Billet
Par Didier LeschiPublié le 21/03/2023 à 16:46
Dans son livre, « La battue : L’État, la police et les étrangers » (Seuil), le photoreporter Louis Witter, qui a passé dix-huit mois à Calais (Pas-de-Calais) et Grande-Synthe (Nord), accuse l’État de brutalité à l’égard des migrants. Essayiste et actuel directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), Didier Leschi lui répond.
Il m’est arrivé de croiser Louis Witter. À Calais, bien sûr, fin 2021, lors de la mission de médiation qui m’avait été confiée alors qu’un père jésuite et deux Mulhousiens en signe de protestation, engageaient leur santé dans une grève de la faim. Et lors de débats sur des chaînes d’information. À chaque fois, j’avais été frappé par des propos où le réel dans toute sa complexité s’absentait.
Un propos aujourd’hui condensé dans ce livre qui pourrait être résumé par l’équation suivante : à Calais, élus, fonctionnaires, de droite comme de gauche tous fascistes. Et au premier chef, les ministres de l’Intérieur qui tentent depuis des années de faire face, avec plus ou moins de succès confrontés aux décisions politiques des autorités britanniques, à la volonté de nombre de migrants de traverser coûte que coûte la Manche dans des conditions mettant en jeu leur vie au seul bénéfice des passeurs, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Gérald Darmanin… Ils sont les superviseurs de la « battue », une chasse à l’homme où les policiers seraient chasseurs, les migrants le gibier.
Un enchaînement de poncifs
Le livre accumule donc toutes les images et les poncifs qui alimentent la pensée politique de militants dont la générosité n’a d’égal que la cécité devant le fait qu’indirectement, par le biais de dégrèvement fiscaux au bénéfice de généreux donateurs, ou directement grâce à l’attribution de subventions ou de marché publics, leurs structures associatives sont de fait soutenues par l’État. On n’échappera donc pas à l’utilisation la plus caricaturale de la pensée de Michel Foucault avec ses mots fétiches. La réalité de Calais c’est le « biopouvoir » et la volonté de l’État, de sa maire, de Calaisiens « néo-nazis », serait de « laisser mourir » les migrants.
La centaine d’emplois que l’État subventionne pour que des associations servent des repas, organisent des douches, proposent des hébergements, loin des côtes et des passeurs, pour toutes ces victimes du chaos du monde, ne correspondrait qu’à la volonté pour lui d’avoir une armée de kapos ayant comme seule consigne de « faire survivre ». L’auteur appelle à ne pas s’y laisser prendre, le réel des millions dépensés par l’État serait de « laisser mourir ». On se demande même si dans ce schéma, l’hôpital de Calais, son service d’urgence, sa permanence d’accès à la santé et aux soins gratuits pour les immigrants qui en ont le besoin ne seraient pas comparables aux antichambres de la mort qu’étaient les revier des camps de concentration. Le vocabulaire distillé suggère, sans cesse, cette comparaison avec le pire, la maltraitance serait « industrielle », les barbelés empêchant l’accès au tunnel sous la Manche seraient comparables à ceux des camps. Et les migrants seraient dépouillés de leurs effets, comme l’étaient les victimes de la barbarie…
Face à tant de désorientation intellectuelle, on ne saurait trop conseiller à Louis Witter de lire ou relire un célèbre livre de Lénine, La maladie infantile du communisme, le gauchisme. Il y fustigeait ceux qui n’arrivaient plus à faire la distinction entre les régimes parlementaires et le fascisme. Était visé en particulier Amedeo Bordiga, pour qui, dès les années 1920, toute démocratie « bourgeoise » n’était qu’un paravent du fascisme. Au moins ce révolutionnaire italien, qui a subi les geôles d’un vrai fascisme, avait l’expérience de sa pensée.