembre 2017, 2 136 jeunes ont bénéficié d’une ou plusieurs nuitées de mise à l’abri. » La préfecture du Pas-de-Calais détaille les maraudes financées par l’État et le Département : «  Des maraudes quotidiennes par France Terre d’asile permettent de repérer les mineurs isolés et de leur proposer une mise à l’abri. Six personnes assurent une présence sept jours sur sept là où sont les mineurs étrangers isolés. Tous les jours, les maraudeurs rencontrent entre 30 à 40 mineurs, soit la quasi-totalité. Tous les mineurs qui le souhaitent sont pris en charge (environ 20 %).  »

Appel aux dons pour le rapatriement du corps

La jeune victime, Abdulah D., aurait été identifiée par des proches ce mardi. Son frère n’ayant pas obtenu de visa pour venir en France, la dépouille devrait être rapatriée en Afghanistan, dans la province de Nangarhar où vit encore sa famille. Le rapatriement devrait coûter entre 6 000 et 8 000 €, financés par les associations. Un appel aux dons est cependant lancé. Pour y contribuer, se rendre sur www.laubergedesmigrants.fr.