Lettre ouverte à Mme Bouchart, maire de Calais, à M. Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à M. Valls, Premier ministre.
Madame la Maire,
Monsieur le ministre de l’Intérieur,
Monsieur le Premier ministre,
Face à l’augmentation du nombre d’exilés à Calais et dans sa région depuis un an, les pouvoirs publics – maire, préfet, ministre – ont fait évoluer leur attitude. Alors que durant des années le problème sanitaire, social et politique a été nié – et les réfugiés littéralement abandonnés à la générosité des calaisiens et des associations humanitaires -, des débuts de réponses concrètes sont annoncés.
Une mission a été confiée par le ministre de l’Intérieur, sur la suggestion de certaines de nos associations, à deux personnalités afin de proposer des pistes de solutions durables. Sans attendre leurs conclusions, un projet d’accueil de jour devrait se mettre en place d’ici peu, et offrir aux exilés un début de solution à leurs premiers besoins vitaux (nourriture, soins, hygiène).
Tout en reconnaissant ces avancées, nous exprimons notre vive inquiétude face à l’inadéquation de la prise en charge envisagée, comme nous regrettons l’extrême frilosité des Gouvernements successifs pour apporter des réponses politiques à la situation qui prévaut depuis 20 ans.
Faire face à l’urgence sanitaire et sociale
Alors que le nombre de réfugiés est passé de 500 à 2500 en quelques mois, le projet d’accueil de jour prévoit de concentrer toutes ces personnes en un même lieu, sans même envisager le principe d’un hébergement ou d’une simple mise à l’abri.
Les exilés, qui n’auront d’autres solutions, s’entasseront sous des tentes à proximité de ce centre, créant de fait un gigantesque camp de réfugiés sauvage, un Sangatte à ciel ouvert. Pour les femmes et les enfants, une mise à l’abri semble cependant prévue, mais au sein même du centre, solution qui ne sécurisera pas ce public particulièrement vulnérable. Ainsi conçu, ce dispositif n’est pas adapté à la réalité des besoins. Il pourrait même renforcer les réactions de lassitude voire d’hostilité d’une partie de la population.
Depuis le début de l’été, le nombre de personnes concernées est tel qu’il n’est plus raisonnable d’improviser de semaine en semaine. Un diagnostic solide a-t-il été réalisé pour évaluer les besoins en infrastructures, en équipements matériels, en personnels, en fluides et autres approvisionnements, ceci pour une population pouvant atteindre les 3000 personnes ? Comme nous l’avons exprimé dès le printemps dernier, ce n’est plus aux services d’une préfecture – si mobilisés soient-ils – mais bien à des professionnels de la gestion de camps de réfugiés qu’il faut confier cette mission de concevoir et de gérer une telle population ! Le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) assure cette mission depuis des années sur plusieurs continents. Pourquoi ne pas l’avoir sollicité ? Il n’est pas trop tard, et nous appelons le ministre de l’Intérieur à le faire sans délai.
Nos associations, avec d’autres, suggèrent depuis plus d’un an de ne pas construire UN centre d’accueil, mais plusieurs, de capacité moyenne et de taille humaine (100 à 300 personnes), répartis sur plusieurs territoires – dans et autour de Calais – avec un accueil 24/24h, gérés par des professionnels, aidés par des associations locales. Un projet de “maisons des migrants”, présenté à M. Valls, devait faire l’objet d’une expérimentation. Pourquoi cette proposition a-t-elle été écartée ? Nous demandons aux pouvoirs publics locaux et nationaux de reprendre sans tarder l’examen de ces projets.
Frilosité de la réponse politique
Le problème des exilés à Calais serait si complexe qu’il faudrait des années pour le résoudre ? Et si l’on ramenait les choses à leur juste mesure ! Dans le Calaisis, transitent chaque année entre 5 et 15 000 personnes tentant de rejoindre l’Angleterre. Ce volume est une petite proportion des 150 000 personnes arrivées en 2014 sur les côtes italiennes, et qui se dispersent dans les différents pays de l’Union Européenne.
La Grande Bretagne n’est pour les réfugiés qu’une destination parmi d’autres, et pas la principale, loin de là. Mais Calais est devenu une impasse depuis que la Grande Bretagne, après avoir refusé de signer les accords de Schengen sur la libre circulation au sein de l’UE, a demandé aux autorités françaises de contrôler sa frontière extérieure et d’y assumer un rôle de gendarme en lieu et place des services britanniques.
Divers accords (dont ceux du Touquet) et arrangements ont été signés en ce sens entre les deux gouvernements. Or la position des autorités françaises est incompréhensible ! Car enfin, pourquoi la France jouerait-elle ce rôle de gardien des frontières pour un pays, la Grande Bretagne, qui a refusé les règles européennes relatives à la libre circulation des personnes ? Pourquoi la dénonciation des accords du Touquet est-elle à ce point une question taboue ?
Soit une raison objective justifie ce statu quo, et il faudrait l’expliciter, soit il est légitime de se demander si ces accords ne constituent pas un élément d’une négociation plus large entre États faisant intervenir d’autres considérations sans rapport avec le sujet. Nous demandons au Premier ministre de décider et d’engager la renégociation de ces accords avec le Gouvernement britannique.
Pour décongestionner Calais, le ministre de l’Intérieur souhaite pour sa part inciter les exilés à déposer une demande d’asile en France. Nous approuvons cet objectif, qui serait complémentaire à la renégociation des accords avec la Grande Bretagne. C’est une réponse possible pour une partie des exilés présents sur le littoral. Mais sa réalisation suppose qu’au moins deux conditions soient remplies pour devenir effective ;
D’une part, le Gouvernement devra accélérer la remise en état d’un dispositif d’accueil digne pour les demandeurs d’asile sur tout le territoire. Si les exilés à Calais qui demandent l’asile en France ne voient pas d’amélioration concrète à leur situation actuelle d’errance, leur démarche n’aura aucun effet incitatif sur les autres.
Dans le cadre de la réforme annoncée du dispositif d’accueil des réfugiés, il est impératif que des moyens conséquents soient débloqués afin que toute personne demandant l’asile bénéficie sans délai des normes minimales prévues par les directives européennes, et en premier lieu d’un hébergement décent.
D’autre part, il faudra bien que le ministre de l’Intérieur reconnaisse que l’application des accords de Dublin doit être suspendue. Ces accords – qui encouragent le chacun pour soi entre États européens, une logique à l’encontre de la solidarité intra-européenne – prévoient le renvoi des demandeurs d’asile dans le premier État de l’Union Européenne qu’ils ont traversé.
Ainsi, les exilés demandant l’asile en France risquent le renvoi en Italie, en Pologne ou ailleurs. Conséquence : ils évitent toute démarche en France. Pour les inciter à demander l’asile sur notre territoire, le Gouvernement doit être clair, et nous demandons au ministre de l’Intérieur d’annoncer la suspension des accords de Dublin, au moins dans un premier temps dans le Nord Pas-de-Calais.
Nous avons bien conscience que c’est l’ensemble de la politique et des règles européennes en la matière qui doivent être revues. L’accueil et la protection des réfugiés par l’Union Européenne ne peuvent plus être assurés en se basant sur des outils allant à l’encontre tant de la construction européenne que des valeurs de solidarité qui la portent. Cette remise à plat prendra du temps.
Mais pour répondre à l’urgence sanitaire et sociale, pour sortir Calais de la situation d’impasse qu’elle subit depuis des années, nombre de décisions à prendre relèvent d’abord des autorités françaises, nationales et territoriales. Nous appelons donc la maire de Calais, le ministre de l’Intérieur, le Premier ministre, à les prendre, en dehors de toute considération partisane, rapidement.
Véronique Fayet, Présidente du Secours Catholique – Caritas France
Guy Aurenche, Président du CCFD – Terre Solidaire
Geneviève Jacques, Présidente de la Cimade
Thierry Khun, Président d’Emmaüs – France
Thierry Brigaud, Président de Médecins du Monde