dans l’Evros, des eurodéputés écologistes face au « mur de mensonges » du gouvernement grec

Par Marina Rafenberg, publié le 20 septembre  2022 pour Le Monde

Dans un contexte de multiplication des enquêtes sur les « pushbacks » à la frontière gréco-turque, des élus européens écologistes appellent la Commission à geler les fonds destinés aux pays qui, comme la Grèce, ont recours à cette pratique illégale.

 

Se rendre dans la région militarisée de l’Evros, la rivière qui marque la frontière gréco-turque, n’est jamais une mince affaire. Lundi 19 septembre, une délégation d’élus européens du groupe Les Verts/Alliance libre européenne en a fait l’expérience. Au programme : silences, atmosphère pesante et entraves pour accéder à certaines zones ou personnes. Pour le député européen allemand Erik Marquardt, la Grèce « essaie de construire une réalité différente » et d’ériger un « mur de mensonges » pour nier les refoulements systématiques des migrants à ses frontières.

Athènes a toujours nié avoir recours à cette pratique illégale, malgré les nombreuses enquêtes des médias, des ONG ou du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés qui le démontrent. Lundi, les gardes-frontières grecs et la police n’ont pas répondu à la demande d’entretien des eurodéputés. Les abords de la rivière ne sont pas autorisés. Une avocate témoigne des pressions subies par la population locale et par le gouvernement pour ne pas venir en aide aux exilés. « Quand les réfugiés sont arrêtés à la frontière par les forces de l’ordre, ils sont emmenés dans des stations de police car les places sont limitées dans le camp. Mais nous n’avons pas de mandat en tant qu’ONG pour opérer dans ces postes », se désole-t-elle.

L’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, Frontex, semble ne pas avoir non plus une vision nette de la situation. « Nous agissons sous le commandement des autorités grecques, et nous sommes déployés où ils en ont besoin », précise Indra Medina Kano, officière opérationnelle en Grèce de l’organisme. Lorsqu’en août, 38 migrants sont restés bloqués pendant des jours sur un îlot entre la Turquie et la Grèce, Frontex a proposé son aide pour localiser le groupe, mais les autorités grecques ont refusé. « Si les Grecs assurent que c’est sur le territoire turc, nous les croyons », admet l’officière.

Des cas examinés par la justice européenne

« S’il y a des allégations très crédibles de refoulements dans certaines zones, pourquoi n’exigez-vous pas d’aller voir ? », interroge l’eurodéputée néerlandaise Tineke Strik. Combien coûte cette mission de Frontex en Grèce ? Si l’agence est présente sur ce territoire, nous devons voir une amélioration. » Frontex a été directement mise en cause, accusée, dans un rapport européen révélé par des médias fin juillet, d’avoir connaissance de ces renvois forcés. L’agence européenne assure que toutes les violations des droits de l’homme aux frontières sont rapportées à des officiers aux droits fondamentaux. Mais cette année, dans l’Evros, un seul cas a fait l’objet d’un signalement, alors que les refoulements sont quotidiens.

Le jour de la visite de la délégation européenne, Omar Alshakal, un réfugié syrien qui a créé sa propre ONG, Refugee 4 Refugees, témoigne, photos à l’appui, qu’il a aperçu un groupe de 30 personnes sur le sol grec. Il a contacté la police pour qu’ils puissent déposer leur demande d’asile. Puis, quelques heures plus tard, un réfugié lui a envoyé sa nouvelle géolocalisation, située en Turquie. Pour Tineke Strik, la Commission européenne « sait ce qu’il se passe » et prend la « décision délibérée » de ne pas prendre de mesures contre la Grèce. Le gouvernement grec dispose, il faut dire, d’un allié de taille, Margaritis Schinas, vice-président de la Commission, chargé notamment de la question migratoire.

Saskia Bricmont, députée européenne belge, assure que des solutions sont possibles pour faire pression sur les gouvernements qui effectuent des « pushbacks » : « mettre des conditions pour les financements européens », « pousser pour que Frontex puisse être déployée même sans l’accord des autorités locales »… Les Verts ont d’ailleurs lancé, mardi, une pétition appelant la Commission européenne à « geler les fonds destinés aux pays qui effectuent des refoulements ». En janvier 2021, Frontex a annoncé la suspension de ses activités opérationnelles en Hongrie, après un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de décembre 2020 pointant notamment les manquements du pays en matière de procédures de reconduites aux frontières.

Pour l’instant, la Grèce n’a pas encore été condamnée, mais plusieurs cas sont examinés par les instances judiciaires européennes. « L’Etat de droit en Grèce est menacé, et pas seulement sur la question migratoire. Il existe des problèmes avec la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, la mise sur écoute de journalistes et d’opposants politiques, note Gwendoline Delbos-Corfield, eurodéputée française. En Hongrie, nous avons laissé la situation se dégrader. En Grèce, il faut agir avant qu’il ne soit trop tard ! »