Témoignage d’un bénévole d’Angres sur Vietnam City

GOOD MORNING « VIETNAM CITY »

 

Vous avez tous entendu parler de “Vietnam city” a un moment ou a un autre. De l’avis de ceux qui sont montés au camp, ce camp ne ressemble a rien de connu.

Un camp calme avec quelques bâtiments en dur (attention ce n’est pas l’hôtel) et une communauté apparemment calme avec des ressortissants vietnamiens et aucune autre ethnie.

Un truc à part avec des relations très amicales entre migrants et bénévoles.

Entre 70 et 80 personnes en moyenne, ça peut monter jusqu’ a 120. Voilà Vietnam city quand j’y suis arrivé en tant que bénévole il y a trois ans.

– Un coup de main pour conduire les copains* aux douches ?

– Pourquoi pas

Et me voilà bénévole dans le collectif «  fraternité migrants ».

(* « les copains » : c’est comme ça qu’on appelle les habitants de Vietnam city entre nous)

Fresque réalisée par les habitant.e.s de Vietnam city, détruite depuis, du fait des travaux sur le camp. Crédits photo : Pascal Everaere

Depuis je me suis souvent interrogé, et je ne suis pas le seul,  que font tout ces vietnamiens ici ? Leur pays n’est pas en guerre ?

Que viennent-ils chercher en Angleterre, que leur a-t-on raconté, quel Eldorado espèrent-ils ? Et puis qui sont ces gens qui  « dirigent le camp » ?

On voit bien qu’il y a des chefs mais tout à l’air si tranquille et puis visiblement ces chefs ou concierges (ils ont plusieurs noms) ne sont  pas les grands pontes du réseau, ce ne sont que des petites mains, alors pourquoi se poser des questions qui fâchent ? On est là pour aider des gens en difficulté et ça devrait être suffisant à calmer mes doutes . Et puis l’aide que nous leur apportons est loin d’être fictive, la vie n’est pas rose tout les jours à « Vietnam city »

Du linge propre, des vêtements, des soins, des douches, c’est pas le paradis mais c’est quand même mieux avec nous que sans nous.

On essaye aussi d’être le lien avec la mairie de Angres. Madame le maire, Maryse Coupin, et Eric Debrabant, le chef des services techniques. Le camp est sur un terrain communal et la mairie est aussi dans l’esprit de faciliter la vie de ces gens, et ils nous donnent un vrai coup de main. L’esprit est le même. On veut juste un peu d’humanité pour tout le monde. Grâce à eux et à une bonne coopération avec nous, des sanitaires et des points d’eau ont été installés.

Bien sûr, la mairie a quelques certitudes sur notre capacité à communiquer avec les copains et ils nous chargent de communiquer leurs exigences sur la sécurité sur les camp, sur le nombre de personnes présentes, persuadés parfois qu’il suffit de dire les choses pour que tout « roule ».

C’est loin d’être le cas. La barrière de la langue est très gênante c’est  une entrave très importante dans notre capacité à communiquer pour beaucoup de choses. Mais c’est aussi très pratique pour les vietnamiens quand ils décident que nous ne devons pas en savoir trop sur leur manière de fonctionner.

Voilà un petit tableau de la vie autour de ce camp situé à quelques centaines de mètres de la dernière station-service de l’autoroute avant Calais, que les autorités n’ont pas fermée.

Et puis insidieusement sans qu’on sache vraiment pourquoi, depuis quelques mois, l’ambiance change, les copains ne sont plus aussi accueillants, il y a du turn-over. La plupart des copains avec qui ont avait tissé quelques liens sont partis, pas tous, mais presque.

Les chefs changent aussi, les nouveaux sont moins cool, ils ont fermé l’entrée du camp avec des cadenas. Du coté du bois, où on peut entrer sans être vu, ça a toujours été le cas, mais pas devant, du coté du service technique. J’ai toujours pu entrer dans le camp « librement ». Aujourd’hui il y a une grille, deux cadenas. Quand on arrive, un comité d’accueil qui nous toise et qui va demander à quelqu’un (?) l’autorisation d’ouvrir. Alors ils ouvrent, comme s’ils nous autorisaient à entrer.

Des bruits courent comme quoi il y a des responsables plus gradés et plus nombreux en ce moment. Mais des bruits, franchement en trois ans, j’ai déjà entendu tout et son contraire, alors… Ce ne sont que des bruits.

Quelque part de la fin septembre. On appelle, le téléphone sonne, c’est Catherine.

– On est sur le camp. Quelqu’un est blessé, on a appelé les pompiers, on vous en dira plus mais pas au téléphone.

Un vietnamien a été poignardé. Deux bénévoles qui étaient sur le camp ont entendu crier. Ils se sont inquiétés et ils ont trouvé un homme blessé, cet homme a été mis à l’écart dans un petit réduit; ses vêtements ont été changés et des plaies très très sommairement  soignées. Heureusement que quelqu’un a crié pour alerter les bénévoles. Les pompiers sont venus chercher le jeune homme qui a fait un arrêt respiratoire à son arrivée à l’hôpital.  Il n’est pas mort mais, comme on dit chez les blouses blanches, « on l’a rattrapé par les cheveux »

Un soit disant « homme de couleur » serait entré dans le camp pour poignarder un ressortissant vietnamien.

La police intervient, interroge les personnes présentes. Ils emmènent les témoins et ceux qui ont encore du sang sur eux. Les bénévoles aussi sont interrogés dans les locaux de la police, puis tout le monde rentre chez soi, les bénévoles chez eux, et les vietnamiens à Vietnam city.

Le lendemain sur le camp, bien malin qui pouvait dire ce qui s’était passé la veille, tout avait l’air si normal, si calme, si « comme d’habitude ».

Mon sang ne fait qu’un tour et avec d’autres bénévoles qui sont aussi choqués que moi, nous organisons une réunion du collectif, dans laquelle nous décidons, après en avoir discuté avec Madame le maire et, avec son aval, de nous adresser au gens présents sur le camp, pour leur dire notre désapprobation et combien cette situation nous choque . Le dimanche, nous leur lisons un texte traduit en vietnamien par une personne compétente. Un prêtre catholique vietnamien, responsable de la communauté vietnamienne dans le Nord-Pas de Calais, est venu lire un texte disant que nous refusions de soutenir de telles pratiques, que nous condamnions ces agissements et que si cette ambiance de mafia perdurait, nous, les bénévoles, nous cesserions notre activité et par voie de conséquence, la mairie fermerait le camp.

Depuis, des nécessités administratives, des obligations de sécurisation de certaines installations dangereuses ont conduit la mairie à faire des travaux sur le camp. Le but est non seulement de sécuriser le camp mais aussi de réduire volontairement le nombre de places à cinquante.

Fresque réalisée par les habitant.e.s de Vietnam city, détruites pendant les travaux sur le camp. Crédit photo : Pascal Everaere

Voilà une histoire de migrants et de bénévoles malheureusement et probablement banale, bien que pour nous, rien de ces événements ne peut être banal. Nous avons été choqués et notre naïveté en a pris un coup. Nous avons participé à la réunion de La PSM à Burbure dont le thème était exactement celui que j’évoque dans ces quelques lignes.

Notre souci d’humanité ne nous fait-il pas participer malgré nous à des activités condamnables ? Jusqu’où sommes-nous des humanitaires ? A partir de quand devenons nous complices ? Les passeurs sont-ils eux-mêmes des victimes du système ?

Le trafic d’êtres humain rapporte plus a ses organisateurs que le trafic de drogue, alors,

Que faire ?

Bien sur je n’ai pas les réponses à ces questions mais je trouve qu’elles méritent d’être posées.

Et une des réponses esquissées lors de la réunion de Burbure était : « Il faut communiquer ».

Alors voilà aujourd’hui j’ai décidé de vous communiquer mon malaise, mes doutes. Je ne suis pas certain que ça fera bouger les lignes mais, au moins, à moi ça me fait du bien de vous écrire et, si ce n’est pas grand-chose, comme le chante Alain SOUCHON, c’est déjà ça.

Pascal