Une ONG allemande demande l’ouverture d’une enquête sur le rôle de l’ancienne cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, et de plusieurs membres de gouvernements de l’UE pour le renvoi de migrants dans des camps libyens.
Une plainte pour crime contre l’humanité a été déposée à la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre d’anciens représentants des institutions européennes et de plusieurs membres de gouvernements de l’Union accusés d’avoir refoulé illégalement, avec le concours des gardes-côtes libyens, des migrants qui cherchaient à traverser la Méditerranée.
Parmi les personnalités visées figurent l’ancienne porte-parole de la diplomatie européenne Federica Mogherini, le ministre de l’intérieur italien, Matteo Piantedosi, et ses deux prédécesseurs, ainsi que l’ancien directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri.
Le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), une ONG allemande, qui a saisi la CPI avec le soutien de Sea-Watch, leur reproche, dans un communiqué de presse accompagnant l’annonce de la plainte, mercredi 30 novembre, d’avoir commis plusieurs « crimes contre l’humanité sous la forme de privation grave de liberté physique » entre 2018 et 2021, en interceptant systématiquement des migrants en Méditerranée pour les renvoyer en Libye, où ils sont souvent détenus dans des conditions jugées inhumaines, y compris par les Nations Unis.
Le gouvernement italien a conclu en février 2017 avec Tripoli un accord aussitôt entériné par le Conseil européen pour financer, équiper et former les gardes-côtes libyens afin qu’ils procèdent eux-mêmes à l’interception des bateaux de migrants, ce qui a permis de réduire de 81 % le nombre d’arrivées sur les côtes italiennes dès le premier semestre 2018. Il a été reconduit pour deux ans en 2020, puis pour un an début novembre, malgré l’appel de quarante ONG, dont Médecins sans Frontières, en faveur de son abrogation.
« Exploitation et mauvais traitements systématiques »
Marco Minniti, ministre de l’intérieur italien au moment de la signature de l’accord, fait partie des personnalités citées par l’ECCHR, tout comme son successeur Matteo Salvini, chef de file de la Ligue (extrême droite) devenu depuis vice-président du conseil, et son chef de cabinet de l’époque, Matteo Piantedosi, désormais à son tour ministre de l’intérieur. L’actuel premier ministre maltais, Robert Abela, et son prédécesseur, Joseph Muscat, sont également du nombre.
« L’exploitation et les mauvais traitements systématiques des migrants et des réfugiés sont omniprésents en Libye depuis au moins 2011 et comprennent des actes de détention arbitraire, de torture, de meurtre, de persécution, de violence sexuelle, ainsi que d’esclavage. Ces atteintes peuvent constituer des crimes contre l’humanité », écrit l’ONG, avant de poursuivre : « Malgré la connaissance de ces crimes, les responsables des agences de l’Union européenne ainsi que de l’Italie et de Malte ont renforcé leur collaboration avec Libye pour empêcher les réfugiés et les migrants de fuir la Libye par voie maritime. »
« Le traitement inhumain et les conditions de détention des migrants et des réfugiés en Libye sont bien connus depuis de nombreuses années. Le pays n’est pas un endroit sûr pour les migrants et les réfugiés. En vertu du droit maritime international, les personnes secourues en mer doivent être débarquées dans un lieu sûr. Personne ne devrait être renvoyé en Libye après avoir été secouru en mer », ajoute Andreas Schüller, directeur du programme de l’ECCHR pour les crimes internationaux et la responsabilité.
Si la plainte de l’ONG est jugée recevable, les membres des institutions européennes cités pourraient être appelés à comparaître devant la CPI, où l’immunité liée à leurs fonctions peut être levée à certaines conditions en vertu d’un accord conclu avec la Commission européenne.
L’ECCHR avait déjà saisi la CPI en novembre 2021 avec le soutien de la Fédération internationale pour les droits humains et de Lawyers for Justice in Libya pour l’inviter à enquêter sur la responsabilité des groupes armés, des milices et des acteurs étatiques libyens impliqués dans la commission de crimes contre l’humanité aux dépens de migrants et de réfugiés. La juridiction enquête sur la situation en Libye mais n’a pas ouvert d’instruction spécifique à ce sujet.