Des réfugiés, du cricket et un documentaire sur Arte

Migrants : du cricket chez les Ch’tis

« La vie en face » : sur Arte, les mutations de nos sociétés dossier

Le beau documentaire d’Alain de Halleux retrace la naissance d’un club de cricket formé par des réfugiés installés dans le Pas-de-Calais.

par Nathalie Dray dans Libération du 12 juin 2021

Ça commence quelque part sur un chemin caillouteux avec au loin les montagnes pelées d’Afghanistan, giflées par un vent glacial. Des hommes portant la kurta et le shalwar (tunique longue et pantalon flottant) tapent la balle, une batte à la main. Ça s’agite et s’invective aussi joyeusement que rageusement. Le cricket est un jeu, mais c’est du sérieux, comme la vie. C’en est à la fois le cœur et la périphérie, le sel et le divertissement, qui précisément fait diversion d’une existence muselée par des années de dictature talibane. L’image est désaturée, à la fois nette et trouble, comme le souvenir – car c’en est un. Et celui dont on découvre bientôt le visage juvénile et solaire n’est pas du genre à ressasser le passé. Pour Shahid, 18 ans, le décor a changé, la mer du Nord et les plaines des Flandres ont remplacé les massifs montagneux encerclant son Kaboul natal, mais la passion du cricket, elle, ne l’a jamais quitté.

Il aurait pu, comme la plupart des migrants se fondre aux fantômes erratiques qui peuplent encore les alentours de Calais en attendant de gagner l’Angleterre, mais il a préféré rester et s’est trouvé une famille de substitution : le Saint-Omer Cricket Club Stars, ou Soccs, première équipe des Hauts-de-France, constituée uniquement de réfugiés indiens, pakistanais ou, comme lui, afghans.

Une origine nordiste

L’histoire des Soccs, si singulière et si belle, a fait le buzz un peu partout en Europe, jusqu’aux Etats-Unis. Et c’est cette success story que relate avec une émouvante légèreté le film d’Alain de Halleux. Mais – et c’est là sa vraie trouvaille – c’est lui, Shahid, qui en est à la fois l’un des héros et le narrateur, lui qui revient sur la naissance de son club aimé et nous en fait vivre le quotidien, dans un français canaille et plein d’humour. Dispositif on ne peut plus astucieux : l’étranger, le grand Autre, devient alors ce qu’il n’a jamais cessé d’être, notre semblable et frère. C’était donc ça. Il suffisait de changer de point de vue, de retourner la caméra, d’épouser le regard de l’autre. De faire ce que fit un jour de 2016 un jeune chef d’entreprise, Christophe Silvie, en voyant dans le parc de Saint-Omer des migrants jouer à ce sport complexe dont il ne connaissait pas les règles : ramasser la balle venue rouler à ses pieds et passer de l’autre côté du miroir

Sans lâcher sa société d’ambulances, il décide de leur créer un club, seul moyen de pratiquer le cricket dans de bonnes conditions, avant de passer la main à Nicolas Rochas, qui depuis forme le pilier de cette équipe hors norme, où les joueurs animés d’une rage folle s’encouragent en pachtou. Cela signifie d’abord trouver un terrain décent, canaliser l’énergie lors des entraînements, organiser des championnats, les remporter haut la main jusqu’à séduire les sélectionneurs de l’équipe de France. C’est surtout leur donner une chance de vaincre les préjugés racistes, bien présents dans cette région où le RN a fait plus de 39 % aux dernières élections, les aider à obtenir des papiers, des stages, du boulot, bref à s’intégrer sans se désintégrer, grâce au sport qui leur tient lieu de passeport. Tout en offrant à Saint-Omer des forces vives à même de défendre fièrement ses couleurs et ressusciter ce jeu oublié par chez nous. Du win win, comme on dit. Et un juste retour des choses : le cricket serait né ici, dans le nord de la France, avant que les Anglais ne s’en entichent, lui fassent traverser la Manche et le diffusent dans toutes les anciennes colonies britanniques, dont l’Afghanistan où il fait office de sport national.

Casse-tête

Tout sourire, Shahid, le beau gosse de l’équipe, adore raconter cette histoire aux journalistes, en cabotinant gaiement. Ça romantise un peu la vie et aide à supporter les coups de cafard, quand sa famille restée au pays lui manque trop et que le casse-tête des démarches administratives pour obtenir une carte de séjour s’éternise. Sans compter l’équipe adverse de Lille qui aimerait bien leur mettre une branlée ! Mais, comme dans un feel good movie, tout finit par s’arranger.

Loin des clichés misérabilistes qui finalement suscitent moins l’empathie que le rejet, Bienvenue chez les Soccs, bouleversant de grâce et d’humanité, préfère nous faire vibrer. A l’image de son héros désarmant, il ne se départit jamais de sa belle énergie et nous emporte dans une tornade d’émotion joyeuse autrement plus contagieuse. Du win win, on vous dit.

Bienvenue chez les Soccs, d’Alain de Halleux, sur Arte mercredi 14 juillet à 22 h 55.
Ce contenu a été publié dans pays par psm. Mettez-le en favori avec son permalien.