article de Annabelle Martellla, paru dans le journal La Croix, 28 août 2019
Toujours plus de migrants traversent la Manche en bateau
De plus en plus d’exilés tentent de traverser le détroit d’une trentaine de kilomètres qui sépare la France du Royaume-Uni. Le nombre de tentatives a doublé cette année. Ce sujet sera discuté ce jeudi 29 août par le ministre de l’intérieur Christophe Castaner et son homologue britannique
Les embarcations de fortune des migrants sur la Manche marqueront-elles bientôt autant les esprits que celles en mer Méditerranée ? Depuis cette année, le nombre de traversées du détroit qui sépare la France de l’Angleterre a doublé : 1 473 exilés ont tenté de rejoindre les côtes anglaises lors de 157 tentatives, contre 586 migrants pour 78 essais sur l’ensemble de l’année 2018, selon la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord.Malgré le plan d’action franco-britannique « pour s’attaquer aux traversées irrégulières de petites embarcations » mis en place en janvier dernier, l’augmentation est restée « lente mais constante », précisent les autorités judiciaires. Des discussions doivent reprendre, ce jeudi 29 août.
Des conditions de vie déplorables sur les côtes françaises
« Ce qui est étonnant, ce n’est pas que le nombre de tentatives ait doublé en 2019 mais plutôt que ces traversées ne se soient pas multipliées plus tôt, remarque Laurent Giovannoni, responsable migration au Secours catholique. Depuis l’évacuation de la « jungle » de Calais en 2016, la situation sur le littoral français est figée. »
Souvent déboutés du droit d’asile en France ou « dublinés », ces exilés sont prêts à tous pour tenter leur chance en Grande-Bretagne. Certains ont même essayé de traverser à la nage le bras de mer d’une trentaine de kilomètres entre le Cap Gris-Nez et Douvres. Vraisemblablement parti d’une plage du nord de la France, un Irakien âgé de 48 ans a été retrouvé mort, vendredi 23 août, au large des côtes belges.
« Les conditions de vie déplorables sur le littoral français les poussent à prendre des risques, estime François Guennoc, vice-président de l’Auberge des migrants. Ils sont harcelés par les autorités : toutes les 48 heures, leurs campements sont démantelés. »
Le moyen le plus sûr de rejoindre le Royaume-Uni
De son côté, la préfecture « met en garde les migrants qui envisagent de traverser la Manche, une des zones les plus fréquentées au monde, et donc dangereuses pour la vie humaine ». « Pour faire face à ces traversées périlleuses et dangereuses (…), un plan zonal et départemental, validé par le ministère de l’intérieur, a été mis en place, détaille la préfecture du Pas-de-Calais. En liaison étroite avec la préfecture maritime qui a elle-même renforcé ses moyens de surveillance et d’intervention en mer. »
Pourtant, traverser la Manche serait moins dangereux que de se cacher dans un poids lourd ou un conteneur, selon les associations. « Beaucoup de traversées réussissent, ce qui incite les migrants à tenter leurs chances, assure Jean-Claude Lenoir de l’association Salam. Si la météo est clémente et que l’embarcation a un moteur en bon état de marche, c’est le moyen le plus sûr de rejoindre la Grande-Bretagne. » Plus d’une centaine d’embarcations sont ainsi parvenues à rejoindre les côtes anglaises, avec à leur bord 1 109 migrants, tandis que 60 embarcations ont été interceptées par les autorités françaises, selon la préfecture du Pas-de-Calais.
Ces traversées restent néanmoins marginales. « Les tentatives de passage de la frontière par le port de Calais et le lien fixe trans-manche (par dissimulation dans les poids lourds) restent, de loin, les plus nombreuses, assure la préfecture. Depuis le début de l’année 2019, 9 732 personnes ont été découvertes au port et 6 054 sur le site d’Eurotunnel. »
La voie maritime serait empruntée majoritairement par des exilés d’origine iranienne et irakienne, arrivés plus récemment sur les côtes françaises. « Sans solution face à un marché contrôlé par des Afghans, des Kurdes ou encore des Soudanais, des passeurs se sont mis à acheter des canots et à faire payer la traversée entre 5 000 et 8 000 € » explique François Guennoc, de l’Auberge des Migrants. Pour améliorer la situation, l’association souhaite qu’un accord soit trouvé pour que les migrants puissent faire en France leurs demandes d’asile pour l’Angleterre.
« Surveiller encore plus ne réglera pas le problème »
La lutte contre les traversées clandestines sera au cœur d’une rencontre jeudi 28 août à Paris entre Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, et son homologue britannique, Priti Patel. Mais les associations attendent peu de cet échange. « Surveiller encore plus le littoral ne réglera pas le problème, insiste Laurent Giovannoni, responsable migration au Secours catholique. Ce n’est pas une solution viable à apporter à un problème diplomatique et social très complexe. »