La Voix du Nord // « Migrants de Calais: la justice s’oppose au démantèlement des commerces de la jungle »

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(la décision du TA de Lille est disponible ici/ http://lille.tribunal-administratif.fr/Actualites/Communiques/Expulsion-des-commercants-sur-le-site-de-la-Lande-a-calais)

Le tribunal administratif de Lille, après une audience qui s’est tenue mercredi, a rendu son ordonnance ce vendredi matin : il s’oppose au démantèlement des commerces et restaurants de la « jungle » de Calais par les services de l’État. La préfecture du Pas-de-Calais avait déposé fin juillet une requête en référé auprès de la justice administrative, pour lui demander de valider son souhait de détruire ces établissements. Une démarche qui s’inscrivait « dans la continuité logique » des opérations de contrôles et de saisies menées depuis juillet dans ces commerces, avait alors souligné la préfecture.

Le juge administratif a rendu son ordonnance ce vendredi matin : il rejette la demande de l’État de fermer les échoppes de la « jungle » de Calais.

Le juge a donné raison aux arguments des associatifs et de l’avocat Norbert Clément, qui représentait les gérants des commerces. Dans son ordonnance, Jean-François Molla reconnaît « les nuisances, les dangers et les troubles liés à la présence de ces commerces ». Il estime que les services de l’État disposent toutefois « des moyens nécessaires pour mettre fin aux activités les plus répréhensibles ». La destruction de l’ensemble des commerces de la « jungle », « de façon indifférenciée », n’est pas la solution, selon lui : « Il n’est pas établi qu’elle permettrait, à elle seule, de mettre fin aux violences et aux trafics qui se déroulent sur le site d’une part, et aux dangers d’explosion et d’incendie liés à la nature même de l’occupation de ce site d’autre part. » Le juge administratif ajoute que cette disparition des commerces « se ferait indéniablement au détriment des migrants et conduirait à une dégradation certaine de leurs conditions de vie déjà très problématiques ».

Reconnaissant que « les préoccupations exprimées par le préfet du Pas-de-Calais sont tout à fait compréhensibles », Jean-François Molla conclut cependant que « les conditions d’urgence et d’utilité requises » par la loi « ne sont pas remplies pour faire droit » à sa demande.

Dans un communiqué de presse diffusé vendredi midi, la préfecture du Pas-de-Calais « prend acte de la décision ». Elle ajoute qu’elle continuera « de lutter contre ces phénomènes illégaux » : « Les opérations de contrôle administratif et judiciaire des lieux de vente à la sauvette (…) ont donc vocation à se poursuivre. » Elle rappelle aussi tous les services qu’elle a mis en place gratuitement pour les migrants ces derniers mois (accueil de jour, distribution de repas, accès à des douches…), et indique qu’un centre pour mineurs isolés allait ouvrir « très prochainement » à Calais.

Pour Maya, bénévole de l’Auberge des migrants, ces services ont le mérite d’exister mais sont totalement sous-dimensionnés : « 72 places les mineurs alors qu’ils sont 800 : où iront les autres ? » s’interroge-t-elle. Pour cette associative, qui s’est dite satisfaite de la décision du tribunal administratif, « la construction de ces restaurants et de ces épiceries répond clairement à un besoin que l’État et les associations ne peuvent pas satisfaire aujourd’hui ».

Le contexte

Le 19 juillet, des officiers de police judiciaire et des agents de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), entourés d’un important dispositif de forces de l’ordre, ont mené des opérations de contrôles des commerces et restaurants de la « jungle » . Dix-sept lieux de vente avaient alors été contrôlés, et treize personnes interpellées. Des opérations de contrôles similaires avaient été menées les jours suivants, de telle sorte que l’ensemble des 62 lieux de ventes identifiés dans le campement, ont été contrôlés , fermés, et les marchandises saisies. Les services de l’État avaient alors indiqué que des contrôles réguliers allaient être menés , pour empêcher toute réouverture de ces commerces.

L’activité des commerces et restaurants empêchée, la préfecture du Pas-de-Calais a manifesté son intention de procéder à leur destruction. Une requête en référé a été introduite en ce sens le 28 juillet, auprès du tribunal administratif de Lille. Une démarche que la préfecture considère « dans la continuité » des opérations de contrôle.

Au cours de l’audience de mercredi , l’avocat de la préfecture du Pas-de-Calais avait pointé le fait que les commerces et restaurants de la « jungle » étaient à l’origine « de troubles graves à l’ordre public ». Il avait notamment insisté sur le caractère illégal de ces établissements, où des migrants y seraient « exploités », et qui permettent d’acheter « à crédit des outils, notamment des lames de cutter, pour attaquer les camions sur la rocade ».

Face à lui l’avocat qui représentait les intérêts des migrants avait insisté sur le fait que ces lieux de vente étaient avant tout des lieux de convivialité, utile aux migrants au moment de leur arrivée à Calais, et qui leur permettrait de tisser des liens. Il avait par ailleurs mis en avant le fait que les services mis en place par l’État étaient aujourd’hui à saturation : les 1 500 places du centre d’accueil provisoire (CAP) sont occupées, les centres de répit installés ailleurs en France « sont saturés ». Quant à la distribution des repas au centre Jules-Ferry , elle générerait, selon lui, des files d’attente si longues que des tensions éclatent entre réfugiés . Une approche contestée alors par les représentants de la préfecture : « Actuellement, entre 3 000 et 3 500 déjeuners sont proposés gratuitement chaque jour, et on pourra aller plus loin s’il le faut, jusqu’à 5 000 repas. ».