Une loi votée en décembre a allongé la durée de rétention, passant à un an, des demandeurs d’asile arrivés dans le pays cet été grâce à la filière migratoire bélarusse et enfermés depuis dans des camps. Une entorse de plus au droit d’asile européen.
La plupart d’entre eux sont arrivés en Lituanie en connaissant à peine le nom du pays. Le petit Etat balte n’était censé être qu’une porte d’entrée vers l’Union européenne, une étape d’un voyage vers l’Allemagne souvent, la France parfois, ou n’importe quel pays sûr plus riche et plus à l’ouest. C’est en tout cas ce qu’avait fait miroiter le régime bélarusse à des milliers d’Irakiens, de Syriens et d’Africains, en créant à l’été une nouvelle filière migratoire vers l’Europe Mais pour les plus de 4 000 personnes entrées illégalement en Lituanie entre juin et août, le chemin s’est arêté la frontière à peine franchie. La plupart d’entre eux sont toujours bloqués dans le pays, enfermés dans des centres d’accueil.
Une question les taraude, qui fuse dès le départ de toute discussion : «Quand retrouverons-nous la liberté ?» Pour l’heure, les autorités lituaniennes n’ont pas prévu ce cas de figure. L’étroite alternative offerte aux réfugiés se résume au maintien dans des centres fermés en attendant le traitement de leur demande d’asile, ou au retour vers leur pays d’origine.Pour les convaincre de rentrer volontairement, Vilnius leur a d’abord offert 300 euros avant de tripler la prime le mois dernier. 482 personnes, qui ont souvent payé bien plus pour essayer d’atteindre l’Europe, ont accepté la compensation et un billet d’avion retour. Une cinquantaine d’autres ont été expulsés.
Entrave au droit d’asile
Les 3 166 demandeurs d’asile qui restent dans les camps n’entretiennent que peu d’espoirs d’obtenir une réponse positive. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, seuls 87 «étrangers ayant franchi illégalement la frontière lituano-bélarusse» ont obtenu l’asile alors que 3 189 décisions défavorables ont été rendues. Aucune disposition spécifique n’a été prévue pour les mineurs, qui représentent un quart des arrivées. Depuis l’été, les mesures prises visent surtout à rogner les droits des demandeurs d’asile. La plus dure a été adoptée au mois d’août. «Depuis, seules les personnes qui ont des documents de voyage en règle peuvent déposer des demandes d’asile aux postes frontière ou à l’ambassade lituanienne à Minsk. Si elles entrent illégalement, on n’enregistrera pas leur demande, sauf exceptionnellement pour des raisons humanitaires, et elles seront refoulées vers le Bélarus. C’est une entrave excessive au droit d’asile», pointe Luka Lesauskaitė, le porte-parole de la Croix rouge lituanienne.
Même le bureau des droits humains de Frontex s’en est inquiété et a demandé que les réfugiés ne soient plus repoussés de l’autre côté de la frontière mais amenés aux postes de douane où ils pourront déposer une demande de protection. «Nous savons que des gens se cachent dans la fôret et n’osent pas appeler à l’aide malgré la neige parce qu’ils craignent d’être renvoyés», explique Frauke Ossig, coordinatrice d’urgence de Médecins sans frontière en Lituanie, où l’ONG a commencé à intervenir cet été. La situation est encore pire en Pologne, ce qui vient de contraindre MSF à se retirer de la zone frontière faute d’accès aux personnes en danger.
Un an de détention
En Lituanie, une nouvelle loi adoptée en décembre autorise le maintien en détention des demandeurs d’asile pendant un an. Le texte précédent, taillé sur mesure en juillet, prévoyait six mois d’enfermement. Alors que cette période touchait à son terme pour la plupart des personnes concernées, son allongement est tombé comme un coup de massue. «Ils nous tuent psychologiquement. Personne ne supporterait de rester enfermé tout ce temps mais nous, on doit tenir le coup parce que la situation est encore pire de là où on vient», s’indigne une Congolaise enfermée dans un camp de conteneurs construit au début de l’automne à Medininkai.
Ces centres sont surveillés de près par l’armée ou la police et les migrants sont interdits de toute sortie. Beaucoup se plaignent des conditions d’hébergement et certains évoquent des pressions pour les faire signer un accord de retour volontaire. «Le 1er janvier, on nous a distribué de la nourriture moisie. L’eau n’est pas de bonne qualité et parfois nous avons des maux de ventre», affirme Djany, un jeune Congolais détenu dans le camp de Pabradé. Il ne comprend pas cette privation de liberté. «Depuis tout ce temps, j’aurais pu commencer à m’intégrer et à apprendre la langue, chercher un travail et peut-être trouver une copine. La vie aurait continué. Aujourd’hui, plus personne n’a confiance en ce pays.»
Il ne fait que peu de doutes que ce résultat est celui recherché par les autorités lituaniennes, qui ont tout fait pour ne pas devenir un nouveau pays d’immigration. «Avant l’installation des camps à l’automne, des personnes sont restées enfermées pendant des mois dans des postes frontières, sans moyens de communication, sans accès à un traducteur, affirme Frauke Ossig. C’est une violation claire des directives européennes sur le droit d’asile.» L’Union a choisi de la cautionner : en novembre, elle a proposé d’autoriser la Pologne, la Lituanie et la Lettonie à déroger à certaines dispositions du droit d’asile.