Le réseau d’accueil des demandeurs d’asile belge est plein à craquer. Pendant deux mois, des exilés ont été contraints de dormir à la rue. L’ouverture de centres d’urgence offre une accalmie. Celle-ci sera temporaire, craignent les professionnels du secteur.
Par Cédric Vallet, publié le 03 janvier 2022 à 09h29
Il est 7 heures du matin à Bruxelles, et les deux files d’attente s’organisent dans le calme, même si des pieds heurtent malencontreusement des sacs de couchage étalés sur le sol. Près de la porte du centre d’arrivée de l’agence belge pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fédasil), cinq personnes dorment en rang d’oignon, le visage fouetté par la bruine. Un petit groupe d’hommes termine sa nuit sous une bâche en plastique, qui sert de tente improvisée.
A droite de l’entrée, c’est la file des publics « prioritaires » : mineurs non accompagnés, familles, femmes, personnes vulnérables. A gauche, celle des hommes seuls. Certains débarquent avec leur valise du Sénégal, de Géorgie, d’Erythrée et, surtout, d’Afghanistan. . Ils attendent leur tour pour enregistrer leur demande d’asile et bénéficier d’un premier accueil, de quelques jours, avant d’être transférés vers l’une des 84 autres structures du pays, le temps de l’examen de leur procédure.
Tous patientent devant ce centre de briques rouges aux allures vaguement médiévales surnommé le « petit château ». Premier dans la file d’attente, Karim est entouré de trois compagnons d’exil. Il a quitté l’Irak il y a un mois. Un ticket vers le Portugal avant de remonter, en train, vers Bruxelles. Il a grappillé quelques heures de sommeil à même l’asphalte, mais garde fermement sa première place. Plus loin, Abdullah, ressortissant sénégalais en errance depuis plus de deux ans, est reconnaissant : « Quelqu’un m’a vu dormir par terre et m’a offert ce blouson et ces gants, car il a fait froid et humide cette nuit. » Abzalshad, un Afghan, reste stoïque. « J’ai froid, mais ça ira. J’ai traversé une dizaine de pays, des montagnes et des forêts. Cela fait quatre mois que j’ai quitté l’Afghanistan, un peu avant l’arrivée des talibans. J’attends de pouvoir faire venir mes cinq enfants en Belgique. »
« Cela bloque au niveau politique »
Ce matin du 28 décembre 2021, tous les demandeurs d’asile ont pu entrer. C’est l’une des premières fois que cela arrive depuis le 19 octobre. Pendant deux mois, des dizaines d’hommes, parfois même des enfants, se sont vu refuser l’accès au « château » et ont été contraints de dormir dans les rues et parcs alentours avant d’enregistrer leur demande d’asile, car le réseau d’accueil est saturé. Les centres d’hébergement comptent aujourd’hui 29 000 places, qui s’avèrent insuffisantes.
Une extension temporaire du centre d’arrivée de 400 places a été ouverte, le 24 décembre, par la Croix-Rouge, permettant de trouver des solutions d’urgence. Mais le problème de fond demeure. En moyenne, 110 personnes intègrent le réseau d’accueil chaque jour via le centre d’arrivée, et 80 en sortent, parce qu’ils ont obtenu l’asile ou qu’ils sont déboutés. « Nous nous attendons à devoir de nouveau refuser des entrées ces prochaines semaines », confie un travailleur de Fédasil. Lundi 3 janvier, à 9 heures, 50 hommes n’ont pas pu rentrer dans le centre d’arrivée. Ils dormiront dehors.
Le gouvernement s’est lancé – tardivement, estiment les associations – dans une course à l’ouverture de places, alors que ces dernières années les capacités avaient été drastiquement réduites. Près de 1 500 lits supplémentaires sont désormais disponibles. Au sein de l’agence fédérale, on peste contre l’attitude du secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi (CD&V, chrétien-démocrate flamand). « Nous crions dans le désert depuis des mois, regrette un travailleur de Fédasil, témoignant anonymement. Nous nous sommes sentis abandonnés. Le manque de places aurait pu être anticipé. Et nous demandons depuis octobre qu’un système de pré-accueil soit mis en place pour que personne ne dorme à la rue. Mais cela bloque au niveau politique. »
Le pré-accueil d’urgence, destiné à offrir un abri avant l’introduction de la demande d’asile, est en partie assuré par le réseau associatif belge. La plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés et Médecins sans frontières hébergent, avec l’appui de la ville de Bruxelles, une centaine de personnes dans un hôtel. A plusieurs reprises Sammy Mahdi a marqué son opposition au financement d’une solution hôtelière, craignant « l’appel d’air » que cela pourrait engendrer.
Dysfonctionnements du règlement de Dublin
Mille places ont été ravagées par les inondations du mois de juillet. Une partie des capacités d’accueil est mobilisée pour isoler les demandeurs d’asile atteints du Covid-19. « Ces éléments ont joué en notre défaveur, mais la tendance à la saturation est un problème que nous observons depuis la fin de l’année 2018 », déplore Benoît Mansy, porte-parole de Fédasil.
Le nombre de demandeurs d’asile est en forte augmentation depuis l’été. La Belgique comptait entre 1 400 et 1 900 demandes d’asile chaque mois en début d’année 2021. Ce chiffre dépasse les 2 000, voire les 2 500 mensuels depuis juillet, dont 25 % d’Afghans. De janvier à novembre, 22 232 personnes ont demandé l’asile dans le pays. 27 742 demandes d’asile avaient été introduites en 2019, bien en deçà du record de 2015 : 44 760 demandes. Le Commissariat général aux réfugiés et apatrides est aussi débordé. Pendant ce temps, les demandeurs restent en centre.
Au sein du cabinet de Sammy Mahdi, Sieghild Lacoere, sa porte-parole, pointe les dysfonctionnements du règlement de Dublin, selon lequel le premier Etat traversé par un demandeur d’asile est responsable de l’examen de sa demande. « La plupart des demandeurs d’asile sont passés par d’autres pays de l’Union européenne, c’est là-bas qu’ils devraient suivre leur procédure. Si un demandeur d’asile peut voyager si facilement en Europe sans laisser d’empreintes digitales et sans voir un policier c’est que quelque chose ne fonctionne pas. »
Elle souligne l’engagement du gouvernement à créer 5 400 « places tampons », un système flexible de places d’accueil qui pourraient s’ouvrir ou se fermer en fonction des flux d’arrivées. Le processus est long. « Le secrétaire d’Etat avait annoncé son intention d’ouvrir les places tampons en octobre 2020, explique Tine Claus, directrice de l’ONG flamande Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Il a fallu attendre la crise de l’accueil, presque un an plus tard, pour qu’on cherche à appliquer concrètement cette solution. »
Cédric Vallet(Bruxelles, correspondance)