https://www.streetpress.com/sujet/1497350403-traque-des-refugies-calais
Depuis son arrivée à Calais, Christian ne dort pas plus de 3h par nuit. Entre les lacrymos et l’interdiction des distributions de nourriture, compliqué de survivre. StreetPress te raconte l’histoire de ces réfugiés coincés aux portes de l’Angleterre
Calais (62) – Quand on l’aborde sur le parking de l’église Saint-Joseph, Christian (1) a la gueule des mauvais jours. Toute la nuit, le jeune homme aux traits tirés a tenté le passage en Angleterre aux abords du « Belgium Parking », une station-service bien connue des exilés de Calais. Alors ce lundi 5 juin, Chris’ est bien décidé à profiter de l’ombre d’un petit arbuste sous lequel il est assis en tailleur. C’est ici que, chaque midi, plusieurs assos de soutien aux réfugiés organisent une distribution de nourriture. L’occasion parfaite de se refaire la cerise après une nuit de galère :
« Je n’ai pas eu de chance. A chaque fois les policiers me sont tombés dessus. »
Sur les coups de 5h du matin, après plusieurs tentatives infructueuses d’embarquer dans un camion pour l’Angleterre, Christian a finalement pris la direction du campement de fortune où il dort avec plusieurs amis. C’était sans compter, encore une fois, sur la police. « Ils nous ont attrapé. Il nous ont mis du gaz dans les yeux, comme ça » mime t-il en tendant son bras tout près de nos yeux, tout en tirant sur sa cigarette. Contraint d’abandonner son petit coin de verdure, le jeune homme a passé la nuit sur les routes, à la recherche d’un endroit où se reposer. Le lendemain, Anghosm (1), un jeune Éthiopien nous raconte peu ou prou la même histoire :
« Chaque nuit, la police vient et asperge de lacrymos les gens qui dorment, les sacs de couchage. Ils veulent nous épuiser. »
LE RETOUR DE LA JUNGLE
À Calais, beaucoup de choses ont changé depuis le démantèlement de la jungle. Si le plus grand bidonville d’Europe n’est plus, les réfugiés, eux, sont bel et bien de retour dans la ville des Bourgeois. Ils seraient aujourd’hui entre 450 et 600 à s’y être réinstallés. Mais pour la préfecture, pas question de voir se reformer de nouvelle jungle. « Des opérations sont régulièrement menées pour retirer les tentes et abris de fortune découverts dans le Calaisis, dès qu’un point de fixation est repéré », indique-t-on à StreetPress.
Alors, nuit et jour, les réfugiés sont chassés des bois, des parcs ou des terrains vagues, où ils ont posé leurs baluchons. Si bien qu’aucun camp de grande ampleur n’a vu le jour dans la région. Coups de matraques, jets de gazs lacrymos… Les bleus ne font pas dans la dentelle pour disperser les migrants, selon plusieurs témoignages recueillis par StreetPress. La police empêche même les distributions de nourriture. « Je n’ai jamais vu autant de répression depuis Sangatte », s’inquiète Véronique, bénévole pour le Secours Catholique.
Du côté de la mairie, on fait tout pour compliquer l’installation des migrants. En mars, l’équipe de la maire Natacha Bouchart avait elle aussi tenté d’interdire la distribution de nourriture à Calais par arrêté municipal. « Les exilés sont épuisés et tendus. Ils sont écœurés par la France », s’inquiète Vincent De Conninck, coordinateur du Secours Catholique pour la ville de Calais :
« À un moment, ils ne vont plus se laisser faire. »
DANS LA JUNGLE EN BÉQUILLE
Hamad (1) se dépêche. Il est 19h rue des Verrotières, à deux pas de l’ancienne jungle, quand on rencontre ce jeune Érythréen aux cheveux bouclés. Une centaine de réfugiés bullent sur ce terrain vague où se déroule l’une des seules distributions de nourriture tolérée par la police. Certains jouent au foot, d’autres rechargent leur téléphone grâce à un générateur apporté par un Calaisien…
Après avoir récupéré une barquette de riz pilaf, le jeune réfugié s’apprête à plier bagage. Tous les soirs, c’est le même cérémonial. Une heure après le début de la distribution, la police fait son apparition et intime aux réfugiés de lever le camp. Il le sait : c’est peut être le seul moment de calme qu’il aura dans les prochaines 24 heures.
Il y a quelques semaines, Hamad était encore moins fringant. Alors qu’il essayait d’échapper à la police, le jeune mec trébuche : « Quand je suis tombé, la police m’a frappé avec une matraque », affirme t-il. Résultat des courses : une cheville en vrac et deux semaines en béquille. Ce mineur, qui vit depuis 4 mois à Calais, annonce définitif :
« Les policiers ne veulent plus de réfugiés dans la ville. »
Samuel (1), un des potes d’Hamad, lui aussi, a eu maille à partir avec la police. Alors qu’il dormait dans un petit bois, les bleus tombent sur ce jeune Érythréen de 17 ans. « Quand la police est arrivée, tout le monde est parti, mais moi je me suis levé trop tard ». Gazage en règle de ses affaires, destruction de sa tente, il a fini en garde à vue :
« Ils m’ont emmené au commissariat et m’ont forcé à donner mes empreintes alors que je ne voulais pas. »
Samuel sort finalement au bout de 4 heures de garde à vue. Le garçon se voit remettre une citation à comparaître pour « installation en réunion dans un lieu privé en vue d’y établir son logement ». Il risque 3.750 euros d’amende.
LES ASSOS SE BATTENT POUR PROUVER L’EXISTENCE DE VIOLENCES POLICIÈRES
Peu de dépôts de plainte, pas de vidéos, pas de certificats médicaux… Difficile pour les assos de prouver l’existence de violences policières aux abords des camps qui se reforment autour de Calais. Solenne, de la Cabane Juridique, parcourt la ville plusieurs nuits par semaine, à la rencontre des réfugiés pour les informer sur leurs droits. Mais bien peu veulent porter plainte :
« Il n’y aura des dépôts de plainte qu’à partir du moment où les gens seront à l’abri, et qu’ils auront à manger et à boire »
Solenne et son asso’ ont malgré tout collecté une dizaine de témoignages de violences policières. En plus des 17 déjà transmis au défenseur des droits en avril dernier. Trois d’entre eux devraient faire l’objet d’un dépôt de plainte dans les prochains jours. Parmi eux, l’histoire de Ramidullah (1), un Afghan de 41 ans qui affirme avoir été passé à tabac par la police. « Ils m’ont fait une balayette, je suis tombé sur le dos et ma tête a frappé le sol », raconte l’homme à Solenne, qui a pris son témoignage en note. StreetPress a pu consulter le certificat que la juriste entend remettre au procureur de Boulogne :
« Puis les policiers ont commencé à me frapper comme si j’étais un ballon de foot. »
Ali (1), Afghan lui aussi, assure avoir été abondamment aspergé de gaz lacrymogène alors qu’il squattait une maison abandonnée :
« Je dormais avec 17 personnes dont 5 mineurs. Les policiers ont mis des coups de lacrymos dans la maison. Certains ont réussi à s’enfuir par la fenêtre. D’autres suffoquaient dans la pièce, pliés en deux. »
Du côté de la police et de la préfecture, on nie en bloc. « Il n’y pas de violence policière à Calais », s’insurge Gilles Debove, délégué pour le syndicat SGP-FO :
« Il n’y a pas de plaintes. Les associations sont anti-police ! »
Luc Larcher, commandant d’une compagnie de CRS et vice-président du syndicat Unsa Officier se montre, quant à lui, plus mesuré :
« Lors de notre passage à Calais, mes hommes n’ont pas eu à faire usage de la force. S’il y a eu des dysfonctionnements, cela ne vient pas de nous. »
A QUOI ÇA SERT ?
Du côté des bleus, la lassitude aussi se fait ressentir. « Ce n’est pas évident d’expliquer aux hommes ce que l’on fait à Calais », poursuit le CRS au téléphone:
« Il ne faut blâmer ni le préfet, ni les forces de l’ordre. Nous, on est les dernières roues du carrosse. »
Pour l’homme, la politique mise en œuvre par l’État à Calais n’a pas vraiment de sens. « Tous ces mecs ont traversé les pires théâtres de guerre au monde, ils ne veulent qu’une chose : aller en Angleterre », développe t-il :
« C’est un leurre de croire que de les envoyer à Perpignan ou à Nice va régler la situation. »
Selon des informations de StreetPress, chaque jour entre 15 et 20 réfugiés sont envoyés au Centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles, près de Calais. Mais la plupart d’entre eux sortent rapidement. « Il n’y a pratiquement pas d’éloignement [soit une expulsion du territoire français ndlr] », confirme Denis Hurth de l’Unsa CRS.
COUP DE PRESSION
Mais à Calais, il n’y a pas que les réfugiés qui morflent. Les associations de soutien aux migrants sont aussi sous pression. « On est emmerdé à chaque distribution, depuis janvier [quand les distributions de nourriture ont recommencé à Calais, ndlr] », indique Thomas, bénévole pour Utopia 56 :
« Ce sont des intimidations constantes. La police nous dit que l’on a pas le droit de distribuer de la nourriture alors que c’est faux. »
Le constat est le même pour tous les responsables associatifs, contactés par StreetPress. Contrôles routiers, fouilles en règle des véhicules et même vérification du poids des camionnettes qui partent en maraude… Tout est bon pour rendre plus compliqué l’aide humanitaire. « C’est un vrai retour en arrière », alerte Camille Six, de la plate-forme de soutien aux migrants.
LES ASSOS JOUENT AU CHAT ET À LA SOURIS AVEC LA POLICE
« On a une demi-heure de retard, ce n’est pas possible ! », bougonne Yolène, ce mercredi 7 juin. Cette historique de Salam, l’une des plus anciennes asso’ de soutien aux réfugiés, a fixé rendez-vous à 7h30 à son équipe de bénévoles pour distribuer le petit déj’ aux exilés. Mais ce matin, l’un d’entre eux est à la bourre et c’est tout le planning qui est chamboulé. Devant sa petite camionnette bleue, remplie de vivres, Yolène ronge son frein. Elle enchaîne clope sur clope. « On commence la distribution plus tôt pour éviter la police », justifie-t-elle, soucieuse.
Ce matin, comme tous les autres, les autorités sont sur les talons de Yolène et des bénévoles de Salam. À peine le temps de déballer les thermos de thé et de café au premier point de distribution, qu’une camionnette de gendarmerie fait son apparition. À la vue des bleus, les exilés lâchent leurs gobelets et leurs petits pains pour partir se cacher dans les bois aux alentours. « Depuis le démantèlement de la jungle, on n’a jamais été traqués comme ça », se lamente cette petite dame aux cheveux ocres et au verbe haut :
« Avant, la police respectait au moins l’heure du repas. Là, on nous interdit de distribuer à manger ou à boire. La dernière fois, un cordon de CRS s’est même mis entre nous et les exilés. »
LES BÉNÉVOLES CRAQUENT
À Calais, les bénévoles sont à bout. Au volant, Yolène s’emballe. « Bien sûr qu’on est stressés. C’est épuisant de devoir se justifier tout le temps », explique cette Calaisienne « born and raised ». La semaine dernière, plusieurs bénévoles de Salam ont été encerclés par la police alors qu’ils distribuaient de la nourriture devant la gare de Calais. Les policiers ont même menacé d’embarquer tout le monde. Trop de pression : les dames de Salam ont finalement fondu en larmes. Lors d’une autre distribution, c’est l’une des figures de cette association qui a été gazée au visage alors que la police tentait de disperser les exilés.
« J’ai pleuré tout à l’heure », confie Véronique, bénévole au Secours Catholique. Le matin de notre rencontre, cette petite dame au visage doux a pris en stop des réfugiés érythréens qui se rendaient à une distribution de nourriture. Manque de pot, les trois jeunes hommes ont été interpellés par la police, à peine sortis de sa voiture. « Je les sens tellement méprisés », lâche cette ancienne prof, bénévole auprès des réfugiés depuis 1997 :
« Quand ils marchent dans la ville, tu vois qu’ils essaient de se faire tout petits. »
La pression de la police se fait également ressentir autour des locaux des différentes associations. La semaine dernière, la maréchaussée a fait irruption dans le grand hangar occupé par l’Auberge des Migrants, Utopia 56 et les anglais de Refugee Community Kitchen. La journée, elle traîne également autour de l’accueil de jour du Secours Catholique, où les exilés viennent taper le carton ou recharger leur téléphone. « Pour eux, il n’y pas de répit », s’insurge Vincent De Conninck :
« Les autorités ne pensent pas en terme de politique d’accueil. Ils ne pensent qu’en gestion des flux. À Calais, on avait construit une vraie culture de l’asile. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. »
LES ASSOS NE LÂCHENT PAS
Il est minuit quand Gaël et Lucie garent leur petite camionnette blanche aux abords du Chemin du Pont Trouille, juste derrière ce que l’on appelait autrefois, le « Bois des Afghans ». Ce soir, les deux humanitaires de l’association Utopia 56 sont de maraude de nuit. Ils apportent provisions et vêtements aux exilés qui se planquent dans les bosquets de cette zone industrielle.
Rapidement, le quartier de l’ancienne Jungle s’anime. Trois jeunes Érythréens sortent des fourrés pour recevoir leur ration du soir. Ils sont affamés et assoiffés. Aussitôt leur assiette de riz pilaf au curry engloutie, ils préviennent leurs potes qui rappliquent aussitôt à travers les étendues de sable. Rapidement, la distribution prend des allures de cohue. Entre 60 et 80 jeunes garçons (et filles, peu nombreuses) se bousculent devant la petite camionnette. Ça crie, ça hèle. Lucie fait respecter l’ordre. « Si vous ne faîtes pas une “line”, j’arrête de distribuer », menace la jeune bénévole. À peine le temps de digérer, qu’il faut déjà se remettre en route. « La police arrive, vous devez vous en aller », explique un jeune homme aux rastas peroxydés sans qu’on ait le temps de lui demander son nom. Il disait vrai. Quelques secondes plus tard, une voiture de police s’avance au pas, plein phare dans le petit chemin arboré. Les réfugiés détalent. Le camion blanc de Gaël et Lucie reprend la route.
Après une ultime distribution de bouffe, la police finit par retomber sur la petite troupe sur les coups de 5h du matin. Contrôle des papiers du véhicule, contrôle d’identité… L’ambiance est plutôt tendue entre les salariés d’Utopia et les forces de l’ordre. Un policier tente : « Il y a un arrêté préfectoral qui vous interdit de distribuer de la nourriture. » Et Gaël de répondre :
« Il n’y a rien qui nous interdit de nourrir des gens qui ont faim. »
Les policiers finissent par lever le camp. Gaël exulte. À Calais, il n’y pas de petite victoire.
(1) Les prénoms ont été changés