Par Laetitia Van Eeckhout, Le Monde, 22 juin 2021
Strasbourg, finaliste de l’initiative Wellbeing Cities 2021, s’engage à garantir un meilleur accès aux activités sportives pour les réfugiés et les demandeurs d’asile.
En cette matinée encore fraîche mais ensoleillée de la fin du mois de mai, Mirashi Fllanxa, citoyenne albanaise, grimpe sur un vélo, tout en appréhendant de se lancer sur la pente asphaltée du parc du Heyritz, à Strasbourg. Avec neuf autres femmes, toutes réfugiées ou demandeuses d’asile, Mirashi apprend à faire de la bicyclette. Une pratique qui, dans son pays d’origine, n’est réservée qu’aux hommes.
« Faire du vélo, c’est acquérir la liberté, être indépendante, et cela nous permettra de découvrir la ville », se réjouit-elle, assurant que « la culture et le mode de vie, c’est plus difficile à apprendre que la langue ». Igombo DaGraça, ressortissante angolaise, mère de quatre enfants, qui dit ressentir « beaucoup de stress » au quotidien, renchérit :
« Quand on ne travaille pas et que l’on a une vie pas facile, cela donne confiance en soi. »
Strasbourg, finaliste de l’initiative Wellbeing Cities 2021 (Prix Mieux vivre en ville 2021), a décidé de faire du sport un vecteur d’intégration des réfugiés et des demandeurs d’asile. Le programme « Inclusion par le sport » lancé par la nouvelle municipalité se décline depuis le 19 mai en trois activités : rouler, nager, bouger. Pour chacune d’elles, il s’agit d’offrir à un groupe de migrants la possibilité d’apprendre à faire du vélo, à nager ou de découvrir un sport collectif.
Insuffler un sentiment d’appartenance
« Le sport a un pouvoir fédérateur, relève Farid Adjoudj, chef de projet dans les domaines de l’inclusion et de la citoyenneté au département des sports de la Ville. Bon pour la santé et [pour] le bien-être, il brise les obstacles, favorise le désenclavement et stimule la confiance et l’esprit collectif, en insufflant un sentiment d’appartenance, ce qui favorise l’ouverture aux autres. »
« Il y a une hétérogénéité dans les besoins d’apprentissage »
Les associations d’entraide et d’accueil des migrants aident la municipalité à constituer les groupes d’enfants, d’adolescents, de jeunes adultes ou de femmes, chaque programme étant adapté aux catégories d’âges et au profil de chacun. C’est, par exemple, parce que les femmes sont souvent, dans leur pays d’origine, éloignées de toute activité physique et sportive, que s’est ainsi imposée l’idée de les encourager à suivre un apprentissage du vélo. « Nous sommes dans une approche qualitative d’accompagnement des personnes ; du sur-mesure, insiste Serge Bomstein, bénévole chez Caritas et convaincu que l’on ne peut plus être uniquement dans le distributif vis-à-vis des migrants. On s’adresse à des personnes, non à des groupes, car il y a une hétérogénéité dans les besoins d’apprentissage. »
Favoriser la rencontre entre résidents locaux et réfugiés
En raison du Covid-19, le programme devrait pour cette année toucher une bonne centaine de participants. Mais l’objectif de la ville d’ici à 2024 est d’entraîner 600 migrants par an.
Pour déployer ce programme, la ville s’attache à faire évoluer le mode de fonctionnement de ses fédérations et clubs sportifs afin qu’ils développent eux-mêmes de telles activités avec des réfugiés. « L’organisation actuelle des équipements sportifs en fait des lieux qui ne s’ouvrent qu’à des personnes d’un même quartier cherchant à faire de la compétition. Or tout le monde ne peut pas – ou ne veut pas – être dans la compétition. Il faut que ces structures intègrent aussi des sections loisirs, relève Owusu Tufuor, adjoint au sport. Cela favorisera la rencontre, le mélange, les échanges entre les résidents locaux et les réfugiés. » Cet acteur du champ social, originaire du Ghana, s’inspire de son parcours.
« Je suis arrivé en France à l’âge de 15 ans, et sans parler un mot de français. C’est grâce à mon entraîneur de football que j’ai pu m’intégrer. Il faut remettre en avant le sport comme lien social, comme vecteur de citoyenneté, et même d’accès à l’emploi. Il faut à tout prix que le sport redevienne inclusif. »
L’objectif de la ville est de permettre un égal accès aux activités physiques et sportives entre les réfugiés ou demandeurs d’asile et le reste de la population, tout en mettant l’accent sur l’égalité hommes-femmes. Cet été, un conteneur mobile va sillonner la ville et sera installé chaque semaine en plein cœur d’un des quartiers populaires, à proximité d’une structure d’accueil. Aménagé en atelier, il proposera aux riverains d’apprendre à réparer un vélo, mais aussi à en faire, et pourquoi pas d’en acquérir un à l’issue de cet apprentissage. En parallèle, une animation sensibilisera aux valeurs du sport, sans discrimination ni sexisme.
Sortir le sport du seul prisme social
Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, tient à souligner que « ce programme s’inscrit dans la tradition humaniste de Strasbourg. Une tradition, rappelle-t-elle, affirmée par [s]on prédécesseur, Roland Ries, qui est un des initiateurs du réseau des Villes et territoires accueillants. » Et qui, après un travail de concertation avec les acteurs associatifs, caritatifs, universitaires, institutionnels de la commune, a publié un Manifeste pour un accueil digne des personnes migrantes vulnérables.
« Nous cherchons aujourd’hui à décloisonner cette stratégie afin qu’elle irrigue tous les services, toutes les politiques de la ville », relève l’édile, qui s’est fait élire notamment en promettant l’ouverture de 500 places en appartement et avec accompagnement pour les sans-abri, Strasbourg comptant, en tant que carrefour migratoire d’importance, nombre de migrants. Et Floriane Varieras, adjointe à la ville inclusive, d’insister : « Notre objectif est de sortir l’action en faveur des migrants du seul prisme social pour les intégrer pleinement à la cité. »