Le 29 mars 2018, Akhtar, dans ses habits traditionnels, est venu à notre rencontre, à la sortie de la gare de Birmingham… Il vit dans un quartier modeste de cette ville, fait de petites maisons de briques et de béton. Il y est arrivé il y a un an et demi, le 9 septembre 2016, dans un camion avec 10 autres exilés. Nous l’avions rencontré pour la première fois dans le camp de Tatinghem. Il est venu nous chercher en taxi et nous ouvre sa maison qu’il partage avec d’autres Afghans : Salim, dont la main soignée par Brigitte a bien guéri, Noor ou encore Gul Mohammad, dont le frère est toujours coincé dans la jungle.
Peu ou pas de meubles, mais une moquette et des coussins moelleux pour s’asseoir et s’allonger. On partage un thé et un assortiment de fruits secs : pistaches, amandes enrobées de sucre et mûres séchées. Pour nous accueillir, il n’est pas allé travailler. Il bosse au nord de Birmingham, à Walsall, dans la construction. Un gros chantier de plusieurs mois. Il s’y rend en bus chaque matin, six jours sur sept. 45 min de trajet. Il ne lui aura fallu que quelques semaines pour décrocher cet emploi. Le vendredi est son jour off. Celui de la prière et, avec le retour des beaux jours, celui des parties de cricket.
Et tout en attendant le bus pour nous rendre à l’hôtel, on voit surgir tour à tour deux bambinos Said Alam et Khanwali, qui n’ont plus rien de… bambinos. Ce sont désormais des ados qui nous dépassent en taille. L’école est finie. Ils sont en vacances pour quinze jours. Tous deux sont passés suite au démantèlement de la jungle de Calais. Ils font partie des quelques centaines de chanceux qui ont pu bénéficier du rapprochement familial avant que l’Angleterre ne referme ses portes. En l’espace d’un an, ils parlent couramment anglais, avec un débit à nous donner le vertige.
Plus tard nous voilà partis pour Star city, sorte de zone commerciale en banlieue. Il y a là-bas une salle de jeux. On peut y boire un verre tout en y jouant au billard. La haute silhouette de Naeem apparaît. Il avait franchi le dernier obstacle de son voyage en septembre 2017. Naeem avait la tuberculose. Il a passé de longues semaines à l’isolement à l’hôpital d’Helfaut, près de Saint-Omer. Le voir là, en pleine forme, tout sourire… c’est un bonheur partagé. Il n’a pas oublié. Nous non plus. Il travaille comme beaucoup dans le bâtiment. Avec les restaurants et les épiceries, les cars wash sont leurs principales sources d’emploi.
Le lendemain, nous arpentons Alum rock road et à l’arrière d’une boutique nous découvrons Hazrat Ali en train de cuire du pain, Sharafdin qui nous fera don d’une batte de cricket pour le camp, Ostaz descendant la rue à notre rencontre, Najeeb déchargeant un camion… Mais aussi Gul Mohammad, Dawood, Javed et bien d’autres amis londoniens que nous irons voir le lendemain et le surlendemain du côté de Tooting Bec et de Stratford.
Ismail, Sorgul, Dawood, Abdul, Noorudin, Rahmatullah, Muhammadullah… Nous les avons connus au bout d’un chemin à Tatinghem, dans un fossé coincé entre deux champs, un petit coin de terre que nous appellerions Baghlan, éprouvés par la rudesse du voyage et les conditions de vie du camp, mais déterminés à rejoindre l’autre rive.
Ni la boue, ni la fatigue, ni les risques n’ont entamé leur détermination jusqu’au jour où ils sont montés dans le bon camion ! À voir leurs sourires, leur accueil et leurs belles baskets neuves, leurs efforts ont payé.
Pour eux, l’Eldorado existe. Il y pleut plus que de raison. Mais on y dort sous un toit. On y travaille. On y va à l’école. On n’y craint pas l’éclat des bombes.
Louya, Nathalie & Anna