Calais, le 22 juillet 2016 – Depuis le mardi 19 juillet, la préfecture du Pas-de-Calais a mis en place des « contrôles administratifs et sanitaires » sur les boutiques du bidonville de Calais. Matériel, marchandises, mais aussi argent et papiers personnels de migrants sont saisis. Des gardes à vue et des convocations devant la justice sont mises en œuvre.
La création de restaurants, épiceries, échoppes de coiffeurs, réparateurs de vélos, etc. a commencé dès le printemps 2015. Elle n’est pas récente, et, si, comme l’affirme la Préfète du Pas-de-Calais, ces lieux font courir des dangers à ceux qui les fréquentent, on peut alors s’étonner que l’administration n’ait pas procédé plus tôt à ces opérations. Il est d’ailleurs ironique de voir les autorités s’inquiéter des conditions d’hygiène dans les restaurants du bidonville, alors que depuis des années – plus d’un an sur le bidonville actuel – elles laissent des milliers de personnes vivre dans des conditions indignes. Seules les dénonciations et condamnation de ces conditions de vie par les tribunaux, le Défenseur des droits et d’autres institutions nationales ou internationales ont permis d’obtenir quelques robinets et toilettes supplémentaires. La destruction de la zone Sud du bidonville en mars dernier n’a fait que renforcer la promiscuité et donc l’indignité des conditions de vie.
En réalité l’existence d’échoppes et de restaurants correspond à une quadruple nécessité :
- Le bidonville est un lieu isolé, à l’écart de la ville, où, en avril 2015, les autorités ont poussés les réfugiés pour les éloigner du centre de Calais. Comme tous, les réfugiés ont besoin de services qui sont aujourd’hui trop distants et en centre-ville ;
- L’unique repas et le petit-déjeuner distribués au centre Jules Ferry par une association mandatée par l’Etat ne peuvent assurer qu’une partie des besoins. L’existence de restaurants et de cuisines communautaires et/ou associatives, qui vendent ou donnent des repas, est nécessaire ;
- Face à l’indignité des conditions de vie imposées aux réfugiés dans le bidonville, ces cuisines, restaurants et échoppes sont aussi des lieux de convivialité et de sociabilisation, qui contribuent à la pacification d’un camp surpeuplé.
- Ils assurent un petit revenu à des personnes migrantes qui doivent trop souvent attendre durant des mois de pouvoir demander l’asile en France, lorsqu’ils sont « dublinés », c’est-à-dire lorsqu’ils ont laissé, de gré ou de force, leurs empreintes digitales dans un autre pays européen.
La contribution de ces échoppes est donc fondamentale pour la paix et la sécurité de tous.
Il a été affirmé que les commerçants de Calais souhaitaient vivement la destruction des boutiques du camp, car elles seraient une concurrence déloyale. Or les cuisines et restaurants s’approvisionnent dans les commerces calaisiens. Par ailleurs, de nombreux commerces calaisiens refusent ou limitent leur accès aux réfugiés, et la police bloque fréquemment les migrants qui veulent se rendre en centre-ville de Calais.
Si cette décision est l’occasion de la mise en place de lieu d’accueil en ville pour les réfugiés, alors nous sommes tout à fait disposés à la soutenir. Mais est-ce le souhait de tous ?
Par ailleurs le « Kid’s restaurant » a subi le même sort que les autres boutiques. Or il s’agit d’un lieu créé par des réfugiés et des bénévoles pour accueillir une centaine de mineurs isolés, les protéger, et leur préparer et servir gratuitement des repas, à partir de vivres fournies par les associations d’aide aux réfugiés. A une question posée lors de la conférence de presse du 19 juillet, la Préfète, Mme Buccio, a argumenté en affirmant qu’il y avait « peut-être aussi des ventes » dans ce lieu. Cela est inexact.
Par conséquent, les cuisines, créées par les réfugiés et les bénévoles (Ashram kitchen, Kitchen of Calais, Belgian kitchen, L’Auberge des Migrants / Help Refugees kitchen), qui distribuent quotidiennement et gratuitement des repas et des sacs de vivres, se sentent aussi menacées. Et cela malgré les assurances qu’elles seraient épargnées, assurances reçues dans l’après-midi du 21 juillet, soit 48 heures après le début des opérations de contrôle. Ces cuisines, comme les restaurants, jouent un rôle fondamental dans l’alimentation du bidonville. Le centre Jules Ferry ne fournit qu’un repas par jour, à moins de la moitié des 7 000 résidents du camp.
L’opération menée par la préfecture ne peut donc avoir pour conséquence que de désorganiser la vie sociale du bidonville et de faire affluer les réfugiés au centre Jules Ferry. Il créera une rupture grave dans la sécurité alimentaire du camp, et finalement ajoutera au découragement de ces personnes bloquées à la frontière. Mais, peut-être est-ce ce que le gouvernement souhaite, avec l’espoir que la dégradation des conditions de vie du camp découragent les arrivées à Calais et permettent une expulsion rapide des personnes (sur)vivant actuellement sur le bidonville. Mais les arrivées continuent (en moyenne 47 nouvelles personnes par jour sont arrivées au mois de juin) et continueront.
Les associations signataires demandent :
- L’arrêt des opérations de démantèlement des restaurants et autres boutiques du camp ;
- Le rétablissement du Kid’s restaurant, et des autres lieux fermés ;
- La protection des cuisines associatives et collectives, tant que l’Etat n’a pas mis en place des moyen d’alimenter correctement les réfugiés – deux repas par jour et des vivres pour cuisiner de manière autonome – et d’assurer les autres besoins de base, conformément aux règlements internationaux ;
- Une table ronde avec l’ensemble des acteurs du camp, représentants les exilés et toutes les associations, pour l’amélioration des conditions de vie des réfugiés.
Signataires
- Elise Care
- Emmaüs Dunkerque
- Help Refugees
- L’Auberge des migrants
- Legal Shelter/La Cabane juridique
- Médecins du monde – Délégation Hauts-de-France
- Réveil voyageur
- Secours Catholique – Délégation du Pas-de-Calais
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