http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Conditions-d-accueil-des-migrants-a-Calais
L’Essentiel :
• Malgré la fermeture en 2016 du centre d’accueil de migrants se trouvant à Calais, au profit d’une répartition de la prise en charge des migrants dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire national, plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais depuis le début de l’année 2017.
• A la demande de migrants et d’associations, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, saisi d’un référé-liberté, a notamment enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches ; en outre, il a enjoint au préfet d’organiser, à destination des migrants qui le souhaitent, des départs depuis la commune de Calais vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles.
• Le Conseil d’État rejette les appels du ministre de l’intérieur et de la commune de Calais contre cette ordonnance :
o il juge que les conditions de vie des migrants révèlent une carence des autorités publiques, qui est de nature à exposer les personnes concernées à des traitements inhumains ou dégradants et qui porte donc une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
o il estime que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a prononcé les injonctions rappelées ci-dessus.
Les faits et la procédure :
Au cours de l’année 2016, face à l’afflux croissant de milliers de migrants sur le territoire de la commune de Calais, essentiellement en bordure d’un terrain dénommé « la Lande », les autorités publiques ont décidé de répartir leur prise en charge dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire national. Dans ce cadre, elles ont décidé la fermeture du centre qui se trouvait sur le territoire dit de « la Lande » et des autres structures destinées à l’accueil et à l’hébergement des migrants dans cette zone, afin d’éviter que ne s’y reconstituent de nouveaux campements de migrants. Toutefois, depuis le début de l’année 2017, plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais.
Des migrants et des associations ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’un référé-liberté en lui demandant d’ordonner plusieurs mesures de sauvegarde afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées selon eux aux libertés fondamentales des centaines de migrants vivant, à la fin du mois de juin 2017, sur le territoire de la commune de Calais.
Par une ordonnance du 26 juin 2017, le juge des référés a partiellement fait droit à cette demande :
– il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place un dispositif adapté de maraude quotidienne à Calais à destination des mineurs non accompagnés ;
– il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs points d’eau situés à l’extérieur du centre de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrants et leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et d’organiser un dispositif d’accès à des douches ;
– il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais d’organiser des départs, depuis la commune de Calais, vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles.
Il a en revanche rejeté les demandes tendant à la création d’un centre d’accueil des migrants ou d’un centre de distribution alimentaire sur le territoire de la commune de Calais.
Seuls le ministre de l’intérieur et la commune de Calais ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État :
Par la décision de ce jour, le Conseil d’État rejette ces appels.
Il commence par rappeler qu’il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, c’est-à-dire le maire sur le territoire de la commune et le préfet pour les mesures excédant ce territoire, de veiller à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.
Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, dans le cadre d’un référé-liberté, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Mais dans tous les cas, l’intervention du juge du référé-liberté est subordonnée au constat que la situation en litige lui permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.
En l’espèce, le Conseil d’État constate que plusieurs centaines de migrants se trouvent présents sur le territoire de la commune de Calais, dont une centaine de mineurs. Il relève que ces migrants, qui se trouvent dans un état de dénuement et d’épuisement, n’ont accès à aucun point d’eau ou douche ni à des toilettes. Ils ne peuvent ainsi ni se laver ni laver leurs vêtements. Ils souffrent en conséquence de pathologies, de divers troubles liés à une mauvaise hygiène ou encore de plaies infectées ainsi que de graves souffrances psychiques.
Le Conseil d’État estime que ces conditions de vie révèlent, de la part des autorités publiques, une carence de nature à exposer les personnes concernées, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants. Cette carence porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Le Conseil d’État souligne qu’il n’appartient pas au juge des référés de remettre en cause le choix des autorités publiques de traiter la situation des migrants présents à Calais en les prenant en charge, sous réserve de la mise en œuvre des procédures d’éloignement du territoire français, dans des structures adaptées à leur situation et situées en dehors du territoire de la commune de Calais dans le but d’éviter que ne s’y reconstitue un afflux incontrôlé de migrants.
Il juge qu’il appartient néanmoins au juge des référés d’ordonner les mesures urgentes que la situation permet de prendre dans un délai de quarante-huit heures et qui sont nécessaires pour faire cesser, à bref délai, les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales.
Le Conseil d’État en déduit que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint à l’État et à la commune de Calais, de créer, dans des lieux facilement accessibles aux migrants, à l’extérieur du centre ville de Calais, plusieurs dispositifs d’accès à l’eau leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté, fixe ou mobile, d’accès à des douches selon des modalités qui devront permettre un accès, à fréquence adaptée, des personnes les plus vulnérables.
Il juge en outre que l’injonction faite au préfet du Pas-de-Calais d’organiser, à destination des migrants qui le souhaitent, des départs depuis la commune de Calais vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles, est de nature à éviter que ces migrants s’installent durablement sur le territoire de la commune de Calais dans des conditions méconnaissant le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants. Il estime par suite que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a prononcé cette injonction.
Le Conseil d’État rejette donc les appels du ministre de l’intérieur et de la commune de Calais.
La procédure de référé-liberté :
La procédure de référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.
La décision se trouve ici:
Conseil d’État, 31 juillet 2017, Commune de Calais, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux(Section du contentieux, 6ème chambre)
Séance du 28 juillet 2017 – Lecture du 31 juillet 2017
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. T…O…, M. CB…AQ…, M. AK…AQ…, Mme AN…P…, M. CC… AU…, M. V…AU…, Mme AH…Q…, Mme H…AB…, M. BH…, M. N…G…, M.BK…, M. A…AV…, M. Z…AC…, M. AY…, Dowlatzai, M. W…I…, M.BL…, M. R…AR…, M. BR…, M. L…AS…, M.BD…, M.BM…, M. AD…AF…, M. BU… K…AZ…, M. E…K…, M. BV…K…, M. BW…K…, M. AE… K…, M. AG…K…, M. CA…K…, M. G…BT…, M. U…W…, M. S…AI…, M. BN…, Mme AP…BJ…, M.BO…, M.BF…, M.BG…, M.BS…, M. AK…AJ…, M. J…M…, M. Y… BP…, M.BE…, M. F…X…, M. BX… K…BZ…K…, M. D…AL…, M. BY…K…AX…, M.BA…, M. AW…B…, M.BB…, M. K…AT…, M. AD…AO…, M. BC…, M.BQ…, M. AM… C…, les associations l’Auberge des migrants, la Cabane juridique / Legal Shelter, Care4Calais, la Cimade, Gynécologie sans frontières, Help Refugees, la Ligue des Droits de l’Homme, le Réveil voyageur, Salam, Secours catholique – Caritas France et Utopia 56 ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
– d’ordonner toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales des migrants vivant actuellement sans abri sur le territoire de la commune de Calais, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
– d’enjoindre au conseil départemental du Pas-de-Calais, en premier lieu, de procéder à l’identification, au recensement et à l’évaluation des besoins des mineurs non accompagnés sans abri ; en deuxième lieu, de saisir le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la finalisation de ce recensement, pour que celui-ci puisse, le cas échéant, prononcer des ordonnances de placement provisoire ; en troisième lieu, d’organiser une maraude chargée de prendre contact, de recenser et d’identifier les mineurs non accompagnés nouvellement arrivés, de fournir une information juridique et sociale à ceux de ces mineurs qui sont sans abri, et d’identifier, parmi ce public, les victimes de traite ; en quatrième lieu, d’ouvrir, sur le territoire de la commune de Calais, un lieu pour les mineurs non accompagnés ;
– d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, en premier lieu, d’organiser des maraudes délivrant aux migrants, mineurs et majeurs, une information sur les modalités de demande d’asile en France et sur les conditions d’accès aux dispositifs de droit commun de prise en charge des personnes sans abri ; en deuxième lieu, de mettre en place des solutions d’hébergement permettant à l’ensemble des migrants vivant actuellement sans abri sur le territoire de la commune de Calais de bénéficier d’un accès effectif à l’hébergement d’urgence ;
– d’enjoindre au maire de la commune de Calais et au préfet du Pas-de-Calais de procéder à un inventaire des ressources foncières publiques afin que les bâtiments inoccupés soient affectés au logement temporaire et d’urgence des personnes exilées et sans abri vivant actuellement sur le territoire de la commune de Calais ;
– à titre subsidiaire, d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais, en premier lieu, de désigner un lieu au sein duquel les personnes qui n’auront pas eu accès à l’hébergement d’urgence et au dispositif de mise à l’abri de droit commun pourront accéder à des dispositifs de douches et de sanitaires et pourront se voir distribuer des repas ; en deuxième lieu, de faire procéder à l’ouverture de centres de distribution alimentaire dans l’ensemble du Calaisis ; en troisième lieu, d’autoriser l’accès à ces centres ainsi qu’à tous les dispositifs sollicités, aux associations requérantes, aux autres associations ainsi qu’à toute personne ; en quatrième lieu, de mettre en place sur l’ensemble du territoire de la commune de Calais des points d’eau potable ; en cinquième lieu, de créer, sur le territoire de la commune de Calais, des latrines gratuites ; en sixième lieu, de mettre en place un ou plusieurs dispositifs permettant à l’ensemble des personnes sans domicile fixe, de nationalité française ou étrangère, se trouvant sur le territoire de la commune de Calais, de prendre une douche quotidienne ; en septième lieu, d’exclure les forces de l’ordre de ces centres et des autres installations afin que ces lieux ainsi préservés permettent une action humanitaire dans des conditions de sérénité indispensables ; en dernier lieu, adapter ces installations à l’évolution du nombre de migrants présents ;
– en tout état de cause, d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à la communauté d’agglomération du Grand-Calais Terres et Mers et à la commune de Calais, de donner l’instruction à leurs services et aux services de police de permettre la poursuite des distributions de repas, dans les conditions conformes à l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille n° 1702397 du 22 mars 2017, de permettre, par conséquent, le déroulement de ces distributions, à chaque fois qu’elles se tiennent dans des conditions paisibles, et de prescrire toutes les mesures administratives de nature à rendre possible de telles distributions sur l’ensemble des lieux qui étaient visés dans les arrêtés dont les effets ont été suspendus par ladite ordonnance, le cas échéant, en ouvrant de nouveau l’accès à ces sites, et dans tous ceux qui ne sont touchés par aucun arrêté d’interdiction.
Par une ordonnance n° 1705379 du 26 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, en premier lieu, enjoint au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, un dispositif adapté de maraude quotidienne à Calais à destination des mineurs non accompagnés, en deuxième lieu, enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, plusieurs points d’eau situés à l’extérieur du centre de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrants et leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et d’organiser un dispositif d’accès à des douches, en troisième lieu, enjoint au préfet du Pas-de-Calais d’organiser, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, des départs, depuis la commune de Calais, vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant le Conseil d’Etat :
1° Sous le n° 412125, par une requête, enregistrée le 5 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Calais demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 3 de cette ordonnance ;
2°) de rejeter les conclusions correspondantes de la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge des demandeurs de première instance une somme globale de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 412171, par un recours et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 et 23 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de l’action sociale et des familles ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Calais et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. O…et autres.
1. Considérant que la requête de la commune de Calais et le recours du ministre de l’intérieur sont dirigés contre la même ordonnance ; qu’il y a lieu de les joindre pour qu’elles fassent l’objet d’une même décision ;
2. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’au cours de l’année 2016, face à l’afflux croissant de milliers de migrants sur le territoire de la commune de Calais, essentiellement installés dans des campements précaires situés à plusieurs kilomètres au nord ouest du centre ville de Calais en bordure d’un terrain, couramment dénommé « la Lande », les autorités publiques compétentes ont adopté une nouvelle politique visant à répartir la prise en charge des migrants se trouvant alors à Calais dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire national en fonction de leur situation, selon qu’ils sont mineurs isolés, qu’ils souhaitent déposer une demande d’asile en France ou qu’ils relèvent d’un centre d’accueil et d’orientation ; que, dans ce cadre, elles ont décidé la fermeture du centre qui se trouvait sur le territoire de « la Lande » et des autres structures destinées à l’accueil et à l’hébergement des migrants dans cette zone afin d’éviter que ne s’y reconstituent des campements de migrants ; que, toutefois, depuis le début de l’année 2017, plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais, qu’ils y soient revenus après un passage dans un centre d’accueil ou qu’ils y soient arrivés pour la première fois ; que cinquante quatre migrants et onze associations ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, plusieurs mesures afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales qui seraient portées aux libertés fondamentales des centaines de migrants vivant, à la fin du mois de juin 2017, sur le territoire de la commune de Calais ; que par une ordonnance du 26 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à leur demande ; qu’il a ainsi enjoint au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, un dispositif adapté de maraude quotidienne à Calais à destination des mineurs non accompagnés, enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, plusieurs points d’eau situés à l’extérieur du centre ville de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrants et leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et d’organiser un dispositif d’accès à des douches, et enjoint au préfet du Pas-de-Calais d’organiser, dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, des départs, depuis la commune de Calais, vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles ; qu’il a, en revanche, rejeté le surplus des demandes et notamment celle tendant à la création d’un centre d’accueil des migrants ou de centres de distribution alimentaire sur le territoire de la commune de Calais ; que le ministre de l’intérieur et la commune de Calais font appel de cette ordonnance ;
Sur l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :
3. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « Toute personne admise à l’aide juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d’exercice d’une voie de recours » ;
4. Considérant que M. O…et les autres personnes physiques ayant été admis au bénéfice provisoire de l’aide juridictionnelle par l’ordonnance attaquée, il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions renouvelant cette demande ;
Sur la régularité de l’ordonnance :
5. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 522-8 du code de justice administrative : « L’instruction est close à l’issue de l’audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l’instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l’audience et avant la clôture de l’instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d’apporter au juge la preuve de ses diligences. / L’instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience » ;
6. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 731-3 du même code : « A l’issue de l’audience, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré » ; que lorsque le juge des référés est saisi, postérieurement à l’audience ou, si celle-ci a été différée, postérieurement à la clôture de l’instruction, d’une note en délibéré, il lui appartient d’en prendre connaissance et, s’il estime que cette note n’apporte pas d’éléments nouveaux de nature à justifier la réouverture de l’instruction, de la viser sans l’analyser ;
7. Considérant qu’il résulte des termes de l’ordonnance attaquée que le juge des référés ne s’est fondé, pour statuer, sur aucun élément nouveau produit après la clôture de l’instruction et notamment pas sur les pièces produites à l’appui de la note en délibéré présentée pour M. O…et autres ; que par suite, le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que l’ordonnance attaquée, qui a visé cette note sans l’analyser, aurait été rendue en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure ;
8. Considérant que le moyen soulevé par le ministre de l’intérieur, tiré de ce que le juge des référés aurait omis de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir des cinquante quatre demandeurs individuels en première instance, au motif qu’ils ne faisaient état d’aucun élément relatif à leur situation particulière, ne peut en tout état de cause qu’être écarté dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que le préfet du Pas-de-Calais aurait, dans son mémoire en défense ou lors de l’audience au tribunal administratif, soulevé une telle irrecevabilité ;
Sur les conclusions relatives à l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
9. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;
10. Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; que le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale ; que, toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L.521-2, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ; qu’eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent être très rapidement mises en œuvre ; que, dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ;
11. Considérant qu’en l’absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti ; que, lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ;
En ce qui concerne l’injonction tendant à mise en place de points d’eau, de latrines et de douches :
12. Considérant qu’il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été dit au point 2, qu’alors même que l’Etat a fait procéder, au cours de l’année 2016, à l’évacuation des différents campements de migrants installés sur le territoire de la commune de Calais et a décidé d’assurer la prise en charge de ces personnes dans des structures réparties sur le territoire national, plusieurs centaines de migrants, que le préfet du Pas-de-Calais a évalué entre 300 et 400 au mois de mai 2017 et que le Défenseur des droits a estimé entre 400 et 600 au mois de juin 2017, dont une centaine de mineurs, se trouvent présents sur le territoire de cette commune, en dehors du centre ville ; que ces migrants, qui se trouvent dans un état de dénuement et d’épuisement, n’ont accès à aucun point d’eau ou de douche ni à des toilettes et ne peuvent ainsi, notamment, ni se laver ni laver leurs vêtements et souffrent en conséquence de pathologies telles que la gale ou des impétigos, de divers troubles liés à une mauvaise hygiène ou encore de plaies infectées ainsi que de graves souffrances psychiques résultant de cette situation ;
13. Considérant que ces conditions de vie font apparaître que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que ces circonstances de fait, constitutives en outre d’un risque pour la santé publique, révèlent en elles-mêmes une situation d’urgence caractérisée, justifiant l’intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
14. Considérant que s’il ne relève pas de l’office du juge des référés de remettre en cause le choix des autorités publiques de traiter la situation des migrants présents à Calais en les prenant en charge, sous réserve de la mise en œuvre des procédures d’éloignement du territoire français, dans des structures adaptées à leur situation et situées en dehors du territoire de la commune de Calais dans le but d’éviter que ne s’y reconstitue un afflux incontrôlé de migrants, il lui appartient en revanche, d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, les mesures urgentes que la situation permet de prendre dans un délai de quarante-huit heures et qui sont nécessaires pour faire disparaître, à bref délai, les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales ; que le juge des référés, qui a notamment rejeté la demande dont il était saisi tendant à la création d’un centre d’accueil des migrants ou de centres de distribution alimentaire sur le territoire de la commune de Calais, pouvait ainsi, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2, prescrire aux autorités administratives, à raison d’une carence qui expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, d’installer des dispositifs adaptés permettant de rendre disponibles, à titre provisoire, tant que des migrants séjournent à Calais dans les conditions décrites ci-dessus, des points d’eau et des latrines ainsi que des douches ;
15. Considérant que c’est, par suite, à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint à l’Etat, dès lors que les mesures à prendre pour faire face à l’afflux massif de migrants à Calais en provenance de l’ensemble du territoire national excèdent les pouvoirs de police générale du maire de la commune, et à la commune de Calais, de créer, dans des lieux facilement accessibles aux migrants, à l’extérieur du centre de Calais, plusieurs dispositifs d’accès à l’eau leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté, fixe ou mobile, d’accès à des douches selon des modalités qui devront permettre un accès, selon une fréquence adaptée, des personnes les plus vulnérables ;
En ce qui concerne l’injonction tendant à l’organisation de départs vers des centres d’accueil et d’orientation :
16. Considérant que l’injonction faite au préfet du Pas-de-Calais d’organiser des départs depuis la commune de Calais vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles, dans la perspective de les orienter vers la procédure de demande d’asile en France, est de nature à éviter que ces migrants s’installent durablement sur le territoire de la commune de Calais dans des conditions méconnaissant le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants ; que cette injonction n’est ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, pas fondée sur le droit à l’hébergement d’urgence prévu par les dispositions de l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles et ne crée pas, en tout état de cause, une rupture d’égalité de traitement avec d’autres personnes étrangères en situation irrégulière sur le territoire national ; que, par suite, c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille, qui ne s’est pas fondé sur des faits matériellement inexacts en relevant, ainsi que l’indiquait le préfet du Pas-de-Calais, qu’il existe 11 000 places dans les centres d’accueil et d’orientation, a prononcé l’injonction contestée ;
17. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les appels du ministre de l’intérieur et de la commune de Calais doivent être rejetés ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. O…et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. O…et autres, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat et sous réserve de l’admission définitive de ses clients à l’aide juridictionnelle, de mettre à la charge solidaire de l’Etat et de la commune de Calais la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Calais et le recours du ministre de l’intérieur sont rejetés.
Article 2 : Sous réserve de l’admission définitive de M. O…et des autres personnes physiques à l’aide juridictionnelle et sous réserve que la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, l’Etat et la commune de Calais verseront solidairement une somme de 3 000 euros à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Calais, au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, et à l’association Secours Catholique, représentant désigné.
Copie en sera adressée au ministre de la cohésion des territoires, au ministre des solidarités et de la santé, au Défenseur des droits, au département du Pas-de-Calais, à la communauté d’agglomération Grand Calais Terres et Mers et à la section du rapport et des études du Conseil d’Etat.