Par Claire Ané, Le Monde, le 28 novembre 2022
Porté par les députés Renaissance Guillaume Kasbarian et Aurore Bergé, le texte examiné à compter de lundi à l’Assemblée nationale alourdit les peines de prison pour les squatteurs, et en crée à l’encontre des locataires qui ne se soumettent pas à une décision d’expulsion.
C’est un texte qui fait réagir. La proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite », qui doit être examinée à l’Assemblée nationale à compter de lundi 28 novembre, a été critiquée à plusieurs reprises lors d’un colloque contre la précarité énergétique, le 23 novembre à Paris. Ancienne ministre du logement de François Hollande, Emmanuelle Cosse a ainsi estimé qu’il « remet en cause dix ans de travail gouvernemental sur la prévention des expulsions ». Et Emmanuelle Wargon, chargée du même portefeuille lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, d’embrayer : « Il n’y a qu’environ 200 squats par an. Avec la dernière réforme [la loi ASAP de 2020], on a trouvé un équilibre et on sait les traiter. Et on avait su contenir les expulsions locatives. »
Ces propos, les appels à retirer le texte émanant d’une quinzaine d’organisations – dont la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et les principales associations de locataires – ou l’opposition des députés de gauche ne découragent pas le député Renaissance Guillaume Kasbarian (Eure-et-Loir). S’il a déposé cette proposition de loi avec Aurore Bergé et de nombreux autres élus de la majorité présidentielle, c’est pour « répondre à de vraies situations de détresse de petits propriétaires, victimes de squatteurs ou d’impayés de loyers pendant plusieurs années ». « Depuis, j’ai reçu quelque deux cents témoignages », assure-t-il.
Les associations s’inquiètent tout particulièrement de l’adoption, en commission des lois, d’un amendement porté par des députés Les Républicains (LR), jugé « bienvenu » par Guillaume Kasbarian. « L’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation appartenant à un tiers s’apparente à un vol », prévoit le nouvel article 1er A. « Cette formulation rendrait passibles de peines de trois à quinze ans de prison des gens qui squatteraient un logement vide depuis des années, ainsi que des locataires dont le bail a été résilié après des impayés. Alors qu’actuellement, seule la violation de domicile expose à une peine d’un an de prison », décrypte le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue.
« Maintenir un équilibre »
Par ailleurs, l’évacuation d’urgence par la préfecture, prévue par la loi ASAP en cas de violation de domicile, pourrait désormais être demandée même si ce dernier est « non meublé ». « Il s’agit de couvrir la période avant l’emménagement », fait valoir Guillaume Kasbarian. « Cela permet d’étendre la notion de domicile aux plus de 3 millions de logements vacants », estime Ninon Overhoff, responsable du département « de la rue au logement » au Secours catholique.
Concernant les locataires en impayés de loyer, les délais dans les procédures d’expulsion seraient divisés par deux. « Les services sociaux, qui sont débordés, n’auront plus le temps d’aider ces locataires à reprendre leurs versements », prévient Ninon Overhoff. Le juge ne pourrait plus faire vérifier la réalité de la dette locative ni accorder de délais de paiement et de maintien dans les lieux, sauf si le locataire les demande expressément. « Mais seulement 37 % des locataires se présentent aux audiences, et peu connaissent leurs droits ! », conteste Manuel Domergue.
Pour le président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers, Christophe Demerson, le texte « va dans le bon sens : les propriétaires hésiteront moins à mettre leur bien en location ». Et il estime qu’en cas de difficultés d’un locataire de bonne foi, « le bailleur accordera un délai plutôt que de s’embêter à déclencher des procédures ». Un optimisme que ne partage pas Ninon Overhoff : « Il y avait déjà 288 000 ménages en impayés de loyers au premier trimestre, selon la Caisse nationale des allocations familiales, et ce nombre va augmenter avec l’inflation et le coût de l’énergie. Si cette loi passe, les expulsions, en hausse, risquent de se multiplier. »
Pas moins de 197 amendements ont été déposés, laissant augurer des débats nourris. Selon le député Europe Ecologie-Les Verts Aurélien Taché, « le ministre délégué au logement, Olivier Klein, sait que ce texte est une aberration. Mais saura-t-il convaincre la première ministre et le président de la République ? » Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a d’ores et déjà annoncé que celui-ci soutiendra le texte. Sollicité par Le Monde, le ministère du logement se dit « toutefois très vigilant à maintenir un équilibre entre prévention des expulsions locatives et protection des locataires les plus fragiles d’une part, et protection des propriétaires bailleurs dans le respect de leur droit de propriété d’autre part ». Guillaume Kasbarian indique pour sa part être « prêt à clarifier le nouvel article 1er A, pour échelonner les peines selon les situations ».