Le Défenseur des droits a envoyé des agents en observation lors des démantèlements de Calais et Paris, puis dans les centres qui ont reçu les migrants évacués. Le rapport publié à partir de ce travail est édifiant, notamment en ce qui concerne les mineurs isolés.
Migrants durant l’évacuation de la « jungle » de Calais, le 26 octobre 2016. / Philippe Huguen/AFP
C’est un rapport particulièrement sévère qu’ont publié mardi 20 décembre les services du Défenseur des droits Jacques Toubon sur le démantèlement des camps de migrants de Calais et de Stalingrad.
Plus de 7 000 personnes (dont 1 900 mineurs) avaient été mises à l’abri lors du démantèlement de la « Jungle » de Calais fin octobre. À Paris, plus de 3 880 personnes ont été évacuées le 4 novembre à Paris, où 29 autres démantèlements avaient déjà eu lieu.
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À l’inverse des pouvoirs publics qui « se sont félicités d’avoir conduit une opération humanitaire de grande envergure » à Calais et Paris, le Défenseur des droits, qui a envoyé des agents en observation lors des deux démantèlements ainsi que dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) pour adultes et pour mineurs (Caomi), souligne qu’il « ne partage pas ce satisfecit ». La situation des mineurs isolés, qui « n’a pas fait l’objet d’une priorité », est particulièrement montrée du doigt.
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« Absence d’anticipation »
Premier reproche : « l’absence d’anticipation des pouvoirs publics » en amont des démantèlements a été très préjudiciable, en particulier pour les mineurs isolés. Alors que le nombre de mineurs isolés recensés est passé de 310 en mars 2016 à 1 600 en octobre, le défenseur s’interroge sur « l’inertie des pouvoirs publics » qui « les ont laissés vivre dans un bidonville dans des conditions indignes, en situation de danger ». Est ainsi cité le cas d’un enfant de 14 ans, qui avait fait une demande de réunification familiale mais qui, en l’absence de réponse, a tenté à nouveau d’embarquer dans un camion, et est décédé au cours de cette tentative.
« Critères subjectifs »
Les conditions des démantèlements ont aussi été scrutées. Si le « professionnalisme des forces de l’ordre » est souligné, le rapport décrit un manque d’informations données aux exilés et « déplore les conditions dans lesquelles ont été effectuées les orientations des personnes en fonction d’une minorité ou d’une majorité d’apparence fondées uniquement sur des critères subjectifs ».
« Promesses non tenues »
Mais surtout, le devenir des exilés depuis les démantèlements est passé à la loupe. Et le Défenseur des droits évoque des « promesses non tenues », notamment à l’égard des exilés dits « dublinés ». Conformément aux accords de Dublin, les migrants dont les empreintes ont été relevées dans un autre pays européen, sont censés être renvoyés vers ce pays pour y faire leur demande, mais le gouvernement s’est engagé à ne pas « dubliner » les exilés qui auraient accepté d’aller en CAO. Or « le défenseur des droits est informé de l’engagement de plusieurs procédures Dublin depuis les CAO ».
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De même, alors que l’immense majorité des mineurs de Calais ont accepté de rejoindre les Caomi dans l’espoir d’y instruire leur demande d’asile en Angleterre, beaucoup déchantent aujourd’hui car Londres a restreint ses critères. Au 13 décembre, seuls « 468 mineurs auraient été transférés au Royaume-Uni depuis le démantèlement ». Le rapport souligne des « risques de fugue de mineurs qui recevront une réponse négative ».
« Risques de décompensations psychiques »
Ceux qui resteront ne pourront être acceptés dans les centres départementaux de l’aide à l’enfance que s’ils se plient à nouvelles évaluations pour apprécier leur minorité et leur isolement. Le Défenseur des droits pointe « les risques de décompensations psychiques qui pèsent sur ces jeunes gens ». Il préconise plutôt que « les pouvoirs publics donnent aux jeunes présents dans les Caomi un statut légal, et garantissent leur accès aux droits à l’éducation et à la santé ».
Globalement, conclut le Défenseur des droits, ces constats « indiquent à quel point les solutions mises en œuvre, même lorsqu’elles se présentent comme humanitaires », sont « davantage empreintes de considérations liées à la maîtrise des flux migratoires qu’aux exigences du respect des droits fondamentaux des intéressés ».
Nathalie BIRCHEM